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Un temps passe. Il murmure. « Bof… Pas vraiment bien. Je<br />
ne fais pas grand-chose pendant la journée tu sais… Donc parfois<br />
c’est un peu difficile de m’endormir le soir… »<br />
Le silence s’installe à nouveau. Il est enduit d’une carapace<br />
rêche, difficile à briser. J’ai besoin de trouver du sens. Je reprends de<br />
plus belle.<br />
« Tu te sens coupable ?<br />
—Un peu…me répond-il.<br />
—Ça se manifeste comment ?<br />
—J’ai juste du mal à faire des choses…Chaque soir, c’est<br />
la même sensation…C’est comme si pendant la journée, le<br />
train passe, et je vais pouvoir y monter. Et chaque soir, je<br />
reste sur le quai, et je regarde le train s’en aller… »<br />
Ses paroles flottent dans les airs. Je pense au train qui s’en<br />
va, à ceux qui s’en vont. A tous les trains du monde. Aux chemins<br />
qu’ils empruntent, aux corps qu’ils contiennent. Je m’adresse à lui à<br />
nouveau.<br />
« Tu penses souvent à la mort ?<br />
—Mm… » Il n’est pas très clair.<br />
Sans attendre de réponse précise, je me lance.<br />
« Moi j’y pense souvent à la mort — à me donner mort.<br />
C’est comme une envie violente qui me prend, une envie de me jeter<br />
dans le vide depuis notre toit, une envie que toutes ces voix dans ma<br />
tête peuvent arrêter, vois-tu, une bonne fois pour toute. Toutes les<br />
voix qui me disent que je ne suis rien de plus qu’un petit gars<br />
médiocre qui n’arrivera à rien. On en finira, franchement. Je le vois<br />
déjà : mon corps contre le sol, reposant dans une flaque de sang.<br />
Comme dans les films, tu sais ? Mâchoire fracassée contre l’asphalte,<br />
regard fixant le vide intensément. Un regard de mort. Toi si tu devais<br />
te prendre la vie, tu le ferais comment ? »<br />
Alors que je prononce ses paroles, il se raidit. Son attention<br />
se détourne de son bol de céréales. Il focalise sur mon visage et<br />
l’examine. Nos mains se trouvent. Il m’agrippe. Il tremble. Je<br />
soutiens son regard, tout simplement.<br />
« Pendaison… Où peut être médocs… me répond-il.<br />
—Je t’aime frérot, tu le sais ça ? lui dis-je.<br />
—Moi aussi je t’aime mon frère… » il le sait.<br />
Le lendemain, après l’école, mon père m’appelle. Il est à<br />
Sainte Anne. Il y est allé tout seul. Il ne se sentait plus de vivre en<br />
68 | DUMAS de DEMAIN