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Tu as souri d’un air qui semblait vouloir tout dire, comme si tu ne
voyais qu’elle et que tu allais t’approcher, de ta démarche chaloupée,
et que tu allais l’embrasser tendrement, de tout l’amour dont tu aurais
été capable. Je le sais, je le sens et j’ai espoir en toi. Margaux, aussi.
Un mot est défini par sa définition. Je suis définie par mon
nom, mon nom est défini par sa définition. Mon nom veut dire
« attendue impatiemment » ou « désir », je suis donc le désir-même.
Tu l’avais susurrée, un jour que vous écriviez ensemble au pied de
l’olivier qui a poussé il y a une centaine d’années dans mon jardin et
qui, par la loi de l’attraction, a fait la cour aux étoiles et à Vénus,
perchées dans l’immensité de l’espace. Tu étais fière, Oneida, à vingt
ans, jeune philosophe autodidacte et indépendante. Libre. C’est ce
que Margaux est avec toi : libre et indépendante. Vous deux, vous
voltigez dans les airs, vous épousez les nuages et vous construisez
vos vies, juchées sur le dos de deux aigles jumeaux, inséparables et
immuables. Vous ne grandirez jamais, vous vous aimerez à deux,
pour toujours, vous scanderez des vers de Rimbaud en direction de la
Lune, vous chuchoterez des alexandrins au Soleil. Je le sais, je le
sens, parce que tu lui as promis, à coup de battements de tes longs
cils majestueux, et de sourires qui dessinaient des fossettes sur ton
visage et qui faisaient virevolter les papillons de son ventre et
excitaient la flamme de votre passion. Que deviendrait son existence
mélancolique sans toi, Oneida ?
Personne ne lui a jamais appris que nous sommes tous
merveilleusement égaux et différents, et qu’à l’origine de cette
différence se trouve la preuve de cette égalité : la vie est conditionnée
par l’amour et la passion et il n’y a rien de plus fantastique que de se
retrouver après une longue journée passée à apprendre et savoir, et
migrer d’une classe à une autre comme un troupeau de moutons qui
déferle et qui s’impose par sa masse et non par son unité ou par son
intellect. Dans son éducation de citoyenne du monde et de la Terre,
les Ombres ont négligé de lui enseigner que l’amour de l’autre n’est
rien sans l’amour de soi. Elle t’aime parce qu’elle se tolère. Elle se
tolère parce qu’elle sait qu’à ton fond, tu l’aimes, d’une façon ou
d’une autre ; elle sait qu’elle s’aimera le jour où tu prendras sa main
et que tu calmeras ses soucis par le ton doux de ta voix, chantante
depuis la nuit des temps. Malgré tout ça , elle en est convaincue, et
moi aussi, parce que tes iris azurs nous l’ont appris; parce que quand
tu te lèves et que tu proclames tes valeurs en scandant tes slogans et
58 | DUMAS de DEMAIN