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un banc, à regarder les gens, tant qu’il y en a. Sous leurs yeux, je<br />
triture mon ballon. J’insiste pour qu’il se joigne à ma partie de<br />
football imaginaire, sans succès. Elle me fusille du regard. Il ne veut<br />
pas et ne peut pas jouer avec moi. C’est dommage, la pelouse était<br />
bien plus belle à Sainte Anne que dans ma banlieue au sud. Ce beau<br />
gazon aurait facilité la pratique d’un sport qui nous ressemblait et<br />
nous rassemblait.<br />
Je ne parviens plus à reconnaître mon aîné. Il paraît fatigué.<br />
Il est meurtri, hagard, se meurt douloureusement. Depuis ma pelouse<br />
verdoyante n’apparaissent que ses longues boucles brunes, lui qui<br />
soudain peine à soutenir le regard de celle qui lui a donné la vie.<br />
C’est comme si l’hôpital s’était emparé de sa jeunesse et de sa force.<br />
Les mois ont passé. C’est l’hiver. Il fait nuit quand je rentre<br />
de l’école. Comme à l’accoutumée, mon frère est dans sa chambre de<br />
bonne, au fond de son lit ; comme à l’accoutumée, une odeur de tabac<br />
froid colle aux murs. Ses vêtements sont même au sol. Il est là-bas,<br />
contre le mur, masqué par l’épaisse noirceur de cette chambre sans<br />
fenêtres. Il a pris du poids. Ses joues sont gonflées. Je m’adresse à<br />
lui.<br />
« Comment te sens-tu ? »<br />
Il me répond en demi-teinte.<br />
« Mm… Ça va… »<br />
Je lui tends la main. « Viens donc t’asseoir avec moi<br />
frérot ».<br />
Ses mouvements sont lents.<br />
« J’arrive », me dit-il doucement.<br />
Sa tignasse couvre son visage rond. Il se sert en céréales,<br />
porte la cuillère à sa bouche, mâche doucement. Le craquement est<br />
bruyant. Il avale finalement. Je reprends doucement. Je reformule ma<br />
question. Je voudrais tellement qu’il y réponde vraiment.<br />
« Tu te sens comment à la fin de ta journée » ?<br />
Ses réponses sont monosyllabiques.<br />
« Mm… Ben… Pas terrible… » ?<br />
Le temps, avec Simon, paraît tout à fait linéaire, plat. Il ne<br />
semblerait n’y avoir ni de but quelconque à poursuivre, ni d’ambition<br />
palpable, ni de réel répit ou de satisfaction venue d’un travail achevé.<br />
Ni temps forts, ni temps faibles. Avec la curiosité d’un petit frère<br />
inquiet, je l’observe et l’interroge.<br />
« Comment dors-tu la nuit » ?<br />
Quatrième Édition | 67