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Depuis, le souvenir du visage du lieutenant ne m’a pas quittée, ni l’angoisse qui<br />
me tord le ventre. Pourtant, j’ai gardé cette douleur pour moi, sans essayer d’en<br />
parler à Antonio. Il est tellement persuadé de la culpabilité de Demay qu’il ne<br />
comprendrait pas mes doutes et qu’il refuserait de les entendre. Il serait si<br />
malheureux ! <strong>Ce</strong>tte vengeance n’est pas la sienne, mais la nôtre. Au début, j’a<strong>vais</strong><br />
compris qu’il n’allait agir que pour moi, à cause de la promesse que <strong>je</strong> lui a<strong>vais</strong><br />
arrachée. Aujourd’hui, mon Antonio pense qu’il va <strong>tuer</strong> Demay pour nous deux.<br />
Aurai-<strong>je</strong> la force de lui faire partager mes doutes ? de lui dire que cette vengeance,<br />
<strong>je</strong> n’en veux plus ?<br />
Il est rentré de bonne heure, et, comme tous les <strong>soir</strong>s, il est ressorti. Je sais qu’il<br />
va sur le lieu où Victor est mort et qu’il lui parle. Lui a-t-il dit qu’il allait le venger<br />
cette nuit et respecter la promesse qu’il m’avait faite ? Toute la journée, j’ai hésité à<br />
retourner à la gendarmerie dans l’espoir que le lieutenant apaise mes doutes, mais<br />
j’y ai renoncé. Son regard désolé m’obsède encore. Je n’ai que le temps d’ouvrir les<br />
volets pour voir disparaître la voiture au coin de la rue. Antonio était si grave, ce<br />
<strong>soir</strong>, il a embrassé très fort sa fille après le dîner, il m’a regardée intensément à<br />
plusieurs reprises, et j’ai compris que c’était pour ce <strong>soir</strong>.<br />
J’aurais dû cacher le fusil, essayer de le convaincre de renoncer, lui demander de<br />
patienter jusqu’au procès. J’aurais pu le supplier au nom de notre amour, pour notre<br />
avenir et celui de notre fille. Mais j’ai compris que seule la vengeance pouvait le<br />
sauver, nous sauver. Alors j’ai fait semblant de m’endormir comme chaque <strong>soir</strong> et <strong>je</strong><br />
l’ai laissé partir.<br />
<strong>Ce</strong>t homme, <strong>je</strong> l’aime plus que tout. Il faut que <strong>je</strong> le sauve, que <strong>je</strong> lui dise que <strong>je</strong><br />
l’aime, que <strong>je</strong> suis à ses côtés et qu’il n’est pas seul. Je passe rapidement au salon et<br />
<strong>je</strong> m’assieds près du téléphone. Combien de temps suis-<strong>je</strong> restée ainsi, ne pensant<br />
qu’à lui, avant de composer enfin son numéro ? Pourvu qu’il réponde.<br />
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