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Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

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Avant, <strong>je</strong> ne prêtais pas beaucoup attention au directeur des ventes. C’était<br />

« M. Boulard », juste un patron, le numéro deux de la boîte. Comme les autres, <strong>je</strong><br />

préférais avoir affaire à M. Delmas, un vrai boss celui-là, qui nous connaissait tous<br />

par nos prénoms et qui descendait souvent à l’atelier payer son café. Boulard, c’était<br />

tout le contraire. Quand il descendait, c’était pour vérifier qu’il n’y avait pas de<br />

retard dans les expéditions. Entre lui et moi, c’était toujours « bonjour-bon<strong>soir</strong> »,<br />

nous n’étions pas du même monde. Les gars disaient : « Il se la pète. »<br />

Ensuite, Boulard m’a intrigué. Je garde en mémoire sa silhouette immobile, à la<br />

fenêtre de son bureau, le matin de juin où j’étais revenu travailler. Je n’a<strong>vais</strong> pas<br />

aimé la façon dont il m’avait épié, tandis que j’avançais en direction de l’atelier<br />

accompagné de tous les autres. À présent, <strong>je</strong> l’aperce<strong>vais</strong> tous les matins en train de<br />

m’observer depuis la fenêtre de son bureau, mais il reculait quand <strong>je</strong> le<strong>vais</strong> le<br />

regard. Je voyais sa gêne lorsqu’il me croisait aux « expés », et il s’éloignait chaque<br />

fois que j’approchais. J’ai pensé que c’était parce qu’il ne savait pas comment s’y<br />

prendre avec moi, qu’il ne savait pas trouver les mots à dire au père d’un enfant<br />

<strong>assassin</strong>é. Je ne supportais pas la façon dont il m’observait de loin. Durant les<br />

premières semaines, son comportement étrange m’a seulement étonné, mais, petit à<br />

petit, il a fini par m’intriguer, jusqu’au <strong>soir</strong> où <strong>je</strong> l’ai vu s’éloigner dans sa voiture<br />

verte, une Renault Espace. Moi qui inspectais toutes les Renault vertes que <strong>je</strong><br />

repérais, comment ne l’a<strong>vais</strong>-<strong>je</strong> pas vue avant ?<br />

Les gendarmes avaient dit que c’était une voiture verte qui avait renversé mon<br />

fils et, à cet instant, j’ai commencé à avoir des soupçons, à imaginer que c’était<br />

peut-être lui l’<strong>assassin</strong> de mon fils. Le lendemain matin, <strong>je</strong> me suis garé à côté de<br />

son Espace et j’ai aussitôt noté que l’aile droite était neuve, ce qui était facile à voir<br />

car la peinture n’était pas exactement la même. Revenu plus tard pour examiner la<br />

voiture de plus près, j’ai remarqué que le feu avant n’était pas d’origine. Mal fixé, il<br />

avait été remplacé par une main maladroite. Selon les résultats de l’autopsie, mon<br />

fils avait été percuté par l’avant droit d’une voiture.<br />

Le <strong>soir</strong> même, j’ai patiemment attendu que Boulard quitte son bureau et <strong>je</strong> l’ai<br />

suivi. Et ma conviction s’est forgée ce jour-là.<br />

Il est rentré chez lui par la petite route sur laquelle mon fils a été tué et surtout il a<br />

ralenti à la hauteur du lieu de l’accident, comme poussé par un réflexe<br />

incontrôlable. Plus étonnant encore, il a tourné la tête en direction du champ de<br />

maïs. Je l’ai filé plusieurs <strong>soir</strong>s de suite et, à chaque fois, il a pris la même route, a<br />

ralenti à proximité de l’accident, et il a regardé à la recherche de <strong>je</strong> ne sais quoi.<br />

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