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Ce soir je vais tuer l'assassin - Jacques Expert

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J’ai trouvé sans difficulté la cité des Alouettes, de longs bâtiments gris de cinq<br />

étages. Les enfants jouent entre les voitures et ne s’intéressent pas à moi. Je monte<br />

jusqu’au troisième, où les noms de Demay et Lartigue sont épinglés à côté de la<br />

sonnette. En descendant, <strong>je</strong> croise une grosse femme rousse, portant dans son panier<br />

trois bouteilles de vin rouge. Elle me dépasse sans me prêter attention. Je m’arrête<br />

entre le premier et le deuxième étage pour écouter, et j’entends le bruit d’un<br />

trousseau de clefs, puis une voix d’homme qui gueule : « C’est maintenant que tu<br />

rentres ? » La femme répond : « Je t’emmerde », et la porte claque.<br />

Avec la nuit, les gamins qui jouaient au football ont disparu. Je déplace la voiture<br />

pour me garer en face de leurs fenêtres sans rideaux et <strong>je</strong> baisse la vitre. Ils sont<br />

attablés dans la cuisine, en train de vider une première bouteille de vin. Je les vois<br />

s’engueuler, ils se font face et se hurlent dessus. Ils crient si fort que <strong>je</strong> peux<br />

entendre leur querelle d’ivrognes. Un <strong>je</strong>une, d’une quinzaine d’années, pénètre dans<br />

la pièce et les sépare. La femme se rassied tandis que Demay s’éloigne en titubant.<br />

Je vois le gamin lui faire dans le dos un doigt d’honneur et la femme applaudir. Son<br />

fils tente de ranger la bouteille dans le frigo mais, dès qu’il est sorti, elle se lève,<br />

allume la télé et termine la bouteille au goulot avant de la <strong>je</strong>ter dans le vide-ordures.<br />

Enfin Demay apparaît dans le faible halo de lumière jaunâtre qui éclaire l’entrée<br />

C. Il hésite à prendre à droite ou à gauche, puis se décide enfin. Il est aussi pitoyable<br />

que le jour où <strong>je</strong> l’ai vu à la gendarmerie, il porte le même jogging vert sous une<br />

parka grise. La femme rousse apparaît à la fenêtre et crie :<br />

– Tu vas où ?<br />

Il ne répond pas et s’éloigne sans se retourner.<br />

– T’auras rien à bouffer, connard ! hurle-t-elle.<br />

Il passe à ma hauteur et murmure pour lui-même : « Je t’emmerde, connasse. » Il<br />

est si près de moi que <strong>je</strong> peux lire les lettres N et Y sur sa casquette. Je pourrais le<br />

<strong>tuer</strong> maintenant à coups de poing ou l’étrangler de mes mains, mais il est dans un tel<br />

état qu’il ne comprendrait pas. Non, <strong>je</strong> le veux suppliant au bout de mon arme, <strong>je</strong><br />

veux qu’il sache qu’il va crever, et pourquoi. Alors <strong>je</strong> me contente de le suivre à<br />

distance dans les rues mal éclairées.<br />

Il hésite à entrer dans le premier café et regarde à l’intérieur. Le patron l’a aperçu<br />

et lui fait signe qu’il ne veut pas de lui. Il crache au sol et poursuit sa route,<br />

marchant ainsi pendant plus d’un kilomètre, jusqu’à un pauvre rade, Le Méchoui,<br />

où des Arabes jouent aux dés en buvant du pastis. Je l’observe avaler d’un trait un<br />

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