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La Volvo break blanche de Rodriguez apparaît dans la lueur de mes phares et <strong>je</strong><br />
me gare derrière lui, sur le côté. J’aperçois sa longue silhouette tournée en direction<br />
du champ, plongé dans la brume du <strong>soir</strong>, où son fils a été découvert. C’était il y a<br />
presque un an. Il m’attend, se retourne et se dirige vers moi avec une détermination<br />
que <strong>je</strong> trouve étrange et qui m’inquiète. J’essaie de lire l’expression de son regard,<br />
mais <strong>je</strong> ne parviens pas à deviner ses intentions. Je frissonne à l’idée qu’il ait<br />
découvert la vérité et qu’il m’abatte maintenant, à l’endroit où son fils est mort. Une<br />
pensée m’obsède en le regardant approcher : il ne faut pas que <strong>je</strong> transpire.<br />
<strong>Ce</strong> matin, comme tous les jours, <strong>je</strong> l’ai suivi des yeux depuis la fenêtre du bureau<br />
alors qu’il arrivait. D’ordinaire, nous échangeons un petit signe, parfois un rapide<br />
sourire, mais aujourd’hui il m’a seulement fixé du regard, il n’a pas répondu à mon<br />
geste. J’ai ressenti un malaise, tant son attitude m’a paru étrange. Aussi, tandis qu’il<br />
s’approche de la voiture d’un pas déterminé, <strong>je</strong> me demande si la libération et les<br />
revirements de ce minable de Demay ne lui auraient pas ouvert les yeux. Par<br />
précaution, <strong>je</strong> garde le moteur allumé, mais <strong>je</strong> réalise que <strong>je</strong> me suis garé trop près<br />
pour m’enfuir si, par malheur, <strong>je</strong> le vois sortir une arme. J’enclenche la marche<br />
arrière, prêt à m’échapper. Je n’ai en tête que la promesse qu’il a faite à sa femme,<br />
et <strong>je</strong> sens déjà la sueur perler sur mon front.<br />
Rodriguez ouvre la porte et s’installe à côté de moi. Il est trop tard pour que <strong>je</strong><br />
tente quoi que ce soit. Je nierai, <strong>je</strong> le supplierai s’il le faut, mais <strong>je</strong> ne crèverai pas<br />
ici, pas ce <strong>soir</strong>. Il dit simplement :<br />
– Merci de vous être arrêté, monsieur Boulard.<br />
Pourvu qu’il ne voie pas sur mon front la transpiration que <strong>je</strong> n’ai pas eu le temps<br />
d’essuyer. En moi-même, <strong>je</strong> répète : « Maîtrise-toi. Surtout, ne montre rien. » Mais<br />
comment résister à une angoisse qui monte ?<br />
Rodriguez m’a appelé peu après Christine. Il souhaitait me parler et <strong>je</strong> lui ai<br />
proposé de passer à mon bureau, mais il a refusé :<br />
– Je préfère qu’on se voie là où nous nous sommes parlé la dernière fois. À<br />
l’endroit où mon fils a été tué.<br />
– Je ne me souviens plus très bien, ai-<strong>je</strong> encore tenté pour l’inciter à monter.<br />
Il a pris le temps de m’expliquer le lieu de notre rendez-vous. J’ai essayé de lui<br />
dire que j’a<strong>vais</strong> encore pas mal de travail mais il a insisté :<br />
– Venez, s’il vous plaît.<br />
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