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MARTIN RIEDLER<br />
Simon<br />
C’était l’anniversaire du pater. Un déjeuner de famille était<br />
de rigueur. Mon frère arrive à l’appartement. Il est tard, tout le monde<br />
l’attend, lui qui d’habitude est si discret, si posé. Il respire l’alcool. Il<br />
est vêtu d’une verve exaltée et exaltante. Les mots dégoulinent sans<br />
cesse de sa bouche. Il divague : Russie, Brésil, Rimbaud, Roger<br />
Waters, géométrie dans l’espace et théâtre de l’absurde. Mon père le<br />
regarde penaud. Je vis ce moment sans comprendre ce qu’il<br />
impliquait. Le silence s’abat sur nous, notre foyer, cet espace supposé<br />
familier et rassurant. Ma mère lui ordonne d’aller prendre une douche<br />
; il s’exécute en trébuchant et bafouille en passant.<br />
« Tout va très bien, je vous assure ».<br />
J’essayais tant bien que mal de le regarder depuis la vitre<br />
floutée de notre balcon étroit qui donnait sur la salle de bain. Je<br />
souhaitais l’observer. Observer ce frère qui bouleversait ma réalité.<br />
Mon intérêt était vif. Il avait piqué ma curiosité. Il chantait, « à tu tête<br />
une mélodie » des Doors. Lui que j’avais toujours idolâtré, dont<br />
l’aisance me fascinait dans le silence. Dans son nouveau monde, il<br />
s’appelait Jim Morrison, idole des foules et ombre de lui-même. Une<br />
main m’attrape alors par le collet brutalement. C’est la mère, qui<br />
m’emmène loin : loin de lui, loin de cette folie, loin de sa maladie.<br />
« Il faut savoir donner du temps au temps », me dira-t-on.<br />
Il avait disparu du foyer familial. Le quotidien se vivait<br />
sans lui à présent.<br />
« Prends ton ballon de foot, nous allons voir ton frère », dit<br />
ma mère.<br />
Ligne bleue, métro aérien. C’est une journée ensoleillée et<br />
pleine de douceur. Le métro grince joyeusement. A la sortie, le<br />
panneau devant moi affiche « Centre Hospitalier Psychiatrique Sainte<br />
Anne ». L’endroit est solennel. Ils se retrouvent tous deux, assis sur<br />
66 | DUMAS de DEMAIN