Surf Session 2017

RIPCURL.COM

Matt Wilkinson

FIND...
SPEED
BALANCE
surffcs.eu

CONTROL
POWER
ESSENTIAL
SERIES
RE-ENGINEERED CARBON FOR A SMOOTHER FEEL

SOMMAIRE
COLLECTOR 2017
42
TRIP / THE SNAKE
26
SURF & STYLE
14
CONTRIBUTEURS
20
FRAME
50
TRIP / BELHARRA
32
TRIP / SÉNÉGAL
59
GALERIE I
78
88
PEOPLE / D’ICI ET D’AILLEURS INTERVIEW / ROB MACHADO
10

H Entreprise RCS Nanterre 414842062
* La bière Desperados Lime contient dans sa recette des arômes de citron vert qui lui apportent toute sa fraîcheur. Née rafraîchissante.
L ’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N .

SURF SESSION
Bâtiment Olatu Leku
100 avenue de l’Adour
64 600 Anglet
Tél. 05 59 41 70 00
contact@surfsession.com
PROPRIÉTAIRE
Bruno Ledoux Holding Media SARL
SOMMAIRE
COLLECTOR 2017
GÉRANT
Benjamin Gufflet
DIRECTEUR
DE LA PUBLICATION
Benjamin Gufflet
RÉDACTEUR EN CHEF MAG
Baptiste Levrier
baptiste@surfsession.com
RÉDACTEUR EN CHEF WEB
Romain Ferrand
romain@surfsession.com
RÉDACTION
Camille Le Saux
redacweb@surfsession.com
DIRECTEUR ARTISTIQUE
Emmanuel Batifoulier
ebatifoulier@osr-groupe.com
102
DOSSIER / SURFEURS COLLECTIONNEURS
112
TRIP / INDO PALS
GRAPHISTE
Jeanne Beuvin
Matteo Zanni
PUBLICITE
Luc Domenjo
luc@surfsession.com
Audrey Dumergue
pub@surfsession.com
MARKETING
Alex Charre
marketing@surfsession.com
PHOTOGRAVURE
Profilkolor / Anglet
profilkolor64@orange.fr
IMPRESSION
Ganboa / Espagne
Issue de forêts gérées durablement
et de sources contrôlées
Poligono Borda-berri, 2,
20140 Andoain, Gipuzkoa, Espagne
COMPTABILITE
Nadine Gibaud
nadine@surfsession.com
DIFFUSION
Gestion des ventes au numéro
Agence BOCONSEIL
Analyse-Média-Etude
Direction Otto Borscha
Réglage des ventes : Hindeley Mattard
oborscha@boconseilame.fr
Tel : 0967320934 (réservé aux marchands
de journaux)
COLLABORATEUR
Sylvain Cazenave, Tim Mc Kenna, Joli, Jeff
Divine, Éric Chauché, Antony “Yep” Colas,
Yannick Le Toquin, Greg Rabejac, Yves
Sobanski, Laurent Masurel,
Damien Poullenot, Ronan Gladu, Bernard
Testemale, Bastien Bonnarme, Ben
Thouard, Laurent Pujol, Bertrand Portrat,
Pascal Dunoyer, Olivier Dezèque,
Elisa Routa, Kevin Métallier, David Bianic,
Julie Pollet, Renaud Masson, Antoine
Justes, Guillaume Arrieta, Robin Guyonnet,
Xavier Huart, Olivier Servaire.
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Stéphane Bécret, Paul Crétinon, Stevie Poterlot,
Greg Ewing, Will Bendix, Rob Stacy, Julien
Roubinet, Laurent Nevarez, Jordane Devos,
Yohann Peche, John Respondek, Thomas
Lodin, Manu Miguelez, Martin Viezzer, Thomas
Deregnieaux, Sébastien Chebassier,
Hector Paturau.
122
TRIP / IRLANDE XXL
131
GALERIE II
150
LOCAL / EN RETRAIT
168
STORY / SÃO TOMÉ
176 172
NEXT
STORY / SAINT BRANDON
ABONNEMENTS/BOUTIQUE
ABOMARQUE - 05.34.56.35.60
SURF SESSION
CS 63656
31036 TOULOUSE CEDEX 1
SURF SESSION SARL
B 339 862 872 00035
Capital de 37 180
Fondateurs : Pierre Bernard Gascogne,
Gibus de Soultrait
Commission paritaire : 0621 K 88161
ISSN : 0767.7987
12
Dépôt légal : à parution

* Desperados Red est née d’une recette aromatisée Tequila Guarana Cachaça qui lui confère son goût intense. Née intense.
L ’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N .

CONTRIBUTEURS
BASTIEN BONNARME
PHOTOGRAPHE
GREG RABEJAC
PHOTOGRAPHE
SYLVAIN CAZENAVE
PHOTOGRAPHE
ELISA ROUTA
JOURNALISTE
KÉVIN MÉTALLIER
PHOTOGRAPHE
GUILLAUME ARRIETA
PHOTOGRAPHE
DAMIEN POULLENOT
PHOTOGRAPHE
OLIVIER DEZÈQUE
JOURNALISTE
14

*Nouveau : Desperados Mojito est née d’une recette créative alliant une bière aromatisée Tequila à des arômes de menthe et de citron vert. Née créative.
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CONTRIBUTEURS
RONAN GLADU
PHOTOGRAPHE
LAURENT MASUREL
PHOTOGRAPHE
ANTOINE JUSTES
PHOTOGRAPHE
ERWAN SIMON
SURFEUR-EXPLORATEUR
ERICK GARCIA
PHOTOGRAVEUR
GREG EWING
PHOTOGRAPHE
BEN THOUARD
PHOTOGRAPHE
MARTIN VIEZZER
PHOTOGRAPHE
16

ÉDITO
© THOUARD
UN NOUVEL ÉCLAIRAGE
Pour la troisième année consécutive, Surf Session vous propose son hors-série Collector pour
célébrer toute la puissance visuelle du surf. Les pages qui suivent sont non seulement une
invitation à parcourir une sélection pointue de reportages mais surtout une formidable
excuse pour plonger, le format aidant, dans ce que le surf nous a dernièrement proposé de
plus esthétique et enrichissant, les deux se confondant parfois. Il est question de voyages,
bien sûr, de vagues exceptionnelles et de gens qui le sont tout autant. Cet ouvrage est aussi l’occasion
pour nous de donner plus de sens à certains sujets publiés précédemment et qui méritent, grâce à leur
juxtaposition avec d’autres articles, d’être vus à la faveur d’un nouvel éclairage. Car faire un magazine,
ce n’est pas seulement compiler chaque mois ce que les plus belles sessions veulent bien nous offrir,
mais plutôt construire sur la durée un regard que l’on tente de rendre cohérent. Respirez un grand coup,
immergez-vous et bonne lecture !
PHOTO DE COUVERTURE
BEN THOUARD
baptiste levrier
18

HYPERFREAK X JORDY
140% Hyperstretch. O’Neill Hyperdry. Made to move.

FRAME
SURFACE
TAHITI
BEN THOUARD
Dessus, dessous, à l’endroit ou à
l’envers, si on se demande comment
appréhender cette photo, on peut
surtout se contenter de l’admirer.
Pour se dire que l’élément au cœur duquel nous
évoluons tout au long de l’année ne cessera
jamais de nous éblouir. Et qu’il est toujours
possible de porter un regard neuf sur ce que l’on
croit avoir vu et revu, même si ça demande un
petit effort supplémentaire, ou, comme ici, une
grosse dose de talent.

FRAME
SECRET SPOT
MÉDITERRANÉE
ÉRIC CHAUCHÉ

Au fil des milliers de criques et des baies
qui découpent la mer Méditerranée,
quelques pépites existent. Celles bien
orientées qui permettent aux houles de
longer leur profil pour le plus grand bonheur de
surfeurs sur le qui-vive. Pour ne pas en rater une
miette, certains s’offrent même le luxe de vivre
pile en face, le meilleur moyen de contrer la foule
en étant le premier à l’eau ou de surgir du transat
quand l’horizon s’éclaircit.

FRAME
BRUNO
SANTOS
TEAHUPO’O
DAMIEN POULLENOT
Il est souvent recommandé aux surfeurs de
revêtir des fringues clinquantes ou d’opter
pour des boards colorées histoire de se faire
remarquer dans l’eau. On pense en revanche
rarement à l’intérêt de chausser des dérives
fluos dans l’idée de faire une bonne photo... Il
faut avouer que les fins ne sont que rarement
l’élément central d’une photo de surf mais, quand
l’occasion se présente, on obtient une image aussi
esthétique que riche d’enseignements techniques.

SURF & STYLE
FAUT-IL RAMER
S’ASSEOIR À
L’INTÉRIEUR D’UN
TYPE QUI VIENT
DE S’ASSEOIR À
L’INTÉRIEUR ?
Il est de
bonne guerre
d’enjoliver la
session du matin
quand tes potes
n’ont pas réussi
à se lever.
SURFE-T-ON
VRAIMENT DES
VAGUES OVERHEAD
QUAND ON MESURE
1 M 50 ?
Pef64 avoue :
« UNE FOIS, J’AI
EMMENÉ MA COPINE
DANS DES VAGUES
TROP GROSSES POUR
ELLE POUR QU’ELLE
FLIPPE UN PEU ET
QUE JE PUISSE ALLER
SURFER TRANQUILLE
LA PROCHAINE FOIS... »
Mieux vaut
oublier de
mettre de la wax
que de la crème
solaire.
Non,
même quand c’est
parfait et qu’on ne
trouve pas de place,
on ne se gare pas
sur les emplacements
handicapés pour
aller surfer.
CE N’EST PAS PARCE
QU’ON EST POTE QUE
J’AI ENVIE DE TE
PRÊTER MA COMBI.
À CHAQUE FOIS QUE VOUS
APPELEZ VOTRE SHAPER
POUR AVOIR VOTRE
PLANCHE PLUS VITE,
LA LIVRAISON EST
RETARDÉE DE 48 H.
Déposer son
enfant à
7 h du mat’
à l’école pour
choper la bonne
marée n’est pas
recommandé.
QUEL QUE SOIT
VOTRE DIEU,
IL NE VOUS
EN VOUDRA
PAS SI VOUS
L’OUBLIEZ POUR
UNE BONNE
SESSION.
Guillôme se confesse :
« J’ARRIVE RÉGULIÈREMENT
EN RETARD AU BOULOT À
CAUSE DU SURF ET J’INVOQUE
TOUT LE TEMPS DES SOUCIS DE
VOITURE... D’AUTRES ALIBIS ? »
1. Mon chat était coincé dans sa
chatière.
2. Un début d’incendie dans mon
grille-pain.
3. J’ai raté le changement
d’heure.
SOYEZ TOUJOURS
PLUS HEUREUX EN
SORTANT DE L’EAU
QU’EN Y ENTRANT.
26

SURF & STYLE
A-t-on le
droit d’utiliser
une planche
américaine sur
un spot nord
coréen ?
AU PIC, RACONTER
DES HISTOIRES
DRÔLES NE DÉTEND
PAS FORCÉMENT
L’ATMOSPHÈRE.
Si tu surfes avec
ton boss, le
meilleur moment
pour demander
une augmentation
est quand il est nu
sur le parking.
Oui, vous
pouvez insulter
les propriétaires
de chiens qui
souillent les
plages.
88 %
DES SURFEURS
NE SAVENT PAS
VRAIMENT QUELLE
TAILLE ÇA FAIT 5’11.
POUSSER UN GAMIN
DANS UNE MOUSSE, C’EST
PRENDRE LE RISQUE DE LE
VOIR SURFER MIEUX QUE
TOI DANS CINQ ANS.
PRÉFÉREZ-VOUS ENTENDRE
« JE T’AI VU MAIS J’AVAIS PAS
ENVIE DE TE LA LAISSER » OU
« JE SUIS VRAIMENT TROP
DÉSOLÉ » APRÈS AVOIR PRIS
UNE GROSSE BRAQUE ?
UNE HEURE
DE CLASSE
=
12 VAGUES SURFÉES
DANS TA TÊTE.
PENSER À VOTRE
PROCHAINE SESSION
AU LIEU DE PRÉPARER UNE
RÉUNION DE TRAVAIL
N’EST PAS RÉPRÉHENSIBLE
PAR LA LOI.
Sauver un
baigneur de
la noyade est
récompensé
par 36 vagues
vierges.
IL N’EST PAS BON
DE CONFONDRE
SON POTE QUI
BOSSE DANS UN
SURF-SHOP AVEC
UN SURF-SHOP.
« Je voudrais avoir du
drive mais garder du
flex malgré un rake
prononcé ».
Ne faites pas semblant
de savoir comment
fonctionnent
les dérives.
28

DAILY
WORK
WEAR
O N Y X S E L E C T
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TRIPS
32
SÉNÉGAL : LA JUSTE TRAJECTOIRE
Récit de Stéphane Bécret,
photos de Bastien Bonnarme
42
THE SNAKE :
CECI N’EST PAS UNE PISCINE À VAGUE
Par l’équipe du Search et Mick Fanning
50
LA SENSATION BELHARRA
31

TRIPS
LA JUSTE
TRAJECTOIRE
MARC LACOMARE, JUSTIN BÉCRET ET SAM PITER ONT EMBARQUÉS PRÉCIPITAMMENT, LE
TEMPS D’UN SWELL, POUR UN SURF-TRIP HAUT EN COULEUR. LEUR POINT COMMUN :
ÊTRE OU AVOIR ÉTÉ DÈS LEUR PLUS JEUNE ÂGE ENTRAINÉS PAR DIDIER PITER, PRÉSENT LORS
DE CE VOYAGE ET NATIF DU SÉNÉGAL, QUI LEUR A TRANSMIS
LA SCIENCE DES TRAJECTOIRES AJUSTÉES.
RÉCIT DE STÉPHANE BÉCRET, PHOTOS DE BASTIEN BONNARME
30

31

Le surf de Marc Lacomare aura suscité beaucoup d’intérêt chez les
jeunes. Une source d’inspiration et une motivation pour progresser.
Il est tard et, en ce mois de juin, le ramadan bat son plein.
Les minarets répandent leurs prêches sans relâche toute
la nuit durant. Seul Marc n’est jamais venu au Sénégal
alors que Justin en est à son troisième passage et Sam
à son second. Pour Didier, c’est un retour aux sources,
lui qui a vécu ici jusqu’à ses 18 ans. C’est un enfant du
pays, encore reconnu à tous les coins de rue. Il reste dans la
mémoire de ceux qui se souviennent de cette tête blonde jouant
dans l’océan comme personne, accompagné de son ami d’enfance
Philippe Malvaux. « Là-bas, Didier c’est le patron », témoigne
Justin alors que l’équipe est accueillie par une autre légende
locale Oumar Seye. « J’étais déjà parti avec Sam et Justin il y a
deux ans », se souvient Didier. « Ce coup-ci, Marc s’est joint à nous
car il voulait que je le vois surfer avec ses nouvelles planches. » Sous
les meilleurs auspices, le voyage peut donc commencer.
À cette époque, les houles de sud balayent les côtes d’Afrique
de l’Ouest. L’eau y est à une vingtaine de degrés, le vent souffle
généralement nord-ouest, donnant un vent cross/offshore sur la
côte exposée. Le ciel porte souvent un voile fin et blanc puis finit
par se dégager pour laisser place à un bleu orphelin et au soleil
puissant d’Afrique.
LA LOCOMOTIVE
La côte des Almadies offre les conditions de surf les plus favorables.
En face de l’établissement d’Oumar, les droites et les
gauches du Vivier constituent un véritable Wavegarden tapissé
d’oursins. « Il y a en a partout », confirme Justin, « mais ça va,
j’ai de la chance jusqu’à présent, pas d’accident à signaler ». Les
32

MARC IMPOSE SON SURF PUISSANT ET AÉRIEN, SOURCE DE MOTIVATION
POUR SAM ET JUSTIN, QUI TENTENT DE L’IMITER DANS UNE AMBIANCE
BON ENFANT OÙ LE JEU SE MÊLE AU DÉFI.
trois surfeurs français enchaînent les sessions sur ces vagues leur
proposant des rampes idéales. Didier : « Au Sénégal, on trouve de
bonnes vagues pour progresser. Certaines assez tranquille et d’autres
vagues plus creuses comme Ouakam où il ne faut pas perdre de temps.
Il y a quelque chose à apprendre sur chaque spot ». Marc impose
son surf puissant et aérien, source de motivation pour Sam et
Justin, qui tentent de l’imiter dans une ambiance bon enfant où le
jeu se mêle au défi. Didier : « Marc était la référence pour les jeunes
sur ce trip. Il a déplacé le curseur de l’engagement, envoyé des airs
très haut, mis de grosses manœuvres. Il y avait une super ambiance
entre eux ». Et l’expérimenté surfeur landais fait profiter les aspirants
pros de ses conseils : « Marc, je ne le connaissais pas trop
avant ce trip alors que Sam, c’est mon pote, je surfe tout le temps avec
lui », détaille Justin. « Marc est super sympa et c’était bien d’avoir
un mec qui fracasse avec nous. On a fait quelques petites séries pour
s’amuser et il gagnait tout le temps, sauf quand il faisait des interférences
! ». Impressionnant également, le local Sherriff Fall dont la
connaissance impeccable du spot et le surf engagé ont marqué.
Sans nul doute le successeur d’Oumar, qui accompagne d’ailleurs
la carrière de ce jeune prometteur. Mais, parmi tous, Didier
reste le prince de Vivier gauche où il répète ses gammes d’antan.
Comme un héritage, Sam confie lui aussi trouver cette gauche
bien à son goût : « C’est ma vague préférée ici. Ça ouvre bien et
on peut mettre des airs. On a eu une super session à marée haute
avec plein de sections ». Justin, seul regular du trip, n’en est pas
moins inspiré : « Vivier gauche, c’est parfait pour travailler son surf
backside. Il faut enchaîner sans perdre de temps. Alors que sur les
droites, j’ai pu bosser les airs. Ça commence à passer de mieux en
33

Sam dépose cet off-the-lip là-même où son père a fait ses armes.
Déjà tout en contrôle.
DIDIER : « ILS ONT EN COMMUN UNE BONNE LECTURE DE VAGUE, DE
BONNES TRAJECTOIRES, DE BONS BOTTOM-TURNS. CE SONT DES CHOSES
SUR LESQUELLES J’INSISTE BEAUCOUP ».
mieux. » Toujours l’œil avisé, Didier garde un regard technique
sur ces trois surfeurs qu’il a coaché ou coache encore : « Ils ont en
commun une bonne lecture de vague, de bonnes trajectoires, de bons
bottom-turns. Ce sont des choses sur lesquelles j’insiste beaucoup ».
Si chacun développe ensuite ses qualités propres, les bases d’un
surf complet sont là.
CHALLENGE AU PIC
Le surf abouti que Marc exporte depuis des années sur le circuit
mondial constitue un modèle pour les deux jeunes surfeurs, déjà
bien solides pour leur âge. « Justin est très engagé. On sent qu’il a
eu un déclic, autant physique que dans la tête », analyse Didier. « Il
a pris du volume et a pris conscience de son potentiel. C’est un surfeur
déjà très complet, qui sait surfer sur le rail et rentre maintenant des
airs avec un bon pourcentage de réussite. » Quant à son fils Sam, il
déploie, du haut de ses 12 ans, un surf précis : « Il a une approche
chirurgicale. Sam est très léger donc il peut subir sur certaines vagues
mais les autres l’ont poussé. Il a même tenté des airs au Vivier sur des
sections critiques ». Mais un trip au Sénégal ne se résume pas qu’à
des considérations techniques. L’ambiance locale a une fois de
plus fait son effet sur les surfeurs de passage. « Il y a toujours une
super ambiance sur place », confirme en connaisseur Didier. « Les
gens sont heureux, vivent au jour le jour. À l’eau, l’ambiance est top et
les locaux toujours accueillants. » Mêmes impressions chez Justin :
« Les locaux sont hyper-cools. Tous les spots sont biens et en plus il n’y
a quasiment personne à l’eau ». De son côté, Sam vante la gentillesse
des sénégalais : « J’ai plein de copains ici et en plus les surfeurs
locaux laissent des vagues ! C’est pas comme dans les Landes... ».
34

Quelques heures d’avion et un changement de décor total.
Sur les vagues, tout le monde reprend vite leurs marques.
DANS LA BAIE
Dans le sillage du natif de Dakar, la découverte se poursuit.
Justin suit Didier pour prendre quelques vagues à l’endroit le
plus à l’ouest du continent africain, au large des ruines d’un Club
Méd’ abandonné, vestige de la folie des années 80. Quand la nuit
tombe, Oumar et sa famille cassent le jeûne et toute la troupe
partage un grand plat commun de thiof ou de thieboudienne
(riz et poisson mélangés à des épices raffinées). Car si les jeunes
aiment bien dégommer un burger ou des shawermas entre deux
sessions pour se remplir rapidement l’estomac, la gastronomie
locale l’emporte tout de même largement et Sam a encore le goût
du poulet yassa sur les papilles.
Le troisième jour, la houle de sud s’est faite plus conséquente et
nous avons pu nous offrir des sessions sur la fameuse gauche de
Ouakam. Sur la route du spot, on passe devant cette immense
statue de type stalinien représentant la renaissance africaine.
Érigée sur une des deux collines surplombant Dakar, le monument
de 52 m de haut bâti par l’architecte sénégalais Pierre
Goudiaby Atepa confère aux lieux une atmosphère particulière.
Dans la superbe baie de Ouakam, trône en bord de plage une
belle mosquée. Sur le sable, des centaines de barques attendent
la fin du ramadan pour repartir en mer remplir de poissons leurs
filets. Devant cette communauté de pêcheurs, la renommée
gauche de Ouakam déroule. Avec certaines directions de houles
favorables, une droite peut aussi passer. Un peu impressionné
par le caractère religieux de ce sanctuaire qui force le respect,
la petite équipe se met à l’eau dans un décor somptueux et
unique. La vue depuis le line-up est grandiose : au premier plan,
35

UN PEU IMPRESSIONNÉ PAR LE CARACTÈRE
RELIGIEUX DE CE SANCTUAIRE QUI FORCE LE
RESPECT, LA PETITE ÉQUIPE SE MET À L’EAU
DANS UN DÉCOR SOMPTUEUX ET UNIQUE.
36

37
Sous l’imposante surveillance de cette statue inaugurée en
2010, Justin décolle sur la droite de Ouakam.

38
Marc trouve le bon rythme sur la gauche et s’applique pour montrer aux
petits jeunes qui est encore le boss. Mission accomplie.

LA GAUCHE DÉROULE OFFRANT UNE BELLE SECTION OÙ PLACER DEUX
MANŒUVRES AVEC UN PEU PLUS D’EAU SOUS LES DÉRIVES QUE SUR LES
SPOTS DES ALMADIES.
une myriade de barques colorées posées sur la plage ; au fond, la
monumentale mosquée gardienne des lieux. La gauche déroule
offrant une belle section où placer deux manœuvres avec un peu
plus d’eau sous les dérives que sur les spots des Almadies. Marc
envoie des airs stratosphériques devant les yeux ébahis de Sam
et Justin, pas en reste pour autant. Justin : « Le plus gros tricks
du trip, c’est un air reverse de Marc. Mais personne ne l’a filmé ni
photographié, il était vert ! ». Même verdict pour Sam qui garde en
mémoire un enchaînement de son aîné : « Marc a mis un combo
alley-oop, air-reverse énorme ! ». Chacun repousse ses limites
jusqu’au moment où il faut rentrer. Le retour sur la plage fait
penser à une scène de Endless Summer quand des nuées d’enfants
vont à la rencontre des surfeurs pour tenter à leur tour de glisser
sur les vagues en grimpant sur leurs planches. Justin et Marc sont
vites dépassés par la joie et l’enthousiasme de cette jeune foule.
Un beau voyage à quatre heures de chez nous où on apprend que
posséder n’est pas l’essentiel pour être heureux. Un voyage où on
admire le respect des différences, un voyage ou les pensées se
transforment en paroles sans aucun filtre. Un voyage où les rêves
du poète et homme d’état sénégalais Léopold Sédar Senghor sont
possibles : « J’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité de mes
frères aux yeux bleus ».
39

TRIPS
THE SNAKE
PLUS QUE PARFAIT, PLUS QUE RAPIDE
LA DÉCOUVERTE MARQUANTE DE L’ANNÉE, À METTRE À L’ACTIF DU SEARCH, AVEC CETTE
DROITE AHURISSANTE ENROULANT SON TUBE ÉTERNEL À QUELQUES MÈTRES DE LA PLAGE...
POUR DÉFLORER CETTE VAGUE HYPERRAPIDE, RIP CURL A DÉPÊCHÉ SUR PLACE LE SEUL À
MÊME DE REMPORTER LA COURSE INFERNALE QU’ELLE IMPOSE, LE TRIPLE CHAMPION DU
MONDE MICK FANNING. RETOUR SUR UNE EXPLORATION RÉUSSIE.
RÉCIT ET PHOTOS PAR THE SEARCH / RIP CURL
40

41

LA COURSE FOLLE ÉTAIT LANCÉE. NOUS AVONS MENTI COMME DES
ARRACHEURS DE DENTS À TOUT NOTRE ENTOURAGE, LEUR ANNONÇANT
NOTRE DÉPART POUR UNE DESTINATION QUI N’ÉTAIT PAS LA BONNE.
Un ami m’a montré un petit clip de cette vague
et j’ai pu constater à quel point elle était
incroyable », raconte Mick, se rappelant la
façon dont il a découvert le spot. « Il était
super prudent, genre : “Psst, regarde ça... J’ai
trouvé cette vague et j’ai vraiment envie que tu
viennes la surfer avec nous, mais j’ai peur que ça fuite”. Je savais
qu’il ne lâcherait pas le morceau facilement, qu’il avait envie de continuer
à en profiter seul avec son pote. Mais nous avons réussi à le
convaincre de nous faire confiance. Il a suffi d’un texto de sa part, et
on était parti ! ».
La course folle était lancée. Nous avons menti comme des arracheurs
de dents à tout notre entourage, leur annonçant notre
départ pour une destination qui n’était pas la bonne. « J’ai manqué
un paquet de rendez-vous », se souvient Mick, « et beaucoup de gens
m’en ont voulu. Mais je ne regrette rien ! C’était le trip parfait pour
moi, à ce moment de ma vie où j’essaye de partir pour des destinations
dont je n’aurais même pas pu rêver ». L’excitation était logiquement
à son comble. Ça m’a rappelé Bali à une époque où des
endroits comme le Tubes Bar ou le Sari Club étaient le point de
rendez-vous des surfeurs revenant d’expédition sur des reefs éloignés
et venaient s’y reposer et partager leurs histoires. Et à moins
de faire vraiment confiance aux gens, personne ne disait vraiment
où il avait surfé, histoire de se conserver son petit coin de
perfection. Cette notion a disparu de la culture surf alors que je
pense qu’on devrait l’encourager.
UN SECRET PARFAIT
Nous étions maintenus dans l’ignorance la plus grande, notre ami
ne nous communiquant que les informations indispensables en
temps utiles. Au moment où je retrouve Mick pour notre premier
vol, nous spéculions encore sur la localisation exacte de la vague.
En fait, nous étions même persuadés que notre première étape
n’était qu’une fausse piste, un point d’avitaillement où faire le
plein avant que des inconnus ne viennent nous trouver pour nous
demander de les suivre sans poser de questions. Nous avions vu
juste. Sans aller jusqu’à nous mettre un bandeau sur les yeux,
nous suivions docilement le mouvement. « C’est super de trouver
une vague que personne ne connaît encore, j’adore cette impression »,
confiait Mick à ce propos. « J’ai dit à mon pote de ne pas me dire
où j’allais, sinon j’aurais fait des recherches et je n’en avais pas envie.
Et quand on a finalement découvert où le spot se trouvait, j’ai me
juste demandé comment il pouvait y avoir des vagues là-bas... »
Toute secrète que soit notre mission, la vague, telle un cobra
42

Le train arrive pour Mick, sur le point de s’offrir de longues secondes dans le ventre de la bête.
sifflant, possède bel et bien un nom : The Snake. The Snake ne
casse pas sur la plage. Elle trace devant toi, file le long de la plage,
déployant ses lignes parallèles et infinies d’où tombe une lèvre,
qui s’enroule, explose à une vitesse incroyable, comme un serpent
ne parvenant jamais à se mordre la queue. Dans l’eau, rien ne
sert d’observer l’horizon, mieux vaut guetter un peu plus haut
sur la plage pour voir les séries rentrer. « Surfer tout seul n’était
pas évident parce que je ne pouvais pas me repérer par rapport aux
autres », témoigne Mick, plus habitué par exemple à son homespot
de Snapper Rocks : « Là-bas, il y a 1000 personnes à l’eau qui
te servent de référence. Du coup, j’ai raté des vagues en ramant dans
le mauvais sens, vers le large au lieu de me replacer vers la plage. Je
me suis senti comme un débutant ! ».
LA VIS D’ARCHIMÈDE
The Snake casse très près de la côte et chaque vague provoque
une montée de l’eau sur la plage. Celle-ci est ensuite rapidement
aspirée avec force, ce qui provoque un énorme mouvement d’eau
qui n’a d’autre solution pour s’évacuer que de remonter dans la
face de la vague et de gonfler la lèvre, qui explose d’autant plus
fort à chaque fois. Si le take-off est facile, garder le rythme s’avère
plus compliqué. À l’aube, encore ahuri par ce qu’il vient de découvrir,
le surfeur le plus rapide du monde est mis à l’épreuve et ne
parvient pas à s’extraire de ses trois premières vagues. « Je pétais
un plomb ! », concède Mick. « Je pompais autant que je pouvais
dans le tube, à fond sur l’accélérateur, et j’étais pourtant incapable
d’en sortir un. Et puis, j’ai trouvé la bonne formule. Parfois, je volais
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Mick n’en revient toujours pas, multipliant les allers-retours, en surf puis à pied.
sur le foam-ball, d’autres je profitais presque tranquillement du tube
jusqu’à ce que la vague accélère et que je ne doive être à fond pour
garder le contact avec la section. »
À partir de l’endroit où nous nous mettions à l’eau (simplement
là où nous avions garé notre voiture...), la vague déroulait sur
environ cinq kilomètres. Et si on remontait un peu plus haut,
d’autres sections du même genre ne demandait qu’à être surfées !
Les vagues étaient tellement longues que notre petite équipe de
cameramen n’a pas réussi à en immortaliser une du début à la fin.
« Je voulais prendre toutes les vagues qui passaient tellement j’étais
excité et plein d’adrénaline. C’était dur de laisser passer ces tunnels
de tailles intermédiaires. N’importe quel autre jour, tu te jetterais sur
ces vagues. Mais vu que j’étais seul, je pouvais attendre les bombes.
Je ne voulais surtout pas rater la vague du jour après avoir fait
tout ce chemin. »
Et qu’a pensé Mick de la première bombe qu’il a sorti ? « Je ne
l’oublierai jamais », lâche celui qui surfe des vagues parfaites à
longueur d’années. « Après la vague, je courais en remontant la
plage et un gars du coin, accroupi sur le sable, m’a tapé dans la main
quand je suis passé devant lui. J’ai trouvé ça cool, jusqu’à ce que je
réalise qu’il était en train de chier ! »
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Seul le surfeur le plus rapide au monde peut trouver la place de mettre un turn ici.
« ALLONS VOIR PLUS LOIN ! », LANÇA-T-IL FRÉNÉTIQUEMENT APRÈS SA
PREMIÈRE VAGUE DE L’APRÈS-MIDI, UN RIDE DE 200 M DE LONG PONCTUÉ
DE TROIS TUBES.
NOUVELLES FRONTIÈRES
Après cinq heures de session et s’être fait dévorer par les milliers
de poux de mer qui hantent les entrailles du reptile, Mick était
claqué. Et même si l’expression “manger des tubes pour le
déjeuner” prenait ici tout son sens, un vrai repas s’avérait indispensable.
Tout comme deux bonnes heures de sieste avant que
Mick ne soit prêt à se lancer de nouveau à l’attaque de The Snake.
Dans l’après-midi, sous un soleil violent, la couleur de l’eau est
passée d’un exotique vert huileux à un marron sableux menaçant.
Ce qui n’empêchait pas Mick de maîtriser le spot de mieux en
mieux. Le triple champion du monde nous a vite fait savoir qu’il
avait besoin d’un nouveau challenge. « Allons voir plus loin ! »,
lança-t-il frénétiquement après sa première vague de l’après-midi,
un ride de 200 m de long ponctué de trois tubes. « Pourquoi ?
Celle-là avait l’air pas mal ! », lui répondis-je quand il passait à ma
hauteur. « Trop mignon, on n’est pas venu là pour ça. Allons jeter un
œil plus loin, là où on aperçoit ces cavernes ! » Voilà qui en disait
long sur la façon dont Mick avait apprivoisé The Snake.
À l’inverse, j’étais bien incapable de surfer cette vague. Voyager
vers ce spot avec un Mick frénétique tout au long du trajet
m’avait fait croire que j’allais en être pour les vagues de ma vie.
Bien sûr, j’ai réussi à en sortir quelques-unes mais, sur la grande
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Le Search prend tout son sens avec cette image, symbole d’un spot inédit à la perfection absolue.

« IL FAUT VRAIMENT ÊTRE
UN EXCELLENT TUBE-RIDER,
CAPABLE D’OBSERVER
LOIN DEVANT SOI. AU DÉBUT,
J’AI MÊME PENSÉ QUE CETTE
VAGUE ÉTAIT TROP RAPIDE... »
majorité, je perdais la section juste après mon take-off. Ou
alors, étant goofy, je m’accrochais un court instant à mon rail
pour admirer la vue avant de partir cul par dessus tête dans le
barrel et d’atterrir dans le sable, le mode essorage branché à
pleine puissance.
UNE RÉALITÉ DÉCONNECTÉE
« Je ne vois que cinq goofies qui pourraient s’en sortir sur cette
vague », m’expliquait Mick en guise de consolation. « Il faut
vraiment être un excellent tube-rider, capable d’observer loin devant
soi pour savoir s’il est l’heure de ralentir et de se mettre à l’ombre ou
d’appuyer sur la pédale pour pomper vers la sortie. Au début, j’ai
même pensé que cette vague était trop rapide... » Même pour lui ?
À ce stade de la journée, c’était à mon tour de me retourner
sur ce que nous venions de vivre. À l’inverse d’une vague créée
par l’homme, où tout est réfléchi, planifié, où tout a été dessiné
et rien ne dépasse, The Snake défie la logique. Tout arrive à
vous de la façon la plus inattendue, avec des angles toujours
surprenants. Un jour de flat, impossible d’imaginer qu’un spot
ce cache là, terré dans le sable. Un fruit défendu qui trouve son
origine dans les marées, les vents, les tempêtes situées à des
milliers de kilomètres de là. Ces trains de houles ainsi générés
ne semblent, en déferlant sur ce bout de côte, ne jamais pouvoir
s’éteindre, rampant sans répit le long de ce rivage, jusqu’à la
prochaine frontière et un autre océan. J’aime cette pensée que
Mère Nature joue encore un rôle essentiel et surprenant dans
nos vies de surfeurs alors même que nous vivons à une époque
hyperconnectée où l’on parvient à construire des vagues. Ceci
n’est pas une putain de piscine à vagues ! C’est le monde réel.
Ceci est The Snake !

EXPLORATION
PORTFOLIO
LA SENSATION
BELHARRA
EN L’ESPACE DE QUELQUES HEURES LORS DE CET APRÈS-MIDI DE FIN DÉCEMBRE, LE SURF À LA RAME À
BELHARRA A VÉCU LES PLUS BEAUX INSTANTS DE SON HISTOIRE. AVEC UN PEU DE RECUL, RETOUR SUR CE QUI
RESTE GRAVÉ DANS LA MÉMOIRE DES PRINCIPAUX INTÉRESSÉS.
UNE FOIS L’ÉMOTION PASSÉE, RESTE LA SENSATION.
PROPOS RECUEILLIS PAR BAPTISTE LEVRIER
©JUSTES
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STÉPHANE IRALOUR
« Quand je suis parti, j’avais l’impression d’être en retard. J’étais
persuadé que j’allais prendre une boîte énorme ! Et puis j’ai senti
que ça allait passer et j’ai vraiment savouré chaque seconde de
la descente, un vrai moment de plaisir. J’étais très à l’aise avec
ma planche, j’avais l’impression d’être connecté, elle réagissait
au moindre appui. C’était très instinctif mais c’est aussi l’aboutissement
d’un an de réflexion avec Eric Rougé pour mettre au
point cette board, qui est vraiment faite pour ce spot (11’10,
18 kilos). À la fin de cette vague, je suis euphorique ! Je vois
Mathieu Crépel et François Gouffrant les bras levés sur le jet,
Eric qui me rejoint... Mais au final, ce n’est que samedi soir,
après avoir participé à la Vaca XXL et ne pas m’être trop posé,
que j’ai pris conscience de la taille de cette vague et repensé à
tous ces moments. De douces sensations ! »
51

©JUSTES
PIERRE ROLLET
« La mousse m’arrive dessus, je plonge et au fond, quand je sens
que la vague m’attrape, je décide de gonfler mon gilet. Au final,
je suis remonté assez vite. Juste à côté de moi, c’est Justine
Dupont et elle est ressortie beaucoup plus loin. J’ai vraiment
l’impression que d’un endroit à l’autre, la vague secoue plus ou
moins. Mais quand même, ça remue plus qu’ailleurs ! C’était les
conditions parfaites pour la rame et j’ai réussi à prendre une
droite vu que j’étais trop à l’intérieur pour la gauche... Je surfais
une 10’6, j’ai raccourci tous mes guns pour mieux les sentir et
c’est le bon compromis pour moi. »
52

©ARRIETA
À manger pour tout le monde ! Si ce jour-là peu ont véritablement surfé, tous ont pu
tester en conditions réelles les bénéfices de leur entraînement.
53

©RABEJAC
Avec une montagne aux trousses, Antonin négocie aussi bien que
possible les soubresauts de la pente du haut-fond luzien.
ANTONIN DE SOULTRAIT
« Ce qui m’a vraiment marqué, et c’est pour ça que je suis tombé,
c’est la vitesse à laquelle j’allais sur la vague. Je fonce ! Bien que
ma planche soit longue et lourde, elle saute et rebondis. On ne
s’en rend pas vraiment compte sur les photos, mais il y a vraiment
de la pente. Au take-off, il y a un trou. Le plus dur, c’est de
réussir à partir, ne pas s’arrêter de ramer quand la vague arrive.
Au début, j’étais trop au bord et j’ai pris trois vagues sur la tête.
C’était les conditions idéales pour apprivoiser le spot. Ce jour-là,
tout est allé très vite. Je ne me suis rendu compte qu’après coup
de tout ce qu’il s’était passé. C’était super impressionnant ! »
54

©RABEJAC
Au milieu de l’agitation, le Canarien Alex Zirke parvient à attraper cette vague la
rame. Intéressant d’imaginer les perspectives de chacun à cet instant précis, dont
celle de Pierre Rollet, en train de plonger et qui réussira passer sous la vague
et à ressortir indemne !
ALEX ZIRKE
« Cette vague était incroyable ! Même avec tous ces jet-skis
autour de moi, je me sentais à l’aise et en sécurité. Je savais que
ce n’était pas n’importe qui aux commandes. Le plus dur aura
été de trouver le bon placement, on n’a vraiment pas de repères
sur ce spot. Je pense que Belharra n’a pas encore révélé tout son
potentiel pour le surf à la rame. Le jour où le swell parfait arrivera,
on pourrait vivre une session historique. »
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©ARRIETA
JUSTINE DUPONT
« Ça y est, je pars avec la vague ! Ça faisait deux ou trois heures
que j’étais dans l’eau dont un bon moment toute seule. J’avais
ramassé des séries sur la figure et là, enfin, je me sens partir. Ma
planche, une 11’3 shapée par Jeff Clark et que j’avais utilisée à
Mavericks, était bien trop légère. Je rebondissais ! Je ne suis pas
resté très longtemps debout mais, à la rame, il faut accepter de
tomber et être prêt à affronter ces moments-là. À Belharra, je me
suis vraiment sentie très lente sur ma planche quand une série
rentrait et qu’il fallait s’échapper. Si tu te rends compte que tu es
mal placée, c’est déjà trop tard... »
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e t x e k o
Bob’s Beer
Pays Basque
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. BOIRE MOINS, BOIRE MIEUX

Distribution : SURF SYSTEM / contact@surf-system.com / 05 59 41 25 94

PORTFOLIO
GALERIE I

Comme si vous ressortiez la tête de l’eau, encore un peu embrumé, après un canard et tombiez sur
votre pote en train de se caler pile comme il faut. À vous la prochaine !
PAR GUILLAUME ARRIETA
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Une ultime rotation sous les projecteurs d’une fin de journée martiniquaise ensoleillée pour
Maxime Huscenot.
PAR DAMIEN POULLENOT

En voilà un parti pour se mettre une bonne vision, pas gêné par le monde alors que s’étire
le printemps landais et que les bancs trouvent leur place pour l’été.
PAR LAURENT MASUREL
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La sélection de vagues s’avère souvent cruciale dans les Landes. Et quand Arnaud Darrigade voit
cette épaule parfaitement shapée s’ouvrir devant lui, il sait qu’il a fait le bon choix.
PAR DAMIEN POULLENOT
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Air reverse champagne pour Sam Pupo dans le sunset australien.
PAR ANTOINE JUSTES
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Encore un set-up improbable quelque part en Bretagne dont profite Gaspard
Larsonneur. Attention au poteau en sortant.
PAR MARTIN VIEZZER

Les sculptures éphémères que nous offre l’océan compte autant, ou plus, que le temps passé sur les vagues
pour nous faire chaque fois revenir avec des yeux d’enfants.
PAR BEN THOUARD

Yago Dora prend de plus en plus de place sur l’avant-scène du surf
mondial. Éjection plage du Club, à Anglet.
PAR ANTOINE JUSTES
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PAR STEVIE POTERLOT
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Bien qu’installé dans les Landes, le Breton Tom Cloarec passe régulièrement voir la famille dans le Morbihan
et revoit ses vieilles connaissances. Quiberon, fidèle en amitié.
PAR MARTIN VIEZZER

PAR THOMAS LODIN
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PEOPLE
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RENCONTRE
AVEC ROB MACHADO
Par Olivier Dezèque
88
LE VOYAGE D’UNE VIE
Partie 1 par Élisa Routa
Partie 2 par Olivier Dezèque
102
SURFEURS COLLECTIONNEURS
ET ENTASSEURS DE RÉSINE
Par Olivier Dezèque

© DEZÈQUE
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PORTRAIT
SIMPLEMENT
ROB
LA QUARANTAINE PASSÉE ET L’AURA INTACTE, ROB MACHADO MÈNE SON EXISTENCE
DEPUIS SA BASE CALIFORNIENNE DE CARDIFF. LE SURF, LE SHAPE, LES LEÇONS DE LA VIE,
L’ENVIRONNEMENT, LE SUBTIL GOOFYFOOTER GARDE LES IDÉES CLAIRES ET POURSUIT SA
QUÊTE DE LA MEILLEURE TRAJECTOIRE, EN TOUTES CIRCONSTANCES.
UNE RENCONTRE CHARGÉE DE SENS.
PAR OLIVIER DEZÈQUE
J’ai tout d’abord rencontré Rob lors d’une soirée au cours de
laquelle il jouait au ping-pong. Nous avions convenu d’une
rencontre chez lui à Cardiff et la veille de ma visite, tandis que
je surfais Suck Out au sunset, le type est arrivé sur une Frye de
12 pieds. Rob est un personnage magnétique. Malgré les conditions
ridicules, il était venu avec sa fille prendre deux ou trois
sections et surtout profiter d’un moment privilégié, se dressant
sur une planche solide, les yeux rivés vers l’horizon, comme
s’il essayait de lire quelque chose d’indéchiffrable que lui seul
comprendrait. C’était une session entre rêve et réalité. Je lui
ai juste dit : « À demain… ». Lorsque je suis sorti, l’obscurité
était tellement installée que je ne les voyais plus. J’ignore s’ils se
sont éternisés et suis parti boire des bières en réfléchissant à la
journée à venir.
Étudiant sérieux à la San Dieguieto High School et surfeur
poussé par un paternel plutôt strict mais plein de bon sens, Rob
a collectionné une paire de victoires sur les différents circuits
U.S. alors qu’il n’avait qu’une dizaine d’années.
— Tu as des souvenirs de cette époque ?
Carrément ! Greg Sauritch, le shaper qui m’a d’ailleurs sponsorisé
un peu plus tard, taillait ses planches dans une cabane au
fond du jardin. Mon père lui louait l’emplacement. J’ai beaucoup
regardé Greg travailler.
— Tu es donc tombé dans le moule naturellement ?
Oui ! C’est lui qui m’a initié au shape aussi. Je construis toujours
des boards, pour le fun mais elles ne sont que pour moi !
Robert Edward a vu le jour sur la côte est de l’Australie. La
famille Machado s’est relocalisée en Californie alors que le futur
goofy au ride le plus smooth de ces trente dernières années ne
savait pas encore nager. Il a ensuite rencontré l’eau salée et les
déferlantes de l’ouest américain dès les prémices de sa jeunesse.
— Tu es reconnu comme un freesurfer et beaucoup de gens ont
oublié ta carrière. Dur de passer de l’un à l’autre ?
Je me souviens de l’une de mes premières victoires... J’étais
minot et j’avais le trophée en mains. Je ne voulais pas le lâcher,
c’était comme un jouet et j’en étais ravi. Dans la voiture, à côté
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de mon père tandis que nous rentrions à la maison, je faisais
en sorte que les autres véhicules puissent voir la coupe. Nous
sommes arrivés au feu rouge à la hauteur d’un autre véhicule
dans lequel il y avait des kids de mon âge. Ils m’ont observé par
la fenêtre. Je me sentais important. Mon père m’a regardé froidement
et m’a lâché : « Tu crois qu’ils savent qui tu es ? Ils s’en
foutent éperdument. Ta coupe, c’est du toc ».
— Dur !
Mais juste. Tu comprends donc que compétition ou free surf,
j’ai suivi le chemin indiqué par mon paternel en recherchant la
simplicité, la performance pour moi seul et pas la reconnaissance
des autres.
Le Pipe Master, l’US Open, le Lacanau Pro, le Hossegor Rip
Curl Pro sont des souvenirs de couronnement pour Rob. Mais
qui dit victoire, dit rivalité. Concourir sur le WCT en visitant les
plus belles vagues de la planète pour gagner son existence, ça
semble cool. Mais il y a des types super forts qu’on aimerait voir
jouer au golf plutôt que de porter l’autre lycra ! Depuis leur plus
jeune âge, il y a eu une relation ambivalente d’attraction et de
répulsion avec Kelly.
— Si je te dis Kelly…
Je réponds respect pour son surf, sa personnalité et son amitié.
— Comment s’est déroulée votre concurrence ? Il y a dû en
avoir ?
Un peu oui. Mais en même temps, on s’est connu quand j’avais
15 ans et nous avons eu des parcours différents. C’est grâce à
l’avènement des supports vidéo que nous avons pacifié cette
bataille pour la victoire. Mais quand je tombais contre lui en
série, pas de cadeaux !
— La vidéo ?
Oui, il y eu ce type, Taylor Steele, qui filmait tout le temps et qui
faisait des petits montages plutôt réussis. Nous sommes partis
en trip avec lui à une époque où les photographes tenaient le
haut du pavé en ce qui concerne les médias. Il n’y avait pas de
web et presque uniquement des magazines. On est parti en trip
et Taylor, qui d’ailleurs ne voulait pas quitter la Californie à ses
débuts, nous a accompagnés. La suite, c’est qu’il est devenu un
des instigateurs du surf movie des 90’s. Il a révélé une scène au
travers de Momentum, de Focus ou de Campaign. Du coup, on
se retrouvait tous ensemble et, lors de ces trips, Kelly était mon
frère. On était super jeunes.
— Donc pas de soucis avec le King et ni avec d’autres pros ?
Non ! J’étais juste relax !
© COURTESY HURLEY
Les cheveux ont encore poussé, le style démentiel s’est assagi
pour devenir une marche tout en grâce et Machado est passé
du statut de compétiteur à celui de freesurfer. Un poignet cassé,
une de ses dernières saisons sur le circuit en demi-teinte, mais
des sponsors qui suivent. Ça a dû aider. Le rider au flow subtil,
composant sa glisse comme une ballerine qui pratiquerait le
kung-fu, associant un style zen contemplatif à un engagement
des plus sévères, jonglant sur des jeux de mises en déséquilibres
contrôlés et esthétiques deviendrait Waterman of the World en
2009. Sa carrière était construite sur la courbe.
— Bref, Rob, tu sembles avoir très bien tiré ton épingle du jeu.
Tu as des anecdotes ou des souvenirs de ces périodes ?
Oui. Déjà, c’était du fun. Énormément de fun.
— Tu étais genre party animal sur le Tour ou plutôt calme ?
Je me suis toujours soucié de mon bien être. J’ai bien picolé
une bière ou deux à droite et à gauche mais réellement dans le
contrôle.
— Le fait de quitter le Tour tandis que Kelly s’y acharnait, c’était
80

Après avoir surfé des thrusters performances pendant ses années de compétiteur, Rob
opte désormais pour des planches atypiques qu’il maîtrise tout autant.
LE SURFEUR SOLITAIRE EST LOIN D’ÊTRE UN MISANTHROPE.
IL RECONNAÎT QU’UNE PARTIE DE L’HUMANITÉ FAIT FAUSSE
ROUTE MAIS ENCENSE CEUX QUI FONT AVANCER LES CHOSES.
81

© POULLENOT
82

83
Avec son twin très plat, le Californien parvient, ce matin-là à la Gravière, à dompter
les rares bonnes vagues qui passaient au milieu des close-outs.

une défaite ?
Le mot « défaite » est très positif pour moi. C’est un terme béni.
Nous apprenons tous de nos échecs. Ça nous permet de devenir
meilleurs. J’ai juste stoppé ma carrière sur le circuit car c’était le
bon moment et aussi parce que je pouvais me le permettre sur
le plan… comment dire… professionnel.
— Y’a t-il des choses que tu n’as pas pu faire aboutir à ce jour?
Plein. Je passe tellement de temps sur ma board que j’en
oublie parfois l’essentiel. Ça m’a causé bien des soucis d’ailleurs.
Je veux surfer mieux mais surtout vivre mieux. Me sentir
en harmonie avec les miens. J’ai tout de même écopé d’un
divorce compliqué. Aujourd’hui, je veux comprendre les mouvements
de la vie, jouer de la musique, cuisiner, faire pousser mes
propres légumes, réparer mon van et aider ma femme dans ses
projets. Il y a tant à apprendre dans l’eau mais aussi et surtout
en dehors du line-up.
Rob est une légende au sein du microcosme surf. Il a su inspirer
de très nombreux riders comme Ryan Burch ou Cyrus Sutton,
qui ont grandi à deux pas de chez lui. Le surfeur solitaire est loin
d’être un misanthrope. Il reconnaît qu’une partie de l’humanité
fait fausse route mais encense ceux qui font avancer les choses.
— Tu as des maîtres à penser ?
Andy Irons et tous les types aussi passionnés que lui. Gerry
Lopez. C’est bien simple je veux être Gerry plus tard. Il a
63 ans et surfe mieux que nous tous. Je l’ai beaucoup fréquenté
ces cinq dernières années. Il a changé ma vision du monde. Ce
type, c’est comme une vieille voiture de course : robuste, fort,
incassable et agréable. Je veux d’ailleurs passer plus de temps
avec lui.
— Qu’est-ce qu’il peut t’enseigner ?
Le yoga. Et en ce qui concerne le surf, il est tellement fort qu’il
m’amène énormément d’inspiration. Aussi, nous sommes sur la
même longueur d’onde en ce qui concerne l’environnement.
— À ce propos, c’est quoi la Rob Machado Foundation ?
C’est une petite expérience et ça rejoint un intérêt commun
que j’ai avec Gerry. Je voudrais que cet intérêt touche de plus
en plus de monde. L’idée est basée sur le partage de savoirfaire
en ce qui concerne la connaissance environnementale, la
micro-agriculture et les énergies renouvelables. J’ai conscience
que je ne vais pas changer le monde mais je le fais quand même.
L’expérience est basée sur des ateliers et le but du jeu est de
tenter de briser les habitudes de consommation des plus jeunes.
J’ai réussi à faire manger une salade du potager à un jeune de
84

© COURTESY HURLEY
Entre star system et escapades à la roots, Rob compose avec les exigences
que sa vie de freesurfeur lui imposent. Mais toujours bien à la cool.
«J’AI CONSCIENCE QUE JE NE VAIS PAS CHANGER LE MONDE MAIS JE LE
FAIS QUAND MÊME. L’EXPÉRIENCE EST BASÉE SUR DES ATELIERS ET LE
BUT DU JEU EST DE TENTER DE BRISER LES HABITUDES DE CONSOMMA-
TION DES PLUS JEUNES.»
12 ans qui ne s’alimentait qu’en fast food depuis plusieurs
années. Sa mère m’a encore appelé hier, elle n’en revient pas.
Il y a des choses simples à faire. Je mets un pied devant l’autre
et c’est entièrement bénévole. Il n’y a pas un dollar derrière. Ça
m’intéresse juste. C’est tout.
Machado est un rêveur. Il aurait aimé partager la première
vague de Tom Curren à Jeffrey’s Bay pour apprécier la synergie
entre l’homme et la nature érigée en symbole. Il souhaite cette
expérience à tout le monde. Il aurait voulu squatter le North
Shore dans les 70’s, quand les shapes changeaient radicalement
et que la musique encensait une révolution. Mais il est juste Rob
Machado.
— On a parlé du passé. Voyons devant : quel est l’avenir du surf ?
Ça beaucoup changé et ça continuera. Mais, en même temps, le
retro fait partie du futur donc ça rassure. C’est comme rendre
meilleur quelque chose qui a déjà fait ses preuves !
— Tu ne crois pas que le surf s’étouffe. Que nous sommes
arrivés à la fin d’une civilisation et d’une culture ?
Je peux comparer ça à la musique. Une guitare ne possède que
six cordes. C’est très simple comme instrument et pourtant tu
peux jouer du flamenco, du jazz, du reggae, du rock et plein
de nouvelles choses. En surf, c’est pareil. Tout est fonction de
tempo, d’arrangements, de notes, de flow. C’est ce qui fait que
chaque élément unique. C’est ce qui rend chaque vague singulière
et chaque turn spécifique. Il y a une infinité de combinaisons
! Le surf n’est pas prêt de disparaître et encore moins de
vendre son âme au diable.
Hendrix, le labrador chocolat de Rob me saute sans cesse
85

© STACY
dessus pour me lécher le visage. Nous nous dirigeons vers le
jardin, jonché de planches en mousse. La vue sur le spot est
imprenable. Rob dévoile un fish très court estampillé Firewire.
Il me montre la planche sous tous les angles et m’en fait apprécier
la légèreté.
— Qu’est-ce que tu aimes dans le shape ?
Les sensations. Je vais faire mes propres boards chez Univ, pas
loin de la maison. C’est un super feeling, je peux faire ce que
je veux. Je shape juste pour moi. Chez Firewire, nous bossons
ordinairement en équipe et c’est davantage du consulting.
— Merrick, c’est donc terminé ?
Oui. De belles années, je dois avouer. Firewire, c’est une autre
démarche. Je travaille en étroite collaboration avec eux pour
développer des modèles et nous travaillons aussi sur les matériaux.
Ici, du noyau au coat, tout est naturel et absolument
biodégradable. C’est à mi-chemin entre l’époxy et le polyuréthane
au niveau du feeling mais le produit n’est chimiquement
assimilable à aucun des standards habituels. C’est solide et en
plus tu peux réparer n’importe quel petit ding avec du simple
vinaigre.
— Du vinaigre ?
Oui, le vinaigre dissout temporairement le glass. Tu n’as qu’à
frotter un peu, attendre et c’est réparé.
Plein de projets en somme !
Avec Kelly aussi nous avançons aussi sur une planche qui
devrait être révélée prochainement. Un mix rétro / newschool.
— Tu aurais pu faire du business Rob !?
À ce propos, j’ai beaucoup aidé mon épouse qui vient d’ouvrir
un magasin de décoration. Le shop s’appelle Sour Collection.
Nous y organisons des expos. Andy Davis a donné un coup de
main pour la déco. J’ai appris pas mal de choses en l’aidant sur
ce projet mais je ne suis pas un businessman dans l’âme.
Les vagues sont petites et nous nous apprêtons pour la session.
Rob ouvre la porte de son vieux van rempli de leashes, de
combis, de boards et d’un indescriptible bazar. Une vieille
mobylette en décomposition semble danser le tango avec le
véhicule à quatre roues, couple en piteux état. Le surfeur assure
que ce camion démarre au quart de tour. Il aura été son vaisseau
de prédilection pour les trips du freerider entre San Francisco
et le sud de la frontière mexicaine. Rob me sert un verre
de Kombutcha Living Tea, du thé fermenté.
— Tu pars en trip un peu plus loin bientôt ?
En Indonésie quelques semaines.
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En bon Pipe Master qu’il est, Rob surgit toujours quand une gauche tubulaire se réveille
quelque part en Californie.
— Tu habiterais facilement ailleurs qu’à Cardiff ?
J’ai grandi ici et y suis resté mais je crois que je pourrais vivre
ailleurs. L’Indonésie est un endroit que j’apprécie beaucoup.
C’est très spécial et les spots sont dingues. Je pourrais cependant
habiter au Japon, en Italie, en Sardaigne, en France ou en
Espagne. Tant que je suis entouré par les gens que j’aime et que
je peux partager mon existence avec eux, c’est okay.
— Ta nourriture spirituelle, c’est quoi ?
Je suis boulimique de nourriture spirituelle. J’observe. Je
regarde les gens, j’analyse l’existence et tente d’en tirer des
leçons, c’est l’entrée. L’océan est mon plat de résistance, la
musique en est le dessert.
— Quels sont les souvenirs les plus marquants dans ton existence
de surfeur ?
Le premier, c’est lorsque j’ai réalisé que je pouvais voler au
dessus de l’eau lorsque je me suis levé sur une vague pour la
première fois. J’ai eu une vision, j’allais plus vite qu’en bodyboard.
C’était très fort et ça a donné un sens à ma vie. Le second
c’est Andy Irons. Un type très spécial, passionné, talentueux. Il
me manque énormément.
— Tu as peur parfois ?
Peur d’être trop facilement satisfait, de ne pas progresser, d’être
trop complaisant, de ne pas être à la hauteur de mon rôle de
père, d’époux… Tout ça m’effraie. En ce qui concerne l’océan,
la relation est ambivalente. Je respecte l’élément, je sais qu’il est
plus fort que moi et que nous devons nous amuser ensemble.
Nous sommes comme un couple. Je n’en ai pas peur.
— Dernière question et puis on va prendre quelques vagues.
Tu as un conseil à donner, quelque chose que tu as su utiliser
comme ligne de conduite ?
Essaye. Il faut sortir de sa zone de confort. Être curieux et tenter
les choses dès lors que l’envie fait surface. Ça me semble être
une bonne base !
Nous avons partagé une seconde session sur le même spot, en
bas de chez lui. Les conditions étaient différentes même si la
houle était restée constante et très légère. Machado n’avait sans
doute rien à faire dans des vagues aussi inconsistantes. L’idée
résidait dans le partage, la contemplation, la réflexion et l’éloignement
relatif d’avec ce qui se déroule sur la terre ferme.
C’est tout le personnage qui se trouve synthétisé dans l’idée de
pouvoir rider n’importe quelle vague mais de se retrouver au
line-up dans des conditions ridicules. Juste pour prendre du bon
temps.
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88

ART DE VIE
LE VOYAGE
D’UNE VIE
QUAND CERTAINS PARTENT, D’AUTRES ARRIVENT. VOICI LE PARCOURS DE CES SURFEURS QUE
LES CIRCONSTANCES DE LA VIE ONT MENÉ À TRAVERS LES OCÉANS. UNE PARTIE D’ENTRE
EUX SONT FRANÇAIS ET SONT PARTIS S’INSTALLER À L’ÉTRANGER. D’AUTRES, À L’INVERSE,
VIENNENT DE PLUS OU MOINS LOIN ET ONT ÉLU DOMICILE EN FRANCE.
DES PARCOURS CROISÉS ET INSPIRANTS.
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PARTIR POUR
RESTER
ILS ÉTAIENT PROPRIÉTAIRE D’UN SURF SHOP À HOSSEGOR,
CONSULTANT DANS UN CABINET D’AUDIT À PARIS, PROF D’EPS EN BRETAGNE,
OPTICIEN À NANTES, CUISTOT SUR ANGLET OU EN ÉCOLE DE COMMERCE À TOULOUSE.
POUR LE SURF, PAR AMOUR OU PAR HASARD, ILS ONT CHOISI LA VIE D’EXPATRIÉS.
NOUS SOMMES ALLÉS À LA RENCONTRE DE HUIT FRANÇAIS, PARTIS POUR RESTER.
PAR ÉLISA ROUTA
De Bali à l’Australie, du Costa Rica à
Nouméa, des Philippines au Congo et de
New-York à l’Oregon, voici les parcours
atypiques et assumés de quelques expatriés.
Huit exemples parmi tant d’autres,
que les circonstances de la vie ont mené
sur des chemins un peu moins courus. Le surf est une formidable
invitation au voyage et à la découverte. Certains partent pour ne
jamais en revenir. C’est le cas d’Alexandre Ponot, 35 ans, originaire
de Biarritz. Il a travaillé durant plusieurs années au service marketing
et communication de Von Zipper et d’Oxbow. « Ça voulait dire
beaucoup de voyages, de rencontres et d’événements. Le reste du temps,
le boulot de bureau était assez morose. » Avec son cursus dans le
monde du surf, la Californie s’est imposée à lui comme une destination
évidente. « San Clemente était un choix de rêve. Trestles, San
O, Church, T-Street, ce sont des spots dont on rêve quand on vit de
l’autre côté. Je n’ai pas hésité. » Une fois sur place, Alexandre ouvre
un bar à vin, une belle expérience mais qui ne dure qu’un temps.
« Aujourd’hui, je possède un hôtel de quinze chambres en Oregon, le
Surf, Sand Inn à Pacific City. Ce bâtiment a une histoire cool. C’était
l’ancien quartier général des gardes-côtes durant la Seconde Guerre
mondiale. Il a été transformé en motel et revendu à un dealer de
drogue qui blanchissait son argent en rénovant le bâtiment. » Pacific
City est une ville située... sur la côte pacifique et parfois qualifiée
de ville fantôme. Y vivent neuf cents âmes, dont des pêcheurs,
des fermiers et des surfeurs. Choisir un paysage presque vierge
comme pied-à-terre, c’est aussi le choix qu’a fait Myriem Reda-
Fathmi en s’installant au Costa Rica, après une carrière réussie
en tant que consultante dans un important cabinet d’audit et de
conseil à Paris. « J’avais un bon salaire et de gros horaires de travail.
Je me suis spécialisée dans l’industrie minière donc je bougeais pas mal
à l’étranger. En montant en grade, les voyages se sont faits plus rares,
ça me manquait. » À Paris, Myriem vivait dans un 35 m 2 , vue sur
cour, pas très lumineux. Elle n’était pas souvent chez elle. « Il y a
trois ans, je sentais que je tournais en rond. Quand on m’a refusé un
mois de vacances pour aller surfer, j’ai demandé un congé sabbatique.
L’occasion de faire un break pour réfléchir à ce que je voulais vraiment
faire de ma vie. » Un copain au Pérou, une ébauche de voyage via
le Panama et la Colombie. Pour Myriem, voyager seule est une
révélation. « Sur ma route, j’ai croisé quelques expats qui avaient fait
le choix d’une autre vie et des locaux qui savouraient leur quotidien.
En revenant en France, j’avais décidé de changer de vie. » Arrivée
au Costa Rica, l’ambiance lui rappelle le Maroc de son enfance et
Myriem semble débarquer en terrain connu. « J’ai révisé mes objectifs
de vie. J’ai ouvert une auberge de jeunesse-maison d’hôtes à Playa
Negra (Casa Mymy). Aujourd’hui, je vis en short et en tongs avec un
budget restreint. » Jardinage, bricolage, cuisine, plage et surf. En
posant le pied en Amérique centrale, son mode de vie a complète-
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Le cadre de vie local d’un prof de sport pas comme les autres.
Voir évoluer Uluwatu au fil des ans fait partie de la routine.
©L’OIE ZIF
ment changé. « J’habite une cabina totalement ouverte sur l’extérieur.
Je n’ai qu’une porte, celle de la salle de bain. Sinon, c’est moustiquaire.
Parfois, j’ai l’impression de dormir au milieu d’un magasin Nature
& Décou vertes avec le chant des oiseaux, les grillons et les singes.
Je suis à cinq minutes à pied de la plage, au cœur du village. »
CHANGER D’AIR POUR CHANGER DE VIE
Niveau reconversion, Julien Roubinet semble s’y connaître. À
Toulouse, il était en école de commerce avec pour ambition
de travailler dans la finance. « J’ai eu une première expérience
dans ce domaine. Une routine assez standard, durant laquelle seul
le week-end paraissait excitant. » Lorsque la copine de Julien a
l’opportunité de partir travailler à New York, voilà cinq ans,
il la suit. « Partir à NYC m’effrayait plus que ça ne m’attirait.
Mais après quelques mois d’adaptation, la vie ici est devenue très
agréable. La transition s’est faite sans trop de problème. » Julien a
rangé son costume trois pièces au placard et ressorti une tenue
plus décontractée, qui lui ressemble davantage. « Aujourd’hui,
je suis photographe. En arrivant à NYC, j’ai appris qu’il y avait
une plage à une heure de métro de la ville. Les vagues ne sont
que rarement fantastiques mais lorsqu’arrive la saison des ouragans
à l’automne, et celle des nor’easters en hiver (tempêtes qui
longent la côte Est), les beachbreaks n’ont rien à envier au reste
des US. » Après un an à scruter la scène locale, Julien et un
ami, Ed Thompson, décident de documenter le surf local.
Ils projettent même de sortir un livre avant la fin de l’année.
« On a décidé de faire un panorama de cette culture, en nous limitant
à l’état de New York et du New Jersey, à travers des interviews
et portraits des personnes qui participent au développement de ce
paysage. » Après trois ans sur les routes, Julien a ainsi compilé
un bon nombre de portraits et de profils fascinants. « Du free-surfeur
local Tom Petriken au photographe Michael Halsband, qui a
tourné avec les Stones pendant deux ans, photographié Warhol et
Basquiat, en passant par l’écrivain William Finnegan. » À NYC, le
rythme est certainement plus intense mais Julien a su trouver
son équilibre. « C’est parfois épuisant, les gens sont moins détendus
et la nourriture n’est pas aussi bonne qu’en France. Mais c’est motivant,
tu es entouré de personnes talentueuses, ce qui te pousse
constamment à faire mieux. Pour faire une analogie avec le surf, ici
tu dois ramer sans relâche pour rester au pic, devancer les autres et
combattre le courant. »
UNE MEILLEURE QUALITÉ DE VIE
Pour d’autres expats, la qualité de vie a été un facteur déterminant
quant au choix de départ. C’est le cas de David
Frachou, dont la jeunesse a été bercée par le bruit des vagues
de la Chambre d’Amour à Anglet et celui des casseroles qu’il
faisait chauffer en tant que chef dans un restaurant en front
de mer à Capbreton. « Après le lycée hôtelier, je me suis mis à
faire des saisons de six mois en cuisine puis à partir six mois en
trip à l’étranger. » David s’est ensuite envolé un an en Australie
pour maîtriser l’anglais et aiguiser son savoir-faire de cuisinier.
La finalité était de concrétiser un projet personnel qu’il n’aurait
jamais pu réaliser en France. « Je suis parti en trip aux Philippines
et, durant mon séjour, mon père m’a proposé de m’aider à
monter un business. J’ai saisi l’opportunité. Pour le prix d’un petit
studio chez nous, j’ai réussi à monter un établissement hôtelier sur
l’île de Siargao, une villa à louer, un bar-restaurant et j’ai acheté un
terrain. Chose impossible en France si tu n’es pas millionnaire ! »
Pour David, c’est un choix de vie. Vagues vierges ou presque,
paysages tropicaux et une eau à 28 °C toute l’année. Sans
compter la gentillesse des locaux. « En dehors du boulot, la vie
est calme et les gens relativement paisibles. Il n’y a ni pollution ni
embouteillages et tout le monde a le sourire en permanence. » La
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convivialité des gens à l’étranger, leur hospitalité au quotidien
est aussi un point fort que souligne Mathieu Chabassière, opticien
à Nouméa depuis 2012. « Le cadre de vie est agréable et les
gens sont serviables et accueillants. Mon magasin se trouve juste en
face de la plus grande plage de Nouméa, l’Anse-Vata. Le midi, je
prends ma pause à la plage, je nage ou je fais un peu de paddle.
C’est difficile de trouver plus beau comme cadre de travail. » Quant
à Olivier Lattore, ancien propriétaire d’un surf shop à Soorts-
Hossegor, il est devenu professeur d’EPS au lycée Français de
Bali. « Ce qui me marque en Indonésie, c’est le sourire des habitants.
Où que tu ailles, les Indonésiens ont un sourire que tu ne trouveras
jamais ailleurs malgré des conditions de vie parfois difficiles.
C’est un pays dans lequel on se sent en sécurité. » Il y a cinq ans,
Olivier a troqué ses collections de vêtements, la rentabilité et les
chiffres d’affaires pour l’enseignement. Un changement de vie
dont il est fier. « Suite à la rencontre avec mon épouse pendant un
trip en 2009, le choix de venir vivre à Bali s’est fait naturellement.
En 2011, une fois mon fonds de commerce vendu et mes impôts
payés, je suis parti. C’est une grande satisfaction que de devenir
enseignant après avoir été représentant et commerçant. »
PAR AMOUR ET POUR LE SURF
Construire sa vie de couple, voilà ce qui semble aussi avoir
motivé Vincent Primel, actuel team manager de la marque
Sooruz, à ouvrir un surf-camp à Old Bar, une ville côtière située
au nord de Sydney, en Australie. « J’ai rencontré ma femme à
Bali lors d’un voyage il y a six ans. Kate est Australienne, elle est
d’abord venue vivre avec moi en Bretagne puis à Hossegor. Au bout
de quatre ans, on a décidé de partir s’installer en Australie. » Originaire
de Guidel en Bretagne, Vincent a passé quelques années
à travailler pour la ligue de Bretagne de surf. À la fois compétiteur
sur le circuit et coach de surf, l’Australie n’a pas été un
choix difficile. « Les vagues sont incroyables et, ici, il n’y a quasiment
personne à l’eau. Au début, je n’en revenais pas. Il peut y avoir
1 m 20 offshore avec des tubes de partout et on se retrouve à quatre
dans l’eau ! On ne trouve plus ça en France. Bien sûr, la qualité de
vie et les vagues m’ont donné envie de vivre ici. La transition n’a pas
été rude, les gens sont super accueillants et t’acceptent facilement. »
Vincent et sa femme vivent dans le surf-camp-hôtel qu’ils gèrent.
Entre le surf, le coaching des enfants, le yoga et les balades sur
la plage, la routine semble bien douce. « La région est remplie
de réserves naturelles. Le littoral est vraiment protégé, les paysages
sont magnifiques. Niveau vagues, on a un beachbreak incroyable
en face de la maison et, à cinq minutes, un pointbreak en droite.
Et à vingt minutes de route, il y a La Gravière en version australienne.
Bref, c’est dur de se plaindre ! » En Nouvelle-Calédonie, la
quête des vagues demande un peu plus de persévérance. Pour
Mathieu, pas toujours évident de surfer aussi souvent qu’avant.
« En France, j’allais surfer en bas de chez moi aux Sables d’Olonne.
Ici, faute de temps et de moyens, je surfe moins. Les spots sont sur
la barrière de corail, à minimum quarante minutes de bateau de
Nouméa. Je n’ai pas de bateau pour l’instant donc un peu frustré
©ROUBINET
mais je compense par d’autres sports nautiques, comme le kite et la
planche à voile. Chaque session équivaut à dix sessions en France.
Les spots et les vagues sont magnifiques ! »
LES VAGUES COMME ARGUMENT
Le surf est au centre des préoccupations, des intérêts,
et des agendas de nos expatriés. Sans être forcément
un choix de départ, il est souvent un facteur décisif.
À 44 ans, pour Olivier, le surf a toujours occupé une place
centrale dans sa vie. « Tous mes choix de vie ont été faits en fonction
du surf. » Habitué à rythmer sa vie au gré des saisons, il
s’est toujours libéré dès que les vagues étaient au rendezvous.
Depuis qu’il est à Bali, il vit le surf différemment. « Ici,
je suis moins stressé par le fait de louper le bon créneau surf, par
le vent qui tourne ou une marée trop basse. Si la houle est là, il y a
toujours moyen de trouver un spot qui marche correctement. Mais
rien ne vaut un bon surf à la maison avec les amis. Les vagues
landaises sont pour moi les meilleures au monde. » NYC a aussi
été l’occasion pour Julien de passer plus de temps dans l’eau.
« Le surf, par nature imprévisible et rare, régit une bonne partie
de mon emploi du temps. Lorsqu’il y a du surf, une demi-journée
est réservée à ça. J’essaye de surfer jusqu’à épuisement total car il
est rare d’avoir deux jours consécutifs décents. » Bien que l’hiver
repousse une majeure partie des surfeurs, Julien se souvient de
son tout premier surf hivernal. « L’expérience a duré une demiheure.
La violence du froid, la perte de repères et le vent glacé m’ont
renvoyé sur le sable rapidement et m’ont laissé silencieux sur le trajet
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Non content d’y surfer, Julien Roubinet nage aussi dans les eaux froides
près de New York pour documenter le surf local.
« POUR FAIRE UNE ANALOGIE AVEC LE SURF,
ICI TU DOIS RAMER SANS RELÂCHE POUR RESTER AU
PIC, DEVANCER LES AUTRES ET COMBATTRE
LE COURANT. » ALEX
retour. Se changer dans la neige, sortir de l’eau avec des stalactites
sur la cagoule… En hiver, c’est une petite aventure à chaque
session. » Dans un contexte plus chaud, Vincent se rappelle aussi
d’une session particulière en Australie : « Ma première rencontre
avec les dauphins qui prennent les vagues en même temps que moi,
ça n’arrive pas en Bretagne ! ». Du côté de l’Oregon, Alexandre
semble aussi comblé par la vague de Cape Kiwanda. « C’est sûrement
l’une des meilleures vagues de la côte car pas de rochers. Le
cap protège le spot du vent et des grosses houles. Gerry Lopez est
d’ailleurs un local ici, lui qui vit en Oregon. »
UNE BONNE DOSE DE COMPROMIS
Pour d’autres expats, le surf passe après. C’est le cas pour
Clément Dubarry, expatrié depuis 2007, date à laquelle il s’est
engagé dans le monde humanitaire avec le Haut Commissariat
des Nations pour les réfugiés. Il travaille actuellement à Goma
en République Démocratique du Congo (RDC) avec le Comité
International de La Croix Rouge (CICR), une institution qui
fournit protection et assistance aux victimes des conflits armés.
« À force, tout se fait naturellement, des rencontres aux changements
de lieux de vie. On trouve du bon partout, y compris dans des zones
d’apparences hostiles. » Kenya, Jordanie, Irak, Hong-Kong, Madagascar.
Bien que Clément se rappelle de rencontres touchantes
dans les collines conflictuelles du Masisi en RDC, travailler dans
le domaine humanitaire implique généralement des sacrifices.
« Pour travailler au plus proche des populations, il faut souvent
accepter de vivre au cœur de leur environnement. En travaillant à
Baghdad, Kakuma ou dans la brousse du Nord Kivu, on vit inévitablement
quelques moments difficiles où l’on se sent loin de ceux que
l’on aime et de notre confort occidental. Imaginez dormir une quinzaine
de jours par mois dans une clinique de campagne au milieu de
la brousse et manger des haricots et du manioc tous les soirs. Mais
on s’adapte à tout et, au final, l’expérience en vaut largement la
peine. » Sa vie actuelle à Goma, au cœur de la région des grands
lacs, n’a jamais été aussi loin de la mer, rythmée par les impératifs
et les urgences du boulot. « Par chance, je vis au bord du
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©NEVAREZ
La vue en sortant de chez elle. Myriem,
pieds nus dans le sable, profite de son changement de décor.
lac Kivu qui, malgré sa mauvaise réputation (gaz mortel et bilharziose),
ne nous empêche pas de faire des sorties stand up paddle et
admirer le volcan Nyiragongo. C’est un des volcans les plus actifs
au monde au cœur duquel existe un lac de lave impressionnant.
Autant dire qu’ici, la population ne vit pas en toute tranquillité... »
Dès qu’il quitte le pays, Clément ne rate pas une occasion d’aller
surfer. « Ma dernière sortie était à Madagascar en avril dernier. Ce
pays mérite d’être visité, avis aux baroudeurs surfeurs ! » Quand
on évoque les avantages, les inconvénients, ou les regrets, pour
Clément, tout semble très clair. Ou presque. « Les avantages ?
Déguster du vin sud-africain en brique à 35 °. Les inconvénients :
rater le journal de 13 h de Jean-Pierre Pernaut. Ou vice-versa. »
Niveau compromis, Julien a également su s’adapter à ce dont il
n’était pas habitué. « NYC, c’est une ville de compromis. Tu veux
vivre dans un quartier cool ? Ce sera au détriment de ton sommeil.
Vivre dans un quartier tranquille ? Tu devras accepter une ligne de
métro hasardeuse. Vivre au dernier étage dans un immeuble charmant
? Ta douche n’aura pas de pression. Payer un loyer abordable
? Tu devras vivre à deux heures de route. »
UN TEMPS D’ADAPTATION
La transition se fait souvent sans encombre mais le manque
tourne souvent autour de trois choses essentielles. « Le plus dur
est de se recréer un cercle de potes », raconte Olivier. « Vivre aussi
loin de ses proches nous fait parfois louper des événements importants.
Le plus gros compromis est au niveau de la nourriture. Au
bout d’un certain temps, le magret et le fromage, ça manque ! Il faut
aussi s’habituer aux coutumes locales. À Bali, la religion occupe une
bonne partie de la vie des habitants. » Alexandre confie qu’avec
un peu d’ouverture d’esprit, on finit toujours par s’adapter.
« D’un point de vue social, c’est comme quand tu arrives sur un
spot. Tu es humble, tu observes et tu t’intègres petit à petit. Tu ne
parles pas plus fort que les autres. Il ne faut pas oublier, que dans
ce cas de figure, tu es un immigrant. C’est toi l’envahisseur. » Sur
l’île de Siargao, David a su transformer ses vacances en quotidien
plutôt paisible, parfois trop tranquille à son goût. « La vie
est calme, les gens prennent le temps, ce qui peut parfois nous rendre
un peu tarés d’ailleurs ! Quand au petit matin, la moitié de ton
personnel n’est pas là et que leur excuse, c’est “Désolé, il pleuvait”
ou que le mec ne vient pas parce qu’il était bourré la veille, ça peut
rendre fou... Avec le temps, on en rigole ! »
BILAN POSITIF
Des parcours différents, des destinations éloignées mais un seul
et même bilan : aucun regret. « Je n’en retire que du positif »,
affirme Vincent. « L’Australie est incroyable, le surf est considéré
comme un sport à part entière, c’est vraiment intéressant. »
Pour beaucoup, la vie d’expatriés leur a appris la patience et la
sérénité comme vertus, l’appréciation des choses essentielles,
loin du matérialisme souvent mis en avant dans notre société.
« Qu’on soit en Afrique, en Europe ou ailleurs, on est tous les
mêmes », déclare Clément. « J’ai donc quelques difficultés avec les
élans de patriotisme. Où qu’ils soient, ça divise les gens. Mais à
chacun ces croyances ! »
94

SURFEURS
D’AILLEURS
TANDIS QU’UN PAQUET DE FRANÇAIS FUIT SUR L’HEXAGONE, AFFIRMANT L’ENVIE
DE FOUTRE LE CAMP POUR TOUT RECOMMENCER AILLEURS, UN BON NOMBRE
D’ÉTRANGERS VIT AU PAYS DE LA BAGUETTE, DU RAFFINEMENT, DU VIN ROUGE, DU
FROMAGE ET DU LUXE. ET ILS NE SEMBLENT PAS TROP S’EN PLAINDRE. QUI SONT
CES EXPATRIÉS QUI RÉSIDENT, SURFENT, TRAVAILLENT, ÉTUDIENT, INVESTISSENT,
FAÇONNENT OU CRÉENT À PROXIMITÉ DE NOS BEACHBREAKS ?
NOUS EN AVONS RENCONTRÉ QUELQUES-UNS.
PAR OLIVIER DEZÈQUE
Quelques étrangers font du tourisme,
d’autres restent. Ce sont d’ailleurs
vraisemblablement des riders australiens
et néo-zélandais de passage qui
ont amené le surf en Angleterre où ils
ont su susciter certaines vocations, qui
ont ensuite franchi les frontières pour
gagner la Bretagne. Sur la côte basque, c’est l’histoire bien connue
du réalisateur hollywoodien Peter Viertel qui est à la base des
débuts du surf en France. Quand, par bonheur, il débarque avec
une planche dans ses bagages pour le tournage de son film, il
amène, dans son sillage, beaucoup de fun pour les adolescents
biarrots. Ces derniers sont devenus les avant-gardistes du surf du
côté de Biarritz. Et si ces étrangers sont partis, le surf, lui est resté.
Jusqu’à ce que l’effet inverse ne se produise et que la France, ses
3805 kilomètres de côtes et ses innombrables spots, n’attire les
surfeurs étrangers en quête de bonnes vagues et d’un cadre de
vie agréable. En Méditerranée, le tout jeune Darrick Doerner était
ainsi venu y habiter durant une dizaine d’années, accompagnant
son père consul des États-Unis nommé dans la cité phocéenne :
« Je surfais la plage du Prado, à Marseille, un peu avant les années
70. Il y avait des petites vagues formées par le vent. Je n’allais à l’eau
que le week-end car j’étais à l’école à Aix-en-Provence. J’avais ma
Dewey Weber Performer qui collait totalement aux swells du coin et je
plongeais dans l’eau sans wetsuit. Je n’avais que 10 ans. Nous sommes
repartis à Hawaï après une tranche de vie là-bas. J’ai encore pas mal
de souvenirs. En tous cas, j’étais le seul à l’eau ce qui était déjà exceptionnel
», explique l’illustre waterman et lifeguard hawaïen. Si de
nombreux locaux surfent la Riviera, la majorité des étrangers qui
désire profiter des déferlantes entre Montpellier et la frontière
italienne restent des pratiquants en transit : des vacanciers qui
viennent taquiner les vagues, des voisins italiens ou espagnols
pour un one-shot sur une prévision de houle.
95

JAY ACUNA
CALIFORNIE --> SAINT-JEAN-DE-LUZ
Quittons le pays du Pastis pour rejoindre celui du patxaran.
Mickey Dora a été un de ces migrants résidant dans un confort
tout à fait relatif du côté de Guéthary pour y charger le gros
et pratiquer le golf. Il a pu voir ses derniers sunsets depuis le
village. Évidemment Da Cat a été influent, incitant un paquet de
surfeurs étrangers à venir découvrir la côte atlantique. Certes, le
surf est attractif mais le business et les carrières internationales
peuvent aussi motiver à la migration. Jay Acuna, originaire de
Newport Beach en Californie, employé de la société Quiksilver,
a été nommé à l’antenne européenne de Saint-Jean-de-Luz.
Changement de cadre pour le quadragénaire qui explique :
« Depuis trois ans, j’habite à deux pas de la Grande Plage. Je
travaille en tant que designer textile sur la collection Waterman. Fils
de surfeur, je surfe depuis les années 70 en appréhendant une glisse
plutôt classique ». San Onofre est le home-spot originel de Jay,
qu’on retrouve maintenant plus souvent à la Plage du Centre
de Bidart, à Parlementia ou à Sainte Barbe, des breaks proches
du lieu de travail de l’Américain. Les copains de la côte Pacifique
viennent usuellement rendre visite à la famille Acuna. Ils
aiment y découvrir la culture locale, le jambon fin et le vin de
nos terroirs en remisant temporairement les burritos ou autres
tacos qui commencent en revanche sérieusement à manquer
à l’expatrié... « Au-delà de la bouffe mexicaine, je ne regrette que
peu de choses. Il y a tant à vivre sur cette côte comme dans toute
l’Europe. Je trouve les Français habituellement très attentionnés et
assez positifs même s’ils m’exaspèrent avec leurs cigarettes et leurs
chiens qui défèquent partout », reprend Acuna avant de rebondir
sur l’ambiance surf. Elle est assez particulière de son point de
vue : « Beaucoup de débutants ne tiennent pas compte des priorités.
Les types ici aiment te tourner autour et partir sur tout ce qui
arrive. Je suis peut être un peu oldschool mais ma logique veut que
celui qui démarre sur une belle vague laisse passer le set suivant…
Non ? ». La famille californienne, assurément conquise par cette
nouvelle existence, se délecte de pouvoir prendre le temps de
vivre à la française, admirant les couchers de soleil depuis la
Côte des Basques, profitant des longues journées d’été ou des
repas détendus.
SAN ONOFRE EST LE HOME-SPOT
ORIGINEL DE JAY, QU’ON RETROUVE
MAINTENANT PLUS SOUVENT À LA
PLAGE DU CENTRE DE BIDART, À
PARLEMENTIA OU À SAINTE BARBE.
Une boisson : Saint-Nicolas-de-Bourgeuil et les blancs
de Bordeaux.
Un fromage : le petit basque.
Un petit-déjeuner : avocats et toasts
Un shaper : Kim Francis, mais il est Basque-Espagnol...
Un surfeur : Clovis Donizetti.
Un peu de culture : J’adore Brigitte Bardot, je viens de
terminer The Sun Also Rises de Hemingay. Ce n’est pas
francais mais l’histoire débute à Paris et se termine au
Pays Basque.
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@ DEVOS
GUY VAUGHAN SERJEANT
ANGLETERRE --> SAINT-JEAN-DE-LUZ
Il ne s’en rappelle pas très bien. Il pense que l’idée vient de sa
femme, avec qui il a quitté l’Angleterre. C’était en 2012. Destination
imprécise pour le couple qui est arrivé en camionnette
dans le nord du pays. « Ça a toujours été notre approche : aller
vers les vagues et se débrouiller pour trouver du boulot postérieurement.
C’est ainsi qu’on a vécu en Nouvelle-Zélande et au Portugal.
Puis nous sommes arrivés en France. Mon espoir initial était de
travailler sur les chantiers navals Bénéteau puisque je suis diplômé
dans cette spécialité », explique Guy dont le niveau de langue,
qu’il estimait trop approximatif en ce temps, l’avait convaincu
de ne pas candidater. La route reprend en direction du sud, en
longeant l’océan. Le ménage réalise qu’il n’a plus les ressources
pour imaginer un éventuel retour. Réservoir dans le rouge. Ils
arrêtent le camion à Saint-Jean-de-Luz. Coup de cœur. « C’était
super, on y a trouvé des vagues incroyables donc on a cherché du
boulot ici. Au début, j’ai œuvré comme charpentier et Hanni, ma
femme, a bossé dans un restaurant. On s’est instantanément fait
un groupe de copains et je pense pouvoir dire que l’intégration a
abouti puisque nous avons eu un enfant, Français du coup, et futur
surfeur évidemment. » Après avoir vécu un bon moment dans
un mobil-home à Lafiténia en jonglant entre les contrats, l’idée
d’ouvrir un atelier de shape se dessine. « Avec mon apprentissage
spécialisé, ma passion pour le surf, ça devenait une évidence. On
a donc ouvert cet espace dédié à la réparation et à la conception
de planches. On s’éclate, on construit des engins pour les gens d’ici
et on les retrouve au line-up. Tout se passe dans un rayon de cinq
kilomètres et, même si la famille semble un peu loin, c’est comme ça
qu’on a choisi de vivre », conclut Guy, jeune papa-shaper devenu
addict du sud de l’Aquitaine.
ON S’EST FAIT UN GROUPE DE
COPAINS ET JE PENSE POUVOIR
DIRE QUE L’INTÉGRATION A ABOUTI
PUISQUE NOUS AVONS EU UN
ENFANT, FRANÇAIS DU COUP.
97

WOODIE BOUMA
AUSTRALIE --> SEIGNOSSE
Maurice Cole ou Robbie Page appartiennent à ce groupe d’Australiens
qui a débarqué dans les Landes au milieu des années
80. Belly, le boss de l’atelier de shape Euroglass, fait aussi partie
de cette vague migratoire. Il ne cache pas son attachement au
territoire : « Beaucoup de Français me demandent pourquoi je n’ai
pas monté ma boîte en Indonésie ou en Australie… Je fais l’équivalent
en distance d’un tour du monde par mois. Autant dire que je vois
du pays. Le meilleur endroit du monde, synonyme de sécurité, d’assurance
maladie et d’emploi, bien souvent contrairement au point
de vue des natifs, c’est là où j’ai ma maison, en France ». Woodie
Bouma, lui, vient de la côte Est de l’Australie. Il est arrivé trente
ans après ses compères mais ses intentions ont été similaires :
« Ma mère est d’origine chinoise et mon père Hollandais. J’habite à
Seignosse, je suis le patron du restaurant Le Surfing situé aux Estagnots.
J’ai ouvert l’établissement en 2009. J’ai fait le tour du monde
à l’âge de 17 ans accompagné par ma mère et j’ai pris la décision
de rester sur le Vieux continent. Ça me plaisait ». Woodie passe
d’abord neuf hivers dans les Alpes puis choisit de s’installer
plus durablement sur la côte. Il trouve des locaux tout à fait
à son goût, découvre des conditions de surf exceptionnelles et
une nature plutôt présente qui offre de nombreuses possibilités.
« J’ai surfé de nombreux spots en France mais mes breaks favoris
sont proches du Penon, à Seignosse. Le restaurant est ouvert de mai
à octobre et j’ai beaucoup de travail durant cette période. Du coup,
je ne perds pas trop de temps à checker, je vais rejoindre le line-up
le plus vite possible. Il faudrait que j’explore un peu plus les plages
au Nord des Landes ! », reprend-il en se marrant. L’Australien
trouve que le niveau global des surfeurs a considérablement
évolué dans le pays : « Certains types sont très forts et il y a de
plus en plus de monde qui déchire. Ça laisse fatalement moins d’opportunités
de take-off ». Une clientèle ou un groupe d’amis originaires
d’un peu partout sur la planète gravite autour du Surfing.
Le lieu se veut simplement le reflet du lifestyle de l’Australien.
Woodie regrette de temps à autres l’éloignement de la famille
et des amis, peut-être aussi le côté véritablement sauvage de
la nature qu’il ne retrouve pas en France. Même s’il conserve
son affaire à Seignosse, rien ne l’empêche de regagner les siens,
les requins et les crocodiles en dehors de la saison. Un projet
pour les prochaines années : tenter de rendre son restaurant
auto-suffisant, sans impact sur l’environnement. Le Surfing va
devenir un restaurant avant-gardiste !
WOODIE PASSE D’ABORD NEUF
HIVERS DANS LES ALPES PUIS
CHOISIT DE S’INSTALLER PLUS
DURABLEMENT SUR LA CÔTE.
Une boisson : les vins de Bordeaux.
Un fromage : les brebis et le brie.
Un petit-déjeuner : bananes et chocolatine.
Un shaper : Chipiron Surfboards.
Un surfeur : Marc Lacomare et Benjamin Sanchis.
Un peu de culture : Emmanuelle Béart, Le Grand Bleu,
Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu, Chocolat.

SIMON RADOW
BERLIN --> BORDEAUX
Après l’Englishman in New York, le Berliner à Bordeaux.
L’Allemand Simon Radow y réside et surfe le plus souvent les
spots de Gironde. Avant tout passionné de skate, il a su profiter
de la proximité de l’océan pour glisser sur l’eau. « Je suis
arrivé pour étudier à l’université et je me suis finalement retrouvé
plus souvent à la plage que sur les bancs de la fac », explique le
jeune homme qui n’avait que très peu surfé avant son installation
en France. Simon s’est rattrapé et compte bien emmener
sa copine et son fils encore tout jeune à la découverte des
line-ups. Pour l’instant, c’est avec une bonne bande de copains,
tous des locaux, qu’il organise ses sessions, tantôt à Biscarosse,
Hendaye ou Biarritz. « J’étais à fond dans le skate et je ne
connaissais pas bien le surf avant d’arriver et j’ai été conquis. Mais
j’avoue que l’ambiance est bizarre. Parfois, je dis bonjour lorsque
j’arrive sur le spot et personne ne me répond... Mais il y a tellement
de visages et d’attitudes chez les pratiquants : entre le hippie,
le hipster, le performant, l’ancien et tous ceux qui ne rentrent dans
aucune de ces catégories… Finalement, je ne pense pas qu’il y ait
un style typique de surfeur français. Les plus sympas, à mon sens,
ceux qui m’ont donné des conseils quand je débutais, c’était les gens
plus âgés », détaille Simon qui va être contraint de rejoindre
Berlin pour quelque temps afin de valider son diplôme. Il
entend revenir après cette formalité pour profiter des sessions
tôt le matin, des spécialités locales, de la nature foisonnante. Il
aime la France mais reste un peu inquiet : « Parfois, je me dis que
les Français, en fait, ne sont pas si ouverts quand je vois leur façon
de réagir dans les médias quand il s’agit de politique surtout. Ceux
que je croisais lorsqu’ils étaient à Berlin semblaient beaucoup plus
émancipés et clairvoyants », conclut-il, avant d’enchaîner sur les
prévisions de vagues.
J’AVOUE QUE L’AMBIANCE À L’EAU
EST BIZARRE. PARFOIS, JE DIS
BONJOUR LORSQUE J’ARRIVE SUR
LE SPOT ET PERSONNE NE ME
RÉPOND...
Une boisson : Pessac-Léognan.
Un fromage : le beaufort.
Un petit-déjeuner : café noir mais je préfère
le petit déjeuner allemand.
Un shaper : Jock Surfboards.
Un surfeur : Tous !
Un peu de culture : Charlotte Gainsbourg est mon actrice
favorite et j’aime Le Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry.
99

PAUL CONIBEAR
PAYS DE GALLES --> DOUARNENEZ
Ancien champion du Pays de Galles de surf, vainqueur du
titre anglais à deux reprises et régulièrement sur la première
marche des podiums de skate, Paul Conibear est indubitablement
doué pour la glisse. Originaire de Langland Bay, il est
arrivé en Bretagne en 1972 pour profiter d’un hiver un peu plus
clément. Paul s’est installé à la Torche en 1987 afin d’épauler
Bruno Troadec sur les shapes de la marque Freezing Hot. À
63 ans, le surfeur s’est reconverti dans la musique, officiant
comme auteur, compositeur, interprète. Mais il a vécu l’évolution
du surf local : « Du côté de Douarnenez, là où je réside maintenant,
c’est terrible ! À l’époque, nous n’étions que deux fous à
l’eau. Maintenant, on se retrouve vite à quarante ! Les gars ont
progressé et surfent de mieux en mieux. Pas étonnant que certains
se retrouvent sur le Tour ! », raconte le Gallois avec son français
approximatif. Les régions sont agréables, la langue difficile
à maîtriser, mais ça n’empêche pas notre expatrié de s’emballer
sur ses souvenirs et ses escapades sur le littoral. La géographie
surf, il la connaît mieux que la grammaire. « En 1972, à Hossegor,
il n’y avait que deux bâtiments et trois types qui shootaient régulièrement.
La vague avait été exceptionnelle : un mini Raglan rien que
pour nous ! », reprend Paul, expliquant qu’il ne peut pas aller à
l’eau en ce moment à cause d’un problème aux ligaments. Il est
enragé et n’attend qu’une chose : shooter à nouveau ! Conibear
adore le rythme de vie qui s’accorde à la culture française et
admet que la nature bretonne ressemble beaucoup à celle du
Pays de Galles mais en plus détendue. Il regrette juste la politique
du pays : « Je n’aime pas trop me mêler de ça mais je pense
qu’il y a beaucoup de discrimination ici et cette montée des extrémismes
m’effraie un peu. Mais je ne veux pas en dire plus, je veux
juste parler des vagues ! ».
ORIGINAIRE DE LANGLAND BAY, IL
EST ARRIVÉ EN BRETAGNE EN 1972
POUR PROFITER D’UN HIVER UN
PEU PLUS CLÉMENT. PAUL S’EST
INSTALLÉ À LA TORCHE EN 1987.
Une boisson : Bourgogne.
Un fromage : le comté.
Un petit-déjeuner : café noir.
Un shaper : Rob Surfboards.
Un surfeur : FX Maurin.
Un peu de culture : J’adore Françoise Hardy.
100

TONE BROKER
NOUVELLE-ZÉLANDE --> QUIMPER
Tone Broker a gentiment bourlingué dans le Pacifique avant
d’arriver en France. Le Néo-Zélandais a ainsi vécu à Brisbane
puis Byron Bay, histoire de perfectionner son bottom, avant d’arriver
à Quimper. Il était alors âgé de 37 ans. Bassiste du groupe
Clara Kurtis, dj, professeur de musique, c’est la passion, l’envie
de vivre une autre culture et de descendre d’autres vagues qui
l’ont convaincu. C’est tantôt à la Torche, à Penhors, à Gwen ou
sur l’île aux Vaches que le kiwi exhibe ses manœuvres. « J’aime
l’ambiance surf en Bretagne. On n’est pas trop nombreux à l’eau.
La plupart de mes amis et mes deux beaux-fils viennent au line-up
avec moi et les gars qu’on ne connaît pas sont généralement super
sympas et accueillants », s’enthousiasme Broker. Ses projets vont
bon train en France. En plus de gagner sa vie avec la musique,
il donne dans l’événementiel et compte se marier dans les mois
qui viennent. On devine qui va s’occuper d’animer la soirée !
« Mes amis d’Australie ou de Nouvelle-Zélande viennent parfois me
rendre visite. Mon pays d’origine ne me manque pas réellement.
Okay, l’eau est plus chaude là-bas mais ce sont les gens qui me
réchauffent le cœur en Bretagne. Ils sont ouverts, plein d’humour
et cool », précise le surfeur. Certains expatriés restent ainsi un
moment puis repartent, d’autres prennent leurs vacances pour
rejoindre les spots de leur enfance, une fois par an, parfois à
l’autre bout du monde. Cependant, une majorité, conquise par
les atouts du pays, devient elle-même autochtone, empruntant
rites et façons de vivre. Les voyages forment la jeunesse et la
France attire indubitablement.
« J’AIME L’AMBIANCE SURF EN
BRETAGNE. ON N’EST PAS TROP
NOMBREUX À L’EAU ET LA PLUPART
DE MES AMIS SURFENT AVEC MOI. »
Une boisson : un bon champagne ou du bordeaux.
Un fromage : le morbier.
Un petit-déjeuner : avocat et roquefort sur un croissant.
Un shaper : Rob Surfboards.
Un surfeur : Alexis Deniel et Aurel Jacob.
Un peu de culture : le film La Cité des Enfants Perdus.
Héloïse Letissier (Christine and the Queens).
101

DOSSIER
102

SURFEURS
COLLECTIONNEURS
ET ENTASSEURS DE RÉSINE
ILS AIMENT POSSÉDER DES OBJETS LIÉS À LEUR PASSION ET PROTÉGER CES BIENS EN LES MAINTENANT
TEMPORAIREMENT HORS D’UN CIRCUIT ÉCONOMIQUE. ÉVENTUELLEMENT, ILS LES EXPOSENT.
LES COLLECTIONNEURS DE PLANCHES OU D’AUTRES GADGETS LIÉS À L’HISTOIRE DU SURF SONT UNE ESPÈCE À
PART. SI CERTAINS AMONCELLENT DES TRÉSORS DANS L’OPTIQUE DE LES METTRE À L’EAU ET D’EN
APPRÉCIER LES GLISSES SINGULIÈRES, D’AUTRES FÉTICHISTES RASSEMBLENT DES PANS ENTIERS DE
L’HISTOIRE DU SURF POUR DISPOSER, DÉCORER, SPÉCULER OU FLATTER LEUR EGO SANS CEPENDANT
CHEVAUCHER LEURS PRÉCIEUX DESTRIERS. EN TOUT ÉTAT DE CAUSE LES TYPES SE DÉLECTENT TOUJOURS DE
NOUVELLES ACQUISITIONS.
PAR OLIVIER DEZÈQUE
103

Une collection, même la plus disproportionnée,
est généralement toujours
personnelle et globalement incomplète.
Un fanatique australien n’aura
ainsi pas les mêmes perspectives
qu’un expert hawaïen mais les initiés
se connaissent bien et acceptent
l’idée de réunir leurs richesses avec celles d’autres spécialistes
du genre pour parfaire un ensemble. C’est un bric-à-brac de luxe
des sports alternatifs. Le concept est séduisant. Barry K. Haun, le
conservateur de la Surfing Heritage Foundation de San Clemente,
explique : « Notre exposition constitue le plus grand rassemblement
d’objets liés au surf sur la planète. La plupart des planches nous sont
prêtées. Depuis les premiers olos, aux planches du Duke en passant
par les Mark Richards, les Lopez, les anciennes Brewer ou les Merrick
qui ont conduit Kelly sur les podiums…, nous avons su réunir énormément
de ressources. Nous sommes donc une sorte de musée mais
nous organisons aussi des enchères et c’est presque la partie la plus
intéressante du fonctionnement de la SHF ». Ces ventes sont assez
régulières et réunissent des personnalités du monde du surf, des
collectionneurs prêts à enchérir et surenchérir mais également
une grande partie de curieux. Car ce type de meeting est aussi une
célébration de la culture glisse pour les amateurs et les curieux de
passage. Barry présente sa modeste collection de mugs ou d’accessoires
liés aux arts de la table version surf. Il précise que cette
catégorie de raretés est plus en harmonie avec son portefeuille, au
contraire des planches et de leurs cotations plus sérieuses : « Il y
a un peu de tout et ça dépend du produit. Le prix moyen se situe aux
alentours des 10 000 dollars. Cependant, on a vu des gens repartir une
planche sous le bras en s’étant allégé le compte en banque de près de
40 000 dollars. Tant qu’ils peuvent le faire et qu’ils sont satisfaits, tout
va bien ». Bien souvent, dans ce dernier cas de figure, le jouet ne
sera plus replongé dans l’eau salée mais trônera au milieu du lieu
d’exposition dédiée, parfois bien loin de l’océan.
Il existe donc un marché mais, selon les spécialistes, il n’est que
modérément spéculatif. Le vrai collectionneur ne revend ordi-

Sous les toits, si l’amas est déjà impressionnant, il y a toujours
une nouvelle pièce à y rajouter.
nairement que pour se procurer quelque chose de plus adapté
à sa démarche et la marge est peu significative compte tenu du
prix d’acquisition élevé et des normes de cette économie spécifique.
La plupart des initiés, de véritables fondus, se rencontrent
lors d’événements et nombreux sont ceux qui craquent.
« Parfois, plusieurs types veulent acheter un objet unique. Dans ce
cas de figure, soit ils en parlent entre eux et s’arrangent, soit ils
troquent des biens déjà acquis contre la planche convoitée, soit ils se
battent à coup d’offres. Une Pat Curren a par exemple été troquée
contre trois autres très bonnes planches », raconte l’assistant de
Barry Haun. Attention, il ne faut pas s’imaginer que les shapers
en question sont devenus des multimilliardaires. En réalité, c’est
souvent le contraire. Pat Curren, dont la cote a plutôt grimpé
cette dernière décennie, est tenté de hausser le prix de ses
productions pour ne pas perturber le marché mais vend finalement
moins de planches… Quel surfeur peut mettre plus de 10
000 euros pour une board ?
UN RÊVE ACCESSIBLE
Birds Surf Shed à San Diego est devenu une institution dans
son genre. Ce surf-shop est engagé dans l’achat et la vente
de planches dès qu’elles sont, d’une manière ou d’une autre,
ancrées dans l’histoire de la glisse. Gordon & Smith, Steve Lis,
Skip Frye, Hank Warner, Mark Richards et bien d’autres, parfois
neuves, parfois cabossées, trônent par centaines sur les murs
de l’immense dépôt. Ici, les planches ont davantage une valeur
émotionnelle que financière puisque le prix moyen d’un bonne
occasion tourne autour des 1 200 dollars. Bird, le propriétaire
des lieux explique : « Tu revendras toujours au moins au même
prix ton acquisition et tu peux être certain que le matos est au top.
Je ne vends pas de saucisses et je sais conseiller en fonction du type
de vagues recherchées. Mes clients sont un peu comme ces collectionneurs
de voitures qui aiment tester les différentes sensations apportées
par des engins de générations nuancées ». L’enseigne propose
un réassort constant et donne la possibilité à ses membres d’emprunter
au choix les outils présentés au sein du lieu. Ici, il n’est
105

Comme le surf, le skate a crée au fil des ans des modèles mythiques que les collectionneurs
s’arrachent ou s’échangent.
« ICI, LES PLANCHES ONT DAVANTAGE UNE VALEUR ÉMOTIONNELLE
QUE FINANCIÈRE PUISQUE LE PRIX MOYEN D’UN BONNE OCCASION
TOURNE AUTOUR DES 1 200 DOLLARS. »
donc pas nécessaire d’investir puisqu’on peut louer presque tout
le quiver du commerce associatif, soit près de 300 boards, pour
une cotisation de 100 dollars par an. Une aubaine. Bird est plus
que passionné et il connaît son boulot. C’est d’ailleurs lui qui
avait engagé les tous jeunes Jeff MacCallum, Josh Hall et Chris
Christenson alors qu’ils n’avaient pas encore passé le moindre
coup de rabot sur un pain de mousse. Le shop est assurément
une bonne école, ces trois employés étant devenus d’illustres
artisans soucieux de conserver l’art, la manière et la tradition !
L’HISTOIRE D’UNE COLLECTION
En France, Pierre et Stéphane se sont rencontrés en chinant
chez Emmaüs à la recherche de bonnes affaires. Si beaucoup
de collectionneurs s’intéressent aux planches californiennes, les
deux confrères ont opté pour une passion européenne principalement
en lien avec l’histoire du Vieux Continent. Les modèles
britanniques, au commencement shapés par des Australiens
et Néo-Zélandais expatriés dans le Devon, en Cornouailles ou
sur l’île de Wight, ont été les premiers jouets des amateurs de
vagues. Stéphane explique : « On pense qu’il n’y avait qu’une
production confidentielle mais c’est faux. Il y avait de la demande
dans l’Hexagone dans les 70’s et des camions entiers de boards arrivaient
sur nos côtes. Certains shapers, comme Steve Harewood,
avaient acquis une renommée. Il y avait plein d’histoires folles : l’arrivée
des saisonniers du Commonwealth qui connaissaient le shape,
des logos enlevés pour ne pas avoir à payer les droits de douane, des
fausses planches signées par les marques comme ça a été le cas pour
Freedom … ». Le passionné tente d’ailleurs encore aujourd’hui
de faire expertiser certains de ses flotteurs afin de s’assurer
de leur caractère authentique. Pierre, qui possède un peu plus
d’une centaine de planches, regrette de ne pas avoir eu l’occasion
de toutes les amener au line-up. « Ce matin, j’ai choisi un
thruster japonais des 80’s pour choper quelques bouts. Mais j’affectionne
particulièrement les singles et toutes les boards un peu parti-
106

culières », explique-t-il. Alors que Pierre apprécie le swap, le troc
de certains bijoux contre d’autres, Stéphane admet ne jamais
repartir d’un meeting spécialisé sans une nouvelle acquisition.
Le temps faisant son inexorable travail, certaines planches
sont en mauvais état et il faut savoir les rénover. Stéphane
entre dans le détail : « Il existe plusieurs possibilités et les puristes
préfèrent généralement utiliser des résines et les pigments originels,
ce qui ne facilite pas la tâche. Mais on peut aussi opter pour la
version de base de la réparation en rendant simplement la planche
étanche ». Nos deux mordus ne savent pas toujours quelle sera
leur prochaine acquisition. Ils recherchent des modèles conçus
entre 1976 et 1978 avec comme critère principal de trouver les
formes qui a priori n’intéressent personne à part eux-mêmes !
Sans doute plus facile ainsi.
LE PRIX DE L’AUTHENTICITÉ
À Biarritz, un petit passage chez Fred Guédon et sa fille Éléonore
permet d’apprécier une collection de qualité : planches
de skate, roues, boards en tous genres et originaires de Californie,
d’Hawai’i ou d’Australie sont présentées dans un état
impeccable. Une Gordon & Smith signée Skip Frye présente une
épitaphe sur la latte à l’honneur du 101 e anniversaire de George
Freeth, le premier surfer moderne. Elle semble sortir droit de la
salle de shape, presque neuve. Fred la réserve pour Parlementia
dès qu’il aura réglé le problème de la fixation du leash. « Je surfe
généralement mes planches. Je suis tombé dedans tout jeune. J’ai
travaillé au shop le Hangar dans les années 80 et c’est grâce au
patron, Gérard Decoster (lui aussi grand collectionneur d’objets en
tous genres liés à la culture surf, ndlr), que j’ai pu découvrir cet
univers. Je n’ai jamais lâché », explique-t-il dévoilant un autre
fish Frye, une Richards d’époque, des Bolts et sa collection de
planches de skate. À l’heure de la mécanisation et de la robotisation,
les modèles artisanaux classiques semblent regarder
l’horizon avec sérénité. Il y a de plus en plus de surfeurs, l’industrie
s’est emballée et a peut-être perdu ses marques. Le hardware
originel peut permettre aux passionnés de conserver un
lien avec l’authenticité du sport des rois. Il passe souvent des
nuits entières sur Craiglist, Le Bon Coin ou Ebay pour trouver
la perle rare et n’est pas toujours en mesure de se lever pour la
session de matin. Mais pour certains, ça vaut le coup ! Frédéric
m’avoue avoir fait un aller-retour au Canada juste pour acheter
un bibelot qui se devait de lui appartenir : « J’avais dégoté une
board, j’ai fait une offre et le type a accepté à condition que je passe
la chercher dans les plus brefs délais et que je le règle en liquide…
C’était outre-Atlantique et je me trouvais à Biarritz. Je n’ai pas
hésité. On se battait à coup de milliers d’euros, j’ai du dégoter du
107

« IL EXISTE DES COLLECTIONNEURS QUI CHERCHENT LES BONNES
AFFAIRES ET D’AUTRES QUI CHOISISSENT D’INVESTIR DES SOMMES
IMPORTANTES AFIN DE SPÉCULER OU DE BÉNÉFICIER
D’UN ABATTEMENT FISCAL. »
cash et je n’étais pas rassuré, peur de me faire tout voler lors de la
transaction vu que je ne connaissais pas le vendeur. J’ai pris l’avion
et j’ai pu finaliser le deal. Stoked ! ». Fred dévoile quelques autres
archives en relation avec sa culture, comme l’édition originale
du livre de Tom Blake Hawaiian Surfboard qui date de 1932,
quelques clichés de LeRoy Grannis, ou encore une boîte d’allumettes
de l’Outrigger Canoe Club. Une astuce de pro pour aspirants
à la passion de l’accumulation : utilisez un bid sniper pour
surenchérir efficacement sur les enchères en ligne.
OPPORTUNITÉ OU PASSION
Il existe des collectionneurs qui cherchent les bonnes affaires et
d’autres qui choisissent d’investir des sommes importantes afin
de spéculer ou de bénéficier d’un abattement fiscal. Certaines
spécificités des régimes d’imposition peuvent considérer l’acquisition
comme déductible d’un revenu annoncé. C’est le cas
aux États-Unis notamment. Les collectionneurs qui envisagent
les planches comme des œuvres d’art n’aiment pas trop qu’on
parle d’eux et des légendes tournent autour de mystérieuses
personnes qui n’achètent que des planches d’une taille déterminée,
d’une cote précise... La discrétion est de rigueur lorsqu’on
cherche à retrouver certains pontes du genre. Pierre et
Stéphane préférèrent rester d’ailleurs discrets sur leurs propres
identités, ne dévoilent pas leurs noms de famille et parlent avec
mystère de plusieurs de leurs pairs : « Certains individus dont
nous ne pouvons pas dévoiler les noms investissent effectivement
énormément d’argent dans des optiques de rentabilité ou de placement…
Nul de sait si ça leur rapportera un jour ». On peut parler
gros sous comme coups de chance dans cet environnement.
William Sager, un artiste inspiré par les belles courbes raconte :
« J’ai trouvé un twin Frye des 70’s en parfait état pour 200 $ dans
une brocante. Je peux revendre ça 2 500 $ mais je la conserve. Je la
ride lorsque je suis seul au line-up ».
Pierre-Bernard Gascogne, pionnier de la presse surf en France,
possède aussi un certain nombre d’objets d’exception. Deux
années d’études universitaires passées sur le North Shore à
l’époque bénie lui ont naturellement permis de parfaire un quiver
qui n’a cessé de grossir avec le temps. Mais selon l’homme à la
tête de la société de distribution Surf System, il est temps d’arrêter
d’entasser afin d’exploiter le stock à des fins pédagogiques.
Kelly Slater a récemment lancé un appel sur les réseaux sociaux.
Son ami Mike D, du groupe les Beastie Boys, surfeur et amateur
de beaux objets, s’est fait voler une vingtaine de pépites dans
son garage de Point Dume alors qu’il était en vacances à Biarritz.
Le King a dévoilé sur Instagram les photos de planches
dérobées pour tenter de retrouver ces précieuses boards. Si les
bandits s’intéressent à ce type de bien et qu’une forme de trafic
voit le jour, il ne reste plus qu’à louer des coffres-forts pour y
sécuriser les planches !
108

109
Le Bird’s Surf Shed de San Diego, un lieu original ou l’on change d’époque à
chaque regard. Et en plus, on peut surfer toutes ces planches !

TRIP
112
INDO PALS :
ALL STAR BOAT-TRIP
Par John Respondek
122
IRLANDE :
LA BÊTE MULLAGHMORE
Par Bastien Bonnarme
111

TRIP
112

HUIS-CLOS
INSPIRÉ
QUEL EST LE POINT COMMUN ENTRE BRETT WHITELEY, KURT COBAIN, PATTI SMITH, RELL SUNN ET KELLY SLATER ?
TOUS ONT ÉTÉ DANS UNE CERTAINE MESURE UNE SOURCE D’INSPIRATION POUR UNE POIGNÉE DE SURFEURS PARMI
LES PLUS CRÉATIFS ET INDÉPENDANTS AU MONDE. LORS D’UN BOAT TRIP AUX MENTAWAI, NOUS NOUS SOMMES ASSIS
AUX CÔTÉS DE DION AGIUS, OZZIE WRIGHT, CREED MCTAGGART, TAJ BURROW, CRAIG ANDERSON, NOA DEANE ET DANE
REYNOLDS POUR SAVOIR QUELLES SONT DONC LES INFLUENCES DE CES INFLUENCEURS...
TEXTE DE VAUGHAN BLAKEY
PHOTOS DE JOHN RESPONDEK
113

Frein à main avant tuyau pour Creed McTaggart, l’un des
successeurs de Taj pour représenter l’Australie de l’Ouest.
Qui a été la première personne que
vous avez considérée comme un
héros ?
Dion. Jy Johannson, un type de
Hobart, en Tasmanie. Quand j’avais
13 ans, il était déjà le meilleur jeune
surfeur en Tassie. C’était le meilleur
surfeur que j’avais vu en vrai.
Ozzie. Mon père était cité dans le livre Nat Young’s History of
Surfing. Nat disait de son surf qu’il était « dégingandé et libre ».
Moi je me disais : « Mon père est un surfeur célèbre ! ». C’était
mon héros. Il écrivait de la poésie à l’époque de la beat generation,
accompagnée d’illustrations au crayon de couleur.
Creed. Taj. J’avais huit ans lorsque Montaj est sorti et ce film
m’a chamboulé. Son style punk agressif me faisait tellement
kiffer et, en plus, la plus grande partie de la vidéo avait été
tournée dans le coin où je vivais, ça avait l’air encore plus vrai.
Je louais Montaj chaque semaine à la boutique Civic Video pour
la regarder en boucle. Je connaissais chaque chanson et chaque
vague dans la vidéo. Je partais surfer en chantant les chansons
dans ma tête et j’essayais de surfer de façon aussi punk que Taj.
Taj. Tom Curren. J’adorais tout simplement sa façon de se tenir
sur une planche.
Ando. Sentir la vitesse et la glisse sur la face d’une vague... Je
dois ça à mon papa. Il m’a ouvert à l’océan et je lui en serai
toujours reconnaissant. Sans perspective de boulot ou autre
filet de secours, il a embarqué toute la famille pour l’Australie
et quitté l’Afrique du Sud pour que mes sœurs et moi ayons un
avenir meilleur. Cette décision a changé le cours de ma vie.
Dane. Mon frère. Il a près de cinq ans de plus et pour moi il
était rad. Il était dans le skate, le tag et ce genre de trucs (nous
vivions à Bakersfield). Je voulais que ses potes et lui pensent
que j’étais cool, alors je faisais tout comme eux.
Noa. Kelly Slater. Le Slater de 2003. J’avais neuf ans alors et
c’était l’apogée de sa grande rivalité avec Andy. J’étais un fan de
Kelly plus que d’Andy. Plus maintenant. J’ai compris pourquoi
Andy était aussi fou, à cause de la façon dont beaucoup de gens
voulaient profiter de lui. Ça le tirait vers le bas. Mais Kelly à Pipe
et Chopes à cette époque, c’était quelque chose : son contrôle
incroyable de dos dans le tube et les trucs insensés qu’il tentait,
c’était trippant.
Quel a été le premier artiste à changer votre vision du
monde ?
Dion. Ma maman est peintre et elle possédait une galerie dans
ma ville natale en Tasmanie. Tous les jours après l’école, j’allais
la voir à l’œuvre. Elle m’a appris à dessiner et à peindre et m’a
insufflé un goût pour la création artistique. Je la remercie telle-
114

Le retraité Taj Burrow garde les séquelles de sa soirée d’adieu (coupe
iroquoise) comme de son surf haute performance.
ment pour ça. Je suis très mauvais dessinateur et peintre mais
avoir quelqu’un qui vous pousse à créer à un si jeune âge restera
pour la vie.
Ozzie. Star Wars a eu une grande influence sur moi. Je voulais
changer mon nom pour Luke. Avec mes cousins, on jouait avec
des bâtons sur les clôtures en fil de fer : cela faisait exactement
le même sons que dans les scènes de combat de Star Wars. Mes
tantes et oncles faisaient tous de la peinture également et, enfant,
ils m’ont poussé à dessiner et à peindre. Mon oncle Peter Wright
était un ami du célèbre peintre australien Brett Whiteley. J’avais
un recueil de ses dessins que j’adorais. J’aimais aussi les grafs
de Mambo et tout ce qui se faisait sur les murs et derrière les
manèges du Luna Park. Plus tard, vers seize ans, j’ai vu le film
Basquiat et découvert par la même occasion l’œuvre de Jean-Michel
Basquiat. Son art a eu une énorme influence sur moi.
Creed. À quatorze ans, j’ai commencé à aller à ce salon de
tatouage deux-trois fois par semaine après l’école. Je regardais
les gens se faire tatouer, j’écoutais de la musique et je restais
là à dessiner des bites sur un bout de papier toute l’après-midi.
Les gars qui travaillaient là-bas étaient des légendes absolues.
Ils me copiaient des CDs de compil’ de punk. C’est comme ça
que j’ai découvert des groupes comme The Circle Jerks, Black
Flag, Youth Brigade, GBH, The Addicts, les Dead Kennedys, etc.
Je me suis teint les cheveux en noir direct et je n’écoutais plus
que du punk rock old school. Je me croyais tellement cool !
Taj. Nirvana. J’adorais vraiment leur musique. Je ne m’en
lassais pas. Mon père me filmait beaucoup lorsque j’étais
un grommet et je voulais qu’il y ait du Nirvana sur chaque
séquence. Et finalement, ça m’a ouvert sur Led Zeppelin et
Cream, mais personne ne touchait sa bille comme Kurt Cobain
à ses débuts.
Ando. Un surfeur et artiste dans la vie : Matt Hoy. À 18 ans, je
suis parti en road trip deux mois avec Hoy et Ryan Heywood à
travers le désert en Australie de l’Ouest jusqu’aux côtes du sud
du pays pour rentrer chez nous. On traversait la campagne en
racontant des histoires, on parlait surf, on rencontrait des types
bizarres qui erraient pieds nus dans le désert et on fumait des
pétards. En repensant à ce trip, je me dis qu’il m’a beaucoup
appris. Ça a changé ma vision de la vie et du monde. Hoy a
toujours été un ami proche : on vit dans la même ville et j’ai
beaucoup de respect pour lui et sa génération de surfeurs, leurs
parcours, leurs personnalités... Il m’a aidé à grandir et à sortir
de ma coquille.
Dane. Ma mère. Elle a toujours été versée dans l’art ; elle
donnait des cours d’art à la fac quand j’étais petit et elle se
servait toujours de moi comme sujet. Je pense que ça a planté
une graine de créativité dans mon cerveau.
Noa. Ça se joue à pile ou face entre Nirvana et Dane Reynolds.
115

« JE NE ME CONSIDÈRE PAS DU TOUT COMME QUELQU’UN QUI À DE
L’INFLUENCE. J’EN APPRENDS TOUJOURS, J’ESSAYE DE SURFER
MIEUX ET J’ADMIRE TOUJOURS LES MÊMES GARS QU’AVANT. » DION
En fait, plus Dane que la musique. Dane a montré qu’on pouvait
faire à peu près tout ce qu’on voulait, car du moment que tu te
branles de ce que les gens pensent, ça finit par te rendre heureux
et les gens finissent par tripper sur ce que tu fais aussi. Nirvana
arrive en second. J’avais 16 ans quand je les ai entendus en
regardant un docu sur le festival Big Day Out dans un avion.
C’était mortel, je n’arrivais pas à croire que je n’avais pas tilté
sur eux plus tôt. Je n’ai pas arrêté de les écouter durant trois
ou quatre ans après. Et je le fais encore. Kurt était mort avant
que je sois né, ce qui est assez marrant. Il n’est plus là mais il
déchire toujours autant. Donc pertinent.
Qui a été le premier surfeur à vous inspirer?
Dion. Ozzie. Seven Days Seven Slaves a vraiment produit un
gros effet sur moi quand j’étais jeune surfeur. J’étais encore au
lycée et j’allais chez mon pote Jacob tous les jours après l’école
pour regarder la séquence d’Ozzie avant d’aller surfer 30 centimètres
onshore à Currumbin, à essayer de faire des airs encore
et encore. Aujourd’hui encore, il reste le surfeur que je préfère
regarder.
Ozzie. Tom Carroll était un grand héros quand j’étais un grom.
Lui et Occy. Puis Christian et Nathan Fletcher, puis Machado.
Tous les goofys. Je dirais Tom et Occ pour leur réputation de
power surfers australiens. Les Fletcher étaient comme des
extraterrestres venus du futur. Lorsque j’ai vu Supernatural, un
film sur Christian, j’ai pris une claque ! Je voulais faire des airs
toute la journée, sur chaque vague. Puis j’ai vu Machado sur un
Pro Junior et son surf rapide comme l’éclair, tout en douceur,
m’a beaucoup influencé par la suite.
Creed. Je suis devenu un fan de Wade Goodall. Nous sommes
partis en trip ensemble à Bali quand j’avais quinze ans et, à
chaque fois qu’il s’adressait à moi, je manquais de m’étouffer
(rires). Sa séquence dans Still Filthy reste l’une de mes préférées.
C’est du lourd... Les cinq derniers clips où il envoie des rotations
complètes et replaque sur le plat... What ? Personne n’envoyait
aussi énorme à cette époque.
Taj. C’était Kelly dans Black & White. J’adorais la façon dont il
surfait. Quand je l’ai rencontré, je ne suis pas arrivé à décrocher
un mot. Trop timide.
Ando. La séquence de Rob Machado dans Focus de Taylor
Steele. Ça a été une de mes premières vidéos, et quand je dis
vidéo, je veux dire une cassette VHS. Nous vivions dans une
petite communauté de surfeurs en Afrique du Sud et nous
n’avions pas Internet ; on n’avait que ça pour se motiver avant
116

L’inégalable Dane Reynolds s’applique au bottom-turn. On vous laisse
imaginer le move qui suivra.
d’aller surfer. Et puis, à Jeffrey’s Bay, j’ai toujours été fasciné par
Machado, Kalani Robb et Parko. Ils prenaient leur temps pour
dessiner des lignes différentes avec du style.
Dane. Tom Curren dans les vidéos The Search quand j’ai
commencé le surf. J’étais trop timide pour faire le fanboy, mais
je le voyais surfer à Ventura et je le regardais de loin. Je l’adorais
pour son style mais aussi un peu parce qu’il était du coin.
Noa. Dane à nouveau. Je pense à la façon dont il a l’air de n’en
avoir rien à branler lorsqu’il part sur une vague. C’est la façon
la plus cool de surfer. Personne ne surfe avec autant d’agressivité.
Tu le vois envoyer un turn énorme et là tu te dis qu’il
va enchaîner sur un truc tranquille, mais non, il y va encore
plus fort. J’ai entendu certains dire qu’il n’est plus aussi bon
qu’avant, et bien franchement, c’est la pire connerie que j’ai
entendue. Quand je mate les compétitions, je me dis qu’il les
éclaterait tous encore aujourd’hui. Je sais que c’est pas son truc
mais même à 80 %, il les enfumerait ces connards.
À quel moment précisément vous êtes-vous dit que vous
pourriez faire du surf votre boulot ?
Dion. Mon père m’a aidé à me convaincre que je pourrais
devenir surfeur pro, ce qui n’est pas rien quand tu viens de
Tasmanie. Je n’avais certainement pas le même niveau que les
autres kids de mon âge mais mon père a mis toutes les chances
de mon côté : il me conduisait sur toutes les compètes, sur
chaque session, il m’achetait des planches et des combis, il
m’encourageait et ça m’a aidé à croire en moi.
Ozzie. Un jour, alors que j’étais gamin, un local de Long Reef
nommé Tim Grainger m’a dit qu’il pensait que je pourrais être
surfeur pro un jour. C’était un très bon surfeur et je me souviens
que ça m’avait marqué.
Creed. C’est lorsque j’ai arrêté les contests que je me suis dit
que je pouvais faire une carrière dans le surf. Je ne supportais
pas ça. Les autres compétiteurs, tout me faisait flipper. J’avais
17 ans et les gens ne comprenaient pas pourquoi je ne me
montrais pas plus intéressé par la compétition. Et je respectais
beaucoup Ozzie pour ça, car il faisait exactement ce qu’il
voulait, et cette attitude m’a vraiment ouvert l’esprit. Je me
souviens avoir pensé : « Tu n’es pas obligé de surfer comme ça. Tu
n’es pas obligé de participer à cette compète de merde ou de surfer
ces vagues de merde ».
Taj. Quand j’ai reçu mon premier prize money sur les Billabong
Junior Series alors que j’étais gamin. Je pouvais voyager,
gagner de l’argent, et alors je me suis dit : « Eh, mais ça m’irait
très bien ça ! ». C’était tellement énorme d’avoir cette liberté en
tant qu’ado, alors j’ai fait tout mon possible pour gagner à partir
de là.
Ando. Lorsque j’ai invité ma mère et mon père à dîner après
117

Certains des surfeurs de ce trip mise beaucoup sur leur style, tant dans que hors de l’eau.
Dion Agius réussit à combiner les deux.
118

« OZZIE WRONG EST DIEU. LE
BONHOMME LE PLUS COOL QUE
LE SURF AIT JAMAIS PRODUIT.
IL VIENT D’AVOIR 40 ANS...
T’Y CROIS ÇA ? » ANDO
avoir signé un contrat de cinq ans avec Quiksilver, ça a été un
grand moment pour moi. Ils étaient fiers, ils m’ont dit de belles
choses et j’ai eu ce sentiment de réussite que l’on a quand on est
en mesure de subvenir aux besoins de quelqu’un.
Dane. Quand j’avais 15 ans, je suis parti en trip pour Surfer
Magazine avec Dave Rastovich, Brendan Margieson, Donavon
Frankenreiter, Kamalei Alexander et Danny Fuller. Ils ont passé
plein de photos de moi et je me suis dit que c’était bon. J’étais
devenu un pro (rires).
Noa. Lorsque Kai (Neville) m’a demandé d’être dans son film
et que je me suis senti à la hauteur. C’était vraiment mon but :
être dans un film de Kai Nev. Je crois que c’est ce qui m’a
fait travailler super super dur plus que tout, et qui m’a permis
d’avoir un bon contrat l’année suivante. J’avais déjà un bon
contrat mais Cluster m’en a offert un bien meilleur. Je n’ai plus
eu qu’à surfer après ça.
Cela vous fait quoi d’être des sources d’influence à votre
tour ?
Dion. Je ne me considère pas du tout comme quelqu’un qui à
de l’influence. J’en apprends toujours, j’essaye de surfer mieux
et j’admire toujours les mêmes gars qu’avant. Je me sens encore
comme un grommet tout excité.
Creed. Je ne crois pas que j’ai la moindre influence ! (rires)
Mais c’est cool de voir des kids qui trippent sur certaines de tes
vidéos.
Taj. J’en suis fier, c’est sûr. Lors de ma compet Small Fries
à la maison, je rencontre des kids que j’ai pu inspirer et c’est
vraiment cool comme sensation. Se souvenir du nombre de
personnes qui nous regardent surfer et qui ont pu être influencés
par moi-même et d’autres surfeurs, c’est quelque chose de très
plaisant.
Ando. Quand je reçois des messages de sympathie sur Facebook
ou sur les autres réseaux sociaux - sur la façon dont on me
considère ou sur comment je surfe -, et bien c’est certain qu’il
s’agit d’un sentiment agréable. Dans l’idéal, je voudrais inciter
les gens à être heureux, à avoir de bonnes intentions et à être
bons envers les autres.
Dane. Si j’ai pu avoir une quelconque influence positive, alors
je peux certainement en être fier, mais il est difficile de dire d’où
d’autres personnes tirent leurs influences. Je serai incapable
d’observer quelqu’un et de deviner s’il a été influencé par moi...
Peut-être que les gens sont tout simplement influencés par les
119

Quand Craig Anderson s’échappe du paquet de surfeurs encore présent au pic malgré l’heure
tardive, on sait qu’il va se passer un truc sympa. Frontside air le genou toujours bien en dedans.
mêmes choses que moi !
Noa. C’est carrément mortel et dingue à la fois. Du moment que
je n’ai pas une mauvaise influence (rires).
Y a-t-il un surfeur ou un style particulier sur le World
Tour qui vous excite ?
Dion. Matt Wilko à J-Bay, l’année où il a fait demi-finale. C’était
le surf backside le plus dingue que j’ai jamais vu.
Ozzie. Go Wilko ! Voir Wilko gagner sur la Gold Coast et à Bells
a été top. Il vit dans ma rue. J’espère qu’il va remporter le titre
mondial. J’adore aussi Kai Otton, John John et Dane, mais il a
lâché l’affaire... Ce qui est génial !
Creed. Je regardais toutes les séries avec Andy quand j’étais
petit. Je trouvais le Tour plus sympa à regarder à l’époque. Je
suis content que Ryan Callinan et Jack Freestone soient montés
sur le Tour. Gamins, on se retrouvait souvent opposés en
compet, alors j’essaye de suivre leurs séries.
Ando. Ryan Callinan. Ceux qui ont eu la chance de passer du
temps avec lui savent pourquoi. C’est un mec unique et un
ami proche. C’est la personne la plus joyeuse, la plus positive
et la plus incroyable qui existe. L’année dernière, je suis allé à
Hawai’i pour le suivre sur les deux dernières épreuves de qualification
et, putain, il a joué avec nos nerfs c’est sûr. Il est passé
par des moments difficiles et le voir se qualifier pour sa famille
était indescriptible.
Dane. Sebastian Zietz a un surf bien cool et c’est énorme de
voir Matt Wilkinson gagner des épreuves... Je kiffe la vitesse de
Filipe (Toledo) et John John comme Gabriel sont évidemment
mortels... Mais pour en revenir à la question, ce n’est pas vraiment
sur le Tour que je trouve mon inspiration.
Noa. John John surfe vraiment pas mal ces derniers temps. Il
a eu des bons scores par le passé sur des airs merdiques mais
maintenant il envoie des airs de malade avec réception sur le
plat, des trucs vraiment durs à replaquer. C’est plutôt couillu à
faire en série, surtout quand il pourrait faire un snap et obtenir
le même score, parce qu’ils ne donnent plus de points pour les
airs. Et devine qui d’autre ? Parko déchire. Je ne sais pas s’il
avait perdu son style quand il visait à fond le titre mondial mais
il a un surf super doux de nouveau, que ce soit en série ou en
freesurf.
Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans le surf en ce
moment ?
Dion. Toute la nouvelle bande de freesurfeurs et le freesurf
en général. Il y a tellement de jeunes avec de vraies personnalités
et qui bossent tous très dur. Craig Ando, Creed, Noa, Dane,
Brendon Gibbens, Jay Davies, Shaun Manners, Chippa... La liste
est longue.
Ozzie. Probablement Mason Ho. C’est le surfeur que je préfère
regarder. J’aime aussi les films de Jack Coleman. Tous les
120

Avec une équipe pareil sur un bateau, nul doute que le séjour a été plutôt
animé. On n’a pas réussi à trouver une photo sans une bouteille de bière...
trucs avec des fishs et des planches finless... J’adore ça aussi.
Mais le truc qui m’inspire le plus, c’est simplement surfer pour
moi-même.
Creed. Je dirais probablement mater Ryan Burch et Bryce
Young surfer sur leurs propres créations.
Taj. Moi aussi, j’ai vraiment aimé Ryan Burch dans Psychic
Migrations, tout comme Bryce Young : ils déchirent sur des
planches zarbi. Ça tient beaucoup à ma nouvelle vie qui me
permet d’expérimenter davantage avec des planches.
Ando. Ozzie Wrong est Dieu. Le bonhomme le plus cool que
le surf ait jamais produit. Il vient d’avoir 40 ans... T’y crois ça ?
C’est fou l’influence qu’il a eu et a encore. Quand il est à l’eau
ou qu’il rentre dans une pièce, il dégage une énergie folle. Tellement
de talent et un mec authentique.
Dane. Noa, Jay Davies, euh ... la vidéo Dill & Beeg Project (avec
Dillon Perillo et Brendon Gibbens, ndt) était mortelle. Je viens
de faire un trip avec Beeg et il surfait tellement bien. Et Taj, pour
toujours.
Noa. Surfer au taquet. On est descendus dans le sud avec Ellis
(Ericson), on avait pris dix planches différentes pour se les
échanger ; on a surfé des engins vraiment bizarres, comme une
6’4 Rusty des années 90 avec un dessin de Pamela Anderson. Et
elle marchait grave ! Rasta est un bon exemple qui prouve que
surfer des planches différentes te fait progresser.
En dehors du surf, qui ou quoi vous inspire le plus en ce
moment ?
Dion. La Tasmanie pour sa simplicité... Et la visite du MONA
(Museum of Old and New Art). Je suis tellement attiré par la
Tasmanie. J’y suis retourné trois fois dans l’année. Le fait d’être
dans la brousse, avec de vieux potes, sur des plages vides, l’air
froid vivifiant, des endroits où j’ai appris à surfer... Ça a été l’une
des expériences les plus nostalgiques que j’ai jamais connues.
Ça m’a vraiment poussé à essayer de revenir à une vie plus
simple.
Ozzie. Juste certains de mes artistes et morceaux préférés. J’ai
écouté les Butthole Surfers toute la journée hier et je me sentais
plutôt bizarre, alors je suis parti faire quelques graffs. J’ai pas
mal exploré le reggae aussi.
Creed. Toutes les personnes autour de moi m’inspirent en ce
moment. C’est cool de voir vos amis faire ce qu’ils aiment.
Ando. Créer une marque de vêtements avec des amis.
Apprendre des trucs et faire partie de quelque chose plutôt que
de juste coller un sticker sur ta board.
Dane. Je regarde du skate à fond. Les transitions me font
beaucoup penser au surf. Ces mecs sont tellement radicaux et
sauvages. Et pas seulement dans leur façon de skater, mais aussi
dans leur culture. Des mecs sans concessions... Je kiffe leur côté
vrai.
Noa. Juste surfer. Je n’ai pas beaucoup de temps pour autre
chose en ce moment. Je suis kéblo sur le surf. Mais j’avoue que
quand tu surfes trop, ça te ramollit le cerveau. Au lieu de rester
sur place à gamberger, tu restes là à ne penser à rien (rires). Y’a
pas mieux.
121

BIG SURF
MULLAGHMORE
LA BÊTE IRLANDAISE
LA GAUCHE DE MULLAGHMORE FAIT PARTIE DE CES SPOTS QUI FASCINENT AUTANT QU’EFFRAIENT QUAND TOUS
LES ÉLÉMENTS COÏNCIDENT POUR QUE SE METTE EN PLACE UNE SESSION HORS DU COMMUN. EN MARS, LE REEF
IRLANDAIS A AINSI VU DÉFERLER DES VAGUES AUSSI LARGES QU’ÉPAISSES, QUE QUELQUES CHARGEURS ONT
DÉFIÉ. UNE SESSION QUE LES PROTAGONISTES NOUS FONT REVIVRE.
PHOTOS DE BASTIEN BONNARME
122

123

En route pour un double tube, Benjamin Sanchis cale sa ligne
et gère la trajectoire pour rester en vie.
BENJAMIN SANCHIS
37 ANS, FRANCE
« Mullaghmore, c’est de loin le spot que je préfère en Europe pour
le tow-in. C’est un peu moins extrême que Teahupo’o mais cela
permet de tuber plus profond. Comme sur cette vague : j’avais
lâché la corde tôt et j’etais vraiment loin dedans. Je savais qu’avant
d’arriver dans le chenal il allait falloir faire du chemin et passer
quelques obstacles ! Après ce genre de journée, je ressens comme
un flottement... Faire du tow-in pendant quatre heures dans un
Mully parfait et avec juste quelques amis, c’est dur de faire mieux...
C’est vraiment du luxe ! En plus, ce jour-là, tout le monde était
super détendu. Tous les surfeurs présents connaissaient bien le
spot et savaient comment bien le surfer. »
«JE SAVAIS QU’AVANT D’ARRIVER
DANS LE CHENAL IL ALLAIT
FALLOIR FAIRE DU CHEMIN ET
PASSER QUELQUES OBSTACLES !»
124

Moment suspendu pour Indar, remis de son lourd wipe-out, qui
trouve l’ouverture à la rame.
INDAR UNANUE
28 ANS, ESPAGNE
Est-ce que tu connaissais déjà Mullaghmore ?
J’avais déjà vu des photos et des vidéos et, comme tout le
monde, cette vague me faisait halluciner... Ça faisait quelques
années que je voulais m’y frotter et j’ai pu y aller l’an passé pour
la première fois. Ca’était un petit Mully, 2 m 50, et ça nous avait
déjà bien remué... Et cette fois, j’ai eu l’une des plus grosses sessions
de ma vie...
Qu’est-ce qui est le plus difficile là-bas ?
Les dangers dépendent de la taille, du vent et de la direction du
swell. Un jour énorme comme celui-là, le plus dur est de parvenir
en bas de vague. En plus, la vague est très rapide. Si ta ligne
n’est pas bonne dès le début, tu te fais croquer. Si tu pars bien,
si tu parviens à tenir ta trajectoire et à te mettre dans le tube, il
faut encore faire attention à ces gros clapots qui peuvent nous
désarçonner sur la section finale. Et sans parler du froid glacial
qui règne toujours sur ce spot...
pas bien en terme de planches et de matériel, notamment les
jet-skis. J’essaye, dans la mesure du possible, de partir sur des
swells qui peuvent se surfer à la rame.
Quelle est l’ambiance une fois au large à Mully ?
C’est très intimidant... C’est la vague la plus effrayante que je
connaisse. Mais les locaux parviennent à bien détendre l’atmosphère
et, grâce à eux, l’ambiance est très bonne à l’eau. Je me
suis senti accueilli par la famille irlandaise, ils sont super sympas.
Parle-nous de ce wipe-out...
C’est l’un des plus violents de ma vie ! J’ai vu que la section se
formait parfaitement et tout se passait bien jusqu’au bottom...
Là, un gros clapot m’a déséquilibré, je suis remonté trop haut,
j’ai volé et je suis tombé très violemment sur mes côtes... J’ai
essayé de gonfler mon gilet mais je n’y suis pas arrivé. Du coup,
j’ai tenu le coup jusqu’à remonter à la surface...
Tu préfères la rame ?
Oui, c’est sûr, partir à la rame m’amuse beaucoup plus. Je n’ai fait
du tow-in qu’une ou deux fois dans ma vie et je ne m’y connais
125

CONOR MAGUIRE
23 ANS, IRLANDE
Comment était ce jour comparé à d’autres ?
Cette session à Mullaghmore était certainement la meilleure de l’année, et
probablement la meilleure que j’ai eue là-bas. C’était le dernier jour d’une
longue semaine de swell avec des sessions toujours plus énormes. J’ai cassé
cinq planches pendant cette houle. Il n’y avait qu’un petit groupe à l’eau,
contrairement aux autres jours où c’était plutôt fréquenté. Je faisais du tow-in
avec Jérôme Sahyoun, Barry Mottershead et Will Skudin faisait équipe ensemble
tandis que Natxo Gonzalez et Indar Unanue tentaient leur chance à
la rame. C’était une session spéciale. Le soleil faisait de rares apparitions et
l’endroit ressemblait par moment à Teahupo’o, magique ! Tout le monde a surfé
des vagues incroyables, ce qui n’a fait qu’amplifier cette vibe incroyable au
line-up. Jérôme m’a lancé sur trois des meilleurs barrels que j’ai surfé là-bas. À
la fin de l’une d’elle, quand Jérôme est venu me chercher, un banc de dauphins
avec leurs bébés nous avaient rejoint. Ils nous ont suivis au line-up pendant un
moment, avant de s’en aller. C’était un matin surréaliste !
Qu’est-ce qui est le plus difficile quand on surfe Mully ?
Le challenge consiste à surmonter sa peur et sortir de sa zone de confort. La
vague est si imposante et intimidante que ça demande beaucoup de force
mentale pour accepter de se mettre dans une telle situation. Quant à surfer la
vague, c’est tout une histoire : Mully, c’est un peu comme un mix de tous les
spots de grosses vagues les plus fous du monde. La lèvre est aussi épaisse que
Teahupo’o, aussi longue que Cloudbreak et aussi atrocement imprévisible que
Shipsterns. Le mur de la vague paraît sans fin. Quand tu lâches la corde ou que
tu te mets à ramer, tu as l’impression que tu n’arriveras jamais au bout. Il y a
tellement d’eau qui se retire du reef qu’on a l’impression qu’on va être aspiré
par la face et projeté sous la vague. Et une fois qu’on se trouve dans le tube,
il faut négocier une série de marches et de remous. Et rien ne garanti que la
vague ne ferme pas, c’est la partie la plus effrayante. Le barrel a tendance à
s’effondrer, on dirait que la vague fait tout pour vous blesser. Mais si tu arrives
à en surfer une, ça efface toutes les raclées du monde !
Qu’est ce que l’on ressent quand on surfe ce genre de barrel ?
C’est un sentiment assez difficile à expliquer. Tes sens fonctionnent à toute
vitesse et ton cerveau essaie de traiter toutes les informations qui lui parviennent,
tout ce qui se passe autour de toi. Toutes les émotions possibles
traversent ton corps en un instant. On devient si intensément concentré sur
le bout du tube que toutes les autres pensées quittent le cerveau. Même le
bruit de tonnerre que fait la vague est réduit au silence par la concentration.
Ce n’est qu’une fois que l’on est en sécurité dans le canal qu’on commence à
réaliser ce qui vient juste de se passer.
Qui t’as réellement impressionné ce jour-là ?
Tout le monde ce jour-là a surfé des vagues incroyables. C’était une réelle
source d’inspiration que de regarder les autres et ça m’a aussi aidé à me surpasser.
126

127
Conor se loge dans un tube deux fois plus large que haut.
Des dimensions dont rêve toute l’année le chargeur irlandais.

128
Natxo replaquera son drop avant de se lancer dans un barrel
dont il ne sortira finalement pas.

NATXO GONZALEZ
21 ANS, ESPAGNE
Connaissais-tu cette vague avant cette session ?
J’étais venu l’an dernier sur une bonne houle, mais pas aussi
bonne que celle-là. Donc ce premier voyage tenait plus de la
reconnaissance des lieux, de la vague et de la rencontre avec les
locaux. C’est le plus important puisqu’il faut au préalable mettre
en œuvre tous les moyens existants pour être en sécurité quand
on surfe. Il faut pourvoir compter sur les locaux, ils connaissent
la vague et peuvent nous apprendre beaucoup. En réalité, c’était
la première fois que je la voyais dans toute sa splendeur et je
pense que c’est la vague la plus puissante que j’ai surfé de toute
ma vie.
Quelles sont les caractéristiques de ce spot, ses difficultés ?
Ce jour-là, la vague était à la limite du surfable à la rame. J’étais
à Jaws pour la compétition de la WSL en 2015 qui reste comme
la plus incroyable de tous les temps mais je peux te dire que
Mully me paraît beaucoup plus puissante que Jaws. De plus, elle
offre des rides plus intenses et des vagues plus creuses qui te
permettent de prendre des tubes gigantesques. On comprend
mieux la brutalité de ce monstre... Je n’ai jamais surfé Fidji ou
Teahupo’o mais je crois que c’est une des vagues les plus violentes
de la planète.
Comparé à d’autres vagues géantes, qu’as-tu pensé de Mully ?
Mully est directement exposée à l’Atlantique, comme d’autres
vagues worldclass du Big Wave Tour peuvent l’être. Certaines
ont un fond sableux, d’autres rocheux, comme Mully. J’ai surfé
pas mal de ces vagues et je peux dire que Mully possède au
moins la même force, la même intensité. En terme de longueur
et tuberiding, le classement serait le suivant : Mully, Puerto Escondido,
Jaws puis Punta Lobos.
Quelle est l’ambiance à l’eau ?
Quand les choses deviennent sérieuses, on a tous besoin les uns
des autres. La moindre erreur dans ce type de vague peut te coûter
la vie, le reef est là pour rappeler à l’ordre ceux qui n’ont pas
le niveau suffisant ou qui sont trop audacieux. Donc il faut être
à la hauteur des circonstances et démontrer que, en plus d’être
capable de prendre des bons tubes et de contrôler tes émotions
en situations extrêmes, tu peux être un soutien important pour
les autres. On peut attendre ce genre de conditions pendant des
années, on est constamment sur la brèche et prêt à profiter des
moments-là.
Raconte-nous ce drop incroyable...
Ce fut une des vagues les plus incroyables que j’ai surfé de ma
vie. C’était un jour compliqué, avec du vent et une rame quasi
impossible. En parlant avec les locaux, tous me disaient que la
rame n’était pas envisageable et que, pour leur part, il fallait y
aller en tow-in. J’étais avec Tom Lowe, grand connaisseur des
lieux, et il me disait que c’était très dangereux, qu’il n’irait pas
surfer. Tout ce que moi je voyais, c’était des tubes de 7 mètres
et l’opportunité de scorer la vague de ma vie, malgré le danger.
Dans l’eau, je me concentrais sur mes objectifs pour accomplir
mon rêve pour lequel j’avais attendu quatre ans. Indar Unanue
m’accompagnait, nous étions au pic et voilà qu’arrive un set
de bombes, Aucun des équipages de tow-in n’était parti dessus
et on pouvait donc tenter notre chance. Quand j’ai vu cette
vague, j’ai commencé à flipper mais j’ai fait demi-tour et j’ai
ramé comme un fou, effectué le drop de ma vie et, quand le tube
s’est formé, ce fut une sensation intense. Je suis tombé à la fin
du tube mais je venais de réaliser un de mes rêves. Je suis sorti
de l’eau et j’ai pleuré pendant une heure, d’émotion et de joie. Je
n’ai jamais vécu quelque chose comme ça, je m’en souviendrais
toute ma vie. Ce fut un jour magique, nous avons tous triomphé.
J’ai repoussé mes limites au maximum. Je ne peux pas m’empêcher
de repenser à ce moment et j’espère que des conditions
similaires se reproduiront pour scorer la prochaine “meilleure
vague de ma vie”.
LA MOINDRE ERREUR DANS CE TYPE DE VAGUE PEUT TE COÛTER LA
VIE, LE REEF EST LÀ POUR RAPPELER À L’ORDRE CEUX QUI N’ONT
PAS LE NIVEAU SUFFISANT OU QUI SONT TROP AUDACIEUX.
129

130

PORTFOLIO
GALERIE II
131

Spécialiste du spot de Teahupo’o et ancien vainqueur du CT ici-même, Bruno Santos ne rate que peu
d’occasions de se perfectionner sur sa gauche de prédilection.
PAR DAMIEN POULLENOT

Une courte sieste pour attendre la bonne marée, lever le nez
de sa serviette, voir ça, filer à l’eau.
PAR PAUL CRÉTINON
134

135
En Méditerranée, Édouard Delpero sait qu’il faut profiter rapidement de tous les bons
coups qui se présentent. Cap Saint-Louis, presque à l’abri des regards.
PAR KÉVIN MÉTALLIER

136

La silhouette d’Erwan Blouin se détache de ce tube émeraude dont la vitesse
lente lisse un peu plus la surface.
PAR ANTOINE JUSTES
137

Sous les mains de Paul Duvignau, un pain de mousse qu’il sculpte patiemment
avant d’aller le mettre lui-même à l’eau. La chaîne de production est maîtrisée.
PAR DAMIEN POULLENOT
138

Un autre genre de mousse que la nature se charge elle-même de shaper dans sa
furie sans équivalent. À Nazaré, les formes et textures surprennent toujours.
PAR LAURENT MASUREL
139

140

À domicile, à Tahiti comme dans le tube, Tikanui Smith prend ses aises et trouve
suffisamment d’espaces pour y déployer sa grande carcasse.
PAR BEN THOUARD
141

Le jour frise à peine mais les premières vagues s’enroulent déjà à
l’Embarcadère. Tout ce qui est rare et cher, dit-on. C’est le cas des vagues ici.
PAR STEVIE POTERLOT

143

Quand, après avoir garé votre voiture, vous découvrez cette vue, inutile de vous attardez
ni de penser à la foule potentielle : filez à l’eau. Mundaka.
PAR PAUL CRÉTINON
144

145

PAR BEN THOUARD
146

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150
UN PEU EN RETRAIT
PORTRAIT LOCAUX
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FIGURES
UN PEU EN RETRAIT
ILS ŒUVRENT DANS L’OMBRE, SANS PRÉTENTION NI VOLONTÉ DE SE METTRE EN AVANT.
CES PERSONNAGES FONT POURTANT PREUVE D’UNE PASSION DÉBORDANTE, VOIRE ENVAHISSANTE,
POUR LE SURF ET TOUTE LA RICHESSE QU’IL ENGLOBE. ILS SONT ARTISTE, RESTAURATEUR, HÉROS LOCAL,
BÉNÉVOLE, EXPATRIÉ..., MAIS SURTOUT DE SIMPLES SURFEURS. VOICI LEURS PORTRAITS.
À LEUR NIVEAU DES SOURCES D’INSPIRATION POUR VIVRE LE SURF CHACUN À NOTRE FAÇON.
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© CRÉTINON
KARIM REJEB
BIEN DANS SA BULLE
ARTISTE-PEINTRE, MUSICIEN, CONSTRUCTEUR DE SKATEPARKS, GLOBE-TROTTEUR ET ÉTERNEL GAMIN TEL-
LEMENT ATTACHÉ À SES PLAYMOBILS QU’ILS LES FAIT JOUER DES RÔLES IMPROBABLES. KARIM REJEB N’EST
DÉFINITIVEMENT PAS UN SURFER COMME LES AUTRES.
TEXTE DE FABRICE LE MAO
PHOTO DE PAUL CRÉTINON
Le temps. Depuis son enfance, Karim Rejeb
bascule entre différentes valeurs temporelles
qui s’entrechoquent et se complètent. Il y a le
temps qui s’étire quand il prend un pinceau.
« La peinture est une approche très intériorisé.
C’est moi, la toile et l’image qui apparaît petit
à petit. Plus rien n’existe autour. C’est une sensation que je retrouve
dans le surf, dans ces moments où rien d’autre n’existe sur Terre que
la vague sur laquelle tu te trouves. Je me vide totalement de toutes
pensées. Ce sont deux bulles quasiment identiques sauf que la peinture
n’a pas ce côté physique que je retrouve quand je fais mes films
d’animation. C’est bizarre… C’est comme un triumvirat. Une sorte
de trinité méditative entre les trois. » N’est pas artiste qui veut. Cela
vous tombe dessus. C’est un mode d’expression. « J’ai besoin de
ce mélange de sensations quasi méditative que je ressens quand je suis
dans ma bulle. Tout ce que je fais, je le fais comme un prétexte pour
être dans cette bulle. » Quelle meilleure définition de la passion
? « J’aime le fait que toutes mes occupations, professionnelles ou
personnelles, soient liées les unes aux autres. Tout gamin, mes parents
encourageaient mon attirance pour le dessin », se souvient Karim.
« Puis je me suis mis au surf. Beaucoup plus physique. Puis je me
suis mis à décliner toutes mes activités à partir de mon obsession
pour le surf. Les Playmobil et les films d’animation, c’est la croisée
des chemins entre l’envie de créer quelque chose d’unique – un peu
comme un tableau – mais c’est très physique parce que je suis pieds
et poings liée à la notion de temps. » Un peu comme en surf, finalement.
Quelques instants trop tard et la marée change la donne.
LA TÊTE EN L’AIR
Quand il ne surfe pas, ne peint pas ou ne donne vie à ses armées
de Playmobil, Karim construit des skateparks, un métier mais
aussi un nouveau prétexte à partir dans sa bulle : « Toutes ces
courbes, ces obstacles… J’ai l’imagination qui bouillonne en permanence
! J’imagine des scènes pour mes films, je ressens la musique qui
va avec et je vois des images pour mes tableaux. C’est un feu d’artifices
de bulles dans lesquelles je m’installe ». Certaines explosent
sans que Karim ne les maîtrise plus. C’est le cas de plusieurs
de ses vidéos qui atteignent des chiffres records sur Internet et
cumulent des millions de vues : « Le total, sur les médias sociaux
et Internet, dépasse les 30 millions », confirme le surfeur installé au
Boucau. Un nombre qui donnerait vite le vertige si Karim n’avait
pas les pieds solidement ancré dans la réalité : « J’ai très peu de
retombées directes… Peut-être faudrait-il que je cherche un agent ?
Non… Je suis trop occupé pour cela ».
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BERNARD DORIDANT
« C’EST QUAND MÊME PAS MAL CE TRUC ! »
UN DEMI-SIÈCLE DE SURF DANS LES JAMBES ET TOUJOURS LA MÊME ÉTINCELLE PÉTILLANTE QUAND DODO
ÉVOQUE LA PASSION D’UNE VIE. À 78 ANS, SI LES SESSIONS SE FONT PLUS RARES, C’EST AVEC UN VERBE AUSSI
ALERTE QUE SON PHYSIQUE QU’IL PARTAGE SES RICHES SOUVENIRS.
PAR BAPTISTE LEVRIER
Les récits des vieux n’intéressent pas les jeunes »,
lance Bernard Doridant histoire d’engager
la conversation... Et pourtant, discuter avec
un surfeur qui a passé des heures dans une
salle de shape aux côtés de Michel Barland,
partagé des sessions avec Bruno Reinhardt ou
vu le premier surfeur accrocher un leash à sa cheville, permet
de remettre les choses en perspective. « Forcément, il y a une
évolution dans le surf », concède-t-il, attablé sous la pergola de
sa maison de la Chambre d’Amour. « Avant, quand on surfait des
grosses vagues, c’était un vrai challenge. Aujourd’hui, avec le matériel,
il y en a toujours pour pousser plus loin. » Dans le genre, Dodo
était pas mal, l’un des premiers surfeurs à repousser les limites du
surf de grosses vagues lors de journées au cours desquels « l’horizon
s’assombrit ». « J’ai surfé des vagues que je n’aurais jamais dû
surfer. On faisait n’importe quoi ! », confesse-t-il aujourd’hui, plein
de recul sur ses expériences marquantes.
LOIN DES VAGUES
Rien pourtant n’aurait pu laisser croire que ce sportif acharné
vienne défier les vagues du Pays Basque. Pied-noir, natif de
Marrakech, il grandit sous le soleil marocain avant qu’un club de
rugby parisien ne lui fasse les yeux doux et ne le rapatrie dans
l’Hexagone pour venir galoper à l’arrière du pré. S’il esquive
aussi vite la capitale que ses adversaires, après un détour par
l’armée, des passages à Toulouse et Pau, le voilà qui s’installe
sur la côte basque, au début des années 60. « Le surf ne m’attirait
pas. Je ne voyais pas l’intérêt : les planches étaient énormes,
lourdes, on n’avait pas de leash et les surfeurs se contentaient de faire
des travers. À l’époque, François et Jean-Marie Lartigau étaient les
seuls qui surfaient vraiment, on voyait qu’ils prenaient du plaisir. »
Du coup, Bernard profite surtout des grandes plages basques
pour taper un foot à marée basse ou installer le barbecue avec
les copains. « Je n’ai commencé le surf qu’à 28 ans. Un copain du
rugby m’a prêté sa planche, que je suis d’ailleurs en train de réparer
chez Barland. Et tout de suite, j’ai pris une vague. Je me suis régalé !
C’est quand même pas mal ce truc ! » Affûté et agile, les progrès
sont rapides : « J’ai commencé sur une droite à la Côte des Basques,
en surfant en droitier. Au bout d’un an, je suis allé à La Barre et
c’était autre chose ! Il y avait toujours des vagues et c’était toujours
glassy. Mais c’était des gauches... Et avec nos grosses planches, je
n’arrivais pas à tourner de dos. Du coup, je suis reparti à la Côte
des Basques pour apprendre à me lever avec le pied droit devant. Au
bout d’une heure, c’était bon ! Depuis, je surfe toujours de face ! ». Et
le leash quoi qu’il arrive bien accroché au pied droit... Une particularité
qui a de quoi dérouter les autres surfeurs, même Shaun
Tomson n’en revenait pas en son temps.
TESTS ET EXPÉRIENCES
Dans les 60 et 70, à une époque où les surfeurs sont encore
rares, Dodo participe à l’expérimentation ambiante. Bricoleur
hors-pair, dessinateur industriel de métier, s’il œuvre dans l’aéronautique,
il passe beaucoup d’heures, « parfois trop », dans les
ateliers de Michel Barland, le tonton surfeur par excellence : « Le
plus intéressant, c’est de fabriquer », se passionne-t-il au moment
même où un camion s’arrête devant chez lui pour décharger une
palette de tuiles destinées à recouvrir ce petit cayolar construit
dans un coin de son jardin et dont les murs sont montés avec
les galets des plages de Lafiténia et Céntiz. « J’ai fabriqué sept
planches en balsa de mes mains. Barland, je lui ai cassé je ne sais
combien de planches ! Tous ses nouveaux modèles, c’est moi qui les
essayais. J’ai vu passer tout sorte de chose, même un prototype avec
de la toile cirée autour d’un pain en polystyrène ! ». Forcément,
certaines planches fonctionnent, d’autres moins... « J’avais cette
planche de 2 m 80 et 8 pouces d’épaisseur (20 cm !) avec une grosse
nervure en balsa et glassée en kevlar que Barland avait fabriqué.
Elle marchait du feu de dieu, c’était les premiers guns », se souvient
Bernard, les yeux brillants derrière ses petites lunettes rondes.
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© CAZENAVE
« Je crois que c’est avec cette planche que j’ai pris les plus grosses
vagues de ma vie, à Parlementia. J’étais à l’eau avec Kiki l’Hawaïen
(alias Christian Castet), mon partenaire de surf de 1966 à 1968.
J’étais tout seul au fond et j’ai pris trois vagues. J’ai déjà vu plus
gros mais on s’échappait... » Une véritable épopée qu’on a parfois
du mal à se figurer tant le surf s’est depuis développé pour
nos offrir notre confort moderne. « À la fin des années 60, j’ai
commencé à suivre les Américains qui venaient en trip. Nat Young
à La Barre, c’était pas le même sport ! Ils surfaient depuis toujours,
le jour et la nuit par rapport aux Français. » Même constat pour
les planches. Alors que les voyageurs de Down Under raccourcissent
déjà leurs shapes, en France, l’évolution passe par le fait
du hasard : « Je me souviens de ce jour à la Mouscariette quand
un type pète son longboard. Christian Plumcocq prend un morceau
et commence à surfer à genou avec. Du coup, Barland lui a fait un
kneeboard. Puis, son frère Marc lui a emprunté sa planche et s’est
amusé à surfer avec. On s’est rendu compte que ça marchait bien et
qu’il fallait raccourcir les planches ». Des heureux accidents qui
ont façonné le surf tel qu’on le connaît aujourd’hui.
L’APPEL PERMANENT
Les spots du Pays Basque, Bernard Doridant a su les quitter pour
aller tâter certaines vagues réputées du globe. Hawai’i, où les
gens se souviennent encore de lui pour avoir organisé un match
de foot à Ehukai ; Fidji, « juste comme il faut : 1 m 50 parfait » ; les
Mentawai, « Macaroni, tout seul, il y a une quinzaine d’années, au
lever du jour, je me suis gavé pendant deux heures » ; Mundaka, « une
vague cool à surfer »... Un seul regret chez ce surfeur accompli,
n’avoir jamais pris une vague au Maroc : « J’aurais aimé », avouet-il,
peut-être est-il encore temps. Car à 78 ans, Dodo continue
de se mettre à l’eau avec la même envie : « Aujourd’hui, 1m 50 à 2
m, ça me suffit. Trois ou quatre vagues par session, c’est assez, je n’ai
plus la condition. Le surf bouffe énormément d’énergie. C’est fini le
temps où, avec Bruno Reinhardt, on partait de la Chambre d’Amour
pour surfer tous les pics jusqu’à La Barre ! Mais j’ai toujours ce
plaisir à surfer, c’est une sensation qu’on ne peut pas comparer, assez
difficile à expliquer ». Une sensation qu’il poursuit donc toujours,
comme aimanté : « C’est l’appel des sirènes. Tu les entends, “Viens,
viens...”, mais tu ne les vois jamais. » Une raison supplémentaire
pour grimper sur sa planche et profiter simplement du contact
de l’eau, toujours revigorant et source de surprise : « L’autre jour,
malgré cinquante ans de surf, je pars à l’eau sans wax ni chausson.
Première vague, je prends un de ces vols ! C’est la première fois que
Christopher Reinhardt s’inquiétait pour moi ! ». D’ailleurs, avoir
des gens autour de lui dans l’eau, après avoir connu la solitude
à ses débuts, ne dérange pas Bernard, au contraire. « Tout seul
dans l’eau, je m’emmerde, j’ai besoin de parler. » Et de raconter des
histoires de vieux aux petits jeunes.
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© DEREGNIEAUX
LIONEL HERPHELIN
LE BÛCHERON DE LA MER
DES ARBRES QU’IL ÉLAGUE À LONGUEUR DE JOURNÉE, LIONEL RÉCUPÈRE LA MATIÈRE PREMIÈRE POUR PRODUIRE
SES HANDPLANES. UNE DEMARCHE AUSSI NATURELLE QUE LA GLISSE QU’IL PRÔNE, AVEC POUR SEUL ARTIFICE
CE BOUT DE BOIS SUBTILEMENT FAÇONNÉ.
TEXTE ET PHOTO THOMAS DEREGNIEAUX
Le cyprès est devenu mon bois préféré, il est
agréable à travailler, dégage une odeur très plaisante
dans l’atelier et ses variantes de couleurs
sont incroyables », raconte Lionel Herphelin,
technicien-arboriste (comprenez élagueur) de
métier et shaper de handplanes par passion.
À 37 ans, ce Ch’ti de souche vit désormais dans le Morbihan,
où il s’attache à la production de ces petites planches en bois
massif. Plus que le surf, c’est le bodysurf qui attire Lionel : « C’est
venu naturellement », confie-t-il. « Avec le bodysurf, j’ai découvert
des sensations différentes, c’est plus accessible et j’y trouve un sentiment
de liberté et de pureté. » Plus jeune, après un stage à l’Office
national des forêts de Guadeloupe, son intérêt pour l’océan et le
bois ne sont que décuplés. De retour en métropole, son premier
job l’amène dans les Landes (« La Gravière et les Culs Nus, c’est
parfait pour le bodysurf ! ») avant de débarquer en Bretagne. « Là,
j’ai enfin fait une connexion entre ma passion et mon travail. »
Lionel utilise différents types de bois comme le cyprès ou l’orme
pour construire ses planches. « Il y a cinq ans, j’ai shapé trois
handplanes, deux pour les frères Lodin et un pour moi. » C’est la
naissance du Bûcheron : « Le travail du bois est une histoire de
patience. C’est une matière vivante, qui libère beaucoup d’énergie ».
Le processus est immuable : une fois les billes de bois sélectionnées
et séchées (pendant trois ans !), Lionel peut enfin scier et
shaper. « C’est la phase la plus passionnante : partir du bois brut,
tracer, raboter, découper, poncer, regarder et recommencer pour
obtenir une planche technique et esthétique. » Dans l’atelier, rien
ne se perd : « Mes chutes de bois sont revalorisées en décoration,
dessous de plats ou finissent dans le barbecue ! ».
UN BOUT DE BOIS DANS LE CREUX
Un handplane peut prendre de nombreuses formes différentes
en fonction du type de vagues surfées du niveau du bodysurfeur.
« Mes planchettes vont du modèle court et incisif pour les vagues
creuses et rapides, au gros et large pour les vagues plus molles où il
faut plus de portance ». L’artisan joue donc sur la largeur, l’épaisseur,
la profondeur des rails et l’intensité du concave. Le shape
abouti, ne reste plus qu’à décorer la planche selon les goûts et
les couleurs de chacun. Lionel propose différentes décorations,
inspirées par les bateaux, les phares et les ports bretons. Au
final, un handplane représente trois à quatre heures de travail,
auxquelles il faut rajouter le chantier d’élagage, la sélection du
bois, le séchage de la bille… Une école de la patience que Lionel
a appris à maîtriser. « J’ai affiné la qualité des planches en optant
pour des matériaux nobles et des composants qui facilitent l’entretien
et la longévité du bout de bois. Mon projet est de continuer à
me faire plaisir en fabriquant mes planches et en rencontrant des
gens passionnés par le bodysurf et les handplanes. » Comme avec
tout shaper, les retours permettent de faire évoluer le travail et
de gagner en expérience. « On voit des foils partout en ce moment,
pourquoi pas essayer ! », lâche-t-il en rigolant. Un pied dans les
arbres, l’autre dans l’atelier, Lionel a déjà nombre de prototypes
en tête. Nul doute que de nouvelles innovations ne tarderont pas
à voir le jour.
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YOAN RENAMBOT
L’ARTISAN DU SURF LOCAL
AVEC SON CAMION, SON GOLDEN RETRIVER ET SON AIR DE ROB MACHADO, YOAN RENAMBOT, ALIAS PAPAYO, A
TOUT DU PARFAIT SOUL SURFER. ENTRE VIE DE FAMILLE, SON PASSÉ DE MENUISIER, SON NOUVEAU BOULOT DE
PROF, IL CONTINUE DE VIVRE SA PASSION À SA MANIÈRE, À SON RYTHME ET SANS SE PRENDRE LA TÊTE.
PAR HOCUS FOCUS
Depuis que Yoan s’est lancé dans la rénovation
d’une ruine de pierres à deux pas
de son spot, il prend les sessions comme
elles viennent. Pas du genre à vouloir
être tout le temps dans les bons coups
ni devant les objectifs. Si les vagues sont
bonnes à côté de chez lui, Papayo préfère scorer sans faire une
heure de route pour essayer de trouver mieux. « Le top, c’est la
session du soir avec le vent qui se calme », salive Yoan. « Avec bien
sûr le débriefing sur parking dans la nuit, un grand classique sur la
côte nord ! Ça fait plus de vingt ans que ça dure je ne m’en lasse
pas ! » Et quand il n’y a pas de vagues, ce natif d’un petit village
de la côte nord du Finistère arrive toujours à trouver une occupation
en rapport avec le surf. Bricoleur, il s’est même construit
son petit atelier de réparation de board au fond de son garage :
« C’est un lieu entre le musée et la décharge. On y trouve tout ce
qui glisse sur les vagues. Je surfe surtout des singles et des twins.
J’aime bien la façon qu’a le single d’utiliser l’énergie de la vague.
Et surtout, je ne suis pas ultra-performant avec un shortboard classique
! ». Après les sessions, Yoan aime dévorer des magazines
de surf, jouer de la musique avec ses potes, s’amuser avec ses
enfants... Les occupations ne manquent pas, surtout qu’il remplit
aussi le rôle de président du Tomahawk Surf Club. S’il pilote les
actions du club, Yo sait laisser les jeunes prendre des initiatives
au sein de ce club plutôt familial et cool. « C’est un club qui brasse
toutes les générations », précise son président, « C’est bien pour
les jeunes. Ils sont drivés sur les bons spots du coin et on organise
quelques contests tous les ans ».
SURF AVENTURE
Depuis ses débuts avec son frère dans les années 90 sur les plages
du Finistère Nord, d’abord allongé sur un skimboard, avant de
goûter au bodyboard puis de passer au surf, Yoan Renambot a
appris à profiter du potentiel de la Bretagne : « Ici, il y a un fort
potentiel pour le surf découverte, avec toutes les îles et les criques.
Dès que je peux, avec quelques potes, je sors avec mon petit voilier et
c’est magique quand on trouve des vagues fun. Je trouve rafraîchissant
de partir à l’aventure pour aller chercher des vagues, en vélo,
ou en bateau. Ça fait du bien de sortir du schéma classique prévision
/ voiture / parking / session sur le spot à la mode ». Forcément
fan de la série Lost In The Swell ou d’un projet comme celui de
Léa Brassy en autonomie en Islande, Yoan accorde aussi pas
mal d’importance au style d’un surfeur : « C’est important. J’aime
bien par exemple regarder Trevor Gordon ou Craig Anderson, ils
utilisent très bien le flow de la vague. » Exilé pour un an dans le
Sud-Ouest pour son boulot de prof, Yoan rentre très souvent en
Bretagne retrouver sa femme et ses trois enfants. « C’est pas facile
de combiner le travail, la famille et la session du jour. Mais grâce
aux prévisions et aux copains, je m’organise au mieux. Et puis je vois
la mer de ma maison, ça me permet d’être réactif quand les conditions
évoluent. » Histoire de ne pas rater le bon créneau et de
« partager des vagues avec des amis ou des gens cools ». En gros,
Yoan vit son sport et sa passion à sa façon, sans chercher à être
le meilleur, le plus connu ou le plus hype du coin. Une bonne
inspiration.
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KIKI RONDELEUX
GARDIEN DU TEMPLE
PIONNIER DU SURF VENDÉEN, CHRISTOPHE “KIKI” RONDELEUX, 55 ANS,
EST UN PERSONNAGE. UNE FIGURE BIEN CONNUE DES SURFEURS VENDÉENS
ET DE CEUX QUI ONT UN JOUR FAIT UNE ESCALE AUX SABLES D’OLONNE.
PAR ROMAIN FERRAND
PHOTO DE STEVIE POTERLOT
Kiki voit se succéder marées hautes et
marées basses, périodes de flat ou
tempêtes, touristes ou habitués, avec la
même gouaille et la même passion pour
le surf qu’à ses débuts. Depuis vingt ans,
il tient les rennes du Bahia Surf Shop, une
petite boutique core qui fait face à la Baie des Sables d’Olonne.
Les plus jeunes l’ignorent peut-être, mais celui qui les charrie
régulièrement dans son shop a écrit les premières pages de l’histoire
du surf vendéen. À ce titre, il a notamment connu le luxe
de surfer les plus beaux spots de la région quasiment seul, à une
époque où le terme surpopulation n’avait pas encore atteint la
sphère de notre sport. Kiki a débuté le surf en 1980 à l’âge de
19 ans, dans la Baie, forcément, « avec un bas de combinaison
de plongée à bretelles et un pull sous un K-Way », se souvient-il.
Surtout, il est le premier à avoir surfé le célèbre spot de la Sauzaie
un jour de 1983. Premier Vendéen en tout cas, puisque de mystérieux
Anglais qui descendaient la côte en van s’y seraient mis
à l’eau un peu avant : « À l’époque, on cherchait du monde pour
nous accompagner quand on allait sur le spot. On n’avait jamais
surfé sur des rochers et la droite nous impressionnait. Dans les années
qui ont suivi, j’ai eu un nombre incalculable de sessions parfaites,
sans personne, ou avec un ou deux potes. Au-delà de six personnes
au pic, on estimait qu’il était blindé ». Des histoires qu’il raconte
aujourd’hui à des clients ou des kids incrédules.
SOCIAL CLUB
Car le magasin, dont il est le propriétaire depuis 2006, est aussi
le point de ralliement de nombreux surfeurs du coin ou d’ailleurs.
Des ados qui viennent après les cours regarder des vidéos
et échanger sur les dernières news surf, des gens de Nantes ou
Angers venus surfer pour la journée, d’autres qui laissent leurs
affaires et leurs clés à Kiki pour se mettre à l’eau juste en face :
« Cette ambiance a été initiée par le précédent propriétaire Jojo, et
perdure encore aujourd’hui. Un surf-shop, ce n’est pas un magasin
comme un autre », rappelle Kiki. « Si tu pètes ton leash pendant la
session, pas de problème, je t’en prête un autre pour que tu puisses
retourner à l’eau. »
Parmi les quelques jeunes qui venaient traîner au shop, une
s’est rapidement démarquée il y a une quinzaine d’années par
son niveau : Marie Dejean. À 10 ans, Kiki l’emmenait surfer sur
les vagues du coin. Puis il l’a présenté à Rip Curl, qui l’a rapidement
sponsorisé. La jeune Sablaise en a profité un temps et
avait la possibilité d’embrasser une jolie carrière. Mais elle a
décidé de se recentrer sur ses études. En 2012, alors étudiante
en quatrième année de Médecine, elle a quand même décroché
le titre de championne de France open sous le nez des meilleures
surfeuses nationales. Oups !
La compétition n’a franchement jamais été le truc de Kiki : « J’ai
commencé à en faire à 23 ans, mais je n’avais pas la mentalité », se
souvient l’intéressé, qui avoue avoir participé à quelques coupes
de France dans le Sud-Ouest, « plus pour faire la fête avec les potes
que décrocher des résultats ». Avec là aussi quelques anecdotes
bien rock’n roll à la clé.
QUINTE FLUSH
L’absence de résultats n’a pas empêché Kiki d’acquérir sa petite
notoriété. Grand voyageur, ses trips trouvaient écho dans la
presse locale, comme ce jour de janvier 1986 où le quotidien
régional Presse Océan a consacre une page entière à son départ
pour le Sri Lanka avec son pote Jean-Michel Potier, photo des
deux sur le quai de la gare des Sables à l’appui. Sri Lanka, Tahiti,
Indo, Mexique... : autant d’histoires qu’il raconte aux curieux,
entre deux vannes ou deux conseils sur le choix du spot du jour.
En gardant toujours un œil sur le line-up de la Baie et les différentes
générations qui s’y croisent désormais. L’arrivée du web a
bouleversé le business, mais son shop et l’école de surf qu’il y a
greffé il y a six ans marchent plutôt bien. Il a même fait d’autres
jobs avant celui-ci, dont celui de chef de table au casino des
Sables d’Olonne : « Je travaillais l’après-midi et la nuit, ce qui me
permettait de surfer le matin », raconte-t-il. Un métier qui l’a même
conduit à Annecy, où il passera six années derrière les tables de
jeux. Avant de revenir en 1997 en Vendée parce que le surf lui
manquait trop : « On ne sera jamais millionnaires mais on s’assure
une qualité de vie, on travaille face à la mer et on surfe entre midi et
deux », conclut l’intéressé, qui met encore de gros turns sous le
nez de ses clients. Comme de nombreux autres, Kiki a choisi de
vivre sa vie comme il l’entend, et il ne regrette rien.

© ARRIETA
ALAIN CASSIÈDE
MONSIEUR SOLEIL
SI SON SURNOM, BACA, EST FAMILIER POUR DE NOMBREUX SURFEURS ANGLOYS, PEU CONNAISSENT VRAIMENT
ALAIN CASSIÈDE, DONT LA VOIX EST SÛREMENT PLUS FAMILIÈRE QUE LE PHYSIQUE. RENCONTRE AVEC CE PER-
SONNAGE INCONTOURNABLE AUX JOURNÉES BIEN RYTHMÉES.
PAR ROBIN GUYONNET
Si Anglet est votre home-spot, vous avez très
certainement déjà croisé Alain Cassiède, ou du
moins entendu sa voix... À 56 ans, ce Bayonnais
d’origine rythme peut-être même vos
sessions si vous guettez les reports biquotidiens
que Baca publie sur sa page Facebook
et son site Anglet Surf Info. Et quand il ne scrute pas l’océan,
c’est qu’il est en train de s’occuper de son club de cœur, l’Anglet
Surf Club. Mais Alain n’a pas toujours eu la murette de la plage
du Club comme principal lieu de travail. C’est dans l’armée qu’il
passe ses premières années d’adulte, du côté de Biscarosse. C’est
aussi là-bas, bien au nord de l’Adour, qu’il se met sérieusement
au surf. À 23 ans, il raccroche le képi et vient s’installer à Anglet,
ville qu’il ne quittera plus. Pendant une dizaine d’années, Alain
enchaîne alors les vagues et les projets. En 1995, il monte ainsi
l’Anglet Surf Club, aux côtés de Michel Plateau, ancien compétiteur
aujourd’hui directeur technique national : « On y a mis en
place les premiers cours de surf. Depuis, je suis toujours au club
mais je ne donne plus de cours depuis une dizaine d’années ». Alain
officie désormais en tant que permanent d’un club dont il est le
seul salarié en contrat à durée indéterminée : « Je m’occupe des
inscriptions, de l’entretien, du site internet, de l’accueil des gens... ».
Alain, c’est un peu le gardien du temple au sein de cette structure
qui regroupe plus de sept cents membres. De quoi garantir
au quinquagénaire des journées bien remplies.
LA VOIX DU SWELL
Car toutes commencent par ailleurs de manière immuable.
« Bonjour à toutes et à tous, bienvenue sur le surf report d’Anglet » :
cette phrase à l’accent chantant, suivie d’un bulletin météo
précis en direct du spot, Alain la prononce tous les jours de
l’année, parfois même au lever du soleil. En même temps, il filme
une première vidéo, mise en ligne sur son site dans les minutes
qui suivent : « J’aime bien voir le soleil se lever et on a souvent de
jolies couleurs », explique Alain, qui tient ce rythme depuis 2011.
« Étant sur place, je peux proposer des reports très précis, car il y a
certaines conditions que les modèles météo ne voient pas venir, comme
la fameuse entrée maritime du matin ». Un système « plus personnalisé
» selon ce dernier, car centré sur la zone d’Anglet et composé
avec des prévisions issues de plusieurs sites météo comme la
NOAA ou Windguru. Un schéma rôdé et ponctuel qui fait que
nombre de surfeurs de la zone guette la mise en ligne du report
de la mi-journée pour sauter, ou non, dans leur voiture pour aller
se caler une petite session le temps de la pause déjeuner ! « Merci
Baca ! », doivent-ils penser après chaque bonne session... Mais
pourquoi ce surnom d’ailleurs ? « Ça vient du portugais bacalao,
morue », explique-il un large sourire aux lèvres. « Quand j’avais
une vingtaine d’années, j’ai travaillé pendant trois ans dans une
poissonnerie d’un centre commercial d’Anglet et les copains m’ont
attribué ce surnom un peu exotique. » Une histoire cocasse pour
un surnom qui lui est resté, plus de trente ans après. En espérant
que la voix d’Alain poursuive sa mission aussi longtemps !

© LE TOQUIN
PHILIPPE BAILLARGEAT
RASSASIÉ PAR LE SURF
QUEL CHOIX DE VIE QUAND ON EST SURFEUR ? JAMAIS SIMPLE DE TROUVER LE BON ÉQUILIBRE POUR ASSOUVIR
UNE PASSION AUSSI PRENANTE QUE LE SURF. PHILIPPE, 55 ANS, A SU METTRE EN PLACE UN SCHÉMA QUI LUI
CONVIENT PARFAITEMENT.
TEXTE ET PHOTO YANNICK LE TOQUIN
Ce sont les copains motorisés et un peu
plus âgés que l’ado de seize ans qu’était
Philippe Baillargeat quand il a découvert
le surf, qui lui permettent de faire la
route séparant le centre ville de La Teste
et les premiers spots. Une vingtaine de
kilomètres, un autre monde. « J’ai commencé à surfer avec une
planche de mon père, un single fin Barland, entre les deux wharfs
de La Salie », raconte Philippe. Les premiers surftrips s’enchainèrent
vers la Côte Basque ou un peu plus loin à Mundaka,
au Portugal et au Maroc. Des voyages marquants, profitant de
spots worldclass avec, à l’époque, très peu de monde à l’eau.
L’avenir professionnel de Philippe semblait tout tracé et le mener
droit vers l’entreprise familiale, une quincaillerie située à La
Teste. « Mais le surf m’a amené à la restauration et plus précisément
à avoir une activité saisonnière. Travailler plein pot l’été pour
pouvoir surfer et voyager le reste de l’année, c’était mon choix de
vie », explique Philippe. « On a ouvert une première buvette avec
ma femme Patricia sur la plage de La Lagune en 1983. Depuis, on
enchaîne les saisons. En 1990, on a repris un restaurant à La Salie
Sud, on y est toujours », continue Philipe.
LA BONNE ORGANISATION
Le restaurant de Philippe et Patricia tourne une partie de l’année,
autour de l’été, et profite d’un emplacement unique, sous les
pins, au bord de la dune à quelques pas de la plage. Un spot
incontournable pour les locaux. Une fois le restaurant fermé en
fin de saison, au fil des ans, les voyages se multiplient durant
les mois d’hiver. Femme et enfants adoptent en plus ce mode
de vie : Maroc, Indonésie, Asie, Mexique, Hawai’i… Philippe a
surfé un paquet de spots mythiques à travers le monde. « Je ne
surfe pas trop durant l’été mais je me rattrape le reste de l’année ! ».
Depuis plusieurs années, le restaurateur organise ainsi un boattrip
aux Mentawai avec ses copains et connaissances afin de
faire le plein de surf. Mais, le printemps venu, Philippe profite
des spots du coin en explorant la plage de La Salie à la recherche
du meilleur banc de sable : « J’ai eu un quad pendant une vingtaine
d’années avec lequel je pouvais me déplacer sur la plage. Il y
avait une tolérance de la part du garde ONF de l’époque, à condition
de ne pas faire n’importe quoi. Je partais du restaurant et je
roulais uniquement sur la plage. Aujourd’hui, cette tolérance est finie
mais je fais toujours la même chose à vélo, en fat-bike ».
Du surf, Philippe en apprécie aussi la culture. Au milieu des
années 1990, alors qu’il prévoit d’ouvrir un bar à La Teste,
Philippe se rend en Australie et en Californie pour y dénicher
des vieilles planches et autres affiches et objets de décorations.
Chaque voyage est depuis une nouvelle occasion d’enrichir
sa désormais bien fournie collection de planches de différentes
époques. Du voyage dans le temps à celui plus actuel de
la recherche de la prochaine vague, Philippe Baillargeat a su
trouver son équilibre personnel et la réussite professionnelle.
158

MATHIEU TURRIES
UN PEU PLUS AU NORD
EXPATRIÉ EN SUÈDE OÙ IL A MONTÉ UN MAGAZINE DE SURF LOCAL, MATHIEU SE PLAÎT À EXPLORER TOUTES LES
POSSIBILITÉS QUE LUI OFFRE UN TERRAIN DE JEU PARFOIS RUDE MAIS TELLEMENT RICHE. PAS DE PALMIERS
MAIS DU SURF QUAND MÊME.
PAR OLIVIER DEZÈQUE
Si un augure lui avait dévoilé son destin tandis
qu’il prenait ses premières vagues en Méditerranée,
Mathieu n’y aurait jamais cru ! C’est aux
alentours de Montpellier que le jeune Turries
découvre le surf et s’éprend de passion pour
les jeux avec la houle. L’histoire est sérieuse.
Entre deux sessions, son existence se déroule sur le campus de
l’université avec une vie plutôt bien rangée : focus sur les études
et le surf. En tout début de semestre, il entend frapper à la porte
de son logement en résidence universitaire. Ce sont deux jeunes
suédoises en programme européen qui viennent juste de débarquer
en France et se retrouvent dans le studio voisin… sans électricité.
C’est encore à Montpellier que naît cette seconde passion
pour l’une des voisines qu’il hébergea pour la nuit. Mathieu
tombe amoureux avant même qu’EDF ne règle le problème de
compteur.
Coup de foudre et diplôme en poche, le jeune homme quitte le
sud de la France et traverse l’Europe pour rejoindre sa dulcinée
en Suède. « Nous nous sommes d’abord installés dans le centre du
pays, en pleine forêt. La mer sans vagues ne me disait trop rien et, en
même temps, j’étais super branché par l’outdoor et la nature. J’y ai
momentanément trouvé mon compte. Et puis un jour, nous sommes
passés à Varberg, sur la côte ouest, et c’était sidérant. Il y avait
du swell ! J’ai compris que le pays avait un potentiel », explique
Mathieu des étoiles plein les yeux. Le couple déménage promptement
pour s’installer en bord de mer au sein de ce village
qu’on peut aujourd’hui considérer comme le Hossegor suédois,
toutes proportions gardées. « Il n’y avait qu’une petite communauté
de surfeurs. La température est plus que glaciale et mis à part en
windsurf, peu d’autochtones avaient l’idée de se mettre à l’eau pour
shooter des vagues », raconte Mathieu.
Freddy Meadows, ancien pro du QS qui ne se concentre plus que sur
les vagues locales, a sans doute fait partie des gens qui m’ont inspiré.
Il fallait représenter cette scène européenne tout à fait spécifique. J’ai
aussi rencontré plein de fanatiques de surf totalement atypiques. Ils
m’ont suivi avec leurs compétences : photographes, journalistes, sportifs,
leaders d’opinion », explique-t-il. Nordic Surfer Magazine, en
version papier et web, est tout simplement l’aboutissement de
cette motivation.
En 2008, le premier numéro est publié et le projet conserve
toujours son âme. Mathieu fait le point : « Je voulais construire
quelque chose de différent sans trop me soucier d’en vivre. Le cold
water surf n’était pas en vogue et la plupart des médias reflétaient
des environnements remplis de cocotiers poussant face aux lagons
turquoise. NSM allait naître de ce constat : no palm trees ici en
Suède. Non, nos panoramas n’ont rien à voir. L’idée était de raconter
une scène qui nous est propre ». Le surfeur d’eau froide n’est pas
pressé, deux numéros par an permettent de concentrer l’essentiel
des infos méticuleusement distillées et le rédacteur en chef
se refuse de diffuser de l’accessoire. « Si je n’ai rien à dire, tant sur
le web que sur le mag, je ne dis rien. Je ne fais pas la course à l’info.
C’est un peu dans l’esprit du surf, non ? Quand il n’y a pas de swell,
inutile d’insister. C’est la même philosophie pour nos contenus »,
conclut le surfeur montpelliérain, habitué au néoprène très épais
indispensable pour shooter les déferlantes malgré des températures
en dessous du zéro. Dès que le swell est présent, bien
entendu !
PAPIER VRAIMENT GLACÉ
L’ours des forêts reprend le surf. Il apprend à connaître les spots,
les rider, les marées, les conditions spécifiques susceptibles
d’amener des vagues, les astuces pour lutter contre le froid…
Mathieu devient vite l’incontournable waterman spécialisé du
pays du hareng mariné et, par extension, de toute la zone scandinave.
« Je me suis lié d’amitié avec un tas de types tandis que les
sports de vagues se démocratisaient sur les côtes est et ouest du pays.
© DR
159

LES ACCORDS
PARFAITS DE
THIBAULT CAUVIN
ENFANT PRODIGE DE LA GUITARE CLASSIQUE, VIRTUOSE À LA RENOMMÉE INTERNATIONALE, THIBAULT CAUVIN NE POSE SON INSTRU-
MENT QUE POUR SE SAISIR DE SA PLANCHE DE SURF ET « ALLER DANSER » AVEC L’OCÉAN. QU’IL S’AGISSE DE SURF OU DE MUSIQUE,
ON RETROUVE LA MÊME VERVE LYRIQUE QUAND IL ÉVOQUE SES DEUX PASSIONS.
PAR JODDY MAGUET
Toujours entre deux hôtels et autant de concerts, nous avons pu
attraper Thibault Cauvin à Bordeaux pour décrypter la partition
qu’il joue sur les vagues. Enfant de la cité , Thibault croise tôt la
route du surf : « Je suis tombé fou de passion. Totale ». Si bien
qu’il tournera alors volontairement le dos à la discipline, inquiet
de l’attraction qu’elle exerce sur lui, si forte qu’elle serait susceptible
de le détourner de son destin d’illustre musicien. Quelques
années plus tard, après treize prix internationaux et plus de
mille concerts, le prodige de la guitare n’ignore plus l’appel des
vagues, une des mélodies qu’il affectionne le plus. « Cela fait une
dizaine d’années maintenant que le surf fait partie intégrante de
ma vie. C’est même parfois plus important que la guitare, c’est
d’une force incroyable ».
Le surf est une belle musique selon toi ?
Je pense que le surf est une musique d’une richesse extraordinaire,
j’aime cette idée d’être une note de cette grande
symphonie. Comme une partition vierge que je viendrais
marquer. Le surf me fait tout oublier, tout est secondaire, j’oublie
que je fais de la guitare, j’oublie que je suis musicien, j’oublie
que je suis un être humain. J’ai envie de rester dans cet endroit
et seulement surfer. Le surf, c’est extrêmement artistique, c’est
un ballet avec l’océan et j’aime cette idée de danser avec un
élément. Ca dépasse le concept du sport. C’est un concert.
Quel est le rapport le plus évident entre la guitare et le surf ?
Même si d’apparence ce ne sont pas des disciplines sœurs, dans
mon cœur, elles le sont clairement. Elles ont plein de points
communs : être seul avec mon instrument, voyager, aller de
salle de concert en salle de concert, ce côté infini. Avec le surf
je retrouve cela : tout seul avec ma planche de surf, voyager de
spot en spot, être dans les vagues infinies. Il y a un rapport entre
l’entrée en scène et l’entrée à l’eau. “L’avant” est assez similaire
en terme de préparation. Je mets ma tenue de scène comme
on met une combi, je change mes cordes comme on waxe une
planche, on rentre dans une bulle et il nous tarde d’y être. La
seule différence - qui fait toute la différence - c’est que le concert
est à 20 h 30, et ça je le sais depuis longtemps. Je sais que le 22
mars 2019 à 20 h 30 je vais entrer sur scène à San Francisco par
exemple, alors que le matin je ne sais pas à quelle heure je serais
dans l’eau. C’est ce paradoxe qui me plaît beaucoup. Le temps,
dans la musique, c’est là que tout se fait. La musique, c’est le
jeu des notes, c’est le jeu du temps, c’est retenir, c’est presser
et c’est troubler le temps. Je joue de la musique du passé, qui a
parfois trois cents ans, mes concerts sont bookés jusqu’à deux
ans à l’avance, je navigue dans le temps. Alors qu’avec le surf, je
suis obligatoirement à la seconde, je vis dans le présent, je suis
obligé. Moi qui suis hyperactif, passer une heure à guetter une
vague arriver, ça ne m’arrive jamais dans la vie de tous les jours.
Et j’adore ça.
Guitariste, c’est une vie de voyage, un peu comme un surfeur pro ?
Je suis en quête de liberté et ma vie tourne autour de l’adrénaline.
Je n’ai pas de maison, pas d’attaches, pas d’affaires. La
seule chose qui m’accompagne et à laquelle je suis fidèle depuis
des années, c’est ma guitare. À part ça, tout est instable, tout est
changement permanent, comme l’océan. J’aime cette idée d’être
un vagabond. J’habite à l’hôtel à l’année, je n’ai aucun objet
qui m’est cher. Quand je surfe, j’ai le sentiment de toucher de
manière physique ce concept de liberté. Dompter l’indomptable.
Le fait de parfois arriver à faire quelque chose qui est en osmose
avec cet élément incroyable, c’est là où le ballet dansant opère.
160

À l’eau comme sur scène, la partition que joue Thibault
est une affaire d’équilibre et de sensibilité.
Recherches-tu autant la performance à l’eau qu’avec ta guitare ?
J’ai un rapport à la vie qui fait que je ne peux pas m’empêcher
de calquer surle surf ce que j’ai fait avec la musique. Depuis
tout petit, je suis habitué à répéter les gestes, à travailler dans
la lenteur, à décortiquer les doigtés pour bien les analyser et
travailler la technique sportive de l’instrument. En surf, c’est
impossible, c’est ce qui me déstabilise. On est en concert
sur chaque vague et c’est difficile d’avoir des moments de
travail. Mais j’ai cette envie de performance, à mon niveau, de
progresser, d’étudier ce que je fais.
Quel genre de planche surfes-tu ?
Des shortboards. J’ai un côté monomaniaque, je surfe toujours
des planches qui se ressemblent. 5’11, c’est ma taille favorite,
avec un peu de volume. J’aime quand c’est dynamique, quand
la planche répond. J’aime beaucoup les shapers Al’s Brothers,
installé sur le bassin d’Arcachon. J’aime beaucoup aller les voir
car on a l’impression de rentrer chez un luthier. Là encore, il y
a des points communs avec le surf. Ils font leurs planches de
manières artisanales, mais au lieu de faire chanter une guitare,
ils font ce morceau qui va me faire voler. J’ai aussi cette chance
d’avoir des amis qui ont beaucoup de planches et qui en ont
toujours une à me prêter. J’aime bien leur emprunter leur
planche, ça me donne le sentiment d’être un peu meilleur. Et puis
j’ai des planches semées dans différents endroits du monde.
Comment les gens de ton entourage perçoivent ta passion pour
le surf ?
Tous trouvent que ça me va, ça ne les étonne pas. Le surf représente
ma philosophie, mes idées, cette quête de liberté, le fait
de n’appartenir à rien, ce voyage incessant, ce fait d’être dans
l’instant, cette quête de plaisir, de bonheur, de convivialité. Ça
en effraie beaucoup car, quand je pars, je coupe mon portable,
je ne réponds plus, tout devient secondaire. Ça inquiète Samuel
(son manager, ndlr) et ma maison de disques Sony aussi. L’année
dernière, Adrien m’a appelé et m’a dit « Il y a des vagues extraordinaires
à Bali, il faut que tu viennes ». Ma maison de disques
me proposait un concert à la Philharmonique de Berlin, qui est
un lieu mythique, LA vague pour tous les musiciens. Et j’ai choisi
d’aller à Bali… Tout le monde était énervé contre moi. C’était un
choix difficile mais Adrien me manipule très bien !
Dans quel lieu légendaire du surf rêverais-tu de jouer ?
Hawai’i, pour sûr. Je n’y ai jamais joué, j’aimerais beaucoup voir
la vie là-bas. Je n’ai pas d’endroit « surf » dans le Magic Tour
et ça me fait beaucoup de peine. Samuel y travaille, on aimerait
avoir un lieu mythique du surf, comme Pipe, sur une plage ou
même pourquoi pas faire un concert au large, pour les surfeurs,
sur un radeau au coucher du soleil. Et pour y assister, il faudrait
venir en ramant…
161

PORTRAIT
THÈCLE CALIER
LA GLISSE DU GLASSEUR
DE SA BRETAGNE NATALE AUX ATELIERS BASQUES DE PUKAS, THÈCLE TRACE SON CHEMIN
DANS LES VAPEURS DE RÉSINE. UNE PLANCHE SOUS LE BRAS ET LE SQUEEGEE À LA MAIN,
ITINÉRAIRE D’UN GLASSEUR QUI N’A PAS FROID AUX YEUX.
PAR JODDY MAGUET
© DR
Irisé, nacré, coloré, transparent... Le glassage n’est
pas qu’une couche sucrée et fondante décorant les
gâteaux mais également cette finition indispensable
(et parfois tout aussi gourmande) à la protection de
nos quivers. Thècle Carlier, jeune surfeur breton, a
perfectionné sa résine auprès des shapers de son
pays Josselin Tanguy (Zeppelin Surfboards) et Juanito Surfboard,
tous deux implantés à la sortie du spot de la Torche. Mais en
fin d’année dernière, Thècle quitte ses terres, embarque quatre
planches et un sac de fringues pour prendre la direction du
Sud-Ouest, une destination qui occupait ses pensées depuis un
bon bout de temps. Et quand on lui demande pourquoi, il répond
avec évidence : « Ben… pour les vagues ! ».
DE LA PASSAT À PUKAS
Thècle atterrit donc à Guéthary sans rien d’autre dans les poches
que son savoir-faire, sa motivation et sa passion. « Il fait froid
dans la voiture mais c’est mieux qu’à quatre dans un Transporter »,
répond-il en riant. Il trouvera un job chez Pukas quelques
semaines plus tard, après nombres de galères et de sessions avec
les voyageurs de passage sur le parking en face du spot. Un mois
de surf intense, où ses seules sorties hors de sa Passat consistent
à visiter les shapers du coin. « J’ai fait tous les ateliers du secteur
mais ça n’embauche pas… Pas de taf égal pas de thune, alors j’ai
un peu vécu à l’arrache. Puis j’ai rencontré des gens à Guéthary qui
m’ont beaucoup aidé, c’est devenu mes potes ». Il s’accroche, habité
par la certitude qu’il est au bon l’endroit : « La culture surf est
omniprésente. Si tu veux bosser dans l’industrie, te faire un nom, c’est
ici que ça se passe ».
DU LOCAL À L’INTERNATIONAL
« C’est bien de voir de tout, du petit local à la grosse prod’. Du
sur mesure, de l’artisanal, de l’industriel. Il faut tout voir et tout
tenter, c’est ça qui fait que t’es bon dans ce que tu fais. » Un
atelier comme Pukas reste un tremplin pour frapper plus
haut et surtout plus loin, une véritable porte d’embarquement
pour un vol international. Son évolution de carrière
est pensée en fonction des opportunités qu’il pourra décrocher
pour surfer les plus beaux spots. Une passion portée par
un métier qu’il cherche à élever tout autant que son surf :
« Je fais huit planches par jour en moyenne, à raison d’une heure
par planche. J’apprends à travailler sous la pression et à optimiser
ma technique : pas de mouvement inutile, pas de step-back (pas en
arrière) par exemple » Transparente, teintée, Thècle touche à
tout chez Pukas : « J’adore la résine teintée, c’est créatif, ça me
permet de laisser libre cours à mon imagination, mon métier devient
un moyen d’expression artistique et c’est ça que j’aime ». Même si
l’atelier Pukas est tragiquement parti en fumée au mois de juin,
Thècle poursuit son aventure aux côté de l’emblématique entreprise.
Une façon de travailler qu’il recherchait, afin d’ajouter à
ses capacités créatives une réactivité et une précision maîtrisée,
dans un atelier cosmopolite fort de son emprunte sur le marché
européen..
162

Crédit photo : Greg Rabejac

SURFING
PARADISE
À SEULEMENT TROIS HEURES DE VOL DE PARIS, PARADIS PLAGE EST LE PREMIER
ÉCO-RESORT INDÉPENDANT AU MAROC À COMBINER SURF, FITNESS, YOGA ET SPA :
UNE EXPÉRIENCE INÉDITE DÉDIÉE AU BIEN-ÊTRE DU CORPS ET DE L’ESPRIT.
En bref, le Maroc c’est 340 jours de soleil par an, une eau à 20
°C et des kilomètres de plage de sable fin. Idéalement situé entre
le village de surfeurs mythique de Taghazout, sa droite emblématique
de Anchor Point, et une dizaine d’autres pointbreaks de
classe mondiale comme Killer Point ou Boilers, Paradis Plage a
su créer une expérience de surf inédite, vouée à faciliter l’apprentissage
et accélérer la progression. Grâce à des programmes
de coaching spécifiques et un centre de fitness ouvert sur la
plage, trois cours de yoga par jour dans un Shala bercé par le
bruit des vagues, un Spa naturel et un partenariat exclusif avec
Rip Curl assurant un encadrement et un matériel de qualité à
l’école de surf, vous aurez la garantie de surfer mieux, tout en
prenant soin de vous. C’est un lieu authentique et rare, par sa
culture locale, ses activités et excursions pour toute la famille,
sa chaleur humaine, sa gastronomie saine et locale, ainsi que le
confort de ses suites, toutes équipées de cuisine et de terrasse
avec vue. Loin de l’agitation touristique d’Agadir, Paradis Plage
vous invite à l’équilibre et à la reconnexion, notamment à la
nature environnante avec ses montagnes ocres et vertes d’arganiers
sauvages, arbre emblématique de la région. Littéralement
un petit coin de paradis perdu pour se reconnecter à soi-même…
C’est également une invitation à prendre soin de cette nature en
soutenant la politique écologique et responsable de l’hôtel, l’un
des rares établissements au Maroc récompensé par le label international
de la « Clé Verte » et un partenariat fort avec Surfrider
Foundation.
164

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STORY
168
SÃO TOMÉ,
AUX RACINES DU SURF AFRICAIN
Par Greg Ewing.
172
SAINT BRANDON,
L’ARCHIPEL OUBLIÉ
Par Erwan Simon
167

STORY
168

EXPÉDITION
AUX RACINES
DU SURF AFRICAIN
SÃO TOMÉ EST UNE PETITE ÎLE PERDUE AU LARGE DE L’AFRIQUE, DANS LE GOLFE DE GUINÉE. ENCORE PEU
COURUE, TROIS SURFEURS VENUS D’HORIZONS DIVERS, ONT TENTÉ L’AVENTURE SUR CETTE ÎLE DOMINÉE
PAR LA NATURE, LOIN DE SE DOUTER DE CE QU’ILS ALLAIENT Y TROUVER. SUIVEZ L’ÉTONNANT PÉRIPLE DE
WILLIAM ALIOTTI, BEYRICK DE VRIES ET JOHN MICHELETTI.
RÉCIT DE WILL BENDIX, TRADUIT PAR JODDY MAGUET
PHOTOS PAR GREG EWING
Nous dévalons à toute vitesse la crête
d’un vieux volcan en direction de la
mer. À travers la vitre de la voiture, tout
n’est que nature sauvage. L’île, telle une
femme enceinte allongée sur le dos,
expose son ventre rond et vert au ciel.
Les larges branches des palmiers frappent la voiture tandis que
nous glissons le long d’un chemin boueux, en plein cœur de la
jungle touffue de São Tomé. « Je crois que c’est par là », dit John
Micheletti en évoquant une baie que nous avions repérée sur la
carte. S’il pointe une direction à travers la fenêtre, nous n’apercevons
rien d’autre que ce même ruban de jungle épaisse qui nous
oppresse depuis plusieurs heures alors que nous essayons désespérément
de trouver un chemin vers la plage. John quitte la route
et s’engage dans un sentier étroit à travers les broussailles. Les
branches, pareilles à des griffes, enserrent la voiture tandis qu’on
s’enfonce un peu plus profondément dans la forêt. « Je ne suis pas
sûr que ce soit une route », lance Beyrick de Vries avec sarcasme
depuis la banquette arrière. Tout à coup, un bruit sourd se fait
entendre, suivi d’un grincement. Le châssis de la voiture vient
de s’empaler sur un renflement rocheux. La voiture freine. John
écrase l’accélérateur, le moteur gronde, les roues patinent mais
on finit par repartir. La voiture débarque alors à toute vitesse
dans un endroit dégagé : la plage, où des palmiers particulièrement
grands plongent leurs bras dans la mer. Une brise onshore
lèche le dos d’un beachbreak. « C’est parti ! », crie Beyrick, alors
que nous nous affairons déjà à décrocher les planches du toit.
BERCEAU DU SURF AFRICAIN
São Tomé, petite tache sombre se détachant de la mer, se situe
près de la côte ouest de l’Afrique, dans le golfe de Guinée. Avec
sa jumelle Príncipe, plus petite, et les îles Bioko et Annobón, elles
forment la ligne du Cameroun, une chaîne volcanique longue de
1 600 km qui s’étire de l’arrière-pays nigérien aux profondeurs de
l’océan Atlantique. São Tomé n’est rien d’autre qu’un volcan, mué
en île grâce à l’activité volcanique. C’est un phénomène similaire
qui a donné naissance aux îles d’Hawai’i et qui a imprégné de
noir le sol de São Tomé. Son littoral resté peu exploré se voit
envahi par un groupe de surfeurs d’origines diverses : le surfeur
de Saint-Martin William Aliotti, Beyrick de Vries d’Afrique du
Sud, et John Micheletti, du Nigéria. Cependant, nous ne sommes
pas les tous premiers surfeurs à visiter cette ancienne colonie
portugaise. En 2001, Sam George et Randy Rarick se sont rendus
à São Tomé accompagnés du légendaire photographe John
Callahan. George raconta qu’ils croyaient être les premiers à
découvrir là-bas un superbe pointbreak, jusqu’à ce qu’une troupe
169

William Aliotti a trouvé l’ouverture à travers la dense
barrière de cocotiers pour trouver ce spot désert.
de kids surfant des boards confectionnées à partir de bois, ne les
rejoignent. São Tomé est isolée, perdue à 320 km du continent.
Pourtant, selon l’hypothèse de George, une culture de la glisse
s’y est développée indépendamment de l’influence polynésienne.
Il avança qu’on pouvait trouver sur l’île des preuves que le surf
est une authentique tradition africaine. La planche que tient sous
son bras le jeune Jardel Félix, 12 ans, est une preuve indubitable
de la présence de surfeurs sur l’île. La planche fait quatre pieds
de long, possède des rails fins et serrés, un deck raboté et un
square tail. Le large nose arrondi est presque régulier, hormis
un défaut sur le rail gauche où l’outil qui l’a taillé a accroché la
solide pièce de bois. « Este é meu tambua », annonce fièrement
Jardel. « C’est ma planche de surf ».
SURF CENTENAIRE
C’est la fin d’après midi et la brûlure du soleil faibli. Au cours
d’une session intense sur un pointbreak technique en face de
Santana, un groupe d’enfants nous a rejoint l’eau. La plupart
surfaient des tambuas, ces planches grossièrement taillées dans
de l’acacia, alors que les autres chevauchaient des morceaux de
propulseurs cassés, une vieille planche de body et même un bloc
de Styrofoam. Contrairement aux autres enfants, Jéjé Camblé
surfait une 6’0 Chili. À chaque fois qu’il effectuait un turn où un
frontside reverse, la petite meute poussait des cris de joies. Son
visage arborait alors un large sourire. Jéjé nous raconta plus tard
qu’il commença à surfer sur un tambua après avoir vu un expat’
nommé Peter surfer près de son village. « La première fois que j’ai
vu quelqu’un surfer, j’ai cru que c’était de la magie. Comme marcher
sur l’eau. » Jéjé a rapidement découvert que le spot de São Tomé
avait ses propres locaux et, avec leur aide, il sculpta son propre
tambua. Il a commencé par glisser dans les mousses avant d’attraper
de vrais vagues, derrière la barre. « Pendant longtemps, j’ai
cru que notre génération était la première à surfer à São Tomé sur
des boards en bois. J’ai commencé à questionner les adultes et l’un
d’eux m’a dit que des enfants surfaient avec des tambuas bien avant
nous. Je me suis donc tourné vers ma grand-mère, âgée de 77 ans,
et elle m’a dit que quand elle avait mon âge, des enfants plus jeunes
qu’elle surfaient avec des planches en bois pour s’amuser. »
À part une poignée de touristes, São Tomé reste majoritairement
coupée du monde. Des portions entières de l’île n’ont pas
l’électricité et l’économie repose essentiellement sur la pêche et
les récoltes. Le peu d’équipement de surf moderne arrive par le
biais des pilotes de ligne qui surfent ici en escale et de quelques
expatriés portugais.
EXPLORATION SAUVAGE
Depuis Santana, la route longe la côte vers le sud, surplombant
d’impénétrables baies que l’on aperçoit en roulant. Nous avions
fait des repérages sur Google Earth avant de partir, échafaudant
des plans, rentrant des coordonnées GPS... Mais, sur le terrain,
parmi la masse épaisse de feuillages, nous étions vite désorienté.
John prend les commandes, croisant les cartes avec le GPS de
son téléphone, guidant la voiture vers l’ouest, jusqu’à ce que
nous trouvions un chemin menant à la mer ou que nous ne puissions
plus avancer autrement qu’à pied. « C’est une blague ? »,
lance Beyrick une fois sur la plage. La jungle serrée que nous
venons juste de traverser mène à une baie en forme de croissant
de lune. À notre gauche, un trou béant perce une saillie rocheuse
D’où des gerbes d’eau sont propulsés à chaque ressac de la
mer. Le vent est onshore mais les vagues sont étonnement bien
formées et puissantes. « Ça ressemble à certains spots du Costa
Rica, sauf qu’ici, il n’y a personne à l’eau », remarque William.
170

« LA PREMIÈRE FOIS QUE J’AI VU QUELQU’UN SURFER, J’AI CRU QUE
C’ÉTAIT DE LA MAGIE. COMME MARCHER SUR L’EAU. »
Le jour suivant, en chargeant la voiture, le Français demande :
« Qui a de la musique ? ». Nos iPhone étant incompatibles avec
ce vieux lecteur cassette, nous décidons de nous rendre au
marché où nous débusquons des enregistrements pirates de 50
Cent et Lucky Dube, entre des piles de fruits et de poissons. Ces
deux cassettes allaient devenir la BO de notre aventure d’explorateurs
à São Tomé. Notre mission : débusquer des chemins
menant à des plages et baies inexplorées, sans assurance pour
autant d’être les premiers à surfer ces vagues sur nos tambuas
modernes.
QUAND LE SWELL N’EST PAS AU RENDEZ-VOUS
Les haut-parleurs crachent un rap oldschool pendant que nous
grimpons vers les hauteurs du pays. Pas de swell aujourd’hui,
nous décidons donc de partir en excursion dans les terres,
coupant à travers le ventre de l’île. Nous débarquons à Pico
Cão Grande (comprendre, le pic du grand chien), le plus haut
de l’île, culminant à 663 m d’altitude. L’épine rocheuse élancée
vers le ciel a été formée par l’explosion brutale d’un bouchon
de roche volcanique sous la pression souterraine. Sur le chemin
du retour vers la côte, John remarque des plants de cacao poussant
des deux côtés de la route, avec leurs gousses oranges et
pleines pendant au bout de fines tiges. Le cacao représente
95 % des exportations de São Tomé, un héritage de son passé
colonial, quand il était cultivé sur de larges plantations éparpillées
sur l’île. Les fèves de cacao sont extirpées des cosses
et exportées à travers le monde où elles sont transformées en
chocolat et autres délices cacaotés. Mais ici, c’est la jungle, les
plantes sont partout et grandissent librement à l’état sauvage.
Alors que la houle refait son apparition, nous relions Radiation
Point au nord de Santana, où George et Rarick avaient découvert
une droite qui pourrait donner une idée du potentiel de São
Tomé. Plus nous nous rapprochons, plus la route goudronnée
se désintègre pour finalement se terminer en un chemin creusé
d’ornières, où des fragments de toitures gisent entassés. La
chaussée en mauvais état nous force à adopter une conduite
très lente. Un flot d’enfants afflue des maisons dès que nous
traversons le village. Ils s’élancent sur leurs skateboards et nous
encerclent au moindre arrêt pour nous montrer fièrement leurs
planches, qu’ils appellent trote. Le deck de la planche est un bloc
de bois scellé à des trucks fait de branches dégrossies. De vieux
roulements, sélectionnés avec minutie, ont été montés au bout
de chaque branche : trop fin et le roulement se déloge ou bien la
branche casse ; trop épais et la rotation est entravée. Les enfants
poussent des cris de joie quand Beyrick et William testent les
trote. « Oleo, oleo ! », s’égosille un petit garçon à peine âgé de
huit ans. Il dégaine une bouteille plastique de son short, attrape
l’un des skates et dépose quelque gouttes d’huile de moteur
usagée sur les roulements. Puis, il retourne la planche et se met à
skater avec aisance, les roues d’acier frappant le sol avec fracas.
L’AVENIR DU SURF AFRICAIN EN MARCHE
Nous plongeons sous une barrière décrépie et nous aventurons
pour une marche de vingt minutes, entrevoyant ici et là des
morceaux de vagues à travers les hautes herbes jaunes. « Non,
non ! », crie un des surfeurs locaux alors que nous nous dirigeons
vers les rochers pour entrer dans l’eau. Il pointe du doigt un
massif d’oursins puis nous fait signe de le suivre vers une rigole
où nous pouvons facilement nous jeter dans l’eau. Un groupe de
surfeurs de São Tomé est déjà au line-up, surfant des boards de
seconde main. Certains arrivent à engager des turns avec grâce,
sans dérives. Les vagues déroulent sur une centaine de mètres,
avec une section tranquille qui permet du noseride comme des
gros virages, un peu comme la version africaine de Malibu.
« C’est beau, hein ? », dit John, montrant d’un geste ample, les
vagues, la baie et l’île toute entière.
De retour à l’eau à Santana, Jéjé nous raconte que les surfeurs
de son village et de Radiation Point surfent rarement ensemble.
La longue marche d’une heure trente qui sépare les deux spots
est éprouvante et personne ne possède de voiture. Mais lorsque
l’un d’entre eux fait le chemin, les surfeurs sont heureux de
se retrouver. « Il n’y a pas beaucoup de surfeurs à São Tomé »,
dit-il. « Le surf moderne, ça commence tout juste ici. On se retrouve
ensemble, on apprend ensemble. » Une série fait son apparition et
Beyrick s’élance, dévale la vague et décolle en frontside air. Jéjé
laisse échapper un cri admiratif avant de ramer vers la prochaine
vague pour tenter un énorme alley-oop, pratiquement replaqué.
Les enfants deviennent fous, émerveillées par le spectacle qui
se déroule sous leurs yeux. Puis, ils s’élancent à leur tour dans
la reforme sur leur planche de bois. L’un d’entre eux, plein de
courage, se détache du groupe. Les yeux rivés sur Jéjé et Beyrick,
il rame fort dans leur direction, ses jambes frappant l’arrière de
son tambua. L’avenir du surf de São Tomé est en marche.
171

STORY
© PATURAU
Voilà à quoi ressemblent ces îlots égarés dans l’océan Indien... Une bande de sable
exposée à tous les vents et houles.

SAINT-BRANDON
L’ATOLL MANQUANT DES
MASCAREIGNES
L’HISTOIRE SE PASSE IL Y A DIX ANS QUAND LE SURFEUR ET EXPLORATEUR ERWAN SIMON
SE REND EN PLEIN CŒUR DE L’OCÉAN INDIEN DANS L’ARCHIPEL PRESQUE INHABITÉ DE
SAINT-BRANDON. AVEC QUELQUES PÊCHEURS, DES MILLIERS D’OISEAUX ET PRESQUE
AUTANT DE REQUINS, LE BRETON NOUS LIVRE LE RÉCIT INÉDIT DE CE VOYAGE.
TEXTE DE ERWAN SIMON
Le navire maintient son cap vers le nord. Le
moteur mugit à plein régime avec des relents
d’huile, de fumées d’échappement et de métal
rouillé. Au large, un liseré un peu flou semble
se détacher de la ligne d’horizon. Est-ce une
vision en trompe-l’œil, une illusion ? Une
ombre légère se dévoile, une forme plate semble poindre peu
à peu au milieu de l’océan. Certains membres de l’équipage
commencent à s’agiter. Ils examinent la mer et je devine leurs
exclamations malgré le vacarme de la machinerie digne d’une
vieille locomotive. Après une longue traversée, l’île du Sud apparaît
en plein milieu de l’océan Indien. C’est le premier îlot que
l’on aperçoit en arrivant à Saint-Brandon par la mer depuis l’île
Maurice. Qu’est-ce que je fais là, sur ce bateau ? La Réunion,
Maurice, l’île Rodrigues, après avoir écumé toutes les îles des
Mascareignes pendant des années, j’avais remarqué un archipel
isolé et inhabité sur les cartes. J’ai mené l’enquête depuis la baie
de Tamarin. Peu de gens connaissaient Saint-Brandon et rares
sont ceux à avoir posé pied sur ces îlots mystérieux : trop loin,
trop dangereux, l’endroit a mauvaise réputation et serait infesté
de requins. En observant les cartes, j’avais estimé un potentiel
pour y découvrir de nouvelles vagues. Je m’étais mis en tête
d’explorer l’archipel, je voulais vivre l’expérience des pionniers
du surf.
PARTIR À LA DÉRIVE
Au fil de mes recherches, j’avais appris qu’une compagnie de
pêche envoyait chaque année quelques pêcheurs sur place
pendant plusieurs mois. Une autorisation était obligatoire pour
les accompagner mais se révéla impossible à obtenir. Mes
démarches auprès des autorités avaient été inutiles. Avec des
arguments fantasques, j’avais réussi à convaincre le patron de la
compagnie de m’embarquer sur l’un de ses bateaux en partance.
C’est ainsi que je me retrouve sur les quais de Port-Louis, embarquant
avec une poignée de marins à bord de La Dérive, un navire
d’une vingtaine de mètres qui ravitaille les pêcheurs de l’archipel
et charge le poisson séché sur place. Faute de permission officielle,
je m’étais planqué dans la cale des machineries pour éviter
les douanes et les autorités en sortant du port. Une fois au large,
le moteur s’arrête brusquement et nous dérivons pendant des
heures. Je comprends mieux le nom du bateau et l’importance
d’avoir un mécanicien à bord ! C’est donc après des semaines de
recherches et d’investigations, des négociations abracadabrantes
et un faux départ que je me retrouve sur ce bateau en plein
173

LA VIE HUMAINE SE LIMITE À QUELQUES CAMPEMENTS DE PÊCHEURS
QUI SE RELAIENT PENDANT QUELQUES MOIS, EN ÉVITANT LA SAISON DES
CYCLONES.
milieu de l’océan Indien. C’est après avoir parcouru plus de 400
kilomètres en haute mer, navigué plus de 24 heures, contemplé
les étoiles tout une nuit, dénombré les poissons volants, les
dauphins, les bancs de bonites et les oiseaux de mer annonciateurs
que je me retrouve à l’entrée de l’atoll. En approchant de
l’île du Sud, nous dépassons le récif agité de Pointe Requins.
Nous jetons l’ancre un peu plus loin, nous voilà enfin arrivés à
Saint-Brandon.
UN MONDE ENGLOUTI
Avec du matériel, des vivres et ma planche, je suis débarqué
sur l’île pour lier connaissance avec les pêcheurs qui vivent
ici temporairement. C’est un banc de sable recouvert par une
basse végétation et quelques baraquements. Sur la plage gît le
cadavre d’un requin. Je fais le tour de l’île en quelques minutes.
L’endroit est sauvage. Une nuée d’oiseaux de mer survole les
lieux en permanence, tournoyant, glapissant. D’un côté, la
couleur de l’eau nuance progressivement du bleu-vert jusqu’au
bleu marine. De l’autre, un immense lagon turquoise m’éblouit.
L’écume blanche des vagues le délimite du bleu abyssal des
profondeurs de l’océan. Situé à 220 miles nautiques au nord-est
de l’île Maurice, l’archipel de Saint-Brandon compte une trentaine
d’îlots disséminés sur un arc corallien d’environ cinquante
kilomètres de long. L’atoll est le témoin d’une ancienne activité
volcanique, comme pour la Réunion, Maurice et Rodrigues. Mais
il est abstrait de croire à une île avec des montagnes couverte
de forêt tropicale, de rivières et de cascades. On a plutôt affaire
à une île hantée par la vie sauvage et qui s’est enfoncée sous
son propre poids au fil du temps pour disparaître engloutie sous
l’effet de l’érosion et des éléments. Ou presque. Telle la couronne
flottante d’un corps immergé, ce récif corallien résiste au milieu
de l’océan. Probablement découvert par les navigateurs arabes
au VII e siècle, l’atoll est d’abord mentionné par les marins portugais
en 1508 et verra ensuite le passage occasionnel des marins
hollandais, français et britanniques. Et même si cela fût un repère
de pirates, les oiseaux de mer ont toujours été les vrais habitants
des lieux.
LE RÈGNE DES OISEAUX
Aujourd’hui, la vie humaine se limite à quelques campements de
pêcheurs sur l’île Raphael, dans le nord de l’archipel, et sur l’île
du Sud. Une trentaine de pêcheurs se relaient pendant quelques
mois, en évitant la saison des cyclones. Tout peut être submergé
par l’assaut d’une tempête tropicale. Je partage mes journées
avec Tonton, Gabi et Noël. Les récifs sont très éloignés et uniquement
accessibles par bateau. On promet de m’y emmener dans
deux jours. En attendant, je prends part aux activités de l’île.
Je pars en mer avec Tonton sur son bateau Gros Mama. Naviguer
dans ces eaux claires et poissonneuses est une expérience
unique : c’est un univers de sable blanc, de lagons turquoises et
d’oiseaux de mer. Deux espèces dominent : les mandrins, des
oiseaux noirs, et les vierges blanches, de bien meilleurs pêcheurs
selon Tonton. Ils sont peu craintifs car pas habitués à l’homme.
On pourrait les attraper à la main et on les observe pondre sous
nos yeux. Tonton est un vieux pêcheur créole et vient ici depuis
1953. Sa peau est tannée par le sel, son regard bienveillant. Il me
parle des requins pendant que nous remplissons son bateau de
poissons. De retour sur l’île, la pêche du jour sèche au soleil tout
174

L’un des rares témoignages photo qu’Erwan a pu ramener de son périple.
Finalement, la qualité médiocre du cliché
ne confère que plus de mystère à ces vagues.
l’après-midi puis est mise en balles pour être envoyé à Maurice.
Le soir venu, le dîner se fait autour d’une bouteille de rhum. On
rigole, ça palabre. On m’offre une cigarette que j’allume avec la
bougie. L’assemblée me foudroie des yeux, bouches bées. Selon
la superstition, ce geste provoque la disparition d’un marin.
Je l’avais oublié... Peu de temps après, nous apprenons qu’un
pêcheur n’est toujours pas rentré de mer. Malaise. Tonton est
inquiet. Il part faire le tour de l’île avec une torche. Le pêcheur
manquant rentrera finalement tard dans la nuit. Soulagement.
C’est décidé, je ne toucherais plus une bougie avec du tabac.
POINTE REQUINS
Je prends la mer avec Gabi et ma planche de surf. C’est un
étrange moment d’excitation. Y-a-t-il des vagues à Saint-
Brandon ? Je vais enfin le savoir. Je suis nerveux mais Gabi
semble encore plus inquiet que moi. On approche de la Pointe
Requins. Ce récif corallien forme une boucle tout au sud de l’archipel
et capte toutes les houles. Une épave rouillée est soudée
au récif, je vois les vagues s’enrouler autour des brisants. « Il y a
des milliers de requins ici, des petits, des gros, autant que d’oiseaux
sur les îles », m’explique Gabi avec son accent mauricien. Je ne
peux plus changer d’avis et je me jette à l’eau. Je longe le récif
à la rame et réalise qu’il y a du courant. Deux mètres de vagues
lèvent dans le bleu foncé et s’abattent violemment sur le récif en
formant une seconde section. Je démarre une vague sur l’épaule,
ça déroule vite sur le corail presque à sec, mais ça passe. Le
courant empêche de remonter plus au large. Je suis en pleine
mer, pris en sandwich entre le récif et cette houle formée en
Antarctique. Elle a brossé les côtes de Madagascar, la Réunion,
l’île Maurice et continue son long chemin vers l’Indonésie. Gabi
me fait signe, je prends quelques vagues puis retourne à bord.
On met le cap plus au nord. Poulailler, Frégate, Sirène, Baleine...
le nom des îles peut faire sourire mais les paysages sont étincelants.
Je suis fasciné. Nous arrivons à l’îlot de Chaloupe. La
passe que j’avais repérée sur les cartes s’ouvre sur un lagon sans
fin avec une gauche et une droite de chaque côté. Les vagues
ne dépassent pas un mètre, mais je termine ma journée sur
ces deux spots, sous l’œil rassurant de Gabi et accompagné de
quelques tortues. Je ressens un moment d’exaltation, peut-être
le même sentiment que celui des pionniers. Plus loin, les oiseaux
tournoient au dessus des îles. Saint-Brandon est aussi surnommé
l’écueil de Cargados Carajos. J’apprendrais plus tard que cela
signifie “La couronne aux oiseaux de mer”. Un nom si bien porté.
175

NEXT
COMME LA PROCHAINE
SÉRIE DE VAGUES, IL Y A
TOUJOURS UN MAGAZINE
EN APPROCHE. CHAQUE
SECONDE QUI PASSE NOUS
EN RAPPROCHE, MÊME SI
L’ATTENTE PEUT PARFOIS
P A R A Î T R E L O N G U E .
GARDONS EN TÊTE QU’IL
EST PARFOIS BON DE SE
LAISSER UN PEU DE TEMPS
POUR SE RETOURNER ET
PENSER À CE QUE L’ON
VIENT DE FAIRE. ON SE
RETROUVE DONC TRÈS
VITE, POUR ÉCRIRE,
LIRE, SURFER DE BELLES
L I G N E S E N S E M B L E .
TOUTE L’ÉQUIPE DE SURF
SESSION VOUS REMERCIE
DE VOTRE FIDÉLITÉ ! BON
SURF À TOUS !
© ARRIETA
176

.
CREATORS
INNOVATORS

RIPCURL.COM