GP Racing

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PORTRAIT / JACQUES ROCA Qu’il s’agisse de démonter un amortisseur, remplacer les disques de freins ou encore changer l’embrayage de la GSX-RR dont il a la responsabilité, Jacques Roca exécute les consignes que lui passe Marco Rigamonti avec l’assurance d’un vieux sage. Cette année, le mécanicien français de l’équipe Suzuki a pris du grade. « Je suis responsable de l’équipe de mécaniciens qui travaillent sur les motos d’Andrea Iannone, précise-t-il. C’est moi qui fais le lien avec Riga, l’ingénieur, et qui distribue les tâches. » Raymond Hughes, Tsutomu Matsugano et Fernando Mendez Picon n’ont qu’à bien se tenir. À 35 ans, Jacque Roca attaque sa troisième saison dans l’équipe de Davide Brivio. Arrivé chez Suzuki avec Aleix Espargaro, il n’a pas suivi le pilote espagnol dont il est pourtant très proche. « Quand Aleix a signé chez Aprilia en cours de saison, il m’a pris à part avant même que tout le monde ne sache où il allait, raconte Jacques. Il m’a dit qu’il ne me demanderait pas cette fois de le suivre, qu’il fallait que je pense à mon avenir, qu’il ne savait pas encore combien de temps il allait courir en Grands Prix et que Suzuki était une très bonne équipe où j’étais bien vu. Il m’a dit : “Je ne vais pas te mettre dans une situation compromettante, tu as une bonne place que tu as gagnée. Si tu veux me suivre, tu es le bienvenu, mais je ne te le demanderai pas.” Il a été très honnête et très humain. » Et Brivio l’a récompensé en lui confiant de nouvelles responsabilités. « Je suis content, même si je sais que je n’irai pas plus haut. Aujourd’hui, tous les chefs mécaniciens ont des formations d’ingénieurs, constate le Français. L’époque où un mécano ou un responsable suspensions accédait à ce job est révolue. » Avec le MotoGP, les connaissances en électronique et en informatique ont pris le pas sur la formation en mécanique. Jacques s’en moque. Sa passion, lui, il l’assouvit avec les clefs et les tournevis que son père lui a mis dans les mains alors qu’il était tout gamin. Jacques, c’est le fils de Jacques, l’ancien pilote qui devint directeur technique chez Suzuki France avant de gérer plusieurs concessions en région parisienne (voir page 102). « Le mercredi, je passais ma journée au magasin, dans les pattes de mon père. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des courses de PW50... « JE BRICOLAIS LES SCOOTERS DES COPAINS » Mais à douze ans, mon père a dit stop. Je ne foutais rien à l’école, et puis avec son boulot, il n’avait pas trop le temps de m’emmener le week-end sur les circuits. Mon activité s’est alors orientée vers la mécanique. J’ai commencé à démonter les motos accidentées et à déballer les machines neuves qui arrivaient à l’atelier. » Et puis en 1996, la famille Roca déménage en Espagne. « J’avais quinze ans. Mon père avait atteint l’âge de la retraite, il a tout vendu et on est parti s’installer à Benissanet, le village de ma mère où nous passions jusque-là tous nos étés. » C’est donc près de Tarragone que Jacques poursuit ses études et entretient sa passion de la mécanique et des motos. « J’ai passé mon bac en Espagne. Durant les années lycée, je consacrais mon temps libre à bricoler et à bidouiller les scooters et les mobs des copains. J’ai également fait un peu de cross, mais après m’être bousillé les ligaments croisés des deux genoux, mon père m’a conseillé d’arrêter. J’ai alors couru en scooter dans un championnat où le règlement technique était très libre. Mon père m’avait préparé un moteur, c’était un avion de chasse. » Après le bac, Jacques intègre l’école Monlau à Barcelone. Aujourd’hui supervisée par Emilio Alzamora, cette structure était à l’époque dirigée par Dani Amatriain, autre ancien pilote espagnol et par ailleurs à l’époque manager de Jorge Lorenzo. Chez Monlau, Jacques Roca perfectionne sa science de la mécanique et commence à travailler sur les courses du championnat d’Espagne 600 Supersport avec Cory West, un pilote américain alors aidé par Kenny Roberts. Et puis en 2004, Dani Amatriain lui propose une place d’aide-mécanicien en Grands Prix pour travailler sur les 125 Derbi de Jorge Lorenzo. « J’avais quelques atouts car je parlais espagnol, français et anglais », dit Jacques. En 2005, Lorenzo passe en 250 sur une Honda. « Je pouvais le suivre, mais Gigi Dall’Igna qui arrivait alors chez Derbi m’a demandé de rester. Je suis passé d’aide-mécanicien à mécanicien et j’ai Jacques prend la pose au Qatar, devant l’affiche de son nouveau pilote, Andrea Iannone. 100 /GP RACING - Juin-Juillet-Août 2017

commencé à travailler sur les motos officielles. C’était super intéressant. En 2005, avec Pablo Nieto, on développait la 125 RSA avec le distributeur rotatif central. » L’année suivante, Jacques s’occupe des motos de Simone Corsi sous la bannière Gilera, autre marque du groupe Piaggio. En 2007, il se retrouve aux côtés de Nico Terol, puis en 2008, il passe en 250 avec Aleix Espargaro. Le début d’une belle histoire. « J’AI APPRIS LE DEUX-TEMPS AVEC MON PÈRE » « Aleix, je le connaissais depuis un moment. Je l’ai vu arriver quand je travaillais sur le championnat d’Espagne Supersport. C’était un petit gamin de treize ans qui courait en 125 et qui n’arrêtait pas de faire des conneries. C’est lui qui m’a demandé de travailler avec lui en 2008. » La saison suivante, Jacques doit repasser en 125 pour travailler avec Efren Vazquez. « Il y avait des problèmes de dernières minutes avec le team d’Amatriain, et comme j’étais payé par Derbi, je n’ai pas eu le choix... » En 2010, c’est avec Pol Espargaro que Jacques travaille. « Aleix était toujours fourré dans le garage de son frère, raconte le Français. Quand il a su qu’il irait la saison suivante chez Pons en Moto2, il m’a demandé de venir avec lui. Je lui ai dit oui... » Après cette saison 2011, Aleix part chez Aspar en MotoGP. Jacques, lui, reste chez Pons en Moto2 et récupère Pol. C’est finalement avec le cadet de la famille Espargaro que Jacques Roca goûte, en 2013, au bonheur d’un titre de champion du monde : « C’est mon meilleur souvenir en GP avec le podium d’Aleix en MotoGP l’année suivante au guidon de la Yamaha du team Forward. » Car lorsque Pol passe chez Tech3, Jacques rejoint le frère aîné dans l’équipe italienne. Avant de le suivre en 2015 chez Suzuki. « Si je suis là, c’est grâce à lui, résume le mécanicien français aujourd’hui installé à l’Hospitalet de l’Infant, sur les bords de la Méditerranée, au sud de Tarragone. Je ne lui en serai jamais assez reconnaissant. Quand il m’a dit qu’il m’emmenait chez Suzuki, j’étais fou de joie. J’aurais aimé que mon père soit encore vivant pour voir ça ! J’ai grandi avec un blouson Suzuki sur le dos. » Bien évidemment, s’il travaille aujourd’hui avec Andrea Iannone, Jacques conserve une affection particulière pour Aleix, « un mec qui a un cœur en or, qui prend soin des autres ». Avec Andrea Iannone et Marco Rigamonti, le chef mécanicien qui a suivi le pilote italien de Ducati à Suzuki, Jacques tisse aujourd’hui de nouvelles relations. « On apprend encore à se connaître et à travailler ensemble. On n’a pas la même complicité, mais ça se passe bien. Ce sont des gars sympas et ouverts à la discussion. Riga n’hésite pas à me solliciter pour me demander mon avis car il ne connaît pas très bien la moto pour le moment. » Quand il n’est pas sur un circuit, Jacques Roca est très souvent fourré dans son atelier où il assouvit, entre autres, sa passion pour les moteurs deux-temps. « J’ai mon petit magasin, plaisante-t-il. Je bricole pas mal de 500 RG, je prépare aussi des motos pour la piste. Je suis d’ailleurs en train de refaire une GSX-R 750 de 1989 avec laquelle je vais courir en Classic. » Comme bon nombre de mécaniciens de Grands Prix, Jacques reste nostalgique de l’époque des moteurs deux-temps, sans pour autant s’ennuyer aujourd’hui. « Le deux-temps, j’ai appris ça avec mon père, rappelle-t-il. Quand j’ai commencé en 125, on démontait les moteurs de A à Z. Aujourd’hui, ils arrivent du Japon et on se contente de monter les boîtes de vitesses et les embrayages. Mais j’ai quand même la chance de travailler sur des motos d’usine. Ce sont des machines très complexes et magnifiques. Cet hiver, nous sommes allés au Japon pour les assembler, j’ai pu voir le moteur entièrement démonté, j’ai pris un piston à la main. C’est juste magnifique. » « QUAND ALEIX M’A DIT QU’IL M’EMMENAIT CHEZ SUZUKI, J’ÉTAIS FOU DE JOIE » Le Français a noué des liens très étroits avec Aleix Espargaro. Le podium de l’Espagnol en 2014 à Aragon demeure l’un de ses meilleurs souvenirs. Juin-Juillet-Août 2017 - GP RACING /101

commencé à travailler sur les motos<br />

officielles. C’était super intéressant.<br />

En 2005, avec Pablo Nieto, on développait<br />

la 125 RSA avec le distributeur rotatif<br />

central. » L’année suivante, Jacques s’occupe<br />

des motos de Simone Corsi sous la bannière<br />

Gilera, autre marque du groupe Piaggio.<br />

En 2007, il se retrouve aux côtés de Nico<br />

Terol, puis en 2008, il passe en 250 avec<br />

Aleix Espargaro. Le début d’une belle histoire.<br />

« J’AI APPRIS LE DEUX-TEMPS<br />

AVEC MON PÈRE »<br />

« Aleix, je le connaissais depuis un moment.<br />

Je l’ai vu arriver quand je travaillais sur<br />

le championnat d’Espagne Supersport.<br />

C’était un petit gamin de treize ans qui<br />

courait en 125 et qui n’arrêtait pas de<br />

faire des conneries. C’est lui qui m’a<br />

demandé de travailler avec lui en 2008. »<br />

La saison suivante, Jacques doit repasser<br />

en 125 pour travailler avec Efren Vazquez.<br />

« Il y avait des problèmes de dernières minutes<br />

avec le team d’Amatriain, et comme j’étais<br />

payé par Derbi, je n’ai pas eu le choix... » En<br />

2010, c’est avec Pol Espargaro que Jacques<br />

travaille. « Aleix était toujours fourré dans<br />

le garage de son frère, raconte le Français.<br />

Quand il a su qu’il irait la saison suivante<br />

chez Pons en Moto2, il m’a demandé de<br />

venir avec lui. Je lui ai dit oui... » Après<br />

cette saison 2011, Aleix part chez Aspar<br />

en Moto<strong>GP</strong>. Jacques, lui, reste chez Pons<br />

en Moto2 et récupère Pol. C’est finalement<br />

avec le cadet de la famille Espargaro que<br />

Jacques Roca goûte, en 2013, au bonheur<br />

d’un titre de champion du monde : « C’est<br />

mon meilleur souvenir en <strong>GP</strong> avec le podium<br />

d’Aleix en Moto<strong>GP</strong> l’année suivante au<br />

guidon de la Yamaha du team Forward. »<br />

Car lorsque Pol passe chez Tech3, Jacques<br />

rejoint le frère aîné dans l’équipe italienne.<br />

Avant de le suivre en 2015 chez Suzuki.<br />

« Si je suis là, c’est grâce à lui, résume<br />

le mécanicien français aujourd’hui installé<br />

à l’Hospitalet de l’Infant, sur les bords<br />

de la Méditerranée, au sud de Tarragone.<br />

Je ne lui en serai jamais assez reconnaissant.<br />

Quand il m’a dit qu’il m’emmenait chez<br />

Suzuki, j’étais fou de joie. J’aurais aimé<br />

que mon père soit encore vivant pour voir<br />

ça ! J’ai grandi avec un blouson Suzuki<br />

sur le dos. » Bien évidemment, s’il<br />

travaille aujourd’hui avec Andrea Iannone,<br />

Jacques conserve une affection particulière<br />

pour Aleix, « un mec qui a un cœur en<br />

or, qui prend soin des autres ». Avec<br />

Andrea Iannone et Marco Rigamonti, le<br />

chef mécanicien qui a suivi le pilote italien<br />

de Ducati à Suzuki, Jacques tisse aujourd’hui<br />

de nouvelles relations. « On apprend encore<br />

à se connaître et à travailler ensemble.<br />

On n’a pas la même complicité, mais<br />

ça se passe bien. Ce sont des gars sympas<br />

et ouverts à la discussion. Riga n’hésite<br />

pas à me solliciter pour me demander mon<br />

avis car il ne connaît pas très bien la moto<br />

pour le moment. » Quand il n’est pas sur un<br />

circuit, Jacques Roca est très souvent fourré<br />

dans son atelier où il assouvit, entre autres,<br />

sa passion pour les moteurs deux-temps.<br />

« J’ai mon petit magasin, plaisante-t-il. Je<br />

bricole pas mal de 500 RG, je prépare aussi<br />

des motos pour la piste. Je suis d’ailleurs<br />

en train de refaire une GSX-R 750 de 1989<br />

avec laquelle je vais courir en Classic. »<br />

Comme bon nombre de mécaniciens de<br />

Grands Prix, Jacques reste nostalgique<br />

de l’époque des moteurs deux-temps,<br />

sans pour autant s’ennuyer aujourd’hui.<br />

« Le deux-temps, j’ai appris ça avec mon<br />

père, rappelle-t-il. Quand j’ai commencé<br />

en 125, on démontait les moteurs de A à Z.<br />

Aujourd’hui, ils arrivent du Japon et on se<br />

contente de monter les boîtes de vitesses<br />

et les embrayages. Mais j’ai quand même<br />

la chance de travailler sur des motos d’usine.<br />

Ce sont des machines très complexes et<br />

magnifiques. Cet hiver, nous sommes allés<br />

au Japon pour les assembler, j’ai pu voir<br />

le moteur entièrement démonté, j’ai pris un<br />

piston à la main. C’est juste magnifique. »<br />

« QUAND ALEIX M’A DIT QU’IL M’EMMENAIT<br />

CHEZ SUZUKI, J’ÉTAIS FOU DE JOIE »<br />

Le Français a noué des<br />

liens très étroits avec<br />

Aleix Espargaro. Le<br />

podium de l’Espagnol<br />

en 2014 à Aragon<br />

demeure l’un de ses<br />

meilleurs souvenirs.<br />

Juin-Juillet-Août 2017 - <strong>GP</strong> RACING /101

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