Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

d’incrédulité et de rage froide. Qu’est-ce qu’elle doit me détester, maintenant ! Je
vois qu’elle se retient d’exploser et elle me demande d’une voix la plus neutre
possible :
– Qu’est-ce que tu as bien pu lui raconter ?
Je hausse les épaules d’un geste las, calculé, car je sais que ça l’agacera encore
plus.
– Que veux-tu que je lui dise ? Que je comprenais ce qu’il ressentait. Il a fondu
en larmes, le pauvre diable, et s’est jeté dans mes bras. Je ne te dis pas à quel point
j’étais gêné. Je le connais à peine, moi, ce Rodriguez. Alors je l’ai consolé comme
j’ai pu.
J’ajoute, hochant la tête d’un air dépité :
– Je crois qu’il est perdu, totalement déboussolé. Il avait besoin qu’on l’écoute, et
il m’a choisi comme confident. Ne me demande pas pourquoi c’est moi, je n’en sais
fichtrement rien. Surtout que, avant le décès de son fils, je connaissais à peine son
existence. Tu sais que je refuse de frayer avec les ouvriers. Quand on est chef, il
faut savoir tenir ses distances.
Je sais à quel point ça l’irrite quand je dis ça, alors j’en profite pour m’offrir un
dernier petit triomphe :
– Comme quoi, les drames peuvent réunir les hommes.
Là, elle a pris un bon coup derrière le museau et elle ne peut que murmurer :
– Mais c’est dégueulasse.
Je m’insurge :
– Dégueulasse ? alors que j’ai essayé de l’aider de mon mieux ! Franchement, je
ne te comprends pas, Christine. Tu devrais me féliciter plutôt !
Elle ose dire : « Tu sais bien de quoi je parle », mais je continue comme si de rien
n’était, avec ce petit mensonge :
– Il m’a fait jurer de ne pas le dire mais, à toi, je peux bien le raconter.
Elle explose comme je m’y attendais. Aussi j’insiste, histoire de la voir transpirer
encore plus, car elle bave de curiosité, cette salope.
– Il faut que tu me jures de ne le répéter à personne.
– Qu’est-ce que tu veux que je jure, Jean-Pierre ?
– Sur la tête des gosses !
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