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que l’on débite devant les idioties que les gens nous crachent à la<br />

figure, parce que tu en es tout simplement incapable et que ne rien<br />

pouvoir changer serait une déchirure si forte pour ton esprit que tu en<br />

souffrirais, et pour elle ce serait intolérable. Pourtant elle le sait,<br />

Oneida. Elle sait que tu as envie de sentir l’odeur de sa peau et de ses<br />

cheveux, de t’abandonner dans ses bras, parce que ma petite sœur a<br />

toujours eu un sixième sens pour ce genre de choses. C’est pour cela<br />

qu’elle ne se révolte plus, quand tu l’abandonnes pour passer une<br />

soirée au bras de l’archétype de la gente masculine, ou deux, ou trois,<br />

qui sont aussi bête que méchant les uns que les autres et dont tu<br />

oublies le nom et l’existence le lendemain, dans les vapes du gin que<br />

tu bois et du refus de qui tu es véritablement. Elle balance<br />

simplement son dernier billet de dix sur la table du café pour payer ce<br />

qu’ils ont consommé goulûment puis prend la fuite, son sac Chanel<br />

rose sous le bras.<br />

Mais cette fois-ci, quelque chose d’irrésistible et<br />

d’indomptable l’a possédée, elle a senti le peu de fierté individualiste<br />

qu’elle conservait en elle précieusement prendre le contrôle de ses<br />

pas, de ses lèvres fines. Elle commença à chuchoter, elle écourta<br />

davantage ses pas, quinze ou vingt centimètres, à la coiffeuse du<br />

salon grunge de Belleville sur lequel son choix s’était arrêté. De la<br />

même façon que ça a été la fin d’Oneida, c’était la fin de la Margaux<br />

que tu connaissais ; celle sage et silencieuse, et heureuse d’être ainsi.<br />

Elle n’a pas regretté au son sourd du ciseau qui faisait tomber au sol<br />

les mèches brunes de sa bourgeoisie correcte et obéissante. Elle n’a<br />

pas songé aux Ombres, assis dans leur château de la forêt de<br />

Fontainebleau ou dirigeant leur empire crémier de Brie, eux qui<br />

auraient à coup sûr secoué leurs têtes devant la fin regrettable de la<br />

dignité royale de leur fille, devant la fin de ses longs cheveux lisses et<br />

brillants, entretenus avec soin trois-cent-soixante-cinq jours par an<br />

pour atteindre la perfection et rivaliser avec les petites filles des<br />

écoles privées de la ville.<br />

Rien ne pouvait gâcher l’instant rempli de fierté qu’était<br />

l’aperçu du reflet dans la glace, juste après la chute de la dernière<br />

mèche et le rinçage de la dernière goutte de teinture bleu ciel,<br />

l’instant de pure satisfaction avec soi-même qu’était le sentiment<br />

d’être parfaitement véritable. Rien, même ton air déçu quand tu l’as<br />

aperçue, le lendemain, et que tu l’as fixé, les yeux exorbités, avant de<br />

lâcher, « on dirait une gouine » en appuyant sur chaque mot d’un air<br />

62 | DUMAS de DEMAIN

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