JOURNAL ASMAC - No 4 août 2017

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POINT DE MIRE ▶ IDENTITÉ multiples que la médecine s’est mise d’accord sur le terme «trans» pour désigner toutes les personnes présentant une incongruence du genre. Objectivement, les différentes attitudes des individus par rapport aux axiomes du genre n’indiquent pas un état pathologique. En effet, à ce jour, aucune étude n’a pu établir un lien direct entre une incongruence du genre existante et un état psychopathologique évident [6]. Dans ce sens, les personnes trans ne sont pas une erreur du système, mais plutôt l’expression de la variance du genre biopsychosociale humaine. C’est pourquoi dans la proposition actuelle du CIM-11 qui paraîtra probablement en 2018, l’incongruence du genre n’est plus considérée comme trouble psychopathologique au sens du «transsexualisme» (voir illustration), mais comme un état influençant la santé sexuelle [7]. Autant les personnes trans remettent en question les axiomes du genre traditionnels, autant elles déclenchent des réactions stigmatisantes qui touchent tous les domaines de la vie [8]. Les expériences d’exclusion que ces personnes vivent vont de leur invisibilité en passant par des injures jusqu’à une violence mortelle [8]. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup de personnes trans peuvent – notamment au début de leur processus de réattribution sexuelle – présenter un trouble clinique selon le CIM-5, une dysphorie du genre (voir illustration) [9]. Les troubles psychiques associés à la dysphorie du genre (p. ex. troubles dépressifs, anxieux, de la dépendance et/ou somatiques [10, 11]) doivent être qualifiés de troubles réactifs et liés à la stigmatisation et non pas de pathologies primaires [12]. Si l’on considère les problèmes auxquels les personnes trans sont confrontées, l’urgence avec laquelle elles veulent entamer un processus de réattribution sexuelle médical et social est compréhensible. D’après des études à long terme, la transition est un moyen sûr pour réduire les états de tension décrits [13, 14]. Les concepts de traitement modernes [15, 16] s’écartent des approches paternalistes d’autrefois en évitant de pathologiser systématiquement les personnes trans ou de leur demander d’effectuer un «test du quotidien». Parallèlement, ils tiennent compte des répercussions négatives d’un environnement toujours hostile aux trans sur la santé des personnes trans et tentent d’aborder ces problèmes à temps. Un suivi est nécessaire Une transition médicale peut être réalisée par des collègues expérimentés en cabinet ou dans des centres de référence nationaux (p. ex. au centre pour la variance du genre à Bâle). En raison de la complexité des interventions médicales, de leurs conséquences psychosociales et psychosexuelles et des processus de décision qu’elles impliquent, une collaboration interdisciplinaire entre les médecins traitants est recommandée [15, 16]. Beaucoup de personnes trans profitent d’un accompagnement psychiatrique et psychothérapeutique de transition. Il y a cependant des situations où une telle prise en charge n’est pas nécessaire ou pas souhaitée. Contrairement à une opinion très répandue, les opérations de réattribution sexuelle ne constituent pas le point final d’une transition. Souvent, elles ne constituent même pas l’objectif principal. Le processus de la réattribution sexuelle reste un défi à vie. Après la destigmatisation progressive du traitement interdisciplinaire de personnes trans, le suivi reste une tâche essentielle que les systèmes de santé incluant les personnes trans devront assumer à l’avenir. ■ Bibliographie 1. Hagemann-White, C., Die Konstrukteure des Geschlechts auf frischer Tat ertappen? Methodische Konsequenzen einer theoretischen Einsicht. Feministische Studien, 1993. 11(2): p. 68–78. 2. Thomas, W. and S.-E. Jacobs, «… And we are still here»: From berdache to two-spirit people. American Indian culture and research journal, 1999. 23(2): p. 91–107. 3. Wiesner-Hanks, M. E., Gender in History: New perspectives on the past. 2001, Malden, MA: Wiley-Blackwell. 4. Richards, C., W. P. Bouman, L. Seal, et al., Non-binary or genderqueer genders. International Review of Psychiatry, 2016. 28(1): p. 95–102. 5. Loos, F. K., A. Köhler, J. Eyssel, et al., Subjektive Indikatoren des Behandlungserfolges und Diskriminierungserfahrungen in der trans* Gesundheitsversorgung. Qualitative Ergebnisse einer Online-Befragung. Zeitschrift für Sexualforschung, 2016. 29(3): p. 205–223. 6. Robles, R., A. Fresán, M. E. Medina Mora, et al., Categories that should be removed from mental disorders classifications: Perspectives and rationales of clinicians from eight countries. Journal of clinical psychology, 2015. 71(3): p. 267–281. 7. Drescher, J., P. Cohen-Kettenis, and S. Winter, Minding the body: Situating gender identity diagnoses in the ICD-11. International Review of Psychiatry, 2012. 24(6): p. 568–577. 8. Fundamental Rights Agency, Being Trans in the EU. Comparative analysis of EU LGBT survey data. 2014, Publications Of ce of the European Union: Luxembourg. 9. American Psychiatric Association, Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM 5). 2013: American Psychiatric Association. 10. Flentje, A., N. C. Heck, and J. L. Sorensen, Characteristics of transgender individuals entering substance abuse treatment. Addictive behaviors, 2014. 39(5): p. 969–975. 11. Bockting, W.O., M.H. Miner, R.E. Swinburne Romine, et al., Stigma, mental health, and resilience in an online sample of the US transgender population. Am J Public Health, 2013. 103(5): p. 943–51. 12. Hendricks, M. L. and R. J. Testa, A conceptual framework for clinical work with transgender and gender nonconforming clients: An adaptation of the Minority Stress Model. Professional Psychology: Research and Practice, 2012. 43(5): p. 460–467. 13. Sutcliffe, P. A., S. Dixon, R. L. Akehurst, et al., Evaluation of surgical procedures for sex reassignment: a systematic review. Journal of plastic, reconstructive & aesthetic surgery, 2009. 62(3): p. 294–306. 14. White Hughto, J. M. and S. L. Reisner, A Systematic Review of the Effects of Hormone Therapy on Psychological Functioning and Quality of Life in Transgender Individuals. Transgender Health, 2016. 1(1): p. 21–31. 15. Garcia Nuñez, D., P. Gross, M. Baeriswyl, et al., Von der Transsexualität zur Gender- Dysphorie – Beratungs- und Behandlungsempfehlungen bei TransPersonen. Swiss Medical Forum, 2014. 14(19): p. 382–387. 16. Garcia Nuñez, D. and T.O. Nieder, Geschlechtsinkongruenz und-dysphorie. Gynäkologische Endokrinologie, 2017. 15(1): p. 5–13. 32 VSAO JOURNAL ASMAC N o 4 Août 2017
POINT DE MIRE ▶ IDENTITÉ Une contrainte plutôt qu’une prise en charge Les relations des personnes transsexuelles avec le système de santé sont très difficiles. Pendant la transition, les institutions médico-psychiatriques sont souvent un facteur de stress plutôt qu’une aide. Qu’il s’agisse de l’accompagnement psychothérapeutique, de prestations de soins ou séjours hospitaliers, le système de santé n’est toujours pas préparé aux personnes transsexuelles. Myshelle Baeriswyl, D r ès lettres, psychologue et sexopédagogue L’alliance contre nature du droit, de la médecine, de la psychothérapie, de la psychiatrie et des personnes transsexuelles trouve son origine au plus tard dans les recommandations de soins (Standards of Care, SOC) publiées en 1979 par l’International Gender Dysphoria Association. Un des principaux soucis à l’époque était (et l’est encore aujourd’hui) de distinguer les «vrais transsexuels» de ceux qui ne devaient pas bénéficier de mesures médicales de ce genre. Les standards pour le traitement et l’évaluation de transsexuels («Standards der Behandlung und Begutachtung von Transsexuellen», Becker et al., 1997) publiés par un groupe d’experts allemands n’y ont rien changé. Ils n’étaient pas orientés selon les besoins des personnes transsexuelles, mais servaient en premier lieu à satisfaire la soif de pouvoir et de contrôle de la psychiatrie et de la médecine (Hamm und Sauer, 2014). Dans la septième édition des SOC, on parle certes d’une approche flexible pour satisfaire «aux différents besoins sanitaires des personnes transsexuelles, transgenres et au sexe non conforme» (Coleman et al., 2012, p. 2). Les directives de traitement linéaires habituelles restent cependant valables, aussi en Suisse. C’est-à-dire d’abord le diagnostic, la psychiatrie et l’expérience quotidienne, ensuite le traitement hormonal et le changement de prénom (petite solution) et dans un second temps seulement, les traitements chirurgicaux et changements d’état civil (grande solution) (Richter-Appelt & Nieder, 2014, p. 16). Les préjugés l’emportent sur le savoir Certes, la Suisse n’a pas de loi sur les transsexuels, ce qui rend l’application de ces directives moins contraignante, mais malgré cela, sans diagnostic psychiatrique, pas de prestations des caisses-maladie, pas de transition médicale. Le chemin des personnes transsexuelles dans le système de santé passe toujours encore par leur (psycho-)pathologisation. Dans le système de santé, elles butent sur des compétences insuffisantes ou inexistantes, des directives discriminatoires ou des craintes et incertitudes du personnel médical et soignant. Quelques exemples: D’après une étude américaine de 2016, 63% des endocrinologues seraient prêts à effectuer une thérapie hormonale avec leurs patient(e)s, mais la moitié d’entre eux ne connaissent pas les directives de l’Endocrines Society de 2009. Et seulement 20% se sentent «très à l’aise en discutant de l’identité sexuelle et/ou de l’orientation sexuelle» (Irwig, 2016). Seulement 30% des 176 facultés de médecine américaines et canadiennes abordent le thème de la transition dans leur cursus, alors que l’American Medical Association soutient depuis 2008 le «transition-related health care» (Obedin-Maliver et al., 2011). En Suisse, les thèmes ayant trait à la transsexualité sont inexistants dans les cursus des institutions de formation médicales, psychologiques et psychothérapeutiques. Un grand sondage mené par la Fédération suisse des gays Pink Cross en collaboration avec le Centre interdisciplinaire de compétence de l’âge de la HES Saint-Gall sur la question «Les structures de soins et de vieillesse en Suisse sont-elles préparées à la prise en charge de personnes LGBTI?» a produit des résultats décevants: autant dans les établissements médico-sociaux, les organisations de soins à domicile que dans la formation infirmière, les thèmes liés à la transsexualité sont pour ainsi dire inexistants. A ce jour, les thèmes LGBTI sont plus ou moins, voire totalement absents des lignes directrices des établissements de soins suisses. Le guide «Diversité dans les établissements médico-sociaux» de la Croix-Rouge Suisse (CRS) (titre original: «Diversität in Alters- und Pflegeheimen») reste méconnu. Dans les organisations de soins à domicile, les thèmes LGBTI sont pris en compte dans les lignes directrices de la moitié des organisations ayant répondu sous le titre «Gestion de la diversité et des différentes formes de vie». Mais une ligne directrice spécifique LGBTI fait défaut et il n’y a que quelques institutions qui disposent d’un code de conduite correspondant. Dans la formation infirmière, 21 sur 28 institutions de formation ont ancré les thèmes LGBTI sous une forme ou une autre dans l’enseignement, cela varie toutefois fortement suivant le niveau de formation. Cette thématique n’est guère enseignée dans les formations de courte durée et de base. Loin de la normalité Si l’on demande aux personnes transsexuelles de relater leurs expériences dans le système de santé, le tableau n’est pas plus réjouissant. Beaucoup parlent d’attitudes ou de réactions négatives voire hostiles du personnel (hospitalier). Souvent, on leur refuse un titre correct correspondant à leur identité sexuelle. Souvent, ils sont appelés par leur ancien nom et de faux pronoms personnels. Il n’est pas rare que ces patients soient attribués au faux service, c’est-à-dire des femmes transsexuelles chez les hommes et inversement. Lors de la visite du médecin-chef, il est souvent indiqué, en présence d’autres patients, que la personne est transsexuelle, ce qui équivaut à un outing forcé. Parfois, il peut aussi se produire, comme l’auteur l’a personnellement vécu, un véritable spectacle: le jour de mon entrée à l’hôpital, N o 4 Août 2017 VSAO JOURNAL ASMAC 33
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