Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Les Morin, sont pas restés dîner. Comme je m’y attendais, Jean-Pierre a perdu et
ils nous ont invités « dimanche en huit, avec les Turin », leurs « deuxièmes
meilleurs amis », comme ils disent, croyant sans doute nous faire plaisir. Qu’est-ce
que j’en ai à foutre, moi, de compter comme les « premiers meilleurs amis » des
Morin ? Je connais par avance leur menu : salade d’avocat et de crevettes en entrée,
rosbif et tarte aux pommes. Ensuite, Hervé sortira un petit alcool de derrière les
fagots, et je surprendrai tout le monde (pas seulement ces dames) en acceptant « une
lichette ». Moi qui déteste les alcools forts... « T’as une sacrée gonzesse », dira
Hervé en me servant une bonne dose que je boirai jusqu’à la dernière goutte. Sophie
Morin, elle, ne boit jamais d’alcool, mais elle devrait, ça lui dériderait le cul ! Cellelà
aussi je ne peux plus la voir en peinture. Je dois me rendre à l’évidence : cette vie
à côté de lui m’est désormais insupportable.
Ce soir, nous dînons des restes de gigot devant la télé. Les gosses détestent la
viande froide mais je les préviens qu’ils ont intérêt à finir leur assiette. « Maman a
fait de la mayonnaise », tente Jean-Pierre pour les apaiser. Il n’a pas envie qu’une
aussi belle journée finisse en drame. Il sait que je ne céderai pas. Mais Kévin
s’entête :
– J’aime pas le gigot froid.
– Mange au moins ça, dit Jean-Pierre en coupant son morceau en deux.
Je remets le morceau dans son assiette.
– Non, tu finiras tout, c’est de la bonne viande, dis-je en regardant Jean-Pierre. Il
faut qu’ils apprennent à manger de tout, et demain je ferai un hachis Parmentier.
Je sais qu’ils n’aiment pas ça non plus, mais je ne vais quand même pas jeter
cette bonne viande.
C’est l’avantage d’être une femme au foyer, j’ai du temps pour cuisiner !
Kévin se résigne, imité par son frère et sa sœur.
– Allez, les enfants, courage ! conclut Jean-Pierre.
Il va falloir que je lui rappelle tout à l’heure que les gosses ne font pas la loi à la
maison. Je garde un œil sur eux en grignotant un bout de fromage. Je n’ai pas faim.
– Vous voyez, ce n’est pas si difficile, dis-je après avoir constaté qu’ils ont
terminé leur plat. Maintenant, vous pouvez débarrasser.
Ils filent enfin en prenant une banane. Je crie avant qu’ils ne disparaissent :
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