26.03.2018 Views

Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

perdre son gosse ? » Pourtant, ces choses devraient être d’autant plus faciles à<br />

supporter quand on n’en a pas soi-même. <strong>Ce</strong> doit être le drame de la vie de cette<br />

femme, ai-<strong>je</strong> souvent pensé, quand elle me demande régulièrement des nouvelles de<br />

mes enfants.<br />

– Il a pris vingt ans, ce pauvre Tonio. Il est si malheureux. M. Delmas en est tout<br />

retourné lui aussi.<br />

Nous attendons des détails, mais soudain cette forte femme (dans tous les sens du<br />

terme !) éclate en sanglots devant nous. Il faut dire que toute la boîte a été frappée<br />

par l’accident du petit Victor, le fils de Rodriguez. Depuis qu’ils ont appris la<br />

nouvelle en fin de matinée, les gars ne parlent que de ça, au point qu’on a pris du<br />

retard sur plusieurs commandes. Le <strong>je</strong>udi est un jour particulièrement chargé aux<br />

expéditions. C’est pour cela que j’étais descendu sur le coup de 16 heures, histoire<br />

de les secouer. J’allais devoir embaucher un intérimaire pour remplacer Rodriguez.<br />

<strong>Ce</strong>t Antonio Rodriguez, <strong>je</strong> le connais à peine, il est dans la boîte depuis cinq ans<br />

et il conduit les transpalettes. Comme la plupart de ses collègues des « expés »,<br />

c’est bonjour-bon<strong>soir</strong> quand on se croise. Je n’ai pas de raison de lui parler. Qu’estce<br />

que nous pourrions nous raconter ? Nos vies sont si éloignées. Et surtout, quand<br />

on est un cadre qui veut se faire respecter, il faut savoir garder ses distances avec le<br />

personnel, sans cependant lui donner l’impression qu’on l’ignore. Pas de familiarité<br />

ni de paternalisme. C’est ce qu’on m’a enseigné dans les séminaires de management<br />

auxquels M. Delmas m’a inscrit. J’ai demandé à Irène de me passer son dossier. Sa<br />

situation de famille (marié avec une certaine Sylvia, deux enfants – un seul<br />

désormais, une fille prénommée Priscilla), son CV, épais comme une feuille de<br />

cigarette (un CAP de cariste...), et son salaire actuel (1 482 euros net par mois). Au<br />

moins, la disparition de son fils lui fera faire des économies ! Non, c’est pas sympa<br />

de penser ça, <strong>je</strong> retire ce que <strong>je</strong> viens d’écrire...<br />

Aucun de nous ne sait comment réagir face aux sanglots de Mlle Irène. Nous<br />

nous attendions si peu à la voir craquer... Elle est d’habitude très maîtresse d’ellemême.<br />

Aussi, nous patientons sans prononcer un mot, attendant qu’elle reprenne ses<br />

esprits. Seul Guiraud parvient à rompre le silence pesant :<br />

– C’est affreux ce qui lui arrive à ce pauvre Tonio. Perdre un gosse, y a rien de<br />

pire. Surtout que le salopard a filé en abandonnant le gamin. Putain, <strong>je</strong> ne voudrais<br />

pas être à sa place, il doit en baver, le malheureux.<br />

– D’après ce qu’il a dit à M. Delmas, le petit n’est pas mort sur le coup, a ajouté<br />

Irène, de nouveau maîtresse d’elle-même.<br />

– L’enculé ! a repris Guiraud.<br />

17

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!