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sûr, <strong>je</strong> n’ai pas fait immédiatement le lien avec la mort du petit Rodriguez mais,<br />
allez comprendre pourquoi, dans les jours qui ont suivi, j’ai fait le rapprochement.<br />
J’ai accumulé les preuves contre lui. J’ai, sur mon portable, les photos du feu avant<br />
fendu et de l’aile rayée de rouge. J’ai aussi conservé la photocopie de la facture du<br />
carrossier. Je pourrais même témoigner que tu es arrivé en retard ce <strong>soir</strong>-là, et les<br />
enfants, dans leur naïveté, confirmeront mes accusations. Ils se souviendront que<br />
c’était le jour où les frites étaient tièdes puisque cela n’arrive jamais, excepté ce<br />
jour-là. Peut-être confirmeront-ils aussi que leur père avait un comportement<br />
bizarre, puisqu’ils m’en avaient fait la remarque le lendemain matin.<br />
Mon mari croit sans doute que <strong>je</strong> n’ai rien remarqué, et s’il pense que <strong>je</strong> suis trop<br />
conne pour ça, il se fout complètement le doigt dans l’œil. <strong>Ce</strong>t homme ne s’en doute<br />
pas, mais <strong>je</strong> le suis en permanence, <strong>je</strong> l’espionne, <strong>je</strong> fouille dans ses poches, dans<br />
son portable, <strong>je</strong> vérifie ses horaires, j’appelle au bureau à l’improviste pour<br />
m’assurer qu’il y est bien. Depuis qu’il m’a honteusement cocufiée, <strong>je</strong> n’ai plus<br />
aucune confiance en lui. <strong>Ce</strong>rtes, il s’en est bien tiré et j’ai fait semblant de gober sa<br />
version, pas mécontente que cette pute ait été virée. Mais mon mari est trop malin,<br />
ou trop prudent, car <strong>je</strong> n’ai pas réussi à le prendre en faute, jusqu’au matin où j’ai<br />
vu les traces d’un accident sur sa voiture. Étonnamment, il n’en a jamais parlé, alors<br />
que, d’habitude, il se serait mis en rage pour la moindre égratignure. Car sa bagnole<br />
est sacrée ! Un jour, <strong>je</strong> l’ai vu poursuivre et serrer un type en scooter qui avait eu le<br />
malheur de donner un petit coup sur le rétroviseur pour lui demander de s’écarter. Il<br />
avait failli le faire tomber, et le gars s’était vengé, après nous avoir rattrapés, en<br />
donnant un coup de pied contre la portière, avant de s’éloigner en lui faisant un<br />
doigt d’honneur. Mon mari l’aurait écrabouillé s’il l’avait retrouvé, mais le motard<br />
lui avait échappé en prenant un sens interdit. Jean-Pierre s’était entêté en vain<br />
pendant plus d’une heure à essayer de le retrouver. Tout ça pour dire qu’il ne faut<br />
pas toucher à sa bagnole. Alors, il devait forcément y avoir quelque chose de louche<br />
pour qu’il ne parle jamais de son avant droit rayé de rouge.<br />
J’ai d’abord pensé qu’il était avec une poule et qu’il évitait les explications, puis<br />
j’ai rapidement fait le lien avec la mort du petit. Le journal parlait d’une voiture<br />
verte et d’un vélo rouge. La date et l’heure coïncidaient, et, surtout, l’accident avait<br />
eu lieu sur son tra<strong>je</strong>t. J’ai noté le jour où il est revenu avec un feu tout neuf et, si<br />
besoin est, <strong>je</strong> pourrai fournir l’information aux gendarmes. De temps en temps, <strong>je</strong><br />
m’amusais à lui parler de Rodriguez, <strong>je</strong> le forçais à traiter celui qui avait tué le petit<br />
de « salopard ». Il tentait de fuir, de changer de su<strong>je</strong>t, mais j’insistais, et, une fois,<br />
j’ai même réussi à lui faire dire que « ce salopard méritait qu’on lui tranche la<br />
gorge ».<br />
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