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LA CARRIERE DE DORIS HART Par Vicki BAUM, traduit de 1 allemand par D. DÈCOURDËMANCHÉ. (Stock.) C'EST une oeuvre d'une belle plénitude et bien supérieure au roman précédemment traduit de Mme Vicki „ Baum : Sàit-on jamais? Il y a, dé Sait-on jamais? à Doris Hart, toute la distance qui sépare un roman plus ou moins habile d'un grand livre. L'auteur de Grànd-Hôtël et de Lac-aux-Dames témoigné, dans Doris Hart, de l'extraordinaire variété de ressourcés qui n'appartient qu'aux écrivains dé premier ordre. La Carrière de Doris Hart prend la chanteuse dans l'obscurité et ne l'abandonne que dans là mort, une fois dépassé le sommet de la gloire. Toute la courbe d'une destinée exceptionnelle s'y inscrit à travers une durée d'environ dix ans. Ce roman n'est pas le premier qu'on ait écrit sur une vedette de théâtre, mais il est probablement le chefd'oeuvre du genre. Qu'il aurait plu à Edmond de Goncourt ! Il sort exactement de sa formulé. Ohle devine tout bourré de « documents humains », mais plein d'une animation, d'une vie, dont l'auteur de La Faustin n'avait malheureusement pas reçu le dOh. Au début du récit, Doris Hart, jeune Allemande de bonne famille, est serveuse de restaurant à New-York et occupe ses heures de loisir tantôt à poser pour un sculpteur cubiste d'origine russe, Nemiroff, dont elle est la maîtresse par intermittences et qu'elle aime sans oser lé lui dire, tantôt à prendre des leçons de chant. Juddy, la femme d'un riche banquier, Franklin O. Bryant, se met en tête, en bonne snob qu'elle est, de commander à Nemiroff une statue pour son jardin, d'où une visite de Bryant à l'atelier du sculpteur, d'où l'embrasement de Bryant pour Doris. Pendant un voyage de Juddy en Europe, Franklin obtient que Doris vienne passer un week-end chez lui et participe à une petite fête dont il faut lire la description dans le roman de Mme Vicky Baum pour prendre une idée de la grossièreté de moeurs de certains milieux américains qu'on imaginerait raffinés. Précisément ce soir-là, Nemiroff s'aperçoit qu'il aime Doris. Il se met à sa recherche, la découvre dans les bras de Franklin, ou presque, et lui tire deux coups de revolver. Il est condamné à douze mois de prison. Définitivement attachée à lui par cette infortune insigne, Doris se jure de n'appartenir jamais à un autre et de devenir une grande chanteuse pour faire son bonheur le jour où il sortira de prison. Mais comment devenirunegrandechanteuse? Sonprofesseur, une vieille Italienne, n'a pas la science qu'il faudrait. Par bonheur, le père- de Franklin, le vieux Bryant, lui verse une solide pension en dédommagement du préjudice que lui a causé son fils. Elle pourra donc être l'élève de l'illustrissime ténor italien Delmonte, dont la puissante personnalité, le caractère tyrannique et l'entourage pittoresque fournissent à Mme Vicki Baum l'occasion de se montrer portraitiste et peintre de moeurs hors de pair. Pour devenir l'élève de Delmonte, Doris a dû en passer par les exigences de son secrétaire. Il importe peu pour elle. Rien ne l'arrêtera dans sa recherche forcenée de la fortune. L'amour et les caresses des hommes sont sans effet sur elle. Elle n'a que Nemiroff en tête — Nemiroff et le chant, Nemiroff et la gloire... MadameVicki Baum, photographiée devant l'église Saint-Vincent de Paul, lors d'un de ses récents à Paris. (Photo Harlingue.) passages Étape par étape, Mmc Vicki Bàum nous fait suivre toute l'ascension de Doris jusqu'à son engagementau Metropolitan Opéra de New-York. Ascension qui ne va pas sans difficultés ni sans « coups durs » — non plus que sans compromissions et humiliations diverses. Tour à tour chanteuse d'opéra et d'opérette, Doris parcourt l'Europe et l'Afrique du Nord, repasse aux Etats-Unis, revient de ce côté-ci de l'eau, et comme, entre temps, la crise est survenue et que le vieux Bryant a dû cesser de lui verser sa pension, on imagine ses traverses... Et toujours elle aime Nemiroff dont elle espère toujours qu'il sera gracié. Dé temps en temps, elle va le voir dans sa prison. Mmc Vicki Baum nous décrit de façon saisissante l'insensible dégradation morale du prisonnier. Son caractère demeure capricieux et c'est pourquoi sa libération tarde tant. Doris ne se décourage pas. A Paris, elle a pourtant fait la connaissance d'un jeune musicien français qui est devenu son amant et qui, seul, réussirait à lui faire oublier Nemiroff si quelqu'un pouvait lui faire oublier Nemiroff. Le vieux Bryant, qu'elle a revu et qui est en train de refaire fortune, s'est épris d'elle comme tout le monde : il lui propose même de l'épouser. C'est un homme charmant que le vieux Bryant. Quant à son fils, il a sombré dans l'ivrognerie, ce qui n'a pas empêché Doris Hart de l'admettre à je ne sais quel titre dans une troupe dont elle fait partie... Enfin, elle est engagée au Metropolitan Opéra en même temps que son vieux maître Delmonte Sa santé décline, elle souffre d'une maladie de coeur consécutive à son ancienne blessure. Aussi, quand Nemiroff sort enfin de prison, s'empressent-ils de réaliser leur rêve : aller vivre dans une île en plein Océan Pacifique pour s'y aimer jusqu'à la mort. De fait, Doris meurt bientôt d'un arrêt du coeur, contre la poitrine du cher Nemiroff... Ici s'achève la carrière de Doris Hart. La trame en est variée et accidentée, et le romanesque n'en est pas absent, mais on ne s'en plaint pas, car ce romanesque, d'ailleurs inhérent au sujet, n'exclut pas l'humaine et profonde, et souvent amère vérité des sentiments, des caractères, des situations, des mille traits dont se compose cette « histoire comique », comme aurait dit Anatole France. André Billy. M — L'ACHETEUSE. - LA RABOUILLEUSE DEUX reprises. A l'Odéon, L'Acheteuse, trois actes de Steve Passeur. A là Comédie-Française, La Rabouilleuse, quatre tableaux d'Emile Fàbfe, d'après Balzac. D'un côté le meilleur succès d'un jeune auteur expressionniste. De l'autre, le meilleur succès également d'un vieil auteur réaliste, lui-même nullement en mesure de construire des types à la fois réels et originaux mais à qui Balzac a fourni des personnages, leur milieu et l'enchaînement des circonstances bâtir pour une pièce solide. Tl serait vain, d'ailleurs, de reprocher à Fabre les retranchements qu'il apporta au Ménage de Garçon d'où est tirée La Rabouilleuse. Le théâtre n'a jamais su contenir ces immenses panoramas des romans de Balzac qui n'a trouvé d'imitateur à son échelle que l'Américain Sinclair Lewis. Le cinéma qui a popularisé l'oeuvre de Sinclair Lewis se chargera sans doute d'en faire autant pour Balzac. Il est peu probable que le cinéma puisse s'emparer des pièces de Steve Passeur. Il marque trop de dédain pour la. logique des circonstances et des caractères avec une série d'artifices brutaux, en donnant comme ressort d'action de toutes ses pièces la haine dans l'amour, la haine génératricede l'amour. Conception psychologique assez courte. Pourtant, il y met une sorte d'obstination rageuse à froid dont il tire des mouvements de surprise et de sensation. L'Acheteuse montre une vieille fille tendre qui s'empare d'un joli garçon aux abois, l'achète, et, sachant qu'elle n'est pas aimée, se fait un jeu de l'humilier jusqu'au moment où ce mari étrange, habitué malgré, tout à cette méchante épouse et à sa servitude, s'évade, soudain libéré par de l'argent. Alors, la méchante femme se tue. 11 y a au moins deux renversements de situation par acte et le dernier acte est la situation du premier prise à rebours. Deux excellents acteurs ont humanisé ce Guignol tragique. Simone, qui joue à la fois la méchanceté et la douleur amoureuses en grande artiste, et Jean Max, qui incarne le veule et brutal mâle acheté, humilié, enchaîné et, dans sa répugnante passivité, parvient à un réalisme pittoresque. Les pièces à situation forte, si artificielles qu'elles soient, jouées par de bons comédiens, peuvent éveiller l'intérêt. Bien joué, Paul Hervieu est ainsi devenu le grand dramaturge de 1900, avec son affreux théâtre mécanique à situations. Cela peut-il donner de l'espoir à Passeur ? Dans La Rabouilleuse, il reste, de Balzac, des caractères, l'atmosphère d'une grande époque et une situation, la rivalité d'une basse aventurière de province et d'un soudard, Flore Brazier, le colonel Bridau aux prises dans une intrigue d'argent et d'amour. Fabre a changé le dénouement de Balzac. C'est la Rabouilleuse qui vient à bout du demi-solde, meurtrière de son amant. Cette fin de mélo, qui satisfait peut-être le public, Balzac ne l'aurait pas acceptée. Alexandre et Marie Marquet jouent avec le relief qui convient ce fragment de film balzacien, construit à la Sardou, pour qui Balzac était un dieu. Claude Berton.

LA CARRIERE DE DORIS HART<br />

Par Vicki BAUM, traduit <strong>de</strong> 1 allemand par<br />

D. DÈCOURDËMANCHÉ. (Stock.)<br />

C'EST une oeuvre d'une belle plénitu<strong>de</strong><br />

et bien supérieure au roman précé<strong>de</strong>mment<br />

traduit <strong>de</strong> Mme Vicki „<br />

Baum : Sàit-on jamais? Il y a, dé<br />

Sait-on jamais? à Doris Hart,<br />

toute la distance qui sépare un roman plus<br />

ou moins habile d'un grand livre. L'auteur<br />

<strong>de</strong> Grànd-Hôtël et <strong>de</strong> <strong>La</strong>c-aux-Dames témoigné,<br />

dans Doris Hart, <strong>de</strong> l'extraordinaire<br />

variété <strong>de</strong> ressourcés qui n'appartient qu'aux<br />

écrivains dé premier ordre.<br />

<strong>La</strong> Carrière <strong>de</strong> Doris Hart prend la chanteuse<br />

dans l'obscurité et ne l'abandonne que<br />

dans là mort, une fois dépassé le sommet <strong>de</strong><br />

la gloire. Toute la courbe d'une <strong>de</strong>stinée<br />

exceptionnelle s'y inscrit à travers une durée<br />

d'environ dix ans. Ce roman n'est pas le<br />

premier qu'on ait écrit sur une ve<strong>de</strong>tte <strong>de</strong><br />

théâtre, mais il est probablement le chefd'oeuvre<br />

du genre. Qu'il aurait plu à Edmond<br />

<strong>de</strong> Goncourt ! Il sort exactement <strong>de</strong> sa formulé.<br />

Ohle <strong>de</strong>vine tout bourré <strong>de</strong> « documents<br />

humains », mais plein d'une animation, d'une<br />

vie, dont l'auteur <strong>de</strong> <strong>La</strong> Faustin n'avait<br />

malheureusement pas reçu le dOh.<br />

Au début du récit, Doris Hart, jeune<br />

Alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> bonne famille, est serveuse <strong>de</strong><br />

restaurant à New-York et occupe ses heures<br />

<strong>de</strong> loisir tantôt à poser pour un sculpteur<br />

cubiste d'origine russe, Nemiroff, dont elle<br />

est la maîtresse par intermittences et qu'elle<br />

aime sans oser lé lui dire, tantôt à prendre<br />

<strong>de</strong>s leçons <strong>de</strong> chant. Juddy, la femme d'un<br />

riche banquier, Franklin O. Bryant, se met<br />

en tête, en bonne snob qu'elle est, <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r<br />

à Nemiroff une statue pour son jardin,<br />

d'où une visite <strong>de</strong> Bryant à l'atelier<br />

du sculpteur, d'où l'embrasement <strong>de</strong> Bryant<br />

pour Doris. Pendant un voyage <strong>de</strong> Juddy<br />

en Europe, Franklin obtient que Doris<br />

vienne passer un week-end chez lui et participe<br />

à une petite fête dont il faut lire la<br />

<strong>de</strong>scription dans le roman <strong>de</strong> Mme Vicky<br />

Baum pour prendre une idée <strong>de</strong> la grossièreté<br />

<strong>de</strong> moeurs <strong>de</strong> certains milieux américains<br />

qu'on imaginerait raffinés. Précisément ce<br />

soir-là, Nemiroff s'aperçoit qu'il aime Doris.<br />

Il se met à sa recherche, la découvre dans<br />

les bras <strong>de</strong> Franklin, ou presque, et lui tire<br />

<strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> revolver. Il est condamné à<br />

douze mois <strong>de</strong> prison.<br />

Définitivement attachée à lui par cette<br />

infortune insigne, Doris se jure <strong>de</strong> n'appartenir<br />

jamais à un autre et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une<br />

gran<strong>de</strong> chanteuse pour faire son bonheur le<br />

jour où il sortira <strong>de</strong> prison. Mais comment<br />

<strong>de</strong>venirunegran<strong>de</strong>chanteuse? Sonprofesseur,<br />

une vieille Italienne, n'a pas la science qu'il<br />

faudrait. Par bonheur, le père- <strong>de</strong> Franklin,<br />

le vieux Bryant, lui verse une soli<strong>de</strong> pension<br />

en dédommagement du préjudice que lui<br />

a causé son fils. Elle pourra donc être<br />

l'élève <strong>de</strong> l'illustrissime ténor italien Delmonte,<br />

dont la puissante personnalité, le<br />

caractère tyrannique et l'entourage pittoresque<br />

fournissent à Mme Vicki Baum l'occasion<br />

<strong>de</strong> se montrer portraitiste et peintre<br />

<strong>de</strong> moeurs hors <strong>de</strong> pair.<br />

Pour <strong>de</strong>venir l'élève <strong>de</strong> Delmonte, Doris<br />

a dû en passer par les exigences <strong>de</strong> son secrétaire.<br />

Il importe peu pour elle. Rien ne<br />

l'arrêtera dans sa recherche forcenée <strong>de</strong> la<br />

fortune. L'amour et les caresses <strong>de</strong>s hommes<br />

sont sans effet sur elle. Elle n'a que Nemiroff<br />

en tête —<br />

Nemiroff et le chant, Nemiroff et<br />

la gloire...<br />

MadameVicki Baum, photographiée <strong>de</strong>vant l'église<br />

Saint-Vincent <strong>de</strong> Paul, lors d'un <strong>de</strong> ses récents<br />

à Paris. (Photo Harlingue.)<br />

passages<br />

Étape par étape, Mmc Vicki Bàum nous<br />

fait suivre toute l'ascension <strong>de</strong> Doris jusqu'à<br />

son engagementau Metropolitan Opéra<br />

<strong>de</strong> New-York. Ascension qui ne va pas sans<br />

difficultés ni sans « coups durs » — non plus<br />

que sans compromissions et humiliations<br />

diverses. Tour à tour chanteuse d'opéra et<br />

d'opérette, Doris parcourt l'Europe et l'Afrique<br />

du Nord, repasse aux Etats-Unis,<br />

revient <strong>de</strong> ce côté-ci <strong>de</strong> l'eau, et comme,<br />

entre temps, la crise est survenue et que le<br />

vieux Bryant a dû cesser <strong>de</strong> lui verser sa<br />

pension, on imagine ses traverses... Et<br />

toujours elle aime Nemiroff dont elle espère<br />

toujours qu'il sera gracié. Dé temps en<br />

temps, elle va le voir dans sa prison.<br />

Mmc Vicki Baum nous décrit <strong>de</strong> façon<br />

saisissante l'insensible dégradation morale<br />

du prisonnier. Son caractère <strong>de</strong>meure capricieux<br />

et c'est pourquoi sa libération tar<strong>de</strong><br />

tant. Doris ne se décourage pas. A Paris,<br />

elle a pourtant fait la connaissance d'un<br />

jeune musicien français qui est <strong>de</strong>venu<br />

son amant et qui, seul, réussirait à lui faire<br />

oublier Nemiroff si quelqu'un pouvait lui<br />

faire oublier Nemiroff. Le vieux Bryant,<br />

qu'elle a revu et qui est en train <strong>de</strong> refaire<br />

fortune, s'est épris d'elle comme tout le<br />

mon<strong>de</strong> : il lui propose même <strong>de</strong> l'épouser.<br />

C'est un homme charmant que le vieux<br />

Bryant. Quant à son fils, il a sombré dans<br />

l'ivrognerie, ce qui n'a pas empêché Doris<br />

Hart <strong>de</strong> l'admettre à je ne sais quel titre<br />

dans une troupe dont elle fait partie...<br />

Enfin, elle est engagée au Metropolitan<br />

Opéra en même temps que son vieux maître<br />

Delmonte Sa santé décline, elle souffre d'une<br />

maladie <strong>de</strong> coeur consécutive à son ancienne<br />

blessure. Aussi, quand Nemiroff sort enfin<br />

<strong>de</strong> prison, s'empressent-ils <strong>de</strong> réaliser leur<br />

rêve : aller vivre dans une île en plein Océan<br />

Pacifique pour s'y aimer jusqu'à la mort.<br />

De fait, Doris meurt bientôt d'un arrêt du<br />

coeur, contre la poitrine du cher Nemiroff...<br />

Ici s'achève la carrière <strong>de</strong> Doris Hart.<br />

<strong>La</strong> trame en est variée et acci<strong>de</strong>ntée, et<br />

le romanesque n'en est pas absent, mais on<br />

ne s'en plaint pas, car ce romanesque,<br />

d'ailleurs inhérent au sujet, n'exclut pas<br />

l'humaine et profon<strong>de</strong>, et souvent amère<br />

vérité <strong>de</strong>s sentiments, <strong>de</strong>s caractères, <strong>de</strong>s<br />

situations, <strong>de</strong>s mille traits dont se compose<br />

cette «<br />

histoire comique », comme aurait dit<br />

Anatole <strong>France</strong>.<br />

André Billy.<br />

M —<br />

L'ACHETEUSE.<br />

-<br />

LA RABOUILLEUSE<br />

DEUX reprises. A l'Odéon, L'Acheteuse,<br />

trois actes <strong>de</strong> Steve Passeur. A là<br />

Comédie-Française, <strong>La</strong> Rabouilleuse,<br />

quatre tableaux d'Emile<br />

Fàbfe, d'après Balzac. D'un côté le<br />

meilleur succès d'un jeune auteur expressionniste.<br />

De l'autre, le meilleur succès également<br />

d'un vieil auteur réaliste, lui-même<br />

nullement en mesure <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s<br />

types à la fois réels et originaux mais à qui<br />

Balzac a fourni <strong>de</strong>s personnages, leur milieu<br />

et l'enchaînement <strong>de</strong>s circonstances<br />

bâtir<br />

pour<br />

une pièce soli<strong>de</strong>. Tl serait vain, d'ailleurs,<br />

<strong>de</strong> reprocher à Fabre les retranchements<br />

qu'il apporta au Ménage <strong>de</strong> Garçon<br />

d'où est tirée <strong>La</strong> Rabouilleuse. Le théâtre<br />

n'a jamais su contenir ces immenses panoramas<br />

<strong>de</strong>s romans <strong>de</strong> Balzac qui n'a trouvé<br />

d'imitateur à son échelle que l'Américain<br />

Sinclair Lewis. Le cinéma qui a popularisé<br />

l'oeuvre <strong>de</strong> Sinclair Lewis se chargera sans<br />

doute d'en faire autant pour Balzac.<br />

Il est peu probable que le cinéma puisse<br />

s'emparer <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Steve Passeur. Il<br />

marque trop <strong>de</strong> dédain pour la. logique <strong>de</strong>s<br />

circonstances et <strong>de</strong>s caractères avec une série<br />

d'artifices brutaux, en donnant comme<br />

ressort d'action <strong>de</strong> toutes ses pièces la haine<br />

dans l'amour, la haine génératrice<strong>de</strong> l'amour.<br />

Conception psychologique assez courte. Pourtant,<br />

il y met une sorte d'obstination rageuse<br />

à froid dont il tire <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> surprise<br />

et <strong>de</strong> sensation.<br />

L'Acheteuse montre une vieille fille<br />

tendre qui s'empare d'un joli garçon<br />

aux abois, l'achète, et, sachant qu'elle<br />

n'est pas aimée, se fait un jeu <strong>de</strong> l'humilier<br />

jusqu'au moment où ce mari étrange, habitué<br />

malgré, tout à cette méchante épouse et<br />

à sa servitu<strong>de</strong>, s'éva<strong>de</strong>, soudain libéré par<br />

<strong>de</strong> l'argent. Alors, la méchante femme se<br />

tue. 11 y a au moins <strong>de</strong>ux renversements<br />

<strong>de</strong> situation par acte et le <strong>de</strong>rnier acte est<br />

la situation du premier prise à rebours. Deux<br />

excellents acteurs ont humanisé ce Guignol<br />

tragique. Simone, qui joue à la fois la méchanceté<br />

et la douleur amoureuses en gran<strong>de</strong><br />

artiste, et Jean Max, qui incarne le veule et<br />

brutal mâle acheté, humilié, enchaîné et,<br />

dans sa répugnante passivité, parvient à un<br />

réalisme pittoresque.<br />

Les pièces à situation forte, si artificielles<br />

qu'elles soient, jouées par <strong>de</strong> bons<br />

comédiens, peuvent éveiller l'intérêt. Bien<br />

joué, Paul Hervieu est ainsi <strong>de</strong>venu le<br />

grand dramaturge <strong>de</strong> 1900, avec son affreux<br />

théâtre mécanique à situations. Cela peut-il<br />

donner <strong>de</strong> l'espoir à Passeur ?<br />

Dans <strong>La</strong> Rabouilleuse, il reste, <strong>de</strong> Balzac,<br />

<strong>de</strong>s caractères, l'atmosphère d'une gran<strong>de</strong><br />

époque et une situation, la rivalité d'une<br />

basse aventurière <strong>de</strong> province et d'un soudard,<br />

Flore Brazier, le colonel Bridau aux<br />

prises dans une intrigue d'argent et d'amour.<br />

Fabre a changé le dénouement <strong>de</strong> Balzac.<br />

C'est la Rabouilleuse qui vient à bout du<br />

<strong>de</strong>mi-sol<strong>de</strong>, meurtrière <strong>de</strong> son amant. Cette<br />

fin <strong>de</strong> mélo, qui satisfait peut-être le public,<br />

Balzac ne l'aurait pas acceptée.<br />

Alexandre et Marie Marquet jouent avec<br />

le relief qui convient ce fragment <strong>de</strong> film<br />

balzacien, construit à la Sardou, pour qui<br />

Balzac était un dieu.<br />

Clau<strong>de</strong> Berton.

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