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Maman<br />
Il était 9h du soir, et comme tous les mercredis, je rentrais<br />
de l’entraînement affamé. Plutôt que de m’attendre sereinement dans<br />
le salon devant notre feuilleton habituel, maman était couché du côté<br />
droit de son grand lit. Elle ne parvenait plus à respirer. L’ambulance.<br />
Les secours l’emportent. La porte se referme. En baillant, je vide mon<br />
sac de foot humide dans la bassine prévue à cet égard. Tant pis pour<br />
l’épisode de ce soir. Je m’attable. Après avoir terminé mon dîner, je<br />
me ressers du fromage. Le lendemain, à l’école, dans la cour de<br />
récréation, j’ai mis deux petits ponts, je me suis caché dans les<br />
toilettes pour pouvoir éviter la queue de la cantine, j’ai regardé mon<br />
âge sous leurs verres en plastique, puis je suis arrivé en cours de<br />
maths avec quelques minutes de retard, tout penaud et encore<br />
transpirant de mes péripéties.<br />
Nous avions gagné notre match, j’étais joyeux. Les<br />
effusions de couleurs virevoltaient dans le ciel qui fêtait cette<br />
victoire. Un sentiment d’une douceur infinie me parcourait depuis la<br />
voûte plantaire jusqu’au sommet du crâne. C’était comme ça, être<br />
vivant : des moments fugaces qui durent le temps d’une respiration<br />
profonde et apaisée. On ferme les yeux et ça fait du bien. Pourtant le<br />
chemin emprunté par papa ne ressemble nullement à celui que nous<br />
avons l’habitude de côtoyer. Il finit par annoncer doucement « on fait<br />
un détour pour aller voir maman à l’hôpital ». Parc André Citroën.<br />
Illuminé. Souffle froid. Entrée bousculée, regards désespérés. Ils sont<br />
confinés là, les malades. L’odeur m’agrippe. Ascenseur. 5 ème étage.<br />
Murs ternes, nuit tout à fait tombée, atmosphère pesante.<br />
J’entrais le dernier dans cette chambre d’hôpital. Elle était là, à<br />
l’horizontale. Ils me regardaient. Avec douceur, elle me demande de<br />
m’asseoir. La nouvelle, tragique et pâle. « Je suis malade ». Ce<br />
n’était malheureusement pas le majestueux élan vocal de Dalida.<br />
C’était les caprices d’une réalité assassine. Assis à son chevet, dos à<br />
eux, je fixe le mur avec intensité. La colère m’envahit. J’entends<br />
lentement démarrer le tic-tac intérieur de cette angoisse violente, ce<br />
besoin d’agir qui ferait sauter des cadenas et clouera des bouches.<br />
Mon silence parle.<br />
« Tu dois être fatigué. Tu as beaucoup joué aujourd’hui ».<br />
70 | DUMAS de DEMAIN