GP Racing

LA CHRONIQUE DE MICHAEL SCOTT
Reporter sur les GP depuis plus de 30 ans
BELLES
DE COURSE
Il est une tradition en ingénierie
qui remonte à l’ère des navires
à plusieurs mâts et des grands
voiliers, qui a survécu l’âge de la
vapeur et qui a perduré jusqu’à
nos jours : les véhicules sont féminins.
Je me demande malgré tout si cela s’applique encore dans
cette société moderne, libérée et politiquement correcte qui est la
nôtre. Est-il juste, voire même approprié, de continuer à utiliser cette
analogie sexiste ? Non, en fait, je ne me le demande pas. Bien sûr
que les véhicules sont toujours féminins. Et c’est d’autant plus vrai
pour les motos. Surtout pour quiconque ayant déjà eu à en pousser
une en côte, avant de se rendre compte qu’il (ou que justement
« elle ») avait oublié d’ouvrir le robinet d’essence.
Bien sûr, les motos de course n’en sont pas équipées, mais elles
restent pourtant une espèce de femelles aux caractères bien trempés.
Et quelle variété en cette saison 2017 ! C’est le grand maître à danser
qu’il faut remercier pour cette situation et ce, depuis que Carmelo
Ezpeleta a décrété qu’elles auraient toutes accès aux mêmes tutus
et chaussons de danse. Mettre les motos sur un pied d’égalité n’a
fait que souligner un peu plus
leurs différences de personnalités.
Les deux premières courses du
calendrier sont déjà derrière nous,
et elles ont toutes deux été remportées
par le même homme, Maverick
Viñales. Il est le premier pilote
Yamaha à réaliser cet exploit
depuis Wayne Rainey en 1990.
Il s’est révélé un parfait homme de
tête, pilotant sa M1 avec délicatesse,
tout en exécutant des pas
de danse fort compliqués. Rien de
surprenant pour ceux qui avaient
suivi avec attention la carrière
du jeune Espagnol. C’était même
à prévoir, si l’on considère son
style et son parcours, proches des
racines du tango argentin.
Mais qu’en est-il de sa partenaire ?
L’élégante M1 s’est laissé conduire
par ce gentleman plein de maîtrise
dans un parfait décorum en faisant
ressortir toute sa féminité. Elle
connaît ses forces, mais elle a
bien compris la valeur d’un partenariat
équilibré. Derrière chaque
grand homme se cache une grande
femme. Et vice versa.
La Yamaha a toujours été une
compagne conciliante, disposée à
collaborer pour le bien commun.
C’était vrai à l’époque des deuxtemps
criardes, et ça le reste actuellement
avec les quatre-temps
à vilebrequin transversal.
La Honda, en revanche, affiche un
visage bien différent. Impertinente,
sûre d’elle, arrogante même, cette
femme fatale est tout à fait
consciente de son propre pouvoir :
c’est une ardente féministe.
Les hommes ne sont là que pour
LE SOIR DANS LE BOX,
VALENTINO PARLE
À SES MOTOS ET ELLES
LUI RÉPONDENT
l’activer. Et gare à ceux qui ne touchent pas les bons boutons.
La Honda n’a jamais eu d’états d’âme à envoyer valser ses partenaires
dans le bac à gravier, même si en définitive, c’était à son propre
détriment. Elle leur inflige ce qu’ils méritent, quitte à s’en mordre les
doigts. Si l’on poursuit cette analogie, parlons de la Suzuki :
jolie, délicate même, modeste et plutôt effacée, mais faisant
preuve d’un courage surprenant lorsqu’elle y est amenée.
Puis l’Aprilia, qui, il fut un temps, lorsqu’elle était encore la Cube
3-cylindres, n’était rien d’autre qu’une grande gueule, une
source de problèmes. Mais elle a bien changé. D’une honnête
lignée paysanne, elle s’acquitte à présent de sa tâche, toute
polyvalente qu’elle est. La KTM présente des traits similaires,
une Fräulein Autrichienne pragmatique dont les épaisses chevilles
ne laissent pas soupçonner les talents de danseuse étoile.
Sans oublier notre chanteuse lyrique, la Ducati, Prima Donna
des circuits, fière beauté de Bologne. Une dame que l’on craint autant
que l’on admire. Pourrait-il en être autrement ?
Je ne suis pas le seul à me laisser aller à ces pensées fantaisistes.
Avant sa terrible danse macabre au bras de la Desmosedici, je me
souviens d’un Rossi qui m’avait confié ses propres sentiments envers
ses motos. Il leur parlait tard le soir
dans le box, m’avait-il confessé, et
elles lui répondaient. Pour lui, la
Honda était fière et distante. Mais
la Yamaha, « elle est plus timide ».
Même si l’on ne veut pas pousser
trop loin cette métaphore, il y
a un fond de vérité indéniable.
Les machines ont une âme. Certes,
elles restent des machines : la M1
ne sera jamais rien d’autre qu’une
moto, un moyen de faire le boulot.
Ce sont les humains derrière
leur conception et fabrication qui
les ont animées. Du moins, c’est
ce que l’on ressent. Et ce sentiment,
les usines contribuent à le rendre
réel. C’est pour cela que la
course est un outil marketing si
précieux. Il laisse entrevoir la
nature de l’usine qui fabrique les
motos que l’on voudrait acheter.
Ainsi, Yamaha s’adresse aux
personnes gentilles et sensibles,
avec qui on se voit bien faire
un bout de chemin. Alors que
Honda, dont les motos présentent
des caractéristiques différentes,
attire un autre type de clientèle.
Et ainsi de suite. Jusqu’à la Ducati
au charme ravageur qui pourrait
bien vous faire chavirer. Considérés
comme féminins, ces produits
sont par définition presque capricieux,
imprévisibles et délicieusement
variés. On peut se retrouver
au guidon d’une Honda polie
et soumise autant qu’à celui d’une
Aprilia agressive et passionnée.
Souvenez-vous de la RG 500,
réplique de la Honda 2-temps
des Grands Prix. Mais chut,
ne dites rien à Valentino...
022 /GP RACING - Juin-Juillet-Août 2017