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&(?êmmé<strong>de</strong> <strong>France</strong><br />

UNE PARISIENNE EN OCÉANIE<br />

LE<br />

DESCENDANT DU GRAND PIRATÉ<br />

DEPUIS que nous sommes arrivés à<br />

Tahiti, où cependant les beaux<br />

hommes sont nombreux, nous n'avons<br />

vraiment tien vu <strong>de</strong> plus<br />

parfait que Téano. Il est si « costaud<br />

». si bien musclé, que, dès qu'il travaille,<br />

il- a l'air <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s « poses piàS"<br />

tiques ».<br />

Une vraie" statué en mouvement.<br />

Je pense au Musée du Louvre et à la salle<br />

<strong>de</strong>s Antiques...<br />

Téano est <strong>de</strong>venu pour nous un camara<strong>de</strong>,<br />

Pierre et riioi l'avons adopté. Il parle<br />

bien français, à du tact, grimpé aux cocotiers,<br />

lance le harpon, Sait toutes les pêches,<br />

enfin c'est un as qui nous initie aux plaisirs<br />

<strong>de</strong> la vie tahitienne.<br />

L'autre jour, je pars à Papeete, .au', ravitaillement,<br />

et pendant que j'achetais dés<br />

conserves américaines et australiennes (qui<br />

m'expliquera comment elles peuvent, malgré<br />

la douane, valoir la moitié dé celles<br />

<strong>de</strong> chez nous?) je vois arriver une aimable<br />

rentière française, née à Tahiti, pour laquelle<br />

nous avions une lettre d'introduction,<br />

à notre arrivée.<br />

•—<br />

Bonjour, petite Madame, je suis bien<br />

contente <strong>de</strong> vous rencontrer. Il paraît que<br />

vous et votre mari vous êtes très liés avec<br />

Frascani. Vous savez que c'est un vrai<br />

brigand, <strong>de</strong>scendant du grand pirate Frascani?<br />

Je tiens à vous mettre en gar<strong>de</strong>.<br />

Attention... attention...<br />

Frascani? Mais je<br />

—-- ne connais pas.<br />

— Mais si; voyons, Téario, Téano Frascani.<br />

Il est Tahitien mais a aussi du sang<br />

italien dans les veines. Son grand-père a<br />

été le plus grand flibustier du Pacifique !<br />

Il faisait même la frau<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'opium.<br />

Deux jours plus tard, après avoir offert<br />

à Téano quelques petits punches, nous<br />

avons lancé la première pointe :<br />

— Par ton grand-père, Téano, tu dois<br />

en connaître <strong>de</strong> belles histoires !<br />

Téano a souri :<br />

— Pour cela, c'était un vrai type. A<br />

un moment, il possédait plus <strong>de</strong> terres qu'un<br />

roi. Tenez, <strong>de</strong> cette montagne jusqu'à<br />

l'autre vallée, tout était à lui. Dommage<br />

que ses enfants, dont mon père, aient<br />

tout vendu, morceau par morceau.<br />

— Mais comment avait-il gagné tout<br />

cela?<br />

— Le grand outil, pour lui, c'était son<br />

Dateau. il naviguait<br />

d'une île à l'autre<br />

et faisait, suivant l'occasion,<br />

les perles, la<br />

nacre ou l'opium.<br />

— Dis donc, c'était<br />

un peu un brigand,<br />

ton grand-père?<br />

— Peut-être, mais<br />

un brigand courageux,<br />

pieux et honnête.<br />

Ce n'est pas<br />

lui qui se serait servi<br />

du nom du Bon Dieu<br />

pour rouler les indigènes.<br />

— Raconte.<br />

— Alors je vous<br />

dirai, comme exemple,<br />

l'histoire <strong>de</strong> la<br />

grosse perle <strong>de</strong> Mangaréva.<br />

Autrefois,<br />

c'était une coutume,<br />

lorsqu'on commençait<br />

la plonge, la première<br />

perle trouvée était donnée au roi. Rien<br />

à faire pour les organisateurs ou pour les marchands.<br />

Aussi, chaque fois que c'était possible,<br />

mon grand-père aimait bien être là.<br />

Le roi et lui y trouvaient, chacun, leur<br />

profit.<br />

Voici qu'une fois on sort <strong>de</strong> la première<br />

huître ouverte une perle, niais là, une perle !<br />

quelque chose <strong>de</strong> merveilleux, grosse, ron<strong>de</strong>,<br />

rosée,. parfaite, une lune en miniature...<br />

Les acheteurs en avaient pâli, mais ils<br />

n'ignoraient pas que la coutume était là,<br />

et que plus un homme n'aurait voulu<br />

plpnger si on avait chapardé où truqué<br />

« la part du roi ».<br />

Mon grand-père savait se déci<strong>de</strong>r. A la<br />

minute même' il a dit au grand chef :<br />

— Je connais quelqu'un qui cherche<br />

une perle <strong>de</strong> ce genre et je peux te l'acheter<br />

cher. Cinquante mille francs, cela va?<br />

Bien sur, le vieux Frascani savait qu'il<br />

en aurait plus <strong>de</strong> cent mille à Papeete, mais<br />

tout <strong>de</strong> même, pour Mangareva, il offrait<br />

une bonne somme. C'est qu'il sentait tous<br />

les autres eh appétit"et marchait vite et dur<br />

pour gagner.<br />

— Roi, puisque nous sommes d'accord,<br />

tu vas me jurer <strong>de</strong> ne la vendre à personne<br />

d'autre qu'à moi, ta perle. Elle m'appartient,<br />

à partir <strong>de</strong> maintenant ; il ne me<br />

reste qu'à te la payer, je file à Papeete<br />

chercher ton or et te l'apporterai aussi vite<br />

que les vents le permettront ; car, bien sûr,<br />

je n'ai pas avec moi une aussi grosse somme.<br />

Le roi jure.<br />

Mon grand-père file à toutes voiles,<br />

emprunte et revient en hâte avec son grand<br />

sac <strong>de</strong> louis d'or.<br />

— Roi, donne-moi ma perle, voici ton<br />

or.<br />

—<br />

Je n'ai plus <strong>de</strong> perle.<br />

— Tu as osé la vendre?<br />

— Je n'ai jamais manqué à un serinent.<br />

— Alors on te l'a volée?<br />

— Non, Je l'ai donnée au Bon Dieu.<br />

C'est le Père <strong>de</strong> la Mission qui l'enverra<br />

loin peur la couronne du Pape. Ainsi mon<br />

peuple et moi serons robustes et heureux<br />

longtemps.<br />

Pierre et moi, nous nous exclamons :<br />

— Celle-là, par exemple, elle est forte.<br />

Encouragé, Téano nous affirme :<br />

— Et ce qu'il y en a eu <strong>de</strong>s histoiresdu<br />

même genre, toujours pour ce pauvre Bon<br />

Dieu et ce pauvre pape Connaissez-vous<br />

le !<br />

coup <strong>de</strong> la Goélette <strong>de</strong>s Marquises?<br />

« C'était au temps où la nacre marchait<br />

ferme. Mon grand-père était occupé faire un beau chargement <strong>de</strong> nacre à<br />

Nukahiva, le tout acheté à bon compte.<br />

« Arrive une belle goélette, pimpante, bien<br />

gréée. Quelques heures après, arrêt <strong>de</strong>s<br />

livraisons, arrêt du chargement. On refuse<br />

<strong>de</strong> continuer à livrer la nacre choisie, on ne<br />

peut plus travailler pour Frascani. Il y a<br />

mieux à faire ; avant tout, il faut charger<br />

la goélette qui vient d'arriver. Il convient<br />

que la nacre soit parfaite et que le bateau<br />

soit bourré, <strong>de</strong> la cale aux ponts. C'est<br />

pour le pape qui se fait construire une<br />

église aux murs <strong>de</strong> nacre. Ce don apportera<br />

mille bénédictions, mille bonheurs à<br />

toute l'île. Et, merveille, une fois son chargement<br />

déposé, la belle goélette reviendra<br />

et sera offerte, en remerciement, aux travailleurs<br />

<strong>de</strong> l'île !<br />

«Comment lutter? Rien àdire, rien à faire,<br />

mon aïeul le savait trop bien et est reparti,<br />

sans cargaison. Comme les indigènes ont<br />

travaillé pour rien, tout un mois, ils ont<br />

mangé <strong>de</strong>s ignames. Nul ne sait où la goélette<br />

inconnue a emporté son énorme chargement.<br />

Et inutile <strong>de</strong> vous dire, n'est-ce<br />

pas* que l'on n'en a jamais plus entendu<br />

parler?<br />

Téano voit notre jubilation et s'irrite :<br />

— Vous trouvez cela propre, vous autres?<br />

Nous lui expliquons que nous sommes<br />

indignés, dégoûtés, mais qu'il raconte bien,<br />

que nous adorons les histoires et que c'est<br />

tout <strong>de</strong> même amusant...<br />

Il finit par rire avec nous et conclut :<br />

-— Le meilleur <strong>de</strong> tout, encore, c'était<br />

l'opium. Dans un pays comme ici, où il<br />

existe tant <strong>de</strong> Chinois, il en faut, n'est-ce<br />

pas? S'il manque <strong>de</strong> drogue, un Chinois<br />

donne n'importe quel prix pour s'en procurer.<br />

Alors, c'est véritable profit. Seulement,<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>z si Frascani a jamais livré<br />

autre chose que du vrai, pas comme ces<br />

voleurs qui donnaient dés paquets <strong>de</strong><br />

n'importe quoi et empochaient l'argent,<br />

sûrs que le «<br />

roulé » ne pouvait pas aller<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r justice.<br />

«<br />

Au commencement, personne ne se méfiait<br />

et tout allait bien. Mais bientôt il a<br />

fallu<br />

trouver constamment <strong>de</strong> nouvelles<br />

« combines », comme vous dites. Les caisses<br />

à double fond n'ont pu servir qu'une année.<br />

Le mieux était quand Frascani s'en venait<br />

tout doucement, en faisant le tour <strong>de</strong> l'île<br />

avant d'entrer au port. Il arrivait à Papeete,<br />

le sourire aux lèvres, son bateau délesté,<br />

car il avait jeté sa cargaison à là mer,<br />

dans <strong>de</strong> bonnes petites caisses bien combinées<br />

et bien nageantes. Les indigènes qui<br />

guettaient <strong>de</strong> leurs pirogues tout en péchant,<br />

cueillaient tout, district par district.<br />

Ici j'interviens :<br />

— Ce qui m'étonne dans ces caisses<br />

flottantes, c'est l'aveuglement <strong>de</strong>s douaniers.<br />

Ils <strong>de</strong>vaient être « <strong>de</strong> mèche », car<br />

après quelques voyages où l'on n'avait rien<br />

trouvé à reprocher à Frascani, on <strong>de</strong>vait<br />

bien se douter <strong>de</strong> quelque chose, guetter<br />

l'arrivée <strong>de</strong> la goélette et voir...<br />

Téano sourit finement :<br />

.<br />

— C'est si loin maintenant que je peux<br />

bien vous dévoiler la ruse. Vous comprenez<br />

bien qu'elles ne venaient pas tout <strong>de</strong> suite<br />

à la surface <strong>de</strong> l'eau, les caissettes ! A chacune<br />

était attaché un gros sac <strong>de</strong> sel qui<br />

les maintenaienten profon<strong>de</strong>ur. Mais quand<br />

le sel, doucement, avait fondu, elles remontaient<br />

bien, gentiment à fleur d'eau et les<br />

piroguiers guetteurs faisaient leur moisson<br />

en toute tranquillité.<br />

— Quelle idée ingénieuse !<br />

— Mon grand-père en avait plus d'une<br />

dans son sac. Rien ne vaut le fameux coup<br />

<strong>de</strong> grand «<br />

Tamara (*) ».<br />

« Voici mon grand-père qui, avec tous ses<br />

<strong>de</strong>rniers trucs éventés,' arrive un jour au<br />

port avec une cargaison <strong>de</strong> choix... Rien<br />

que du Bénarès. Mais spécialement surveillé,<br />

il ne savait comment faire pour<br />

le débarquer. Personne ne peut monter<br />

à bord, tout homme <strong>de</strong>scendant du bateau<br />

est fouillé. Jour et nuit, un douanier veille<br />

sur le quai.<br />

(Lire la suite page 20.)<br />

(1) Tamara : repas.

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