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4<br />

DUMAS<br />

deDEMAIN<br />

TheFrenchLiteraryMagazine<br />

Fal2018<br />

ENTRETIEN<br />

CamileLaurens<br />

VISUALISATIONLITTÉRAIRE<br />

GaryCampbel<br />

POEMESETPROSE<br />

C.Burghelea E.Petropoulou<br />

M.Densmore S.Sarkar<br />

A.K.Satpute<br />

M.Riedler<br />

B.Beaver<br />

Y.Hongri<br />

C.J.Block<br />

N.Ménard


DANS CETTE PUBLICATION<br />

Note de l’éditeur 2<br />

Entretien avec Camille Laurens 4<br />

POÉSIE<br />

Clara Burghelea Maman 17<br />

Eva Petropoulou La nuit tomba… 18<br />

La toile d’araignée 20<br />

Alok Kumar Satpute Very short tales 21<br />

Brendyn Beaver Collection de poèmes 22<br />

Cheryl J. Block Chanteuse 25<br />

La veillée 26<br />

Souvenir 27<br />

Madison Densmore Collection de poèmes 28<br />

Sreyash Sarkar La Toupie 36<br />

Une Épître Tibétaine 37<br />

Paroles pour Magnolia 39<br />

Le Temps des Feuilles Dorées 41<br />

Hongri Yuan Golden Paradise 43<br />

PROSE<br />

Madison Densmore La huitième planète 52<br />

Nolwenn Ménard La loi de l’attraction 57<br />

Martin Riedler Collection d’écritures 66<br />

VISUALIZATION LITTÉRAIRE<br />

Gary Campbell Plus de nourriture 74<br />

Quatrième Édition | 1


Note de l’éditeur<br />

C’est avec une fierté profonde que j’annonce la quatrième<br />

édition du magazine littéraire Dumas de Demain. Personnellement,<br />

c’est toujours emballant de déterminer un thème pour l’édition<br />

courante. Je trouve que cette année a vu plusieurs événements à la<br />

fois choquants mais aussi révélateurs de l’espoir pour l’humanité<br />

avec les crises en Syrie, Iran, et de manière globale pour tous les<br />

hommes, incluses les femmes, notamment dans le mouvement<br />

#MeToo aux États-Unis. Synthétiquement, nous avons décidé que le<br />

thème de cette édition est la ruine. Je remarque que les œuvres<br />

incluses dans cette issue s’articulent naturellement autour de cette<br />

notion ; c’est une articulation basée sur les définitions du mot. Nous<br />

l’avons remarqué dans cette édition. Certains sont ruinés en face<br />

d’une tragédie, et d’autres sont ruinés par l’amour ; certains décrivent<br />

leur émerveillement incontrôlable pour les ruines de la nature et du<br />

monde onirique, d’autres évoquent tout simplement les ruines de<br />

notre société. Cette diversité de ruines est la raison pour laquelle je<br />

conserve toujours ma fierté pour la littérature. Cela dit, mon but était<br />

non seulement de rassembler toutes les œuvres qui respectaient nos<br />

critères, mais aussi toutes les pièces qui exprimaient une adoration<br />

pour la langue française avec leur belle manipulation présente de<br />

cette dernière. Je n’ai qu'à vous remercier, tous, pour votre effort et<br />

votre passion pure.<br />

— Phillip Michalak<br />

2 | DUMAS de DEMAIN


Quatrième Édition | 3


Entretien avec un auteur :<br />

Camille Laurens<br />

En automne 2017, le romaniste et écrivaine célèbre, Camille<br />

Laurens, a visité le Lycée Français de Chicago lors d’un voyage aux États-<br />

Unis pour présenter son 11 ème roman Celle que vous croyez. Avec des dizaines<br />

d’œuvres littéraires dans plusieurs domaines sous sa ceinture, Camille<br />

connaît très bien les difficultés et secrets de la création en littérature. Pour<br />

elle, la littérature est une des choses essentielles d’une vie réussie et complète.<br />

Nous avons pris l’occasion de la prendre en entretien pour en<br />

découvrir plus.<br />

Bonjour, aujourd’hui je vais vous parler essentiellement de<br />

mon dernier roman, ce n’est pas mon dernier livre car je viens d’en<br />

publier un autre consacré à une sculpture de Édouard Degas, mais<br />

c’est mon dernier roman, celui-ci (Celle que vous croyez) qui m’est<br />

revenu il y a un an et demi. Là je voudrais vous présenter ce livre<br />

parce que c’est un livre que j’ai décidé d’écrire après avoir observé la<br />

façon dont nous communiquions, nous tous, jeunes ou pas, sur les<br />

réseaux sociaux. Et je voulais me demander en écrire ce roman si<br />

l’internet ou les situations virtuelles modifiaient les relations<br />

amoureuses. Vous savez tous qu’un grand sujet universel du roman<br />

c’est l’amour. Il y a très, très peu de romans dans le monde où il ne<br />

soit pas du tout question d’amour. Moi c’est une question qui<br />

m'intéresse que je ne crois pas du tout superficiel ni frivole, comme<br />

on le dit parfois, parce que je pense que la vie est intéressante et a de<br />

sens que parce qu'on connaît l’amour, en donner et en recevoir. Et<br />

donc le roman au fil du temps, c’est toujours nourri d’histoire<br />

d’amour, pas toujours heureuse. Parce que d’après la sagesse<br />

populaire « les gens heureux n’ont pas d’histoires ». C’est à dire que<br />

si vous êtes heureux, c’est difficile d’écrire un roman. Résultat : on<br />

s’ennuie assez vite. C’est la douleur, la souffrance qui font les<br />

romans. Et donc au cours du temps le roman a traduit la fonction de<br />

l’amour. Par exemple Les Liaisons Dangereuses au 18 ème siècle, un<br />

roman par lettre et toutes ces relations de manipulation, de l'hôte, de<br />

mensonge, de duplicité font par le biais des lettres, parce que c’était<br />

le moyen de communiquer, notamment dans les relations<br />

amoureuses. Et je me demandais si à une autre époque si l’équivalent<br />

4 | DUMAS de DEMAIN


avec les moyens de la technologie moderne ce n’était pas la<br />

communication par les réseaux sociaux. A chaque époque il<br />

correspond un médium plus spécifique, je pense à Marcel Proust qui<br />

dans son œuvre La recherche du temps perdu met en question le<br />

téléphone à l’époque où il fallait appeler une opératrice et la peur<br />

d’être coupé dans la conversation influençait la relation amoureuse.<br />

Et donc, dans ce roman je m’intéressais à l’internet et en particulier à<br />

Facebook ; ma fille de 22 ans m’a dit que Facebook c’est déjà<br />

dépassé complètement il faut faire un roman sur Instagram ou<br />

Snapchat. Mais bon, là ça se passe sur Facebook sur une femme de<br />

48 ans qui s’appelle Claire Millecam, qui est divorcée, a deux<br />

enfants, et qui est professeur à l’université, donc d’un lieu culturel<br />

assez élevé et qui, pour surveiller son amant, qui s’appelle Joe. Elle<br />

décide de créer un faux profil Facebook pour se transformer en une<br />

belle femme célibataire de 24 ans (la moitié de son âge), en prenant<br />

une photo sur internet. Et c’est sous cette fausse identité qu’elle<br />

décide de discuter avec le meilleur ami de Joe, Chris. Très<br />

rapidement, elle va tomber amoureux de Chris, qui a 36 ans et qui est<br />

photographe. Lui, il va surtout tomber amoureux d’elle, croit-il d’une<br />

fille de 24 ans, pas du tout d’une fille de la véritable Claire. C’est le<br />

point de départ du roman : ils vont commencer à discuter, à chatter<br />

via Facebook et au téléphone. Mais elle, à chaque fois qu’il veut la<br />

rencontrer, elle ne veut pas pour des raisons évidentes.<br />

A partir de là en tant que romancière, je me suis posé la<br />

question que se pose l’écrivain : « qu’est-ce qui se passe après ? » Et<br />

il y avait des quantités de possibilités. Elle pouvait le rencontrer,<br />

parce qu’elle avait trop peur de sa déception et sa colère car elle<br />

n’était pas celle qu’il croyait. Si elle décidait de ne pas le rencontrer<br />

elle devait rompre ? Qu’est-ce qui se passait ? Est-ce que lui, il était<br />

malheureux ? Est-ce qu’il l’oubliait ? Elle, est-ce qu’elle s’en mettait<br />

? Faisait-elle une dépression ? Autre possibilité, elle pourrait décider<br />

de se rencontrer mais sous sa véritable identité. C’est à dire de<br />

s’arranger pour le croiser, par hasard, et puis d’essayer quand même<br />

sous son identité de femme mure d’avoir une histoire avec lui, enfin<br />

qu’il se passe quelque chose. Et puis là, est-ce que l’histoire passait<br />

mieux ? Est-ce que l’histoire passait mal ? Il y avait comme ça des<br />

pistes narratives et des amorces de roman. Plutôt de faire ce que l’on<br />

fait toujours, quand on est romancier c’est à dire de choisir une idée,<br />

j’ai décidé de les raconter toutes. C’est un peu bizarre car, forcément,<br />

Quatrième Édition | 5


certains de ces pistes sont contradictoires. Le moment où il la<br />

rencontre ou pas, si la rencontre se passe bien ou mal, et bien, je n’ai<br />

pas choisi. J’ai cherché une forme romanesque qui me permet de<br />

développer toutes les possibilités donc toutes les virtualités de<br />

l’histoire. Ce que je voudrais vous faire observer c’est la relation<br />

entre le font du roman, le virtuel ou bien l’histoire imaginaire, et la<br />

forme du roman. Il faut que le lecteur sente, dans sa lecture, ce que<br />

c’est que le virtuel, ce que c’est que l’imaginaire. Il faut voir que<br />

toutes ces histoires sont virtuelles ; toutes ces histoires sont<br />

potentielles. Si j’ai réussi, le lecteur devrait se demander « Ce qu’elle<br />

vient de me raconter, ce n’est pas vrai ». Finalement, on repart sur<br />

notre piste, qui est contrarié par l’histoire suivante et donc vient le<br />

sentiment de difficulté à démêler le vrai du faux ce qui revient au<br />

centre aussi des personnages. Tout le roman est fondé sur<br />

l’imaginaire en conflit avec la réalité. Voilà. Donc ça, je crois, est très<br />

important. Pour moi, un roman c’est d’abord choisir une forme qui<br />

soit adapté à ce qu’on veut exprimer, ce qu’on veut éprouver au<br />

lecteur.<br />

Dans ce roman il y avait trois choses principales qui<br />

m'intéressaient : le rôle de l’imagination dans l’amour, la question du<br />

féminisme (parce que cette femme arrive dans sa cinquantaine en<br />

route de refus de la part notamment de l’homme dont elle est<br />

amoureuse), la question de l'âge selon les sexes - voir une femme qui<br />

est plus vieille que l’homme passe souvent plus mal que l’inverse.<br />

Cette question d’une femme âgée est taboue et importante : la façon<br />

dont les femmes sont jugées plus sévèrement quand elles vieillissent<br />

que les hommes. Je me suis appuyé beaucoup sur les statistiques, sur<br />

des journaux que j’ai lus. Quand je travaillais sur ce sujet, j’ai vu le<br />

commentaire d’un article issu du monde qui traitait d’un concert de<br />

Madonna, qui à l’époque avait 55 ans. Et un journaliste disait, à<br />

propos de son concert, « Madonna est ridicule à 55 ans de vouloir<br />

continuer à exister ». Je me suis dit que s’il ne peut pas exister, ça<br />

veut dire qu’elle n’a plus qu'à mourir. C’est justement que le<br />

personnage masculin dit à la narratrice est « va mourir ». C’est une<br />

expression assez familière et violente. Je me suis rendu compte que<br />

c’est très courant : dès que les femmes arrivent à 50 ans, elles n’ont<br />

plus de « valeur ». Même dans le cinéma, les femmes ne trouvent<br />

plus de rôle avec l'âge. En général, les hommes avec des rides et les<br />

cheveux blancs ont plus de charmes tant que c’est le contraire pour<br />

6 | DUMAS de DEMAIN


les femmes. Parfois, on dit que c’est dans la nature, que les femmes<br />

vieillissent moins bien que les hommes - ceci n’est pas du tout le cas.<br />

Ce traitement des femmes est sociologique, si vous voulez. C’est une<br />

construction sociale qui n’est pas ancré dans la nature. Donc cette<br />

question-là, de la différence d'âge et de traitement des hommes et des<br />

femmes, peut paraître anodine voir pas très importante, mais pour<br />

moi c’était le moyen de réfléchir plus profondément et d’une manière<br />

plus féministe à ce que c’est qu’une femme par rapport à la société.<br />

Cet exemple de l'âge montre qu’une femme, au fond, se caractérise<br />

aux yeux de la plupart des gens par trois qualités : la jeunesse, la<br />

beauté et la capacité de reproduction. Quand elle n’a plus aucun de<br />

ces trois atouts, envers l'âge de 50 ans, c’est un objet qui n’a plus<br />

d'intérêt. Justement ce qu’on oublie c’est que, cette femme est un<br />

sujet : ce n’est pas parce qu’elle ne peut plus avoir d’enfants qu’elle<br />

n’est pas plus importante et plus belle que quand elle était jeune.<br />

C’est toujours un sujet qui est en égalité avec tous les autres sujets<br />

féminins ou masculins et elle a toujours envie de vivre et de continuer<br />

à exister.<br />

Il y a une dimension d’affirmation féministe, de l’égalité<br />

entre les hommes et les femmes, dans tous les domaines, dans ce<br />

livre. La question de l’amour qui va avec cette question-là puisque si<br />

elle existait ça veut dire se retirer de toutes les relations humaines<br />

importantes, et au premier plan, l’amour. Je me suis demandé si<br />

Facebook changeait grand-chose. « Oui et non », c’est la réponse que<br />

je ferais. L’amour de toute façon, qu’on prend des romans du moyenâge,<br />

contemporaines ou bien si on observe notre propre vie, à une<br />

dimension imaginaire. Ça veut dire qu’on idéalise celui ou celle<br />

qu’on aime et on cherche à se montrer sur son meilleur jour. S’il n’y<br />

avait pas beaucoup d’imaginaire, ça serait beaucoup plus compliqué<br />

de tomber amoureux. C’est pour ça aussi que la fin de l’amour, c’est<br />

comme une chute de l’imaginaire - du rêve ou de l’idéalisation - au<br />

monde concrète et prosaïque. Quand la poésie amoureuse est partie,<br />

c’est peut-être la que commence l’amour véritable. Le départ de<br />

l’amour est quand on a dérobé toute l’imagination. Alors, je cite dans<br />

ce livre une phrase du cinéaste Antonioni, et dans un de ses films il y<br />

a une phrase concernant l’amour. Il dit que « l’amour c’est vivre dans<br />

l’imagination de quelqu’un ». Ça me semble très juste et c’est ce qui<br />

arrive à ces personnages. Chacun vit dans l’imagination de l’autre.<br />

C’est une imagination qui est manipulé, qui trompe la réalité. Là,<br />

Quatrième Édition | 7


Facebook le fait très bien. L’imagination est dans l’amour quel que<br />

soit l’époque, mais ce que Facebook permet de faire c’est de décupler<br />

ce rapport imaginaire parce que on peut s’inventer notre vie. Au fond<br />

je crois que Facebook fait de nous tous des romanciers en puissance.<br />

De main vous créez une page et vous créez une identité, vous<br />

changez de vie, d'âge, de métier etcetera. Et si vous commencez à<br />

discuter avec quelqu’un, vous écrivez le roman de votre vie. Dans la<br />

fictionnalisation du virtuel tout est possible, que je trouve à la fois<br />

intéressante et dangereuse. C’est un exemple dans ce roman mais je<br />

pense que ça va en aller, en s’aggravant si on en prend conscience et<br />

je crois que le roman est aussi une façon d’alerter sur des questions<br />

qu’on ne voit pas forcément parce qu’on vit dedans. Je pense à ce que<br />

j’ai lu récemment : une histoire d’un jeune couple japonais qui était<br />

addictif à l’internet en manière général et qui avait un bébé. Ce<br />

couple avait oublié de nourrir leur bébé à cause de leur addiction à<br />

l’internet. Résultat : le bébé est mort. Je me dis que c’est quelque<br />

chose d'effroyable. Ils vivaient dans un autre monde, une autre<br />

dimension, l’imagination ou bien le virtuel. La réalité, pour eux,<br />

n’existe plus. C’est un petit peu ce qui arrive à mon personnage car<br />

au début on lui trouve dans un hôpital psychiatrique et on comprend<br />

d’emblée qu’il lui est arrivé quelque chose malheureuse et qu’elle est<br />

dans une forme de délire, de détresse profonde.<br />

L’autre thème qui m’est cher, dans tous mes romans, c’est<br />

la question de l’écriture. La question de « qu’est-ce que c’est<br />

d’écrire ». Dans tous mes romans, ou bien il y a un personnage<br />

d’écrivain ou bien il y a des dispositifs et des effets de miroirs qui me<br />

permettent de réfléchir à ma propre pratique. Je suis écrivaine, qu’estce<br />

que ça signifie, qu’est-ce que je peux en dire, qu’est-ce que c’est<br />

pour moi, pour les autres. C’est pour ça qu’il apparaît d’autres<br />

personnages. Il y a Claire Millecam — j’ai choisi d’ailleurs le nom<br />

parce que le personnage n’est pas clair du tout, c’est par antiphrase<br />

— dans cet hôpital psychiatrique, et elle suit un atelier d’écriture, et<br />

d’ailleurs le roman montre les pages du roman qu’elle écrit sur sa<br />

propre histoire. Cet atelier est dirigé par un écrivain qui s’appelle<br />

Camille. Elle raconte donc à son éditeur (ça fait partie des pistes que<br />

je rappelais tout à l’heure, il fallait que je trouve des moyens de<br />

raconter l’histoire sous des différents angles) sa version de l’histoire<br />

en rapport avec sa propre expérience amoureuse. Donc elle est<br />

amenée à parler aussi de ce qu’est l’écriture pour elle. Voilà ce<br />

8 | DUMAS de DEMAIN


qu'apparaît le personnage de la romancière dans le roman. L’idée<br />

principale c’est que le désir d’écrire est un désir vital, une énergie<br />

créatrice, qui n’est pas très différente, selon moi, de l'énergie<br />

amoureuse. Ce qui fait qu’on a envie de se lever le matin, qu’on est<br />

heureux de se mettre en route, en train c’est à la fois l’amour - aimer,<br />

être aimé - est l'écriture. On va chercher en soi quelque chose qui va<br />

nous porter. Ce que j’appelle le désir c’est assez large comme notion<br />

qui englobe le désir amoureux, le désir érotique et surtout le désir de<br />

vivre à travers la création et l’art. C’est le même flux voir la même<br />

façon d'être en vie. Il y a une psychanalyste qui s’appelle Julia<br />

Kristeva, une grande intellectuelle, qui dit dans l’un de ses livres « il<br />

y a trois façons d'être en vie : être amoureux, être en littérature et<br />

faire une psychanalyse ». Ceux sont les trois éléments fondamentaux<br />

de l’humanisme.<br />

Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce livre ? Est-ce que<br />

vous avez besoin de beaucoup de recherches avant d’écrire un<br />

livre ?<br />

C’est toujours assez long, la maturation d’un livre : c’est à dire que je<br />

mets très longtemps à commencer l’écriture. Je passe beaucoup de<br />

temps, même vers 2 ou 3 ans à penser. Je dois trouver une idée.<br />

J’essaie de me raccourcir mais ça peut être très long. C’est une<br />

période de recherche et de préparation pour l’écriture. Quand j’ai<br />

trouvé la forme de mon roman, là ça va plus vite. L’écriture ellemême<br />

peut prendre entre 8 mois et un an. Et donc en tout, d’un<br />

roman à un autre, ça me prend entre 2 ou 3 ans. C’est variable mais<br />

en général c’est la longueur du processus.<br />

Dans votre dernier roman, vous comparez les femmes à des<br />

boîtes de conserves et je veux savoir si vous avez déjà ressenti ça<br />

dans votre vie, en tant que femme ?<br />

Oui. Vous savez moi j’écris beaucoup à partir de ma vie. Certains de<br />

mes livres sont partiellement autobiographiques. D’autres comme<br />

celui-là sont moins spécifiquement autobiographiques — je n’ai<br />

jamais été internée dans un hôpital psychiatrique. Mais c’est toujours<br />

tiré de mon expérience. Je traduis d’abord des expériences et des<br />

sentiments que j’ai d’abord internalisés, éprouvés. C’est toujours mon<br />

Quatrième Édition | 9


paysage mental, psychologique même si le produit est différent de ce<br />

que j’ai vécu. Là je suis très sensible de l’humour. Dans tous mes<br />

romans, je veux bien qu’il y a un moment comique même si le thème<br />

est plus sérieux. Je pense que d’ailleurs l’humour n’est pas si drôle<br />

que ça. C’est plus la politesse du désespoir. Et donc pour cette blague<br />

sur les boîtes de conserves qui ont une date de péremption et le<br />

lendemain de la date de péremption n’ont plus bon à rien,<br />

évidemment c’est drôle mais je ne l’ai pas ressenti personnellement.<br />

Mais cela dit c’est une expérience. Il y a une autre blague dans le<br />

roman qui dit que « les femmes de 50 ans sont des super héroïnes<br />

dont le superpouvoir est de devenir invisible ». C’est vraiment<br />

quelque chose qu’on éprouve, et je peux dire que quand je vais dans<br />

des bibliothèques ou des rencontres beaucoup de femmes me disent<br />

qu’elles le ressentent complètement : tout d’un coup elles deviennent<br />

invisibles et cessent d’exister dans le regard des autres. C’est<br />

douloureux notamment car il n’y a aucune raison pour cette douleur.<br />

Dans leurs têtes, leurs corps existent toujours telles qu’elles étaient<br />

avant la date de péremption. C’est évidemment quelque chose que<br />

j’ai éprouvé et que j’ai observé aussi.<br />

Dans « Celle que vous croyez », il y a un esprit féministe. Est-ce<br />

que vous vous voyez ainsi ?<br />

Oui, je revendique complètement le qualificatif féministe. Alors que<br />

c’est assez mal perçu, je l’ai constaté. Très souvent chez les<br />

générations plus jeunes et les écrivains le féminisme est mal perçu.<br />

J’entends beaucoup de jeunes romancières quand on leur pose la<br />

question « Ah non non ! Je ne suis pas du tout féministe. Je ne suis<br />

pas un injurier ». Un féministe ce n’est pas une injure ni un énorme<br />

défaut. Pour moi c’est une qualité et une nécessité. Simplement tous<br />

les temps qu’on entend le mot « féministe », on a l’impression - pour<br />

beaucoup des plus jeunes - que ça ne sert plus à rien. Dans notre<br />

civilisation, les femmes ont acquis des droits, l’égalité. D’abord ce<br />

n’est pas vrai dans beaucoup de domaines. On le voit dans la question<br />

de l'âge que j’ai posé avant, n’étant pas le plus important, les femmes<br />

sont encore payées moins que les hommes. Il y a énormément de<br />

différences qui ne sont pas considérées. Une femme n’a pas la même<br />

représentation sociale qu’un homme dans beaucoup de milieux du<br />

pouvoir, de la politique etc. Il y a beaucoup de chemin à faire dans le<br />

10 | DUMAS de DEMAIN


egard de la société. Ça c’est vrai dans la culture occidentale. C’est<br />

encore plus vrai qu’il faut être féministe pour toutes les femmes dans<br />

le monde qui sont vraiment humiliées, frappées, torturées, anéanties<br />

et soumises complètement. Ne pas être féministe ça me paraît<br />

totalement impossible. Qu’est-ce que c’est qu’être féministe c’est<br />

soutenir la cause des femmes partout qui en ont besoin.<br />

Que pensez-vous de l’image que renvoient les réseaux-sociaux sur<br />

l’image des femmes ?<br />

C’est difficile à dire parce que ça dépend aussi du milieu et des âges<br />

des gens qui utilisent les réseaux sociaux. Moi je vois toujours des<br />

choses très positives dans les réseaux sociaux à commencer par le fait<br />

qu’on peut rencontrer des gens qu’on n’aurait jamais rencontrés dans<br />

la vraie vie lorsqu’on reste dans son petit milieu. On peut rencontrer<br />

des gens qui sont au bout du monde, qui sont dans des zones<br />

d’activités ou milieux culturels qu’on n’aurait jamais connus sans<br />

cela. Ensuite, il y a la question du harcèlement sur les réseaux<br />

sociaux qui est une question d’actualité très grave. L’image des<br />

femmes, pas que sur les réseaux sociaux que partout ailleurs dans la<br />

publicité. Il y a encore beaucoup de progrès à faire.<br />

Vous représentez souvent les femmes dans vos livres écrasées par<br />

les hommes. Mais comment vous améliorez en réalité ? Comment<br />

pourrait-elle s’assumer ?<br />

Écrasée par les hommes… ce n’est pas exactement ça. Je fais<br />

toujours attention à ce que mes personnages féminins ne sont pas des<br />

victimes. Certes, elles peuvent être en conflit, dans des histoires<br />

amoureuses qui ne marchent pas, humiliées, mal aimées, tout ce que<br />

vous voulez, mais elles ont des ressources. Même elle, Claire, qui est<br />

dans un hôpital psychiatrique, on pourrait se dire « la pauvre, elle a<br />

été abîmé », mais pourtant elle a l’ironie, l’humour et une espèce<br />

d’énergie qui lui aide à convaincre son psychiatre : elle se bat. Elle<br />

n’est pas toujours victimaire. Maintenant je pense qu’effectivement<br />

que la question de la différence sexuelle, du rapport entre les hommes<br />

et les femmes, est une question qui est rarement harmonieuse. Moi je<br />

n’en ai pas une représentation de la femme idéale ou de l’homme<br />

idéal. Justement c’est ça la question, en ce sens la psychanalyse que<br />

Quatrième Édition | 11


j’ai beaucoup aimée, c’est qu’il faut sortir du schéma - surtout pour<br />

ma génération- des contes de fées dans lesquels la petite fille attend le<br />

prince charmant, comme dans la belle aux bois dormants et des autres<br />

histoires de ce genre ; on est dans l’imaginaire qui est vouée<br />

fatalement à tomber. Si on n’est pas prêts à affronter ce choc avec la<br />

réalité qui est autre. On attend trop de ce que produit notre<br />

imagination. Là on peut être victime. C’est aussi aux femmes de<br />

sortir du schéma préétabli mais c’est aussi sur nous pour mieux traiter<br />

le conditionnement de la jeunesse.<br />

J’ai vu une sorte de teste psychologique avec des petites<br />

filles et garçons, 11 ou 12 ans, c’était un casting pour une publicité de<br />

yaourt. On avait mis beaucoup trop de sel dans le yaourt et on a dit<br />

aux enfants « bon, on vous filme. Vous mangez ce yaourt. C’est pour<br />

une pub. » Alors les petits garçons ont mangé le yaourt et ont dit<br />

« Ah ! Ce n’est pas bon » alors que les petites filles ont dit « Mm !<br />

C’est bon ». Elles sont tellement conditionnées qu’elles ne peuvent<br />

pas exprimer leurs émotions. C’est une des différences typiques entre<br />

les garçons et les filles. Il y avait même une étude sociologique sur la<br />

prise de parole dans la classe par les filles et garçons, de l’école<br />

primaire à la faculté, et ils ont constaté dès qu’un garçon levait la<br />

main, les filles ne parlaient plus. Des choses comme ça de<br />

conditionnement qui fait qu’elles sont plus en retrait et moins<br />

énergétique. J’ai une anecdote : quand ma fille était en primaire, dans<br />

un petit village au sud de la France, à Noël les enfants ont eu des<br />

cadeaux. Les garçons ont eu des jeux de construction de Lego et les<br />

filles ont eu un petit chariot pour faire le ménage. Quand j’ai<br />

interrogé la maîtresse elle m’a dit que « les filles sont toujours très<br />

contentes d’imiter leurs mamans ». Pour toutes ses raisons je suis<br />

féministe et je crois qu’il y a beaucoup de progrès encore à faire.<br />

Par rapport à votre lectorat, et le lectorat en général des romans,<br />

on estime que 70% sont des lectrices. Pensez-vous à un lectorat<br />

en particulier quand vous rédigez ce genre de roman ou est-ce<br />

que ça touche les hommes également et recevez-vous des retours<br />

de leur part ?<br />

Certains, oui. Alors c’est vrai que c’est surtout les femmes qui lisent<br />

mes romans en particulier, mais je veux bien que les hommes lisent<br />

mes romans. Pour mon roman « Dans ces bras-là » j’ai eu<br />

12 | DUMAS de DEMAIN


énormément de retour masculin, parce que c’était d’abord un livre sur<br />

eux. Puis celui-ci j’ai reçu aussi beaucoup de retour d’hommes qui<br />

disent « je n’ai jamais pensé à ça » ou « je n’ai jamais pensé que les<br />

femmes se sentaient exclues ». Certains de mes romans sont lus très<br />

largement par des femmes, mais elles les passent aux hommes aussi.<br />

J’ai vu que c’est 70% du lectorat pour des romans et de fiction<br />

sont des lectrices et pour les autres formes de lecture ce sont les<br />

lecteurs qui dominent.<br />

Oui oui ! Je pense aussi que c’est dû au conditionnement. Les<br />

hommes vont plutôt lire des essais ou des récits historiques, quelque<br />

chose de plus intellectuelle ou moins imaginaire et en dehors du<br />

champ des sentiments. Là encore on est dans une partition du féminin<br />

et du masculin qui est totalement arbitraire et construit dans la nature.<br />

Le roman est affecté par un coefficient négatif car ça parle des<br />

sentiments, c’est psychologique donc c’est « pour les femmes ».<br />

Est-ce que vous avez des critiques qui vous ont vraiment touchés<br />

? Même des critiques négatifs ?<br />

Les critiques touchent toujours, même dans les deux sens, si une<br />

critique est bonne, qui est heureusement le cas la plupart du temps, il<br />

y a aussi des critiques très violentes. Parfois, la critique m’apprend<br />

quelque chose concernant la structure de ma pièce et ses défauts.<br />

Avec la relecture quelques années après, on aperçoit une nouvelle<br />

manière de comprendre notre travail. La seule chose que je ne<br />

supporte pas c’est la mauvaise foi qui pointe seulement à un aspect.<br />

Ils le font beaucoup dans la critique journalistique quand ils utilisent<br />

une citation hors du contexte. Je me souviens d’une phrase qui était<br />

dans « Dans ces bras-là » qu’a dit mon personnage, une jeune fille de<br />

quinze ans : « la vérité est dans tout ce qui s’écrit ». Il y avait un<br />

critique qui a fait tout son article sur cette citation. Il disait « bon,<br />

cette Camille Laurens est débile ». Et donc je passais tout l’article<br />

pour celui qui associait une citation d’une fille de quinze ans avec<br />

moi-même.<br />

Quatrième Édition | 13


Auriez-vous des conseils pour des gens qui veulent commencer à<br />

écrire ?<br />

La chose fondamentale pour devenir un bon écrivain est de lire. Il<br />

faut commencer par vraiment lire. Par imprégnation et en<br />

décortiquant on peut bien étudier la littérature. C’est en lisant qu’on<br />

apprend comment un texte est fabriqué. J’ai longtemps étudié les<br />

lettres et j’ai même été professeur de lettres et je crois que ça m'a<br />

beaucoup apporté. Lire imprègne l’écrivain avec des nouvelles<br />

formes, rythmes, façons d’exprimer des émotions qui vont simplifier<br />

le processus d’écriture. C’est une sorte de paysage mental, la<br />

littérature, qui est nécessaire pour écrire. Je fais des ateliers d’écriture<br />

avec des adultes qui viennent et qui n’ont rien lus. Ils me disent « j’ai<br />

envie d’écrire, mais qu’est-ce que je peux bien écrire ». Ils sont<br />

arrivés sans lire et n’ont pas d’idées. Il faut avoir un univers concret<br />

que vous avez déjà vu pour ensuite créer cet univers fictif et<br />

imaginaire de votre écriture. Lire est un préalable indispensable.<br />

Est-ce que vous vous voyez dans le personnage de Camille ?<br />

Oui, il y avait une partie de moi mais aussi je me voyais dans le<br />

personnage de Claire Millecam. On observe que Millecam est<br />

l’anagramme de Camille. Camille Moran (jeu sur roman) n’est pas<br />

très loin de Camille Laurens et je me suis amusée avec les jeux de<br />

mots et de lettres. Bien sûr que les deux personnages féminins ont<br />

beaucoup à voir avec moi. C’est plus un paysage mental que la<br />

transcription exacte de ma vie. L’expérience est pratiquement<br />

toujours la mienne. Mes quatre premiers romans sont des vrais<br />

romans fictifs. Et puis à un moment dans ma vie, j’ai perdu un enfant<br />

et j’ai écrit un livre sur mon premier enfant, qui s’appelle Philippe.<br />

Après, je ne pouvais plus écrire un vrai roman. Ça me paraissait<br />

impossible. Je n’ai pas pu et à partir de là ce que je voulais était de<br />

creuser ma propre expérience sensible et intellectuelle.<br />

14 | DUMAS de DEMAIN


Camille Laurens<br />

Quatrième Édition | 15


Celle que vous croyez, 11 ème roman de Camille Laurens, 2016<br />

16 | DUMAS de DEMAIN


CLARA BURGHELEA<br />

Maman<br />

Le mal de toi est un vide vertical,<br />

le haut souvenir qui ne dort jamais.<br />

Rien ne me semble vivant,<br />

mes yeux sur ton ombre<br />

seul, fermés.<br />

Dans le goulot des jours,<br />

ce mal vif habite dans mes veines<br />

qui portent ton sang.<br />

Ton amour demeure entier,<br />

retranché de l’histoire,<br />

comme une jubilation triste.<br />

Nul besoin de respirer.<br />

Quatrième Édition | 17


EVA PETROPOULOU<br />

La nuit tomba …<br />

La nuit tomba …<br />

La nuit tomba, des pages jaunies<br />

des feuilles jaunies<br />

La nuit tomba, des mots distancés<br />

des expressions solitaires<br />

Du soleil plein d’ambre<br />

Du croissant orange<br />

Aux visages des touristes<br />

- Ils se sentent pour un moment comme Périclès ou Aspasie -<br />

Qu’ils vivent le siècle d’or<br />

Aux rancœurs des consuls étrangers<br />

Ils sonnèrent la corne<br />

Les étudiants en tête<br />

Pour faire revivre de son cercueil<br />

la Grèce<br />

Qu’ils ouvrent la porte<br />

Que des filles et des fils s’unissent au nom d’une autre Liberté<br />

Amour<br />

Des enfants jouaient<br />

À la surface de l’eau<br />

Ils plongeaient et ils replongeaient<br />

Jusqu’à ce que la vague<br />

eu engloutit les derniers jours d’été<br />

Comme une goutte de rêve<br />

Que les enfants de sommeil remplissent<br />

Des mains et touchent<br />

Des instruments à vent<br />

de rêve<br />

Du canevas<br />

A une palette musicale<br />

18 | DUMAS de DEMAIN


Une déesse s’endormit<br />

Aux genoux d’un Mortel<br />

Un amour inconnu naquit<br />

Quatrième Édition | 19


La toile d’araignée<br />

Pas encore révélé … Ennemi, ami ou amant ?<br />

Pas encore révélé … Pas encore captivé à la toile d’araignée …<br />

En attente toujours au serment d’amour…<br />

20 | DUMAS de DEMAIN


ALOK KUMAR SATPUTE<br />

Very Short Tales<br />

1 – Système<br />

Regardant le grand Mastiff anglais, un chiot grogna. Le géant Mastiff<br />

anglais entra calmement ses dents dans le cou du chiot et le tua<br />

instantanément. J'étais là quand cela s'est produit ; depuis cet instant<br />

une queue grandit dans mon dos et continue toujours à secouer.<br />

2 – Capturé<br />

(Dans une boutique)<br />

Fils - Papa, achète ce paquet de nourriture.<br />

Père - Non, cher fils. C’est de la malbouffe. Vous pourriez tomber<br />

malade en mangeant cela.<br />

Fils - Maman, s’il vous plaît !<br />

Mère - Non mon fils, papa a raison. Ce produit est dangereux pour la<br />

santé.<br />

Fils - Mais dans la publicité télévisée, l’entreprise affirme qu’elle est<br />

nourrissante.<br />

Père - Mon cher fils, pour vendre leurs produits, les entreprises<br />

racontent toujours des mensonges.<br />

Fils - Non, c'est impossible. Je pense que vous êtes en train de mentir<br />

pour économiser votre argent !<br />

Quatrième Édition | 21


BRENDYN BEAVER<br />

Pitreries Claires<br />

Luna permet au Soleil de penser<br />

sa lumière est plus pure<br />

sa lumière est plus blanche…<br />

les deux sont racistes,<br />

les deux sont des gosses gâtés<br />

permettant aux humains de penser<br />

qu’il n’y a pas de déesses<br />

nous mourons<br />

--les deux rient ils nous-regardent,,<br />

ramasser les morceaux<br />

reconstruire le pont arc-en-ciel<br />

tisser autour des arbres d’Aesir et Mai<br />

réparer les réalités carnavalesques<br />

guérir les arbres<br />

Un Quatrain<br />

pardonner l’ignorance humaine<br />

la déesse de la lune<br />

nous a donné le don de sa lumière<br />

qui protège contre l’œil d’Horus<br />

Un Autre Quatrain<br />

voler du soleil,<br />

voici la splendeur!<br />

à nuit dansante , à l’une clarifiée<br />

22 | DUMAS de DEMAIN


à l’aube, marchons sur le chemin<br />

S’entraîner<br />

le chat traque sa sœur<br />

le chat lui saute dessus !<br />

ils jouent et s’entraînent...<br />

elle effraie sa sœur<br />

ne voulait pas casser la peau<br />

regarde humain avec la culpabilité d’un chien!<br />

ils jouent à un jeu de combat et s’entraînent<br />

ça ne signifie pas, « couper la peau »<br />

en utilisant les outils d'un mangeur de hasch<br />

sa lignée<br />

chat des sacs<br />

boulon de sapin et assassin<br />

sa sœur une princesse bavaroise<br />

ils sont la fierté du démoniste<br />

Les Familiers<br />

miaou ! miaou !<br />

le chat joue avec des jouets<br />

miaou! miaou!<br />

mordu et griffée<br />

le chat est rude!<br />

miaou ! miaou !<br />

« Nourrissez-moi, absurde humain »<br />

miaou! miaou!<br />

« Laissez-moi sortir ! »<br />

le chat dit « non » sans paroles<br />

--le chat ronronne ! le chat ronronne!<br />

le chat aime les frontières<br />

aime enseigner aux humains<br />

Quatrième Édition | 23


continue à lécher les pattes<br />

joue avec des jouets<br />

le chat couvre sa propre portée<br />

agit comme une dame<br />

nous sommes ses paysans<br />

nettoyons les glandes et caca<br />

miaou! miaou!<br />

24 | DUMAS de DEMAIN


CHERYL J. BLOCK<br />

Chanteuse<br />

Ton visage illuminé<br />

les feux des siècles passés<br />

réfléchis dans la lumière<br />

Et il y a une danse<br />

des esprits des contes<br />

ses ombres un mouvement consolant<br />

Les paroles des âges<br />

parviennent à ceux présents<br />

un doux baiser dans la nuit.<br />

Quatrième Édition | 25


La veillée<br />

Chaque soir<br />

la vieille trouve son chemin<br />

par les machines, par la lueur<br />

son voyage un saint pèlerinage .<br />

Chaque soir<br />

la pèlerine , la technologie son guide<br />

au lieu des étoiles,<br />

cherche le lit silencieux.<br />

Chaque soir<br />

la femme rejoint son mari<br />

deux mains ridées<br />

. . . entrelacées, une veillée.<br />

La musique des étoiles<br />

pénètre la chambre<br />

. . . chaque soir.<br />

26 | DUMAS de DEMAIN


Souvenir<br />

Le silence si fort<br />

le silence de la peine<br />

ses amis restent<br />

les serrements de cœur<br />

refoulent les mots.<br />

L’arrangement des fleurs<br />

devant un souvenir<br />

de la puissance créatrice de la mort<br />

les pensées percent un passage<br />

et à la façon des Quakers<br />

. . . elles parlent.<br />

Quatrième Édition | 27


MADISON DENSMORE<br />

L’étranger, l’étrangère<br />

Je suis l’étrangère<br />

Et toi, tu l’es aussi<br />

Des enfants d’une mère<br />

Et pas de la patrie<br />

Mes pieds sur la terre<br />

Inconnue et jadis<br />

En cherchant le phare<br />

Qui nous rejoint ici<br />

Et toi, l’âme perdu<br />

Dans les Enfers terrestre<br />

Du brouillard connu<br />

Au regard d’un geste<br />

Deux étoiles qui s’alignent<br />

Qui éclipsent le malheur<br />

On cherche un bon signe<br />

Pour une chance de chaleur<br />

L’étranger, l’étrangère<br />

Vont retrouver leurs pas<br />

La rencontre éphémère<br />

Amoureux au-delà<br />

28 | DUMAS de DEMAIN


De loin, de près<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Ton visage contemplatif, engravé de rides profondes<br />

Tes yeux vont ailleurs, et je te perds<br />

Dans le terrain freudien où on m’interdit d’entrer<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Je te préfère de près, ton regard fixé sur le mien<br />

Je contemple tous, et sans un mot, j’apprends ta vérité<br />

Pas besoin d’oser parler, de murmurer un son<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

De loin, je peux t’admirer, ton corps titanesque<br />

Fort, fin, majestueux, un dieu incarné qui se transforme<br />

D’un être-humain en oiseau sans ailes<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

A la proximité de tes lèvres, je te couvre d’embrasses<br />

Des gouttes de pluie réaniment ta peau mouillée de passion<br />

Sens-tu mon cœur, entends-tu son tonnerre ?<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Je ne peux pas m’empêcher, mes orbes sautent sur toi<br />

Te boivent, te mangent, te dévorent en entier<br />

La langue secrète pénètre une âme divisée<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Obligée de bondir pour te rejoindre<br />

Mais je plongerais plutôt, saisissant tes cheveux<br />

Feuilles crépues qui emprisonnent mes doigts<br />

Quatrième Édition | 29


De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Je n’arrive pas à deviner ton expression énigmatique<br />

Que veux-tu dire ? Je t’écoute. Mes oreilles sont les tiennes.<br />

Ne me laisse pas souffrir dans cet abysse inconnu<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Je t’encercle, je t’enlace, je te transfixe, je te capture<br />

Je ne te lâche plus, en découvrant cette brise de fraîcheur<br />

Pénétrant ces os fragiles et vidés pour ta langue<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Je crie, je souffre, où es-tu? Reviens, je te supplie<br />

La corde brisée, l’enfant pleure de mécontentement<br />

Un mot, juste un mot, et tu m’apaiserais<br />

De loin, de près<br />

De près, de loin<br />

Rapproche-toi, mon amour, à mon feu de chair<br />

Qui consomme le pouvoir de ta passion diabolique<br />

Je me donne, je m’offre, apprivoise-moi, possède-moi<br />

De loin, de près,<br />

De près, de loin<br />

De tout le temps, de tous les jours<br />

De toujours<br />

30 | DUMAS de DEMAIN


Le Tahitien<br />

L’ennui de nuit<br />

Le four du jour<br />

Ampoules de poules<br />

Aloe à l’eau<br />

L’huile de l’île<br />

Cinq cents sens<br />

Vent à vente<br />

Monnaie née<br />

Marché marchait<br />

Parquet perroquet<br />

Chapeau échappe-peau<br />

Toile étoile<br />

Âge sage<br />

Ton du temps<br />

Mer amère<br />

Océan, ô sait-on<br />

Klaxon sonne<br />

Avenues nues<br />

Gens du genre<br />

Chiens enchaînent<br />

Cri cristal<br />

Bijoux des joues<br />

Dents dedans<br />

Longue langue<br />

Papeete, cité<br />

Vahine, bronzée<br />

Perle perdue<br />

Ici, on est fou<br />

Quatrième Édition | 31


Quand les châteaux dans le ciel<br />

deviennent cendres<br />

Quand les châteaux dans le ciel deviennent cendres<br />

Quand tu ne peux que peindre<br />

Les images que tu avais de ton grand amour<br />

Les chuchotements de « je t’adore »<br />

Disparaissent dans l’air comme de la fumée.<br />

Mais comment arrives-tu à oublier<br />

Tout le chagrin que tu sentais<br />

Toutes les montagnes que tu as escaladées<br />

Toutes les étreintes que tu acceptais ?<br />

La manière dont tu aimais<br />

Avec une passion folle.<br />

Mais tout est mort.<br />

Avec un seul mot, nous fermons la porte<br />

Jetons la clé, entrons dans la nuit<br />

Et nous oublions.<br />

Nous oublions la lumière<br />

Nous oublions la tendre chair<br />

Nous oublions les regards clairs<br />

La grande affaire<br />

Qui nous portait au-delà de la Terre.<br />

Quand nous nous aimions<br />

Avec une passion folle.<br />

Sans bougie, sans lanterne, sans phare.<br />

Comme un enfant né sans une mère<br />

Nous essayons de nous retrouver dans le noir<br />

Qui ne nous cèdera jamais le pouvoir<br />

De s’embrasser de nouveau<br />

D’abandonner le tombeau<br />

D’arrêter de nous noyer dans cette eau,<br />

De gratter à ce cercueil clos.<br />

La culpabilité donnée à l’oiseau sacré<br />

Qui gardera notre amour<br />

32 | DUMAS de DEMAIN


Quand nous ne pourrons plus.<br />

Quatrième Édition | 33


Le langage<br />

En ouvrant ces portes<br />

Je m’ouvre au monde<br />

Mon langage de sortes<br />

Ne perd pas une seconde<br />

Je vois, moi, tout clair<br />

Les énigmes toutes perdues<br />

Ces choses me rendent chères<br />

Qui ne peuvent pas être vendues<br />

Mon corps porte de nouveau<br />

Des fardeaux très paisibles<br />

Qui portent sur les dos<br />

Des civilisations interminables<br />

Mais ces excitations profondes<br />

Qui envahissent tous nos mœurs<br />

Nous réunissent plus fécondes<br />

En réchauffant nos cœurs<br />

34 | DUMAS de DEMAIN


La flamme que je porte<br />

La flamme que je porte<br />

Au parcours de la vie<br />

Me semble trop courte<br />

D’échapper mon ennuie<br />

Les bleus et les plaies<br />

Qui décorent le corps<br />

En passant le quai<br />

D’une richesse sonore<br />

Tu me rends folle<br />

Ton amour maudit<br />

Ton sang qui me colle<br />

Tes os trop blanchis<br />

Ce fardeau d’Atlas<br />

Que je supporte seule<br />

La douleur qui laisse<br />

Cuire les dos son rôle<br />

Le paisible peseur<br />

M’enterre dans ma tombe<br />

N’échappe le baiseur<br />

Pour naissance colombe<br />

Quatrième Édition | 35


SREYASH SARKAR<br />

La Toupie<br />

Il est préférable d'avoir du temps pour se désister<br />

Parce que tout recommencera<br />

Au milieu des bazars décorés et vendables,<br />

Le roucoulement panaché.<br />

Mais tu n’arrêteras jamais<br />

De piétiner sur les biens meubles<br />

Et, après les avoir écrasés,<br />

De marcher à travers les vents sans direction.<br />

Et en marchant, toi aussi tu oublieras,<br />

Comme tout le monde,<br />

Le rayonnement facétieux des plumerias<br />

Les premières fleurs de jasmin<br />

Le plénum de fruits boichi<br />

Les habitudes des feuilles d’automne.<br />

Et peut-être les oscillations au cœur de l’océan,<br />

Où seuls les soulèvements existent,<br />

Ceux-ci aussi seront enveloppés par des chants magiques<br />

Vous allez tourner—tourner seulement—comme tous ceux qui<br />

[circulent<br />

Pendant cette période néfaste du tourbillon tourbillonnant<br />

Après la fin d’un hiver indésirable,<br />

Tout comme le premier ventilateur de travail, les frais généraux<br />

Tournent comme la vie, et tournent autour …<br />

36 | DUMAS de DEMAIN


Une Épître Tibétaine<br />

(Pour mon ami tibétain, Kalsang. Aux misères de sa patrie)<br />

Les rêves ayant été assassinés en plénitude<br />

Et la piste vermillon ayant apparue en détresse<br />

Et les réverbérations du parfum épique ayant été entendues<br />

La terre éphémère sous<br />

Les pieds de l'Empereur est secouée<br />

Les dieux sont nés.<br />

Venez, mon seigneur, jouons un jeu.<br />

Alors que dans la position ludique lorsque chaque rayon de lumière<br />

De chaque mot impliqué devient ivre,<br />

Que les rivières tibétaines vous enveloppent<br />

Avec des tresses d'émotion<br />

Que les montagnes deviennent une course entière<br />

Et dansent autour de toi<br />

Que la vallée devienne le prêtre<br />

Pour un moment<br />

Laissez les vases divins de thé et de porcelaine<br />

Suspendus ensemble comme<br />

Une cascade torrentielle<br />

Parce que, comme les humains,<br />

Les dieux aussi peuvent s’échapper …<br />

Et, agrippant à des sacs d’or,<br />

Peuvent déclarer,<br />

« Cette liberté est déplacée pour … »<br />

Tout comme l’escapade de Bouddha<br />

De la terre de l'amitié<br />

De ‘Mar’ et ‘d’Intelligence Raffinée’<br />

L’oiseau avait fait irruption dans l’armement<br />

Passé les nombreux<br />

Yeux tachés de sang<br />

Métamorphosé en lumière du soleil.<br />

Quatrième Édition | 37


Sur le matin de votre royaume<br />

Le rêve de ma nuit d’été<br />

Est brisé, mon seigneur.<br />

Ouvre la porte<br />

Et brise les liens de ma rêverie<br />

Et, bien éveillé,<br />

Je vais chanter,<br />

« Mélodie est la liberté des mots ».<br />

Venez, commençons.<br />

38 | DUMAS de DEMAIN


Paroles pour Magnolia<br />

Comme les beats de l'été<br />

Je suis descendu<br />

Nous sommes descendus à la Sorbonne<br />

Nous étions ensemble<br />

Nous étions ensemble<br />

Dans les tons<br />

De perplexité<br />

Et le magnolia aussi.<br />

Parlant de la mort<br />

Quel serait<br />

Que serait en effet<br />

Happen après ça<br />

L’arôme, lourd<br />

Envoyé à propos de<br />

Envoyé à propos de —<br />

Raconte des histoires à<br />

Nos sens.<br />

Nous écoutions<br />

Nous écoutions<br />

Dans la lueur du coucher du soleil<br />

Et le magnolia aussi.<br />

Il y avait beaucoup<br />

Fous, en compagnie<br />

Fous, en compagnie<br />

Dans un été en détresse<br />

Gouttes de nous<br />

Gouttes de nous<br />

Quatrième Édition | 39


Sur la fontaine<br />

Et le magnolia aussi.<br />

Les feuilles voltigeaient,<br />

Strums d’un sombre<br />

Strums d’un sombre<br />

L’amour, sous les enveloppes<br />

Ranger<br />

Ranger<br />

Dans un souffle, affligé.<br />

Et le magnolia aussi.<br />

Et j’ai vu<br />

Et j’ai vu<br />

Le train de la vie<br />

Se pencher vers nous<br />

Dans un poème déchu<br />

Dans un poème déchu<br />

A une heure peu propice.<br />

40 | DUMAS de DEMAIN


Le Temps des Feuilles Dorées<br />

Il y avait un temps où les feuilles d'automne, portants l'animation du<br />

jaune,<br />

Laissaient leur existence arboricole,<br />

Pour voler autour de tes lèvres<br />

Et, épuisées,<br />

Se nichaient dans tes cheveux.<br />

En arrêtant le bateau de mon existence de troubadour,<br />

Je regardais alors comment les rayons du soleil,<br />

Pendant qu'ils vivaient<br />

Pendant qu'ils dispersaient des pétales délirants<br />

Sur l'escalier du crépuscule,<br />

Appelaient le ciel à descendre.<br />

Le crépuscule inoffensif, ravissait alors<br />

Sur ta poitrine.<br />

Cuisiné aventureusement, quelqu’un,<br />

Envoie mon sang fébrile au banquet de mon cœur,<br />

Une racine basse, l’exsudation du nectar<br />

Empâté sur ton corps et<br />

Le temps de la langue anticipant,<br />

L’étincellement de la réprimande, dans chaque moment éphémère,<br />

Traversait tes seins, en bas vers les ténèbres de ton triangle<br />

crépusculaire,<br />

Dans le bosquet dense et encore plus profond dans l’abysse<br />

subaquatique, observait, déconcerté,<br />

Combien dans les moments paralysants de la béatitude, le chemin<br />

s’est approfondi,<br />

Comment, dans la lumière vacillante de la noctiluque<br />

Le délice de la pénétration, chaque baiser qui submerge<br />

a était distrait;<br />

Comment la célérité de chaque souffle, tapageurs à la fragrance de la<br />

fleur chamelier,<br />

Retournait à tes lèvres pour dire,<br />

« Je suis en train de migrer … »<br />

Cette imitation de somnolence,<br />

Ce temps de feuilles dorées, a cessé d’être,<br />

Serrant contre les poils de mon torse, ta chanson aussi, s’évanouit<br />

Quatrième Édition | 41


Le paon de la nuit, a déployé sa traîne,<br />

Où es-tu, mon amour ?<br />

42 | DUMAS de DEMAIN


HONGRI YUAN<br />

Paradis doré<br />

Traduit par Yuanbing zhang et ensuite par Phillip Michalak<br />

Des oiseaux d’or, ah !<br />

Volaient au-dessus de ma tête<br />

Un ruban d’or<br />

S’étendant vers moi du ciel<br />

J’ai vu les montagnes dorées<br />

Me souriants au loin<br />

Les couches de pavillons et de pagodes aérés<br />

Debout dans les nuages rouge-violet<br />

Les jardins dans le ciel, ah !<br />

Les pagodes exquises<br />

Le pont d’or et de pierres précieuses, ah !<br />

Arqué à travers la vaste étendue de la voie lactée<br />

J’ai vu un géant<br />

Me saluant dans le ciel<br />

Se tenir sur les nuages propices<br />

Millions de rayons brillants<br />

L’énorme forme ah !<br />

Comme une haute montagne<br />

Les dragons d’or !<br />

Volant autour de lui<br />

Un tour de soleil, ah !<br />

Brillant au-dessus de sa tête<br />

La robe d’or, ah !<br />

Brûlant dans les halos<br />

J’ai vu ses yeux magiques<br />

Quatrième Édition | 43


Et ne pouvais m’empêcher de penser au passé lointain<br />

Ah, il y a des centaines de millions de siècles<br />

Il était une fois où nous nous étions rencontrés joyeusement<br />

Tu étais à la fois mon grand professeur<br />

Et aussi mon compagnon proche<br />

Nous avons créé ensemble<br />

Le paradis paradisiaque<br />

Ton sourire doré, ah !<br />

Fait légèrement battre mon cœur<br />

Les larmes scintillantes, ah !<br />

Traînées dans mes yeux<br />

Vos mains saintes de géant, ah !<br />

Tiens bien avec moi<br />

Tu m’as habillé d’une robe d’or<br />

Qui était brodée de dragons et de phénix<br />

Les mots d’or, ah !<br />

Volèrent dans votre poitrine<br />

Et transformèrent en la lumière mystérieuse<br />

Brillante dans tes yeux<br />

J’ai compris tes mots luisants<br />

Et mon cœur a rigolé brillamment<br />

Un grand soleil rond<br />

Brûlant au-dessus de ma tête<br />

Tu m’as ouvert les portes d’or de la ville<br />

Et m’as regardé traverser l’immense jardin<br />

Un palais élevé<br />

Brille devant mes yeux<br />

Dans les garde-corps en jade blanc transparent<br />

Sculptés avec les beaux motifs<br />

Les pas des rubis<br />

Reflètent le visage souriant du ciel<br />

44 | DUMAS de DEMAIN


L’énorme colonne d’or, ah !<br />

Sculptée avec les merveilleuses fleurs<br />

Les couches des avant-toits étaient au-dessus du ciel<br />

Comme les oiseaux d’or qui se répandent dans les nuages<br />

Un vieil homme sacré<br />

Se tenant majestueusement devant le palais ;<br />

son corps était aussi transparent que la flamme<br />

Envoyant de la lumière rouge resplendissante<br />

Tes yeux brillants, ah !<br />

Contenaient les flammes en or violet<br />

Il y a des dragons d’or<br />

En cercle autour du bâton d’or en mains<br />

Votre front haut, ah !<br />

Rose comme les montagnes<br />

Les couches de flammes violet-or, ah !<br />

Couronnées autour de votre corps<br />

Les éclairs d’or, ah !<br />

Brillant dans tes yeux brillants<br />

J’ai vu les tours de soleil<br />

Brûlants dans votre tête<br />

Vous avez ouvert la porte du palais<br />

Et m’a pris dans<br />

Un immense palais<br />

Souriant à moi dans le ciel<br />

J’ai vu les livres d’or<br />

Rangés dans les murs du palais<br />

Les lignes de mots dorés, ah !<br />

Brillants la lumière charmante<br />

Le vieil homme sacré, ah !<br />

Laisse-moi m’asseoir dans le palais<br />

Lire les livres d’or<br />

Et boire le bon vin de la sagesse<br />

Quatrième Édition | 45


Il leva le bâton d’or dans ses mains<br />

Envoya les lumières dorées<br />

Les énormes livres d’or<br />

Volèrent dans ma poitrine<br />

Les lumières brillaient devant moi<br />

Et j’ai vu une autre vision<br />

Les innombrables géants d’or<br />

Volaient légèrement dans le ciel<br />

Le ciel transparent multicolore<br />

De nombreux pavillons et pagodes aérés<br />

Et les filles heureuses<br />

Dansaient et chantaient dans le ciel,<br />

Un jeune géant<br />

Tient le soleil<br />

Sur un sommet de montagne transparent<br />

Envoyant de la lumière infinie<br />

Un vieil homme aux cheveux gris<br />

Sur un nuage propice<br />

Se tenait immobile dans le ciel<br />

Souriant au géant<br />

Une immense montagne dorée<br />

Qui était transparent et brillant dans les flammes<br />

Transforma en palais<br />

Et une exquise pagode en or<br />

Les jeunes garçons et filles<br />

Roulants avec les maris et les femmes colorés<br />

Jetaient les fleurs multicolores<br />

Qui se sont transformées en jardins<br />

J’ai entendu un son enivrant<br />

Un grand phénix<br />

A porté un rouleau de livres d’or<br />

Volant vers moi depuis les nuages<br />

46 | DUMAS de DEMAIN


Les lignes de mots mystérieux<br />

Comme les étoiles<br />

Arrangées dans les figures singulières<br />

Brillants devant mes yeux<br />

Une énorme grue blanche<br />

Transformée en une jeune fille<br />

qui a ouvert un cercueil<br />

En clignotant une épée d’or<br />

Un morceau de jade rond,<br />

Sculpté avec les dessins de dragon<br />

Et avec les lignes de mots<br />

Clignotait la lumière éblouissante<br />

Un vieil homme aux cheveux gris<br />

Monta un kylin,<br />

Qui a volé tranquillement dans le ciel,<br />

Et porta une épée sur son dos<br />

Un immense soleil<br />

Avec un palais doré au centre,<br />

a révélé un jeune prince<br />

Lire les livres d'or dans le palais<br />

Un immense miroir<br />

Clignota devant mes yeux<br />

Un éclair soudain<br />

A interrompu mes rêves<br />

Je suis retourné au palais<br />

Le vieil homme magique<br />

Tenant toujours le bâton d'or<br />

S'est tenu debout devant mes yeux<br />

Les livres d’or, ah !<br />

Brillants toujours sur les murs<br />

Mais les mots d'or, ah !<br />

Chantaient exactement dans ma poitrine<br />

Quatrième Édition | 47


L’énorme statue en or, ah !<br />

Clignota la lumière éblouissante<br />

Le vieil homme sacré, ah !<br />

Le gentil sourire apparut sur son visage<br />

Les couches de flammes violet-ors, ah !<br />

Entourez-moi<br />

Les étoiles avec beaucoup de lumière, ah !<br />

Brillantes dans mon corps<br />

J’ai vu une énorme couronne d’or<br />

Qui s’échappa de la main du vieillard<br />

Et se transforma en un soleil ah !<br />

Qui s’est intégré dans mon front<br />

Tout à coup, un éclair, ah !<br />

A percé mes yeux<br />

J’ai vu une pagode en or, ah !<br />

Brillante dans le ciel<br />

Un géant d’or<br />

Debout et souriant devant la pagode<br />

Un jardin d’or<br />

Embrassait la pagode d’or<br />

Le saint géant<br />

M’a amené du palais au paradis<br />

Une grue blanche a été appelée<br />

Et s’est envolée vers le ciel avec moi<br />

C’était comme une lumière blanche ah !<br />

Je suis arrivé à la pagode en un clin d’œil<br />

L’énorme pagode d’or, ah !<br />

Était plus haut que les montagnes terrestres<br />

C’était plus de quatre-vingt-dix mille étages<br />

La hauteur de chaque étage était de dix mille mètres<br />

C’était comme un univers<br />

Contenant les innombrables mondes<br />

48 | DUMAS de DEMAIN


Les innombrables soleils, ah !<br />

Brillants sur le sol de la pagode<br />

Les étoiles multicolores, ah !<br />

Constituaient des merveilleux dessins<br />

Les innombrables dragons, ah !<br />

Volaient autour de l’énorme pagode<br />

Les lignes de mots des étoiles<br />

Brillantes dans les murs transparents d’or<br />

Le géant d’or, ah !<br />

Portait l’armure de diamant<br />

M’a souri brièvement<br />

Et m’a ouvert la porte de la pagode<br />

Sur l’immense porte sculptée d’or<br />

Des motifs mystérieux étaient convexes et concaves<br />

Comme les innombrables étoiles, ah !<br />

Tournant dans l’espace d’or<br />

Un palais d’or, ah !<br />

Étaient pleins de fleurs géantes et merveilleuses ;<br />

Les énormes trépieds en or<br />

Brûlés dans les flammes déchaînées<br />

Les géants étaient assis<br />

Sur les pavillons violet-or<br />

Ils me sourient joyeusement<br />

Comme les familles qui se quittent pour longtemps<br />

Les escaliers dorés<br />

Enroulés autour des colonnes du palais<br />

Comme les énormes dragons dorés<br />

Volants dans le ciel avec la tête haute<br />

J’ai vu une énorme boule<br />

Qui était au milieu du palais<br />

Comme un cristal clair et transparent<br />

Faisant pivoter les images dorées<br />

Quatrième Édition | 49


Il semblait y avoir d’innombrables mondes<br />

Se faufilant tranquillement dans le cristal<br />

Les paradis dorés<br />

Enivraient mes yeux<br />

Les cloches merveilleuses<br />

Sonnèrent soudainement dans mes oreilles<br />

Les géants assis<br />

Chantèrent les chansons tonitruantes<br />

Les chansons étaient comme l’éclair d’or<br />

Brillants dans mon corps de tous les côtés<br />

Mon cœur a été vidé soudainement<br />

Et a vu les choses d’il y a des milliards d’années<br />

A l’origine j’ai construit<br />

L’énorme pagode d’or<br />

Les lignes d’étoiles sur le mur d’or<br />

Étaient les poèmes que j'avais écrits<br />

Les géants souriants ah !<br />

Étaient tous mes anciens partenaires<br />

Les énormes boules de cristal, ah !<br />

Étaient un univers d’or<br />

La pagode d’or avec plus de quatre-vingt-dix mille étages, ah !<br />

Contient les innombrables temps et espaces<br />

Comme un escalier doré du temps ah !<br />

Qui relie les innombrables cieux<br />

Dans les étoiles qui avaient été tournées par le temps ah !<br />

Ce sont les mots sacrés<br />

Chacun des poèmes d’or<br />

A créé un paradis<br />

Les énormes trépieds dorés ah !<br />

Brûlants la flamme du temps<br />

Créées des innombrables étoiles<br />

Formants les univers<br />

50 | DUMAS de DEMAIN


Les innombrables géants étaient assis<br />

Sur la pagode transparente de l’or<br />

La lumière de leurs chansons<br />

Tournait dans les tours de soleil<br />

J’ai vu le ciel de cristal, ah !<br />

Révoltant à l’extérieur de la pagode d’or<br />

Il semblait y avoir d’innombrables pagodes d’or<br />

Brillants dans le ciel<br />

Je semblais ne pas exister<br />

Et transformé en lumière illimitée<br />

Les innombrables pagodes en or<br />

étaient juste dans ma poitrine lumineuse<br />

Les innombrables géants assis<br />

M’ont souri sur la pagode d’or ;<br />

Leurs sourires éblouissants, ah !<br />

Marquaient l’éternité dorée<br />

Quatrième Édition | 51


MADISON DENSMORE<br />

La huitième planète<br />

Tout doucement, le Petit Prince continuait son voyage.<br />

Quand il observa la huitième planète de loin, elle paraissait être<br />

couverte de nuages. Mais en s’approchant, il aperçut que ce n’étaient<br />

pas des nuages, mais des emballages de couleurs extraordinaires. Il<br />

n’avait jamais vu autant d’emballages dans sa vie, et il se demandait<br />

si cette planète n’était pas une vraie planète—ou même un<br />

astéroïde—mais plutôt simplement une grande boule de débris.<br />

Quand il atterrit sur cette planète-ci, la première chose qu’il<br />

vit était un homme éléphantin assis sur des montagnes multicolores.<br />

Le Prince n’avait jamais vu un homme de cette grosseur : il était<br />

presque sphérique, avec une toute petite tête et deux bras comme des<br />

grandes bûches de bois. Ses pieds imperceptibles étaient<br />

complètement enfoncés dans les détritus, et des dizaines<br />

d’emballages étaient entrelacés dans ses cheveux gras.<br />

« Ah ! », s’écria l’homme titanesque, avec un sourire<br />

rempli de dents noircies. « Es-tu déjà venu avec la nouvelle<br />

cargaison ?<br />

—La nouvelle cargaison ? demanda le Petit Prince avec un<br />

air confus.<br />

—Oui, » l’homme hocha la tête. Regardant autour de lui, il<br />

choisit un petit bonbon et il commença à le déballer. « J’avoue que tu<br />

es un peu en avance, mais ce n’est pas grave. »<br />

Après avoir ouvrit le bonbon bleu avec succès, l’homme le<br />

mis directement dans sa bouche. Et avec un crack ! bruyant, il avala<br />

le morceau avant de lancer l’emballage par terre.<br />

« Je ne suis pas venu avec la nouvelle cargaison… le Prince<br />

essaya d’expliquer.<br />

—Ah, non ? demanda l’homme. Il cherchait déjà une<br />

deuxième truffe. Ah…ce n’est pas grave. J’en ai déjà assez. Mais,<br />

tiens ! cria-t-il. J’ai oublié mes mœurs. Allonge-toi, si tu veux. C’est<br />

52 | DUMAS de DEMAIN


are que les gens osent me rendre visite. Je ne suis pas habitué à<br />

accueillir les autres.<br />

—Mais où est-ce-que je m’allonge ? » demanda le Prince<br />

en regardant les collines de déchets bariolés. Il avait peur de se noyer<br />

dans les papiers.<br />

« Peu importe, répondit l’homme. Allonge-toi si tu veux,<br />

ou ne t’allonges pas si tu ne veux pas. Je m’excuse pour la pagaille.<br />

Si je savais que j’allais avoir un visiteur… » L’homme gigantesque<br />

se pencha pour attraper une autre friandise. « Tu en veux ? demandat-il<br />

poliment. Il y en a assez pour nous deux ». Et il commença à<br />

avaler son troisième bonbon.<br />

« Non, merci, le Prince répondit avec respect. Je n’ai pas<br />

très faim. »<br />

L’homme haussa légèrement les épaules. Trouvant un<br />

paquet de pralines rouges, il commença à manger les petits morceaux.<br />

« Et toi, mon petit, dit-il. Tu ne ressembles pas aux autres êtreshumains<br />

que je connais. D’où viens-tu ? Où est ta planète ?<br />

—Oh…elle est bien loin…, soupira-t-il d’une façon<br />

morose. Parfois, je doute que je puisse la revoir…<br />

—Mm…, murmura l’homme énorme en craquant encore<br />

une autre sucrerie. C’est triste ça. Tu sais, continua-t-il avec un<br />

sourire, une chose qui me rend toujours heureux quand je suis triste ?<br />

C’est un petit caramel. Tu en veux ? demanda-t-il en cherchant un<br />

carré.<br />

—Non, merci », dit le Petit Prince, et il regarda l’homme<br />

fourrer le fragment dans sa grande bouche. Et vous ? demanda-t-il.<br />

Vous habitez ici depuis longtemps ?<br />

—Ah, non ! rigola l’homme, son bide trémoussant comme<br />

un pudding. En fait, je viens d’arriver.<br />

—Oh ? Vraiment ?<br />

—Oui, mon bonhomme. Mais dans quelques mois, je crois<br />

que je serai obligé de déménager encore.<br />

—Pourquoi bougez-vous autant ? questionna le Prince. Où<br />

étiez-vous avant ?<br />

—J’étais sur une autre planète, un peu comme celle-ci. »<br />

expliqua-t-il. Le toffee sur sa langue le rendait un peu difficile à<br />

comprendre. « Mais après quelques années, il fallait que je parte…<br />

—Pourquoi ? demanda le petit.<br />

Quatrième Édition | 53


—Parce qu’il y avait trop d’ordures ! s’écria-t-il, un petit<br />

crachat sortant de ses lèvres. Je ne pouvais pas bouger, j’avais du mal<br />

à respirer, et l’eau de la planète était devenue tellement sale que<br />

c’était impossible de la boire ».<br />

Avec ces mots amers, le Petit Prince ne pouvait pas<br />

s’empêcher de verser une petite larme, tel qu’il se sentait triste pour<br />

cette pauvre planète. « Mais pourquoi la planète est-elle devenue<br />

comme cela ? » implora-t-il. « D’où venaient ces ordures si<br />

menaçantes ? »<br />

Le grand homme, au lieu de répondre immédiatement,<br />

chercha de nouveau un petit délice. Il trouva une tablette de chocolat,<br />

la déballa avidement, et jeta l’aluminium aux pieds du Prince. « Pour<br />

être honnête, dit-il finalement, je ne sais pas.<br />

—Comment ça ! demanda le petit bonhomme étonné.<br />

—Eh bien…, continua l’homme pansu, …chaque semaine,<br />

un immense vaisseau venait avec une nouvelle cargaison, et il la<br />

versait par terre. Moi, je mangeais tout ce que je pouvais avant que la<br />

nouvelle cargaison soit venue, mais évidemment, je ne pouvais pas<br />

tout dévorer. Ça aurait été une tâche impossible ! »<br />

Le Petit Prince essaya d’imaginer que cet homme<br />

titanesque avait été un petit enfant comme lui : petit, mince, et<br />

délicat. Il n’arrivait pas à le croire.<br />

« Et d’où venait le vaisseau ? » demanda le petit.<br />

—D’une autre planète, dit-il en prenant un gâteau vanillé.<br />

« J’en suis sûr. Mais malheureusement, son nom m’échappe. »<br />

Le Prince regarda la masse d’emballages autour de lui. « Et<br />

pourquoi cette autre planète avait autant d’aliments » ?<br />

« Parce ce que le peuple en avait trop ». Abaissant<br />

gravement son manteau, il mordit un bout de sa brioche.<br />

Les yeux du Prince grandirent en rêvant d’un monde avec<br />

autant de nourriture. « Ce peuple ne doit jamais avoir<br />

faim ! proclama-t-il avec joie.<br />

—Au contraire ! » dit l’homme majestueux.<br />

Ses yeux grandissaient à la vue d’une boîte de biscuits. « En fait, des<br />

milliers de gens meurent de faim chaque jour. » Et pour accentuer ses<br />

mots, il broya un de ses biscuits, ses dents faisant un fort crack !<br />

Le Petit Prince eut du mal à formuler un mot. « Mais<br />

comment est-ce possible ? bégaya-t-il.<br />

54 | DUMAS de DEMAIN


—Bon…, débuta l’homme, des miettes de biscuits tombant<br />

sur sa poitrine. Pour les gens sur cette planète, il faut avoir de l’argent<br />

pour acheter de la nourriture. Et si on n’a pas d’argent, on ne peut pas<br />

acheter tout ça, dit-il en montrant le paysage d’emballages.<br />

—Mais s’ils ont autant d’aliments, commença-t-il,<br />

pourquoi ne pas en donner aux gens qui ont faim ?<br />

—Parce qu’il faut de l’argent pour donner de la nourriture<br />

aux autres, dit-il en croquant une bonbonnière.<br />

—Pourquoi ?<br />

—Parce qu’il faut de l’argent pour organiser les camions,<br />

les travailleurs, et les cargaisons. Tout cela coute de l’argent. »<br />

Le Petit Prince hocha la tête en regardant curieusement<br />

l’homme énorme, qui était en train de grignoter de nouveau un petit<br />

gâteau. « Mais…, continua-t-il. Il faut de l’argent, n’est-ce pas, pour<br />

transporter les produits de la planète jusqu’à ici ?<br />

—Tout à fait. répondit l’homme, essayant d’ouvrir un<br />

sachet de chips. Mais si tu arrives à le croire, il est moins cher<br />

d’amener tout cela ici que de le distribuer autour de leur monde. Et<br />

comme ces gens adorent leur argent, ils veulent le garder le plus<br />

possible.<br />

—Et pourquoi pas utiliser l’argent pour aider ceux qui ont<br />

faim ?<br />

—Parce que les grands sont égoïstes, mon petit bonhomme.<br />

Ils ont du mal à donner aux autres ce qu’ils peuvent garder pour euxmêmes.<br />

Ils ne font que demander. Ils demandent, ils prennent, et puis,<br />

ils jettent ce dont ils n’ont pas besoin. C’est tout. »<br />

Cette pensée rendait le Petit Prince tellement triste. Sans<br />

s’empêcher, il pensa à sa rose, qui aussi ne voulait que demander,<br />

prendre, et se plaindre. Après cette petite méditation, il pensa<br />

également à lui-même, lui qui hésitait à donner tous ce qu’il pouvait<br />

pour le bien de celle qu’il aimait.<br />

« Excuse-moi…, continua le grand en secouant son sachet.<br />

Pourrais-tu me l’ouvrir ? Je n’arrive pas. »<br />

Doucement, le Petit Prince prit le sachet et il l’ouvrit d’un<br />

seul coup. « Et vous ? interrogea-t-il en lui remettant le paquet.<br />

Pourquoi n’êtes-vous pas là-bas avec les autres gens ?<br />

—Parce que…, commença l’homme, reniflant son cassecroûte<br />

salé. Qu’est-ce que je ferais là-bas ?<br />

—Vous pourriez travailler, suggéra le Prince.<br />

Quatrième Édition | 55


—Travailler ! rigola le gros. Pourquoi ? Pourquoi<br />

travaillerais-je si je pouvais rester ici, tranquille, en profitant du<br />

travail des autres.<br />

—Mais qu’est-ce que vous ferez quand vous ne pourrez<br />

même pas bouger ici, quand vous aurez du mal à respirer, quand l’eau<br />

de cette planète deviendra trop sale qu’il sera impossible de la<br />

boire ? »<br />

Au lieu de lui répondre immédiatement, l’homme<br />

titanesque le regarda avec une expression curieuse. Muet, il mit sa<br />

main dans son sachet, et quand elle sortit, il eut une poignée de chips<br />

écrasés entre ses doigts.<br />

« Bon, soupira-t-il. Voilà ce que je vais faire : je vais<br />

déménager comme l’autre fois. C’est tout simple.<br />

—Et la planète ? demanda le Prince avec inquiétude.<br />

—J’imagine qu’elle va rester comme elle est maintenant.<br />

—Avec tous ces déchets ? cria-t-il. Avec cet air pollué ?<br />

Avec l’eau trop sale à boire ?<br />

—Bah…oui, secoua-t-il, un morceau jaune entre ses deux<br />

premières dents.<br />

—Et les gens de l’autre planète ? le Petit Prince demanda.<br />

Qu’est-ce qu’ils feront ?<br />

—Ils trouveront une autre planète, comme moi. dit-il,<br />

tapotant son bidon saillant. Tu vois, mon petit, un jour, on pourrait<br />

peut-être manquer d’alimentation ; mais l’univers est tellement grand,<br />

qu’on ne manquera jamais de planètes pour nos emballages. »<br />

Et avec ses mots, l’homme gigantesque lui offrit un large<br />

bâtonnet. « Ceci…, dit-il, …je ne l’aime pas trop. Tu le veux ? Ou je<br />

le jette ? »<br />

Sombrement, le Petit Prince secoua la tête. « Non, merci,<br />

dit-il avec une petite grimace. Je n’ai plus faim ».<br />

56 | DUMAS de DEMAIN


NOLWENN MÉNARD<br />

La loi de l’attraction<br />

‘The laws of science teach us a pound of gold weighs as<br />

much as a pound of flour though if dropped from any<br />

undetermined height in their natural state one would<br />

reach bottom and one would fly away.<br />

The problem with love is not what we feel but what we<br />

wish we felt when we began to feel we should feel<br />

something. Just as publicity is not production: seduction<br />

is not seductive.’<br />

—Nikki Giovanni, The Laws of Motion, 1968<br />

La loi de l’attraction nous garantit tout ce que nous<br />

désirons. Elle nous assure que la simple visualisation de nos désirs les<br />

attire vers nous.<br />

Ce qui explique sûrement pourquoi quand elle pense à toi<br />

tu arrives pour la prendre dans tes bras, pourquoi le merveilleux<br />

délice de tes étreintes chaleureuses découle de la simple mention de<br />

ton nom chantant. Les trois douces syllabes, O-nei-da, électrifient son<br />

être et font chavirer son petit cœur.<br />

La loi de l’attraction donne espoir à la condition humaine.<br />

Elle lui donne l’énergie nécessaire pour combattre ses démons<br />

chaque jour.<br />

Cependant, pour Margaux, ce sont le rouge vermillon de tes<br />

lèvres et la courbe de tes yeux qui la supplient d’avancer, qui la<br />

poussent à voler jusqu’au firmament et qui la poussent à hurler au<br />

monde qu’il n’est pas à la hauteur, qu’il n’est rien comparé ni à la<br />

douceur de tes sourires ni à l’énergie pétillante de ton rire.<br />

Tu te rappelles peut-être l’étrange moment où elle t’a<br />

perçue dans la cour de l’université, quand l’automne berçait Paname<br />

et l’air était humide après les pluies diluviennes de la nuit précédente.<br />

Quatrième Édition | 57


Tu as souri d’un air qui semblait vouloir tout dire, comme si tu ne<br />

voyais qu’elle et que tu allais t’approcher, de ta démarche chaloupée,<br />

et que tu allais l’embrasser tendrement, de tout l’amour dont tu aurais<br />

été capable. Je le sais, je le sens et j’ai espoir en toi. Margaux, aussi.<br />

Un mot est défini par sa définition. Je suis définie par mon<br />

nom, mon nom est défini par sa définition. Mon nom veut dire<br />

« attendue impatiemment » ou « désir », je suis donc le désir-même.<br />

Tu l’avais susurrée, un jour que vous écriviez ensemble au pied de<br />

l’olivier qui a poussé il y a une centaine d’années dans mon jardin et<br />

qui, par la loi de l’attraction, a fait la cour aux étoiles et à Vénus,<br />

perchées dans l’immensité de l’espace. Tu étais fière, Oneida, à vingt<br />

ans, jeune philosophe autodidacte et indépendante. Libre. C’est ce<br />

que Margaux est avec toi : libre et indépendante. Vous deux, vous<br />

voltigez dans les airs, vous épousez les nuages et vous construisez<br />

vos vies, juchées sur le dos de deux aigles jumeaux, inséparables et<br />

immuables. Vous ne grandirez jamais, vous vous aimerez à deux,<br />

pour toujours, vous scanderez des vers de Rimbaud en direction de la<br />

Lune, vous chuchoterez des alexandrins au Soleil. Je le sais, je le<br />

sens, parce que tu lui as promis, à coup de battements de tes longs<br />

cils majestueux, et de sourires qui dessinaient des fossettes sur ton<br />

visage et qui faisaient virevolter les papillons de son ventre et<br />

excitaient la flamme de votre passion. Que deviendrait son existence<br />

mélancolique sans toi, Oneida ?<br />

Personne ne lui a jamais appris que nous sommes tous<br />

merveilleusement égaux et différents, et qu’à l’origine de cette<br />

différence se trouve la preuve de cette égalité : la vie est conditionnée<br />

par l’amour et la passion et il n’y a rien de plus fantastique que de se<br />

retrouver après une longue journée passée à apprendre et savoir, et<br />

migrer d’une classe à une autre comme un troupeau de moutons qui<br />

déferle et qui s’impose par sa masse et non par son unité ou par son<br />

intellect. Dans son éducation de citoyenne du monde et de la Terre,<br />

les Ombres ont négligé de lui enseigner que l’amour de l’autre n’est<br />

rien sans l’amour de soi. Elle t’aime parce qu’elle se tolère. Elle se<br />

tolère parce qu’elle sait qu’à ton fond, tu l’aimes, d’une façon ou<br />

d’une autre ; elle sait qu’elle s’aimera le jour où tu prendras sa main<br />

et que tu calmeras ses soucis par le ton doux de ta voix, chantante<br />

depuis la nuit des temps. Malgré tout ça , elle en est convaincue, et<br />

moi aussi, parce que tes iris azurs nous l’ont appris; parce que quand<br />

tu te lèves et que tu proclames tes valeurs en scandant tes slogans et<br />

58 | DUMAS de DEMAIN


en incitant le mouvement qui va changer le monde, tout ce qu’elle<br />

entend c’est le message personnel qu’elle sait que tu lui adresses, à<br />

elle et elle seulement; parce que ce jour d’hiver là, tu lui as montré<br />

qu’elle compte autant que les autres à tes yeux, autant que ces<br />

garçons qui tournent autour de toi, mystérieuse et fascinante et<br />

charmante, toi qui attires les marins du monde dans ton piège<br />

comme une sirène magique moderne, aux cheveux de feu si<br />

dangereux qu’ils pourraient nous anéantir tous.<br />

Quand les Ombres l’ont chassée de la demeure familiale,<br />

qu’ils lui ont montré du doigt la porte de noyer imposante qui n’a pas<br />

changé d’emplacement depuis l’an mille, qu’ils ont jeté dehors sa<br />

valise orange contenant une faible portion du placard gigantesque<br />

qu’ils remplissent depuis son arrivée dans leur vie, elle a pensé à toi,<br />

à la façon dont tu réagirais si tu étais à sa place. Puis elle a relevé son<br />

menton et elle est partie, digne et fière. Ces deux statues, qui ne l’ont<br />

jamais aimée comme des parents, aiment leurs enfants, mais plutôt de<br />

la même manière que deux managers de talents aiment leurs protégés.<br />

Ils l’ont laissée tomber le moment où elle leur a montré la personne<br />

qu’elle était vraiment, sans artifice ni tromperie, l’exposant ainsi à la<br />

plus cruelle des réactions — ou la plus aimante — et ils l’ont déçue<br />

horriblement, comme si elle n’était plus elle-même, comme si elle<br />

n’existait plus telle qu’ils la voyaient avant. Toi, Oneida, tu n’as<br />

jamais dû vivre cela , mais je suis persuadée que tu serais heureuse<br />

même seule, même réfugiée sous un pont, en pleurs, même morte de<br />

faim et de froid et de soif toute l’année, abandonnée seule dans une<br />

désolation, causée par la seule présence d’une caractéristique dans<br />

une partie non-définie de son corps, imposée par la Vie et la fatalité,<br />

comme un poids, ou une paire d’ailes, pour éviter les regards<br />

malfaisants des passants. Le destin t’a comblée, tu le sais, je le sais et<br />

ceux qui te jalousent le savent. Il t’a libérée de la fatalité tragique qui<br />

attend les femmes comme Margaux.<br />

Elle et toi — si vous pouviez être plus éloignées, vous le<br />

seriez. Si vous pouviez être encore plus différentes, encore plus<br />

opposées, tu t’y acharnerais. Tu débites des phrases, comme « ça fait<br />

partie de mon charme » ou « il vaut mieux être unique que se faire<br />

chier », comme si elles changeaient tout, comme si être Oneida — la<br />

seule, l’unique, la différente — était essentiel à qui tu es, ou plutôt à<br />

qui tu prétends être quand les projecteurs sont braqués sur toi et que<br />

le monde entier fait attention à toi. C’est comme si une similarité, un<br />

Quatrième Édition | 59


point commun avec quelqu’un de « standard », quelqu’un comme<br />

Margaux, quelqu’un comme moi, c’était la mort, la fin d’Oneida. La<br />

fin de toi, la fin de nous, la fin de Margaux, la fin du monde entier.<br />

Donc elle sourit d’un air faussement approbateur à tes tirades, d’un<br />

air amoureux mais amical, toujours pour être discret, pour cacher ses<br />

sentiments, pour cacher son cœur ; sinon le monde s’en emparait et<br />

le pervertirait, une atrocité à la fois; sinon ton sourire — amical — se<br />

transformerait en rictus mauvais — amoureux. On le sait : il n’y a<br />

qu’une seule Oneida, celle de tous ses désirs. On le sait parce que<br />

quand tu vis, tout simplement, tu survoles la civilisation perdue des<br />

Hommes au lieu de t’arrêter ou de buter sur les obstacles, sur leurs<br />

insultes violentes, ou sur leur mépris acide qui dissout le bonheur<br />

qu’elle a commencé à éprouver le moment où tu as reposé ta tête sur<br />

son épaule, comme si elle était la seule personne au monde à pouvoir<br />

accueillir ta peine, ta fatigue, ton amour, ton affection. Elle en était<br />

électrifiée. Elle en était si heureuse que le ciel ne pouvait plus<br />

contenir son extase.<br />

—Peut-on s’asseoir, Oneida ?<br />

Les deux garçons autour de toi ricanaient. Ils ne semblaient<br />

même pas s’apercevoir de leur faible présence à tes côtés, de la petite<br />

Margaux qui se tenait, toute fragile, près de la grande Oneida. L’un<br />

d’eux avait des yeux noirs comme les billes que l’on se lançait à la<br />

maternelle, l’autre un sourire enjôleur qui, je le savais, te faisait<br />

fondre comme le sorbet au pamplemousse de Margaux sous le soleil<br />

de plomb qui étouffait Paris au mois d’août. Tu as lancé un regard<br />

dédaigneux à celui qui avait osé t’aborder alors que vous buviez vos<br />

panachés hebdomadaires sur la terrasse du Marais, terrasse que tu<br />

affectionnes. Elle aurait pu t’embrasser à cet instant-là, le dédain de<br />

l’autre équivalant à son éloge dans ton langage corporel si particulier<br />

et si soumis à tes humeurs passagères.<br />

—Pourquoi pas.<br />

Les mots s’étaient échappés de ses lèvres sans conviction et<br />

sans envie, avec une platitude qu’elle ne connaissait pas, mais qui<br />

semblaient signifier « je suis là, remarquez-moi, j’existe ». Tu la<br />

regardais d’un air surpris. Quelque chose en elle savait que tu les<br />

désirais—eux—et pas elle, qu’elle ne serait jamais assez pour toi, que<br />

l’amour qui vibrait en elle à ton égard ne pouvait tolérer que tu sois<br />

malheureuse à cause d’elle. Les deux brutes musculaires souriantes,<br />

croisées dans les couloirs de la Sorbonne, jugées non intéressants,<br />

60 | DUMAS de DEMAIN


coincées dans une boîte dont il était difficile de sortir, s’assirent donc<br />

à la table et commandèrent deux Heineken.<br />

—Comment t’appelles-tu ?<br />

—Margaux.<br />

—T’es à la Sorbonne ?<br />

Elle était insignifiante, elle-même le savait, mais ce n’était<br />

pas nouveau. Elle s’inclinait, comme d’habitude, face au halo coloré<br />

qui semblait t’accompagner partout où tu allais.<br />

—Oui.<br />

Et c’était tout. Ils avaient fait le tour de sa personne et de ce<br />

qu’elle avait à dire rien qu’en regardant ses cheveux classiques,<br />

longs, lisses et brossés à la perfection ; ses yeux marrons entourés de<br />

rangées de longs cils ; et sa moue banale, dénuée de sourire et<br />

d’émotion. Toi, tu charmais avec tes boucles de feu endiablées et tes<br />

yeux en amande vert comme l’émeraude la plus pure du monde. Pour<br />

une fois, Margaux n’était pas jalouse. Alors elle s’est inclinée dans<br />

son siège et a observé avec amusement la scène de séduction qui se<br />

déroulait devant elle, oubliant un instant l’amour inconditionnel pour<br />

l’Amazone libérée que tu es.<br />

C’est dans cet état de passivité douce qu’elle avait adopté<br />

que vous l’avez quittée vers dix-huit heures pour aller à une soirée<br />

sur les toits, très sympa tu verras. Elle était seule, face aux quatre<br />

verres vides, la note et l’odeur fuyante d’Oneida sur la petite terrasse.<br />

De toute façon les soirées sur les toits n’étaient pas pour elle— c’est<br />

au moins ce qu’elle se répétait intérieurement, comme si ça changeait<br />

quelque chose. Une petite voix qui habitait son cœur lui soufflait que<br />

tu étais loin, perdue, qu’Oneida n’était plus Oneida, mais plutôt<br />

l’Oneida d’un autre, que tu ne lui appartenais plus, au sens où tu lui<br />

préférais à l’autre, malgré sa force brute dénuée de tact, parce qu’il<br />

était né avec un chromosome court au lieu de deux longs et de la<br />

testostérone et tout un tas d’autres critères qui semblent faire de<br />

l’homme un être si attirant. Pour les femmes normales, en tout cas.<br />

Margaux n’était qu’une petite gouine, on lui avait dit plusieurs fois,<br />

et d’ailleurs ça ne la choquait plus. De toute façon le monde est<br />

rempli d’ignorants, si tous les cons volaient on ne verrait plus le<br />

soleil. Donc il faut se résigner et se ranger dans les rangs de ceux qui<br />

rentrent dans la norme. Margaux ne souhaitait pas que tu réalises et<br />

acceptes à ton tour ton attirance au beau sexe, parce que tu ne devrais<br />

pas avoir à gérer les insultes et les « c’est comme ça » contemplatifs<br />

Quatrième Édition | 61


que l’on débite devant les idioties que les gens nous crachent à la<br />

figure, parce que tu en es tout simplement incapable et que ne rien<br />

pouvoir changer serait une déchirure si forte pour ton esprit que tu en<br />

souffrirais, et pour elle ce serait intolérable. Pourtant elle le sait,<br />

Oneida. Elle sait que tu as envie de sentir l’odeur de sa peau et de ses<br />

cheveux, de t’abandonner dans ses bras, parce que ma petite sœur a<br />

toujours eu un sixième sens pour ce genre de choses. C’est pour cela<br />

qu’elle ne se révolte plus, quand tu l’abandonnes pour passer une<br />

soirée au bras de l’archétype de la gente masculine, ou deux, ou trois,<br />

qui sont aussi bête que méchant les uns que les autres et dont tu<br />

oublies le nom et l’existence le lendemain, dans les vapes du gin que<br />

tu bois et du refus de qui tu es véritablement. Elle balance<br />

simplement son dernier billet de dix sur la table du café pour payer ce<br />

qu’ils ont consommé goulûment puis prend la fuite, son sac Chanel<br />

rose sous le bras.<br />

Mais cette fois-ci, quelque chose d’irrésistible et<br />

d’indomptable l’a possédée, elle a senti le peu de fierté individualiste<br />

qu’elle conservait en elle précieusement prendre le contrôle de ses<br />

pas, de ses lèvres fines. Elle commença à chuchoter, elle écourta<br />

davantage ses pas, quinze ou vingt centimètres, à la coiffeuse du<br />

salon grunge de Belleville sur lequel son choix s’était arrêté. De la<br />

même façon que ça a été la fin d’Oneida, c’était la fin de la Margaux<br />

que tu connaissais ; celle sage et silencieuse, et heureuse d’être ainsi.<br />

Elle n’a pas regretté au son sourd du ciseau qui faisait tomber au sol<br />

les mèches brunes de sa bourgeoisie correcte et obéissante. Elle n’a<br />

pas songé aux Ombres, assis dans leur château de la forêt de<br />

Fontainebleau ou dirigeant leur empire crémier de Brie, eux qui<br />

auraient à coup sûr secoué leurs têtes devant la fin regrettable de la<br />

dignité royale de leur fille, devant la fin de ses longs cheveux lisses et<br />

brillants, entretenus avec soin trois-cent-soixante-cinq jours par an<br />

pour atteindre la perfection et rivaliser avec les petites filles des<br />

écoles privées de la ville.<br />

Rien ne pouvait gâcher l’instant rempli de fierté qu’était<br />

l’aperçu du reflet dans la glace, juste après la chute de la dernière<br />

mèche et le rinçage de la dernière goutte de teinture bleu ciel,<br />

l’instant de pure satisfaction avec soi-même qu’était le sentiment<br />

d’être parfaitement véritable. Rien, même ton air déçu quand tu l’as<br />

aperçue, le lendemain, et que tu l’as fixé, les yeux exorbités, avant de<br />

lâcher, « on dirait une gouine » en appuyant sur chaque mot d’un air<br />

62 | DUMAS de DEMAIN


méprisant et sordide. Elle ne dit rien, peut-être par amour, ou par<br />

habitude, ou encore par inquiétude pour l’expression mélancolique<br />

que tu ne l’as pas quittée pas depuis le début de la matinée.<br />

Elle ne savait pas, et elle ne saurait jamais, que sur les toits,<br />

après avoir abandonné tes deux admirateurs, tu avais rencontré<br />

Antoine—vingt-cinq ans, étudiant de droit—que tu avais éprouvé le<br />

besoin de t’abandonner dans ses yeux bleus couleur de pluie, que tu<br />

avais discuté et taquiné pendant des heures avec lui, qu’il avait passé<br />

sa veste en cuir noire autour de tes épaules, qu’il avait tenu ta main,<br />

puis ton épaule, puis ta taille, puis qu’il t’avait entraînée dans une<br />

petite chambre de l’appartement en dessous de la soirée, en te<br />

promettant la lune à coup de paroles douces susurrées à l’oreille, et<br />

que, toute émoustillée par son regard et la fossette qui se creusait<br />

dans son visage lorsqu’il te regardait, tu l’avais suivi. Ton ego était<br />

flatté par ses intentions et sa douce tendresse. Quand il t’eut allongée<br />

dans le grand lit aux draps de velours bleu nuit, tu n’eus pas protesté.<br />

Les bulles fines du champagne servi généreusement te montaient à la<br />

tête, tu t’ancrais à la réalité en tenant ses boucles noires de jais dans<br />

tes doigts fins, tu ne pensais qu’à lui et sa main fuyante sur ta taille.<br />

Elle ne savait pas non plus, pour le moment où tout a<br />

basculé, le moment même où il a commencé à déboutonner ton<br />

chemisier bleu ciel, à passer sa main le long de tes formes tout en<br />

embrassant langoureusement ton cou, l’instant précis où tu<br />

t’avais dis que, plus jamais, un homme ne te toucherait de sa grosse<br />

main grotesque, sans délicatesse ni douceur ni amour, plus jamais tu<br />

ne les laisserais te charmer et t’attirer jusque dans leur chambre, sans<br />

honnêteté ni sensibilité, guidés uniquement par le désir charnel que tu<br />

incarnes. Tu étais étrangement rassurée par cette réalisation, mais<br />

aussi soudainement dégoûtée par le poids de son corps sur le tien, par<br />

ses mains baladeuses et les yeux implorants qu’il posait sur toi. Tu<br />

avais chuchoté, « non… non, je ne veux pas », mais, emporté dans<br />

son élan ou son désir ou les facteurs biologiques qui déterminent<br />

l’impuissance des hommes face à leur propre affaiblissement, il ne<br />

t’avait pas entendu, ou alors il avait choisi de ne pas t’entendre, de ne<br />

pas t’écouter et d’ignorer tes faibles suppliques. Il avait continué,<br />

sans s’arrêter, jusqu’au bout du bout, jusqu’à ce qu’il fût écrasé par le<br />

poids de sa propre satisfaction et qu’il eût s’endormit à tes côtés,<br />

tenant dans sa main grossière une mèche de tes boucles rousses, bercé<br />

par l’odeur de jasmin qui en faisait rêver bien d’autres. C’était froid,<br />

Quatrième Édition | 63


glacial, terrible, mais personne n’était là pour te sauver des étreintes<br />

de ce géant brut qui ne voulait pas desserrer son poing de tes<br />

cheveux, comme s’il savait que tu t’aurais sauvée et aurais pleuré<br />

dans les bras de la société, qui aurait inévitablement été contre lui,<br />

que tu t’aurais vengée , que tu l’aurais détruit. Il te tenait avec toute<br />

sa force, lorsque dans ton esprit il se posait mille et une questions.<br />

Et, depuis, tu es éteinte : l’étoile brillante que tu étais<br />

auparavant est morte, détruite par la sensation sale qui persistait là où<br />

il t’avait touchée, là où il avait laissé les traces de sa virilité, de son<br />

hybris et de son désir. Oneida, le désir même, a été détruite par le<br />

désir d’un autre. De toute façon, que pouvait-on faire ? Tu t’es tuée ;<br />

tu as abandonné ton amour propre et ton féminisme dans son lit ; tu<br />

as considéré que les gens auraient prétendu que tu le méritais, que tes<br />

décolletés provocants et petits hauts moitié moins long que ceux du<br />

reste de la Sorbonne, et tes dos nus, tes jupes ras-la-touffe, tes regards<br />

de charbon trop maquillés, ton corps, tes sourires enjôleurs, et tes<br />

postures attirantes, avaient demandé à ce que cela t’arrive, avaient<br />

causé la fin de ton innocence et de ta pureté divine. Tu n’avais pas<br />

tort, les gens t’auraient sûrement imposé le blâme, le monde parisien<br />

t’aurait sûrement rejetée et ton père évangéliste t’aurait regardée de<br />

travers. Ce que tu ne savais pas, c’était qu’Antoine a recommencé,<br />

que tu n’étais pas la première et sûrement pas la dernière et que<br />

quand on est comme ça à vingt-cinq ans, les cieux nous ont imposé<br />

un fardeau considérablement difficile à abandonner. Tu n’as pas parlé<br />

à ma frangine, qui t’aurait poussée à être Oneida, à te battre contre le<br />

monde ; qui t’aurait tenue dans ses bras jusqu’à ce que le souvenir de<br />

l’autre soit remplacé par la sensation immédiate de sa peau contre la<br />

tienne ; qui t’aurait cuisiné tous tes plats préférés, t’aurait fait boire,<br />

puis fumer, puis rire si c’était ce dont tu avais besoin. Elle aurait pu te<br />

guérir. Tu ne l’as pas laissée. Tu es partie. Tu as abandonné et laissé<br />

derrière toi tout ce qu’elle représentait.<br />

Tu aurais dû voir son joli visage se décomposer devant la<br />

lettre que tu as laissée chez moi à son intention. Je ne lui ai pas<br />

montré la mienne. Si c’est ce que tu souhaites, elle ne saura jamais la<br />

vérité. Si c’est ce que tu veux, je continuerai à mentir, à prétendre que<br />

tu es partie reprendre ta vie d’avant—d’avant Margaux. Jamais elle<br />

ne saura que tu es partie à la recherche du bout du monde et—qui<br />

sait—d’une amoureuse, bien que très plate face à ma petite sœur, qui<br />

64 | DUMAS de DEMAIN


finira par te rendre heureuse et t’aidera à oublier les draps bleu nuit et<br />

les mouvements crus et durs qui t’ont laissée gelée.<br />

Quatrième Édition | 65


MARTIN RIEDLER<br />

Simon<br />

C’était l’anniversaire du pater. Un déjeuner de famille était<br />

de rigueur. Mon frère arrive à l’appartement. Il est tard, tout le monde<br />

l’attend, lui qui d’habitude est si discret, si posé. Il respire l’alcool. Il<br />

est vêtu d’une verve exaltée et exaltante. Les mots dégoulinent sans<br />

cesse de sa bouche. Il divague : Russie, Brésil, Rimbaud, Roger<br />

Waters, géométrie dans l’espace et théâtre de l’absurde. Mon père le<br />

regarde penaud. Je vis ce moment sans comprendre ce qu’il<br />

impliquait. Le silence s’abat sur nous, notre foyer, cet espace supposé<br />

familier et rassurant. Ma mère lui ordonne d’aller prendre une douche<br />

; il s’exécute en trébuchant et bafouille en passant.<br />

« Tout va très bien, je vous assure ».<br />

J’essayais tant bien que mal de le regarder depuis la vitre<br />

floutée de notre balcon étroit qui donnait sur la salle de bain. Je<br />

souhaitais l’observer. Observer ce frère qui bouleversait ma réalité.<br />

Mon intérêt était vif. Il avait piqué ma curiosité. Il chantait, « à tu tête<br />

une mélodie » des Doors. Lui que j’avais toujours idolâtré, dont<br />

l’aisance me fascinait dans le silence. Dans son nouveau monde, il<br />

s’appelait Jim Morrison, idole des foules et ombre de lui-même. Une<br />

main m’attrape alors par le collet brutalement. C’est la mère, qui<br />

m’emmène loin : loin de lui, loin de cette folie, loin de sa maladie.<br />

« Il faut savoir donner du temps au temps », me dira-t-on.<br />

Il avait disparu du foyer familial. Le quotidien se vivait<br />

sans lui à présent.<br />

« Prends ton ballon de foot, nous allons voir ton frère », dit<br />

ma mère.<br />

Ligne bleue, métro aérien. C’est une journée ensoleillée et<br />

pleine de douceur. Le métro grince joyeusement. A la sortie, le<br />

panneau devant moi affiche « Centre Hospitalier Psychiatrique Sainte<br />

Anne ». L’endroit est solennel. Ils se retrouvent tous deux, assis sur<br />

66 | DUMAS de DEMAIN


un banc, à regarder les gens, tant qu’il y en a. Sous leurs yeux, je<br />

triture mon ballon. J’insiste pour qu’il se joigne à ma partie de<br />

football imaginaire, sans succès. Elle me fusille du regard. Il ne veut<br />

pas et ne peut pas jouer avec moi. C’est dommage, la pelouse était<br />

bien plus belle à Sainte Anne que dans ma banlieue au sud. Ce beau<br />

gazon aurait facilité la pratique d’un sport qui nous ressemblait et<br />

nous rassemblait.<br />

Je ne parviens plus à reconnaître mon aîné. Il paraît fatigué.<br />

Il est meurtri, hagard, se meurt douloureusement. Depuis ma pelouse<br />

verdoyante n’apparaissent que ses longues boucles brunes, lui qui<br />

soudain peine à soutenir le regard de celle qui lui a donné la vie.<br />

C’est comme si l’hôpital s’était emparé de sa jeunesse et de sa force.<br />

Les mois ont passé. C’est l’hiver. Il fait nuit quand je rentre<br />

de l’école. Comme à l’accoutumée, mon frère est dans sa chambre de<br />

bonne, au fond de son lit ; comme à l’accoutumée, une odeur de tabac<br />

froid colle aux murs. Ses vêtements sont même au sol. Il est là-bas,<br />

contre le mur, masqué par l’épaisse noirceur de cette chambre sans<br />

fenêtres. Il a pris du poids. Ses joues sont gonflées. Je m’adresse à<br />

lui.<br />

« Comment te sens-tu ? »<br />

Il me répond en demi-teinte.<br />

« Mm… Ça va… »<br />

Je lui tends la main. « Viens donc t’asseoir avec moi<br />

frérot ».<br />

Ses mouvements sont lents.<br />

« J’arrive », me dit-il doucement.<br />

Sa tignasse couvre son visage rond. Il se sert en céréales,<br />

porte la cuillère à sa bouche, mâche doucement. Le craquement est<br />

bruyant. Il avale finalement. Je reprends doucement. Je reformule ma<br />

question. Je voudrais tellement qu’il y réponde vraiment.<br />

« Tu te sens comment à la fin de ta journée » ?<br />

Ses réponses sont monosyllabiques.<br />

« Mm… Ben… Pas terrible… » ?<br />

Le temps, avec Simon, paraît tout à fait linéaire, plat. Il ne<br />

semblerait n’y avoir ni de but quelconque à poursuivre, ni d’ambition<br />

palpable, ni de réel répit ou de satisfaction venue d’un travail achevé.<br />

Ni temps forts, ni temps faibles. Avec la curiosité d’un petit frère<br />

inquiet, je l’observe et l’interroge.<br />

« Comment dors-tu la nuit » ?<br />

Quatrième Édition | 67


Un temps passe. Il murmure. « Bof… Pas vraiment bien. Je<br />

ne fais pas grand-chose pendant la journée tu sais… Donc parfois<br />

c’est un peu difficile de m’endormir le soir… »<br />

Le silence s’installe à nouveau. Il est enduit d’une carapace<br />

rêche, difficile à briser. J’ai besoin de trouver du sens. Je reprends de<br />

plus belle.<br />

« Tu te sens coupable ?<br />

—Un peu…me répond-il.<br />

—Ça se manifeste comment ?<br />

—J’ai juste du mal à faire des choses…Chaque soir, c’est<br />

la même sensation…C’est comme si pendant la journée, le<br />

train passe, et je vais pouvoir y monter. Et chaque soir, je<br />

reste sur le quai, et je regarde le train s’en aller… »<br />

Ses paroles flottent dans les airs. Je pense au train qui s’en<br />

va, à ceux qui s’en vont. A tous les trains du monde. Aux chemins<br />

qu’ils empruntent, aux corps qu’ils contiennent. Je m’adresse à lui à<br />

nouveau.<br />

« Tu penses souvent à la mort ?<br />

—Mm… » Il n’est pas très clair.<br />

Sans attendre de réponse précise, je me lance.<br />

« Moi j’y pense souvent à la mort — à me donner mort.<br />

C’est comme une envie violente qui me prend, une envie de me jeter<br />

dans le vide depuis notre toit, une envie que toutes ces voix dans ma<br />

tête peuvent arrêter, vois-tu, une bonne fois pour toute. Toutes les<br />

voix qui me disent que je ne suis rien de plus qu’un petit gars<br />

médiocre qui n’arrivera à rien. On en finira, franchement. Je le vois<br />

déjà : mon corps contre le sol, reposant dans une flaque de sang.<br />

Comme dans les films, tu sais ? Mâchoire fracassée contre l’asphalte,<br />

regard fixant le vide intensément. Un regard de mort. Toi si tu devais<br />

te prendre la vie, tu le ferais comment ? »<br />

Alors que je prononce ses paroles, il se raidit. Son attention<br />

se détourne de son bol de céréales. Il focalise sur mon visage et<br />

l’examine. Nos mains se trouvent. Il m’agrippe. Il tremble. Je<br />

soutiens son regard, tout simplement.<br />

« Pendaison… Où peut être médocs… me répond-il.<br />

—Je t’aime frérot, tu le sais ça ? lui dis-je.<br />

—Moi aussi je t’aime mon frère… » il le sait.<br />

Le lendemain, après l’école, mon père m’appelle. Il est à<br />

Sainte Anne. Il y est allé tout seul. Il ne se sentait plus de vivre en<br />

68 | DUMAS de DEMAIN


dehors. La voix de papa est teintée de douleur. Il y a quelque chose<br />

qu’il ne me dit pas, je peux l’entendre. Il finit par se racler la gorge.<br />

« Simon… ton frère a dit à l’équipe médicale que tu as<br />

aussi des pensées suicidaires… Il se fait du souci pour toi. Les<br />

docteurs veulent savoir… Est-ce que tout va bien » ?<br />

Quatrième Édition | 69


Maman<br />

Il était 9h du soir, et comme tous les mercredis, je rentrais<br />

de l’entraînement affamé. Plutôt que de m’attendre sereinement dans<br />

le salon devant notre feuilleton habituel, maman était couché du côté<br />

droit de son grand lit. Elle ne parvenait plus à respirer. L’ambulance.<br />

Les secours l’emportent. La porte se referme. En baillant, je vide mon<br />

sac de foot humide dans la bassine prévue à cet égard. Tant pis pour<br />

l’épisode de ce soir. Je m’attable. Après avoir terminé mon dîner, je<br />

me ressers du fromage. Le lendemain, à l’école, dans la cour de<br />

récréation, j’ai mis deux petits ponts, je me suis caché dans les<br />

toilettes pour pouvoir éviter la queue de la cantine, j’ai regardé mon<br />

âge sous leurs verres en plastique, puis je suis arrivé en cours de<br />

maths avec quelques minutes de retard, tout penaud et encore<br />

transpirant de mes péripéties.<br />

Nous avions gagné notre match, j’étais joyeux. Les<br />

effusions de couleurs virevoltaient dans le ciel qui fêtait cette<br />

victoire. Un sentiment d’une douceur infinie me parcourait depuis la<br />

voûte plantaire jusqu’au sommet du crâne. C’était comme ça, être<br />

vivant : des moments fugaces qui durent le temps d’une respiration<br />

profonde et apaisée. On ferme les yeux et ça fait du bien. Pourtant le<br />

chemin emprunté par papa ne ressemble nullement à celui que nous<br />

avons l’habitude de côtoyer. Il finit par annoncer doucement « on fait<br />

un détour pour aller voir maman à l’hôpital ». Parc André Citroën.<br />

Illuminé. Souffle froid. Entrée bousculée, regards désespérés. Ils sont<br />

confinés là, les malades. L’odeur m’agrippe. Ascenseur. 5 ème étage.<br />

Murs ternes, nuit tout à fait tombée, atmosphère pesante.<br />

J’entrais le dernier dans cette chambre d’hôpital. Elle était là, à<br />

l’horizontale. Ils me regardaient. Avec douceur, elle me demande de<br />

m’asseoir. La nouvelle, tragique et pâle. « Je suis malade ». Ce<br />

n’était malheureusement pas le majestueux élan vocal de Dalida.<br />

C’était les caprices d’une réalité assassine. Assis à son chevet, dos à<br />

eux, je fixe le mur avec intensité. La colère m’envahit. J’entends<br />

lentement démarrer le tic-tac intérieur de cette angoisse violente, ce<br />

besoin d’agir qui ferait sauter des cadenas et clouera des bouches.<br />

Mon silence parle.<br />

« Tu dois être fatigué. Tu as beaucoup joué aujourd’hui ».<br />

70 | DUMAS de DEMAIN


Le contre la montre dure le temps d’une année scolaire. Je<br />

me lève chaque matin pour aller m’amuser avec mes copains. L’école<br />

me désintéresse. Seul compte le foot de midi, les sorties entres<br />

copains et les caresses de celle qui me fait tourner la tête.<br />

« Maman, ils disent que tu vas mourir ».<br />

J’étais agenouillé pour la première fois de ma vie.<br />

Agenouillé contre le ventre ou elle m’avait porté. Je refusais<br />

d’admettre, de croire. Un moment solitaire où je craquais. Moi, le<br />

petit gars qui ne voulait pas accepter la maladie d’une mère.<br />

S’agenouiller une première fois au creux de son corps et une<br />

deuxième fois par cette nuit d’été très sombre dont je ne garde que<br />

des images sourdes, veille d’un anniversaire funèbre. Je<br />

m’agenouille, pourquoi ? Pour essayer de s’en remettre ? S’en<br />

remettre à quelque chose d’autre, une force supérieure qui pourrait<br />

me rendre ma maman, me la rendre ? La religion ? On s’y remet, elle<br />

ne restitue rien. L’égalité ? Bullshit. La maladie ne respecte rien. Elle<br />

me l’a dit directement dans les yeux.<br />

« Tu es ce que tu as vécu avant d’être ce que tu vas devenir.<br />

Il te faut accepter cette dualité du passé comme à jamais derrière toi<br />

et pour toujours intrinsèque à ce que tu es et deviendras ». Violette<br />

Morisseau. La violence est aux abois. Tapi dans l’ombre, l’animal<br />

féroce reste focalisé. L’être suprême, s’il devait exister, se douterait<br />

sûrement que tous les morts injustement lui souhaite ce qu’il peut y-<br />

avoir de pire.<br />

A treize ans, j’allais perdre à l’infini la femme qui m’avait<br />

donné la vie.<br />

Quatrième Édition | 71


15 août<br />

Quand personne ne le savait. Quand personne ne le savait,<br />

elle est morte, d’abord. Oui parce qu’au moment où ma mère<br />

mourrait moi j’ai dû attendre comme si ce n’était pas entre elle et moi<br />

ou entre elle et nous que ça se passait ; comme si c’était davantage<br />

entre l’hôpital et le patient, les payeurs d’impôts et les chômeurs, les<br />

vendeurs de lit médicalisés et ceux qui vendent la soupe froide de ces<br />

hôpitaux miséreux, qu’entre la mourante et ses enfants,<br />

sa progéniture.<br />

Il fallait des intermédiaires, il fallait atténuer la nouvelle de<br />

cette extinction, rendre prêt à la fin. Il ne fallait pas qu’on soit là.<br />

J’étais jeune et j’allais me baigner. Jeune comment ? Jeune comme<br />

un enfant innocent des affres de la vie et de son existence ; l’enfant<br />

qui ne peut pas souffrir parce que tout n’est encore que de jolis jeux<br />

sans maux. Bercé par cet absurde imbroglio, le joli mot.<br />

Alors je me sèche, car j’ai froid. Je claque des dents. Je me<br />

blottis grelottant contre cette serviette élimée, trop usée, semblant<br />

aussi éternelle que le bruit de l’écume qui s’abat sur le rivage. Je me<br />

sèche parce que j’ai froid lorsque l’océan Atlantique fait encore vivre<br />

en moi le goût de l’espoir, qu’il déambule dans ma nuque armée de<br />

ses gouttes salées. Je claque des dents. Mon père reçoit ce coup de<br />

téléphone. C’était la vie qui téléphonait.<br />

Mon propre père nous le dit. Il ne dit rien, il murmure. Ces<br />

mots dans sa bouche sont étrangers. Le vent les emporte. « C’est fini<br />

les enfants ». C’était la vie qui ôtait toute sensation corporelle, la vie<br />

qui t’arrachait toutes tes dents sans anesthésie buccale. De fait. Cela<br />

n’arrive plus qu’aux autres. J’ai la mort qui m’aspire dans un faisceau<br />

lumineux, paranoïaque et fou.<br />

72 | DUMAS de DEMAIN


Départ.<br />

État des lieux. Lieu du crime. Nous devons laisser derrière<br />

nous l’océan atlantique et cette grande plage aux sables mouvants.<br />

Prendre la route de l’hôpital. Il conduit. Elle gît la, solennelle, seule<br />

au centre de cette pièce. Ses bras reposent sur un coussin d’enfant<br />

rapporté de mes aventures en terre Suédoise. La coupe du Monde de<br />

football des jeunes. Ses pieds sont recouverts d’un linceul blanc. Je<br />

les caresse. Ils sont éteints, froids. La sensation me coupe le souffle.<br />

Sa sœur cadette arrive en trombe. La porte se referme. Tata est<br />

rayonnante de douleur. Elle s’esclaffe nerveusement, puis s’affaisse.<br />

Ses dents se couvrent, son sourire se mue. J’ai sous les yeux un<br />

humain déchiré. C’est déchirant. Ce spectacle me terrifie. Je me<br />

retourne alors. De l’air, vite. La fenêtre s'offre à moi. Contempler la<br />

ville. Les nuages défilent dans le ciel, les voitures au loin font<br />

vrombir leurs moteurs, les passants traversent. Le feu est vert. Mon<br />

monde s’écroule.<br />

Un dernier au revoir avant l’incinération. Les verres polis<br />

des bouteilles fracassées sur le rivage sont devenus des objets délicats<br />

que l’on dispose sur un cercueil d’ébène. La procédure est précise,<br />

l’ordre est établi. La famille proche s’élance tout d’abord. Des quatre<br />

coins de cette salle intime, son pianiste favori nous envoûte. Je<br />

choisis de déposer le mien là où se trouverait son cœur.<br />

Quatrième Édition | 73


GARY CAMPBELL<br />

Plus de Nourriture<br />

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