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Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

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M. Delmas a loué deux minibus pour l’occasion. Le patron, Irène et moi avons<br />

fait le tra<strong>je</strong>t ensemble dans sa BM noire aux vitres teintées. Elle en a sous le capot,<br />

cette caisse, on le sent rien qu’au bruit du moteur, mais M. Delmas a<br />

scrupuleusement respecté les limitations de vitesse. « Je n’ai plus que trois points »,<br />

m’a-t-il expliqué. C’est tout ce qu’il a dit pendant le tra<strong>je</strong>t, et Irène, d’habitude si<br />

bavarde, est restée silencieuse.<br />

Je crois que M. Delmas a les boules de laisser Gaboriaud en quasi-chômage<br />

technique, mais ce n’est pas le jour pour se plaindre. Tout le monde, à la boîte,<br />

voulait venir mais le patron a choisi vingt gars : les cadres et ceux qui travaillent<br />

directement avec Rodriguez aux expéditions. Les autres ont dû poser une demi-<br />

RTT, ce qui a fait pas mal de mécontents mais il faut comprendre le patron. La boîte<br />

ne pouvait pas fermer tout un mercredi, surtout que, en ce moment, on tourne à<br />

fond. Finalement, presque tout le monde est venu, bravant les recommandations de<br />

M. Delmas. Je pense que, ce jour-là, la boîte a dû perdre plusieurs milliers d’euros,<br />

faute de pouvoir satisfaire la demande, et la production a tourné au ralenti. Plus<br />

grave, pour ne pas avoir été prévenus à temps, plusieurs semi-remorques sont<br />

repartis à vide. Il paraît que ça a pas mal râlé. Il faut comprendre les camionneurs,<br />

obligés de patienter une journée entière sur le parking.<br />

Les funérailles du gamin ont attiré des centaines de personnes et, à l’exception de<br />

M. Delmas, de Loubet, le responsable de Rodriguez aux « expés », et de moi, aucun<br />

des gars n’a pu pénétrer dans l’église. Trois chaises nous étaient réservées au<br />

quatrième rang. J’aurais préféré être à l’extérieur avec les autres, mais le patron a<br />

insisté pour que <strong>je</strong> le suive. J’ai bien fait, avec cette petite pluie, j’aurais attrapé la<br />

crève. Même cette pauvre Irène a dû rester dehors. Elle a quand même réussi à<br />

entrer en profitant de la communion et elle est demeurée debout, à gauche de<br />

l’autel, bien placée pour observer Rodriguez et sa famille. « Il n’avait plus de<br />

larmes, le pauvre garçon », nous racontera-t-elle ensuite, sur le chemin du retour.<br />

Rodriguez a passé toute la cérémonie debout. Il a gardé les bras croisés, le regard<br />

fixé sur le minuscule cercueil de bois blanc couvert de fleurs, comme s’il était<br />

étranger à tout ce qui se déroulait.<br />

– Il n’a pas communié, a noté Irène. Je me demande si on peut encore croire au<br />

Seigneur après tout ça, a-t-elle ajouté.<br />

Elle nous a soûlés pendant toute la route. On a eu droit au couplet sur la petite qui<br />

« paraissait si perdue », sur la femme de « ce malheureux Tonio qui a hurlé sa<br />

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