Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Nous n’avions pas revu Rodriguez depuis le jour des funérailles de son gamin.
Irène nous avait prévenus qu’il devait reprendre le boulot après le week-end de la
Pentecôte :
– Tonio a dit à M. Delmas qu’il avait besoin de bosser. Chez lui, il devient
maboul à force de tourner en rond. Je le comprends, il y a de quoi devenir dingue.
Sa femme est en pleine dépression et la gamine fait pipi au lit. Pauvre gosse.
Irène prétend tout savoir, il ne s’est pas passé un jour sans qu’elle nous en parle.
Cette femme n’a rien dans sa vie, ce deuil est aussi le sien, et elle nous bassine avec,
mais personne, moi le premier, n’a osé lui demander de changer de sujet. Pourtant,
la majorité des gars pense comme moi. C’est évidemment très triste ce qui lui est
arrivé et on ne le souhaite à personne, mais, à la longue, ça devient gonflant.
– Tout le monde a des emmerdes dans la vie, m’a confié Mlle Dupouy, la chef de
la compta. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, monsieur Boulard, mais j’en ai
plein les bottes de l’entendre parler de son Tonio.
– Il faut la comprendre, Noémie, ai-je répondu. Irène s’est toujours inquiétée
pour les autres. C’est un peu notre maman à tous.
– J’ai déjà une maman et elle me suffit bien. Non, cette femme n’est heureuse
que dans le malheur des autres.
– Elle est plus à plaindre qu’à blâmer, ai-je tenté.
En vain. Mlle Dupouy est vraiment remontée contre l’assistante du patron. Et ça
ne date pas d’hier... Ce matin encore, elle m’en sort des vertes et des pas mûres :
« Elle est grosse et moche, elle n’a rien dans sa vie. Derrière sa façade de gentille,
c’est une vraie méchante. » Il faut dire qu’Irène ne l’épargne pas beaucoup. Mettez
côte à côte deux gonzesses, une vieille peau et une jeune plutôt baisable, ça ne peut
faire que des étincelles.
– N’oubliez pas qu’elle a fait courir le bruit que je couchais avec le patron. Moi,
en tout cas, je ne l’oublierai jamais, cette malfaisante !
Ça, personne ne l’a oublié. L’histoire a alimenté les conversations l’an passé,
quand M. Delmas l’a bombardée chef du service compta à vingt-six ans. C’est
certain, il y en avait sûrement de plus qualifiés qu’elle. Elle avait su remuer du cul
au bon moment et Lenoir, à qui le poste était normalement promis, avait
commenté : « Je ne sais pas s’il la nique, mais il s’est bien fait baiser. » Deux mois
plus tard, Lenoir avait été viré. « M. Delmas a parfaitement vu qu’il était nul,
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