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point commun avec quelqu’un de « standard », quelqu’un comme<br />

Margaux, quelqu’un comme moi, c’était la mort, la fin d’Oneida. La<br />

fin de toi, la fin de nous, la fin de Margaux, la fin du monde entier.<br />

Donc elle sourit d’un air faussement approbateur à tes tirades, d’un<br />

air amoureux mais amical, toujours pour être discret, pour cacher ses<br />

sentiments, pour cacher son cœur ; sinon le monde s’en emparait et<br />

le pervertirait, une atrocité à la fois; sinon ton sourire — amical — se<br />

transformerait en rictus mauvais — amoureux. On le sait : il n’y a<br />

qu’une seule Oneida, celle de tous ses désirs. On le sait parce que<br />

quand tu vis, tout simplement, tu survoles la civilisation perdue des<br />

Hommes au lieu de t’arrêter ou de buter sur les obstacles, sur leurs<br />

insultes violentes, ou sur leur mépris acide qui dissout le bonheur<br />

qu’elle a commencé à éprouver le moment où tu as reposé ta tête sur<br />

son épaule, comme si elle était la seule personne au monde à pouvoir<br />

accueillir ta peine, ta fatigue, ton amour, ton affection. Elle en était<br />

électrifiée. Elle en était si heureuse que le ciel ne pouvait plus<br />

contenir son extase.<br />

—Peut-on s’asseoir, Oneida ?<br />

Les deux garçons autour de toi ricanaient. Ils ne semblaient<br />

même pas s’apercevoir de leur faible présence à tes côtés, de la petite<br />

Margaux qui se tenait, toute fragile, près de la grande Oneida. L’un<br />

d’eux avait des yeux noirs comme les billes que l’on se lançait à la<br />

maternelle, l’autre un sourire enjôleur qui, je le savais, te faisait<br />

fondre comme le sorbet au pamplemousse de Margaux sous le soleil<br />

de plomb qui étouffait Paris au mois d’août. Tu as lancé un regard<br />

dédaigneux à celui qui avait osé t’aborder alors que vous buviez vos<br />

panachés hebdomadaires sur la terrasse du Marais, terrasse que tu<br />

affectionnes. Elle aurait pu t’embrasser à cet instant-là, le dédain de<br />

l’autre équivalant à son éloge dans ton langage corporel si particulier<br />

et si soumis à tes humeurs passagères.<br />

—Pourquoi pas.<br />

Les mots s’étaient échappés de ses lèvres sans conviction et<br />

sans envie, avec une platitude qu’elle ne connaissait pas, mais qui<br />

semblaient signifier « je suis là, remarquez-moi, j’existe ». Tu la<br />

regardais d’un air surpris. Quelque chose en elle savait que tu les<br />

désirais—eux—et pas elle, qu’elle ne serait jamais assez pour toi, que<br />

l’amour qui vibrait en elle à ton égard ne pouvait tolérer que tu sois<br />

malheureuse à cause d’elle. Les deux brutes musculaires souriantes,<br />

croisées dans les couloirs de la Sorbonne, jugées non intéressants,<br />

60 | DUMAS de DEMAIN

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