Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

personne ne m’a vu, et je ne risque rien. Ce n’est qu’un incident, une mauvaise
parenthèse à oublier très vite. La curiosité m’a poussé sur cette route et je le regrette
déjà : bloqué derrière une Ford Taurus, je sens, pour la première fois, la peur
m’envahir petit à petit.
À une centaine de mètres, les gendarmes ont mis en place une circulation
alternée. Alors que je m’engage, l’un d’eux me fait signe de m’arrêter. Je suis en
première ligne mais, par chance, l’homme ne se retourne pas, il fait des gestes de la
main pour inciter les automobilistes d’en face à se dépêcher. Soudain, je réalise que
ma voiture porte les traces de l’accident. Putain, il ne manquerait plus que je me
fasse choper maintenant ! Je tente de me raisonner mais l’angoisse s’empare de moi,
incontrôlable. Quel imbécile j’ai été de ne pas faire demi-tour plus tôt ! Pourquoi
n’ai-je pas tourné tout à l’heure au lieu de me foutre dans les embouteillages ? La
curiosité m’a poussé sur cette route, je voulais voir si le gamin était toujours là,
mais l’embouteillage aurait dû m’alerter et, au lieu de cela, j’ai continué. Je
commence à transpirer. Et ce con qui ne me fait toujours pas signe de passer ! La
circulation en face est enfin arrêtée, la voie est libre mais le gendarme nous retient
toujours. Il se tourne vers moi, regarde l’avant de la voiture et s’approche, puis me
fait signe de baisser la vitre :
– Vous savez que votre feu avant droit est fendu ? Il fonctionne au moins ?
– Oui, oui. Il faut que je le change.
– Faites voir, allumez les phares, s’il vous plaît.
Je m’exécute. Pourvu qu’ils marchent... sinon, je suis bon. Je tente de faire
diversion :
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Un gamin a été renversé hier soir.
Il recule pour examiner mes feux. Je n’ose pas demander si le gamin est toujours
en vie.
– Les veilleuses, maintenant.
Putain, ce n’est pas possible, je vais me faire gauler. Derrière, dans la file, des
impatients klaxonnent mais il a l’air de s’en moquer. Il prend tout son temps. Enfin,
il m’adresse un petit geste de la main :
– C’est bon, vous pouvez y aller.
Quand je passe à sa hauteur, il donne un petit coup sur le toit :
– N’oubliez pas de le changer. Vous avez de la chance qu’on ait d’autres chats à
13