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UN TRUCAGE HISTOIRE _éd. 2017_

Cet ouvrage met en lumière quelques falsifications historiques de la Société Watch Tower.

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Un trucage de l’Histoire<br />

1


Un trucage de l’Histoire<br />

Un<br />

<strong>TRUCAGE</strong><br />

de<br />

L’<strong>HISTOIRE</strong><br />

Retour sur un aspect du passé des<br />

Témoins de Jéhovah<br />

Par<br />

Alexandre Salomon<br />

salomonlesage777@gmail.com<br />

1 re <strong>éd</strong>ition : Octobre 2013<br />

2 e <strong>éd</strong>ition : février 2015<br />

Nouvelle <strong>éd</strong>ition<br />

é<br />

: août <strong>2017</strong><br />

2


Un trucage de l’Histoire<br />

3


Un trucage de l’Histoire<br />

SOMMAIRE<br />

INTRODUCTION .................................................................................................... 5<br />

1. Présence invisible de Jésus : Contexte historique .................................. 8<br />

2. Les temps des Gentils : Contexte historique ........................................... 31<br />

3. Le Royaume de Dieu établit dans les cieux ? Contexte historique ...... 52<br />

4. Sur le retour du Christ : Une étude approfondie et<br />

impartiale de la Bible ? .................................................................................... 56<br />

5. Se tenir aux aguets en vue du retour de Jésus ...................................... 70<br />

CONCLUSION ....................................................................................................... 76<br />

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................... 77<br />

4


Un trucage de l’Histoire<br />

INTRODUCTION<br />

A<br />

U MILIEU des années 80, la Watch Tower Bible and<br />

Tract Society, l’instrument juridique dont se servent les<br />

Témoins de Jéhovah, a publié une brochure intitulée<br />

Les Témoins de Jéhovah — Unis pour faire la volonté<br />

de Dieu sur toute la terre. Cette brochure visait, selon les mots des<br />

r<strong>éd</strong>acteurs, à « faire mieux connaître les activités des Témoins de<br />

Jéhovah ainsi que les dispositions<br />

prévues pour vous aider à accroître<br />

votre connaissance de la Bible. »<br />

Pour se faire, les r<strong>éd</strong>acteurs de la<br />

brochure ont passé en revue certains<br />

faits notables du passé du mouvement.<br />

Cette tâche exige une grande<br />

objectivité comme le soulignait Lucien<br />

de Samosate, rhéteur grec du 2 e siècle<br />

de notre ère : « La tâche de l’historien,<br />

a-t-il écrit, il n’y en a qu’une : dire les choses telles qu’elles se sont<br />

passées. » 1 Est-ce ce que révèleront les lignes de la brochure ? Les<br />

r<strong>éd</strong>acteurs ont-ils vraiment dit « les choses telles qu’elles se sont<br />

passées »?<br />

En ouvrant la brochure Unis pour faire la volonté de Dieu, deux<br />

paragraphes ont attiré notre attention. On y lit 2 :<br />

1<br />

Lucien, « Comment l’on écrit l’histoire », in Œuvres Choisies, <strong>éd</strong>. « Le temps des cerises »,<br />

trad. par Jean Suret-Canale, p. 103.<br />

5


Un trucage de l’Histoire<br />

6


Un trucage de l’Histoire<br />

À lire ces propos, on a l’impression que les éléments énumérés<br />

correspondent point pour point aux faits et à ce qu’avait enseigné<br />

Charles Taze Russell dont nous vous proposerons une brève<br />

biographie par la suite. Il est même mentionné que ses compagnons<br />

et lui « annoncèrent ces vérités de tous côôtés... ». Quelles vérités ?<br />

Contextuellement, et comme le confirme le démonstratif "ces", il<br />

s’agit — quand on écarte la doctrine trinitaire, la rançon de Jésus et le<br />

choix de 144000 personnes, sujets que nous ne discuterons pas dans<br />

ce dossier — de la présence invisible du Christ, de l’achèvement des<br />

temps des Gentils en 1914 et de l’établissement du Royaume de Dieu<br />

dans les cieux. Les Témoins de Jéhovah soutiennent que ces<br />

enseignements leur sont propres aujourd’hui. Toutefois, en est-il<br />

vraiment ainsi ?<br />

À la lumière de la documentation ancienne, on pourra constater<br />

que cette description des faits est symptomatique d’un trucage de<br />

l’Histoire. Par soucis d’objectivité et d’exégèse historico-critique, nous<br />

mettrons en lumière quelques déformations infiltrées dans les propos<br />

des Témoins de Jéhovah relativement à l’extrait susmentionné qui<br />

nous servira de texte de base. La critique, voire l’analyse étant un<br />

moyen de déceler la vérité, nous verrons bien si c’est à cette vérité<br />

historique que nous conduit Unis pour faire la volonté de Dieu.<br />

D’ailleurs, la Bible ne recommande-t-elle pas de « vérifie[r] toutes<br />

choses » 3 ?<br />

2<br />

Unis pour faire la volonté de Dieu, 1986, p. 8. Sauf indication contraire, c’est nous qui<br />

soulignons, ici et ailleurs.<br />

3<br />

1 Thessaloniciens 5 : 21. Le mot traduit par « vérifier » (δοκιµαζω) a aussi le sens de<br />

«éprouver », « examiner » ou « passer au crible». Sauf indication contraire, nous puiserons<br />

nos citations bibliques dans la version publiée par les Témoins de Jéhovah, la Traduction du<br />

monde nouveau (<strong>éd</strong>. 1984, 1995).<br />

7


Un trucage de l’Histoire<br />

1. Présence invisible de Jésus :<br />

Contexte historique<br />

LE VENT de la Réforme protestante qui se mit à souffler<br />

impétueusement au XVI e siècle avait balayé sur son passage certains<br />

excès iniques de l’Église catholique. A la suite au Traité de paix de<br />

Westphalie qui mit fin à la guerre de Trente Ans (1618-1648), la<br />

Révolution française (1789-1799) vint inaugurer une ère de réaction<br />

vive contre l’Église. Nous sommes à l’ère du « Siècle des Lumières »<br />

ou Âge de la Raison, qui sera marquée par une quête obs<strong>éd</strong>ante du<br />

savoir, et par une forte remise en cause des traditions reçues.<br />

De tous côôtés éclatent alors divers mouvements libéraux, et,<br />

dans la foulée, la révolution industrielle, la théorie de l’évolution, la<br />

haute critique, le modernisme et le matérialisme. Cette atmosphère<br />

fertile de folklore et de ferveur religieuse fut à la base d’une<br />

prolifération fulgurante de sectes religieuses.<br />

C’est dans un tel climat de grande effervescence que naquit<br />

Charles Taze Russell, le 16 février 1852 dans la ville d’Allegheny, en<br />

Pennsylvanie (États-Unis), celui qui devint le deuxième président de la<br />

Zion’s Watch Tower Tract Society après le richissime William Henry<br />

Conley 4 . L’historien Bernard Blandre dépeint les conditions sociales<br />

qui régnèrent aux États-Unis à l’époque de Russell:<br />

4<br />

Les Témoins de Jéhovah — Pr<strong>éd</strong>icateurs du Royaume de Dieu, 1993, chap. 26, p. 576. La<br />

société fut fondée en 1881, puis enregistrée légalement dans l’État de Pennsylvanie en 1884.<br />

W. Conley (1840 –1897) était un homme d’affaires de Pittsburgh (Pennsylvanie) qui détenait<br />

70% du capital initial de la Zion’s Watch Tower Tract Society et occupait la fonction de<br />

président; le père de Charles Russell, J. Lytel Russell, ne détenait que 20% en tant que vice-<br />

président et Charles T. Russell lui-même était le poste de secrétaire-trésorier avec 10%.<br />

Pendant longtemps et avec insistance, les Témoins de Jéhovah ont tenté de faire croire que<br />

C. T. Russell était le « premier président de la Zion’s Watch Tower Tract Society », ce qui est<br />

loin de la vérité historique (cf. La Tour de Garde, 1 er juillet 2000, p. 23; Réveillez-vous ! 22<br />

8


Un trucage de l’Histoire<br />

Les profonds bouleversements techniques, culturels, scientifiques,<br />

économiques, sociaux et politiques ont eu de fortes répercussions sur la<br />

vie quotidienne du XIX e siècle, et il était inévitable que l’inquiétude qui en<br />

découla provoquât de graves crises religieuses individuelles. Nulle part,<br />

sans doute, l’agitation religieuse ne fut plus vive qu’aux Etats-Unis, foyers<br />

dès l’origine de leur histoire du non-conformisme. 5<br />

En effet, quand Alexis de Tocqueville, illustre historien français,<br />

visita les États-Unis en 1831, il fut frappé par la ferveur des<br />

Américains et fit une observation très perspicace sur l’origine de leur<br />

force de caractère. Selon lui, « celle-ci était attribuable à leur<br />

engagement religieux — et en particulier, à l’égard du christianisme. » 6<br />

Ken Guindon précise :<br />

Les Américains de ce temps-là étaient de tradition pieuse, mais d’esprit<br />

indépendant. Ils aimaient discuter des valeurs et des traditions héritées<br />

de leurs pères ou grand-pères d’Europe. En général, ils ont émigré vers<br />

le nouveau monde pour retrouver plus de liberté. Ils ne voulaient plus de<br />

rois ou de dictateurs que leurs pères avaient connus dans les vieux pays<br />

d’Europe. Dans le protestantisme, tel qu’il fut pratiqué alors en<br />

Amérique, on nourrissait une suspicion naturelle envers le catholicisme,<br />

avec son système hiérarchique. Ce fut aussi l’époque des découvertes<br />

scientifiques, du "progrès". Les temps étaient mûûrs pour remettre en<br />

question les idées reçues, pour innover et créer de nouvelles<br />

expressions religieuses. 7<br />

Ces propos mettent en lumière l’état d’esprit de nombreux<br />

Américains de l’époque, au point oùù « certains ne trouvèrent d’autre<br />

janvier 200, p. 24 ; Questions au sujet des Témoins de Jéhovah, 2000, p. 6 ; etc.)<br />

5<br />

Blandre, « Russel et les étudiants de la Bible (1870-1916) », in Revue de l’histoire des<br />

religions, tome 187 n°2, 1975, p. 181.<br />

6<br />

Noel Hornor, « Les racines bibliques des États-Unis », in Bonnes Nouvelles, Église de Dieu<br />

Unie – France, 2012, p. 6.<br />

7<br />

Guindon, in Le septième ange de l’Apocalypse : Un regard sur Charles T. Russell, le<br />

fondateur de La Tour de Garde, <strong>éd</strong>. 2000, p. 6.<br />

9


Un trucage de l’Histoire<br />

solution à leurs problèmes que l’attente du royaume de Dieu, et l’on<br />

se mit à scruter la Bible pour savoir quand reviendrait le Messie. » 8<br />

Cette scrutation de la Bible a abouti à plusieurs élucubrations<br />

prophétiques au sujet de la date du retour de Jésus. « La spéculation<br />

sur ce sujet, explique Alan Rogerson, était répandue à l’époque et la<br />

seconde moitié du XIX e<br />

siècle a été témoin d’une succession<br />

continuelle de gens prophétisant une date du retour de Jésus et de la<br />

fin du monde. » 9<br />

Russell sera au nombre de ceux-ci. Ayant été élevé dans la<br />

religion presbytérienne par ses parents Joseph Lytel Russell (déc<strong>éd</strong>é le<br />

17 décembre 1897) et Ann Eliza Birney Russell (déc<strong>éd</strong>ée le 25 janvier<br />

1861), famille d’émigrés écossais-irlandais, il s’en détachera après la<br />

mort de sa mère pour adhérer à l’Église congrégationaliste qui avait<br />

des « conceptions plus libérales » 10 , puis à l’Association des jeunes<br />

chrétiens (Young Men’s Christian Association [YMCA]) fondée en<br />

1844 par le britannique George William (1821-1905).<br />

Devenu membre d’une Église libérale et « une proie facile de la<br />

logique apparente du rationalisme » 11 , Russell, alors âgé de 16 ans,<br />

tentera un jour de convertir un infidèle quand ce dernier l’interpella<br />

sur la question de savoir si Dieu, qui est amour, pouvait vraiment<br />

vouer aux tourments du feu éternel une grande partie de l’humanité 12 .<br />

8<br />

Blandre, « Russel et les étudiants de la Bible (1870-1916) », op. cit., pp. 181-182.<br />

9<br />

Rogerson, in Millions Now Living Will Never Die — A Study of Jehovah’s Witnesses, The<br />

Anchor Press Ltd, Tiptree, Essex, 1969, p. 6.<br />

10<br />

Annuaire, <strong>éd</strong>. 1975, p. 35; cf. Qualified to be ministers (1955, p. 298): « and although<br />

brought up a Presbyterian he joined the nearby Congregational church, because it was more<br />

liberal. »<br />

11<br />

Les Témoins de Jéhovah dans les desseins divins, 1972, chap. 2, p. 14.<br />

12<br />

Edmond Charles Gruss, in Apostles of Denial: An examination and exposé of the history,<br />

doctrines and claims of the Jehovah Witnesses, 1970, p. 39; voir aussi Zion’s Watch Tower,<br />

juillet 1979, p. 1.<br />

10


Un trucage de l’Histoire<br />

Cette question qui le rendit perplexe, sapa du coup sa foi ; et le<br />

jeune Russell en vint à éprouver des doutes sur les doctrines de la<br />

pr<strong>éd</strong>estination et de l’enfer telles qu’enseignées dans la chrétienté 13 .<br />

Sa foi se déclina pendant un an environ, « ce qui l’amena à s’ouvrir à<br />

l’hindouisme, au bouddhisme, à l’islam et au judaïsme », remarque<br />

Dominique Dott. 14<br />

Mais un soir, ce qu’il entendit dans une salle « oùù se tenait une<br />

réunion de l’Église chrétienne de l’avènement » 15 , raviva sa foi<br />

vacillante : c’était le discours d’un pr<strong>éd</strong>icateur adventiste, Jonas<br />

Wendell (1815-1873), de l’Advent Christian Church (Église chrétienne<br />

de l’avènement) de Pennsylvanie 16 . Les adventistes, en effet — dont<br />

l’appellation dérive de l’anglais « advent », avènement — prôônaient<br />

un retour imminent et physique de Jésus Christ pour leur époque,<br />

laquelle devait marquer la fin de l’Âge de l’Évangile.<br />

C’est vers 1818 qu’un ex-agriculteur baptiste, William Miller<br />

(1781-1849), se convainquit de la capacité de déterminer la date du<br />

retour du Christ à partir de certains calculs bibliques. Se fondant sur<br />

les 2300 jours mentionnés en Daniel 8 : 14, Miller croyait qu’il<br />

s’agissait là d’une indication prophétique permettant de situer le<br />

retour du Christ entre le 21 mars 1843 et le 21 mars 1844 17 . Plusieurs<br />

membres d’autres assemblées (méthodistes, baptistes, presbytériens,<br />

congrégationalistes) se joignirent au mouvement de Miller pour le<br />

13<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, op. cit., chap. 5, p. 43 ; Ce que le Pasteur Russell a dit, <strong>éd</strong>. L. W. Jones, p.<br />

714.<br />

14<br />

Dott, in Les Témoins de Jéhovah : Une puissance multinationale apocalyptique, p. 4.<br />

15<br />

Ibid., p. 5.<br />

16<br />

La Tour de Garde, 1 er octobre 1973, p. 586 ; voir Annuaire, <strong>éd</strong>. 1975, p. 34 ; Carl O.<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered: Chronology and Christ’s Return, 2004, 4 e <strong>éd</strong>.<br />

(Commentary Pres: Atlanta), p. 47.<br />

17<br />

William Miller’s Apology and Defence, Boston: J. V. Himes, aoûût 1845, p. 24.<br />

11


Un trucage de l’Histoire<br />

Midnight Cry 18<br />

(Cri de minuit). Mais, dès que s’écoulaient les<br />

premières semaines de 1844 et que le 21 mars fut passé, Miller dûû<br />

admettre qu’il y avait une erreur quelque part.<br />

C’est en ce moment, explique Thomas Daniels, que Samuel S.<br />

Snow, l’un des disciples de Miller, suggéra qu’en se basant sur le<br />

calendrier juif, il fallait s’attendre au retour de Christ en fin 1844 et non<br />

au début comme Miller l’avait imaginé. 19<br />

Les dés étaient donc relancés et le rendez-vous était à nouveau<br />

fixé pour le 22 octobre 1844. Isaac C. Wellcome explique:<br />

L’on multipliait les rassemblements; certains abandonnèrent leurs<br />

activités profanes et s’assemblaient pour l’adoration de Dieu et l’étude<br />

assidue de la Bible. Les cultivateurs abandonnaient leurs champs sans<br />

les récolter ; plusieurs semblaient oublieux des affaires du monde. 20<br />

Selon La Tour de Garde du 15 juillet 1997 (p. 25), ils étaient des<br />

milliers qui « attendaient beaucoup du 22 octobre 1844. Selon leur<br />

guide spirituel, William Miller, ce jour devait marquer le retour de Jésus<br />

Christ. Les millérites, comme on les appelait, ont attendu dans leurs<br />

lieux de réunion jusqu’à la tombée de la nuit. Quand le jour s’est levé,<br />

le Seigneur n’était pas venu. »<br />

Cet avortement prophétique eut des conséquences fâcheuses:<br />

ces milliers de personnes qui avaient pratiquement tout abandonné<br />

pour le retour imminent du Seigneur devaient désormais faire face à<br />

ce que l’Histoire va retenir sous l’appellation de Great Disappointment<br />

(Grande Déception). Hiram Edson, l’une des victimes, a écrit :<br />

18<br />

Expression tirée de la parabole de Jésus en Matthieu 25: 6 pour évoquer la venue de<br />

l’Époux, Jésus, à « minuit », symbole de ténèbres spirituelles.<br />

19<br />

Daniels, in Historical Idealism and Jehovah’s Witnesses: A critical analysis of how they<br />

present their history, p. 3.<br />

20<br />

Wellcome, in History of the Second Advent Message and Mission, Doctrine and People<br />

(Yarmouth, Maine: Isaac C. Wellcome, 1874), p. 359.<br />

12


Un trucage de l’Histoire<br />

Nos plus beaux espoirs et nos attentes se sont explosés, et il se déversa<br />

sur nous un tel esprit de pleurs que je n'avais jamais vu auparavant<br />

[...]. Nous avons pleuré et pleuré jusqu’à l’aube du jour. 21<br />

Évidemment, le mouvement religieux de Miller prit un coup dans<br />

l’aile et se disloqua en plusieurs sectes. Miller lui-même a dûû<br />

reconnaître qu’il s’était lourdement trompé :<br />

Nous nous sommes certainement trompés. Nous attendions la venue<br />

personnelle de Christ en ce moment-là. Prétendre maintenant que nous<br />

ne nous sommes pas trompés est de la malhonnêteté. Nous ne devons<br />

éprouver aucune honte à reconnaître franchement nos erreurs. 22<br />

Toutefois, pour quelques responsables du mouvement — tels<br />

Apollos Hale, Joseph Turner, Samuel S. Snow, Barnett Matthias et<br />

Hiram Edson précité — l’échec prophétique n’en était pas vraiment<br />

un. C’était à leurs yeux une bén<strong>éd</strong>iction car Christ serait effectivement<br />

venu à la date indiquée, mais au lieu de descendre sur terre, il serait<br />

entré dans le Lieu Très-Saint du Temple céleste, assis sur le Trôône,<br />

événement invisible à l’œil humain 23 . Ceux qui acceptaient cette<br />

croyance en vinrent alors à être appelés « Adventistes du Septième<br />

Jour » sous l’impulsion d’Ellen Gould White. 24<br />

21<br />

Cité par Georges R. Knight, in Millennial Fever and the End of the World, 1993 (Boise, ID:<br />

Pacific Press), p. 218.<br />

22<br />

William Miller’s Apology and Defence, op. cit., p. 28; Aaron Nyman, in Astounding Errors:<br />

The Prophetic Message of the Seventh-Day Adventists and the Chronology of Pastor Charles T.<br />

Russell, 1914, pp. 23, 26.<br />

23<br />

Massimo Introvigne, in Les Témoins de Jéhovah, 1990, Les Éditions du Cerf, p. 25 ; LeRoy<br />

Edwin Froom, in The Prophetic Faith of Our Fathers (Washington, D.C.: Review and Herald<br />

Publishing Association, 1954),vol. IV, p. 888 ; P. Gerard Damsteegt, in Foundations of the<br />

Seventh-Day Adventist Message and Mission [Grand Rapids: Wm. B. Eerdmans, 1977], p.<br />

117.<br />

24<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered, p. 42; La Tour de Garde, 15 juillet 1997, p.<br />

25.<br />

13


Un trucage de l’Histoire<br />

Tous n’acceptaient pas cette solution explicative. L’un d’eux, un<br />

m<strong>éd</strong>ecin à Rochester (New York), se nommait Nelson Horatio Barbour<br />

(1824–1905) ; le Great Disappointment avait eu raison de lui. Barbour<br />

s’embarqua pour l’Australie en 1853 pour tenter de faire fortune dans<br />

les mines d’or, abandonnant toutes recherches dans le domaine de la<br />

prophétie biblique, tant il était déçu. Mais à son retour d’Australie, en<br />

1859, sa discussion en bateau avec un ecclésiastique sur le texte de<br />

Daniel 12 : 7, raviva son intérêt pour le prophétique.<br />

Croyant avoir trouvé la clé de l’erreur de Miller, il s’associe très<br />

vite avec les Adventistes de New York — l’Advent Christian Church —<br />

et se mit à élaborer des calculs sur la base des indications<br />

chronologiques figurant en Apocalypse (ou Révélation) chapitre 11 et<br />

Daniel chapitre 12, calculs qui indiquaient que le retour de Christ doit<br />

être fixé, non pas en 1843 comme Miller l’avait d’abord fait, mais 40<br />

ans plus tard, en 1873 25 . Il en d<strong>éd</strong>uisait que les « sept temps »<br />

mentionnés en Daniel chapitre 4 devraient s’écouler de 606 avant<br />

notre ère à 1914 de notre ère. 26<br />

Les résultats de cette nouvelle découverte furent publiés dans<br />

deux proéminents journaux adventistes, le World’s Crisis et l’Advent<br />

Christian Times. En 1870, il publie également un pamphlet de 100<br />

pages intitulé Evidences for the Coming of the Lord in 1873; or the<br />

Midnight Cry (« Preuves de la venue du Seigneur en 1873; ou le Cri de<br />

Minuit »). Au début de l’année 1873, la date fatidique, Barbour <strong>éd</strong>ite<br />

un mensuel intitulé The Midnight Cry and Herald of the Morning (Le Cri<br />

de Minuit et le Messager du Matin) qui renfermait pratiquement les<br />

mêmes arguments prophétiques.<br />

25<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered, op. cit., p. 45, note 41.<br />

26<br />

Le calcul ne tenait pas compte du fait qu’il n’existe pas d’année zéro (0) en Histoire,<br />

contrairement à l’astronomie.<br />

14


Un trucage de l’Histoire<br />

Quand l’année 1873 fut achevée et qu’on ne vit pas Jésus « en<br />

chair et en os », on réajusta les calculs et le rendez-vous fut fixé pour<br />

1874. Cette date s’acheva également sur un rendez-vous manqué :<br />

Jésus n’est pas venu. Les cœurs c<strong>éd</strong>èrent alors à l’amertume et au<br />

découragement. Mais, les choses n’allaient pas s’arrêter en si bon<br />

chemin. En effet :<br />

C’est à ce point précis que B. W. Keith, un lecteur du Midnight Cry, a<br />

fait remarquer que Benjamin Wilson, dans son Emphatic Diaglott<br />

(traduction interlinéaire de la recension du Nouveau Testament par J. J.<br />

Griesbach), a traduit le mot grec παρουσία (parousia) par ‘présence’.<br />

En se basant sur cette traduction, il suggéra que Christ était peut-être<br />

venu à la fin de l’année 1874 après tout, mais que ce fut un événement<br />

invisible. 27<br />

Comment Barbour apprécia-t-il cette explication? Eh bien, il la<br />

trouva attractive 28 ! Jonsson précise que « pour Barbour, cette<br />

explication ne semblait pas seulement attractive ; comme lui et ses<br />

associés ne voyaient aucune erreur dans leurs calculs, ils y voyaient là<br />

la solution à leur problème. » 29 Attitude curieuse, avouons-le :<br />

c’est<br />

27<br />

Thomas Daniels, in Historical Idealism, op. cit., p. 4. Voir aussi Pr<strong>éd</strong>icateurs du Royaume,<br />

chap. 3, p. 18 ; chap. 5, p. 46 (note en bas de page). Il faut noter que Keith n’était pas<br />

qu’un lecteur du The Midnight Cry. Le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs (chap. 5, p. 60) publié par les<br />

Témoins de Jéhovah précise dans une note qu’il était « un collaborateur de Nelson Barbour<br />

». En fait, en cas de concertation au sein du groupe de Barbour, Keith était consulté, tout<br />

comme John H. Paton et Russell ; son nom apparaît comme contributeur de certains articles<br />

du Herald of the Morning auquel il contribua financièrement (cf. par exemple The Herald of<br />

the Morning, aoûût 1878, p. 24; The Herald of the Morning, janvier 1879, pp. 7, 8; The Herald<br />

of the Morning, février 1879, p. 26). Après la séparation de Russell d’avec Barbour sur la<br />

question de la rançon, Keith suivit Russell et son nom apparaît dans le premier numéro de la<br />

Zion’s Watch Tower (juillet 1879, p. 3), journal lancé par Russell, comme l’un des «<br />

contributeurs réguliers » du journal jusqu’en 1882 oùù il se dissocia de Russell (cf. Zion’s<br />

Watch Tower, novembre 1880, p. 1 ; février 1881, p. 3 ; voir aussi James Parkinson, in The<br />

Bible Student Movement in the Days of C.T. Russell, 3 <strong>éd</strong>. 1999, p. 4).<br />

28<br />

Charles Taze Russell, « Harvest Gatherings and Siftings », in Zion’s Watch Tower, 15 juillet<br />

1906, p. 230.<br />

29<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered, op. cit., p. 46.<br />

15


Un trucage de l’Histoire<br />

ce même Barbour qui avait pourtant rejeté une explication similaire<br />

après l’échec prophétique de Miller en 1844 (cf. supra). Et voilà qu’il<br />

s’embarque lui-même dans une même échappatoire! « Il n’y a rien de<br />

nouveau sous le soleil », disait un sage israélite. 30<br />

S’appuyant sur cette explication qui de toute façon l’arrangeait,<br />

Barbour pouvait continuer la publication de son mensuel dès juin<br />

1875, dont le titre sera abrégé en Herald of the Morning (Messager du<br />

Matin). C’est ainsi, explique le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs, qu’ « un matin de<br />

janvier 1876, Charles Russell, âgé de 23 ans », a reçu un exemplaire<br />

du Herald.<br />

C’était un écrit adventiste: il l’avait reconnu à l’illustration de la couverture.<br />

Le r<strong>éd</strong>acteur en chef, Nelson Barbour, de Rochester (État de New York),<br />

croyait que le but du retour du Christ n’était pas de détruire les familles de<br />

la terre, mais de les bénir, et que sa venue ne serait pas dans la chair,<br />

mais en tant qu’esprit. 31<br />

Rappelons ici que la ré-interprétation du retour de Jésus en 1874<br />

adoptée par Barbour (« pas dans la chair, mais en tant qu’esprit »)<br />

n’était pas le fruit d’un hasard. Ayant été déçu à au moins trois<br />

reprises lorsqu’il militait pour un advent charnel du Christ, et ayant<br />

certainement eu écho des échecs prophétiques à propos de ce<br />

retour 32 , Barbour n’avait d’autre choix que de spiritualiser cet<br />

événement glorieux pour ne pas perdre la face !<br />

30<br />

Ecclésiaste 1: 9.<br />

31<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 5, pp. 46, 47.<br />

32<br />

Comme le souligne un ouvrage des Témoins de Jéhovah: « Le théologien Bengel, luthérien<br />

allemand, avait fixé comme date 1836, tandis qu’en Angleterre, les Irvingites attendaient ce<br />

retour pour 1835 d’abord, puis 1838, 1864 et finalement 1866, pour ensuite y renoncer. À la<br />

même époque, le mouvement de Miller avait donné naissance à plusieurs groupements<br />

adventistes différents. D’autres encore, tels que le groupement d’Elliott et Cumming, portaient<br />

leurs regards sur 1866. Brewer et Decker pr<strong>éd</strong>isaient 1867, et Seiss était pour 1870. En<br />

Russie existait un groupement mennonite qui avançait la date de 1889. [...] George Storrs de<br />

Brooklyn, qui publiait un périodique intitulé "L’examinateur de la Bible" (The Bible Examiner),<br />

portait ses regards sur 1870. Quant à H. B. Rice, qui publiait "La dernière trompette" (The<br />

16


Un trucage de l’Histoire<br />

Que fit Russell de la démonstration eschatologique de Barbour ?<br />

À ce stade de notre questionnement, le lecteur doit prêter beaucoup<br />

d’attention à la réponse fournie par les Témoins de Jéhovah dans leur<br />

publication Pr<strong>éd</strong>icateurs :<br />

Comme leurs points de vue se rapprochaient, il [Russell] a poursuivi la<br />

lecture de cette publication, tout en se rendant compte qu’elle émanait<br />

des adventistes. Pourtant, jusque-là il n’avait guère apprécié leurs<br />

doctrines. En fait, quelle que soit l’origine de ces connaissances,<br />

Russell cherchait à approfondir davantage l’enseignement de Dieu.<br />

Intéressé par la chronologie exposée dans ce périodique, il a<br />

imm<strong>éd</strong>iatement pris contact avec Barbour pour discuter de la chose en<br />

détail. Russell se déclarait prêt à prendre à sa charge les frais<br />

qu’entraînerait une telle entrevue avec lui. […] Nelson Barbour a réussi<br />

à convaincre Charles Russell que la présence invisible du Christ avait<br />

commencé en 1874. 33<br />

Une question : Pourquoi, bien que sachant que la publication<br />

venait des Adventistes et qu’il n’appréciait guère leurs doctrines,<br />

Russell a quand même tenu à l’ouvrir pour la lire ? Simple curiosité ?<br />

Le commentaire révèle, avec sobriété, que Russell « cherchait à<br />

approfondir davantage l’enseignement de Dieu » et ce, peu importe<br />

l’origine des connaissances exposées dans la publication. Qui plus<br />

est, l’homme devint de plus en plus accroché par la lecture lorsqu’il se<br />

rendit compte qu’ils avaient, Barbour et lui, des points de vue qui « se<br />

rapprochaient » au point oùù Russell fut « intéressé par la chronologie<br />

exposée dans ce périodique. »<br />

Last Trump), il avait ses regards fixés sur 1870 lui aussi... » (Les Témoins de Jéhovah dans<br />

les desseins divins, op. cit., chap. 2, p. 14.) Les dates annoncées entre le XVI e et XIX e siècles<br />

pour le retour de Christ incluent (liste non exhaustive): 1532, 1656, 1666, 1694, 1716, 1717,<br />

1776, 1785, 1786, 1789, 1793-4, 1796, 1798, 1800, 1816, 1836, 1850, 1852, 1853, 1854,<br />

1855, 1862, 1864, 1865, 1867, 1868, 1869, 1870. Etc. — Voir George N. H. Peters, in<br />

The Theocratic Kingdom, vol. III (New York: Funk and Wagnals, 1884, p. 99; Gruss, "Russell’s<br />

Bible Students — A Millerite Offshoot", in Apostles of Denial, op. cit., p. 25.<br />

33<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 3, p. 18 ; voir aussi chap. 5, pp. 46, 47.<br />

17


Un trucage de l’Histoire<br />

Cette chronologie des événements donne à réfléchir. En effet, il<br />

y a deux détails qui sont subtilement passés sous silence.<br />

Premier détail : la chronologie que défendait Barbour était une<br />

mixture de chiffres bibliques et de calculs occultes issus de la<br />

pyramidologie. En piochant cette chronologie, Russell et les Bible<br />

Students ou Étudiants de la Bible (le groupe d’étude biblique qu’il<br />

avait formé) se sont vautrés dans une passion démesurée pour les<br />

pyramides égyptiennes, particulièrement pour la Grande Pyramide de<br />

Guizèh.<br />

Russell avait adopté le point de vue d’auteurs comme Charles<br />

Piazzi Smyth et Joseph A. Seiss stipulant que la Grande Pyramide<br />

avait été construit par les Hébreux sous inspiration divine 34 ; elle était<br />

dès lors considérée comme « un témoin de pierre pour Dieu, qui<br />

corroborait les périodes bibliques. » 35 Russell croyait que les différents<br />

passages ascendants et descendants représentaient la chute de<br />

l’homme, la date de la grande tribulation, la mise à disposition de la<br />

loi mosaïque, la mort du Christ, la joie des saints au ciel, etc.<br />

Les calculs étaient effectués en utilisant la règle d’un pouce<br />

(inch, en anglais) par année et plusieurs dates — y compris 1914 —<br />

furent déterminées par l’étude de ce monument 36 . Comme l’écrivait<br />

34<br />

Cf. Isaïe 19 : 19, 20.<br />

35<br />

Ibid., chap. 14, p. 201 (encadré).<br />

36<br />

Les auteurs d’un site (http://www.gizapyramid.com/pyr.htm) se rapportant à la grande<br />

pyramide, mentionnent le calcul pour aboutir à 1914: « Now, if we move down the descending<br />

passage to the beginning of the ascending passage, we have moved a distance of 688<br />

inches. If each inch represents one year we are at (2141 BC – 688 = 1453 BC). This year<br />

1453 BC is accepted as the date of the exodus of the Israelites from Egypt. It symbolizes now<br />

the ascent of man towards god. If we move up the descending passage to a distance of 1485<br />

inches, we come to the opening of the grand gallery. This year, 33 AD (1453 BC – 1485 = 33<br />

AD) is considered to be the date of the crucifixion of Jesus Christ. If we move up the grand<br />

gallery to its end, we move 1881 inches. This year 1914 ad (33 AD – 1881 = 1914 AD), was<br />

the date of the beginning of the First World War. [...] Some of the pyramidologists attempted<br />

to predict future events, like the second coming of Jesus, the millennium, etc. But these<br />

events did not come to pass. »<br />

18


Un trucage de l’Histoire<br />

en 1924 un Étudiant de la Bible écossais influent, Morton Edgar, dans<br />

son livre The Great Pyramid-Its scientific features :<br />

Il n’y a que la seule Pyramide dans le monde, le signe et le témoin du<br />

Seigneur en Égypte, oùù le périmètre et le second degré, concordant<br />

avec la somme des deux diagonales du premier degré, coïncide avec la<br />

mesure du temps qui abouti directement à 1914 [...], l’année la plus<br />

considérable de l’histoire moderne et au moins l’une des plus<br />

importantes de l’histoire entière de l’humanité. Ce n’est pas par un<br />

accident que la date 1914 et le cycle précessionnel, soient connectés<br />

au même degré dans la Grande Pyramide. 37<br />

Il indiquait par ailleurs :<br />

En 1914, le Christ commença à régner sur l’humanité ; et la<br />

manifestation de ce règne deviendra plus évidente au fur et à mesure<br />

que le temps s’écoulera. Cela durera 1000 ans. Tout ceci est confirmé<br />

à maintes reprises par le symbolisme et les dimensions mathématiques<br />

de la Grande Pyramide. 38<br />

Russell lui-même avait signifié en 1890 :<br />

La Grande Pyramide, quoiqu’il en soit, s’avère être une importante mine<br />

de vérités scientifiques, historiques et prophétiques — et son<br />

témoignage s’avère être en parfait accord avec la Bible, exprimant les<br />

frappantes caractéristiques de ses vérités en des symboles beaux et<br />

appropriés. Ce n’est en aucune manière une addition à la révélation<br />

écrite : cette révélation est complète, parfaite et n’a pas besoin<br />

d’ajouts. Mais c’est un solide témoin corroboratif du plan de Dieu; et<br />

peu d’étudiants peuvent l’examiner minutieusement, faisant ressortir<br />

l’harmonie de son témoignage avec ce qui se trouve dans la Parole<br />

écrite, sans se sentir impressionnés du fait que sa construction a été<br />

37<br />

Edgar, in The Great Pyramid-Its scientific features. Part I of 1914 A.D. and the Great<br />

Pyramid (Glasgow: Maclure, Macdonald & CO., 1924), p. 52. Les recherches de Morton<br />

Edgar et de son frère John Edgar (déc<strong>éd</strong>é en 1910) ont été publiées dans de nombreuses<br />

publications de la Watch Tower Bible and Tract Society.<br />

38<br />

Ibid., p. 88.<br />

19


Un trucage de l’Histoire<br />

planifiée et dirigée par la même sagesse divine, et que c’est la colonne<br />

[témoin] à laquelle se réfère le prophète Isaïe. 39<br />

Le rapprochement fait entre la science pyramidologique et la<br />

Bible a incité les Étudiants de la Bible à « mesurer différents éléments<br />

de la pyramide dans le but d’en d<strong>éd</strong>uire certains renseignements tels<br />

que la date oùù ils seraient emportés au ciel. » 40 La Tour de Garde du<br />

1 er janvier 2000 renchérit:<br />

En 1886, Charles Russell publiait Le divin Plan des Âges. Dans cet<br />

ouvrage, il y avait une carte qui établissait un parallèle entre les âges de<br />

l’histoire humaine et la grande pyramide d’Égypte. À l’époque, on<br />

pensait que ce mémorial du pharaon Khoufou (Kheops) correspondait à<br />

la colonne mentionnée en Isaïe 19:19, 20 […]. Quel rapport la<br />

pyramide pouvait-elle avoir avec la Bible ? Selon la compréhension<br />

qu’on avait alors, on croyait par exemple que la longueur de certaines<br />

galeries de la grande pyramide indiquait le moment oùù commencerait la<br />

“grande tribulation” de Matthieu 24:21. […] Pendant plusieurs dizaines<br />

d’années, on a accordé un grand cr<strong>éd</strong>it à cette ‘Bible de pierre’... 41<br />

Ce cr<strong>éd</strong>it accordé à la Grande Pyramide comme étant la « Bible<br />

de pierre », voire la « Bible scientifique » 42 , contenant un modèle<br />

prophétique de la chronologie biblique, a duré plus d’un demi-siècle ;<br />

il faudra attendre en 1928 pour que certains Étudiants de la Bible<br />

(ceux qui suivirent Joseph Rutherford [1869-1942], après la mort de<br />

Russell) se débarrassent de ce « témoin de pierre pour Dieu »,<br />

prétextant du fait que « Jéhovah n’a pas besoin d’un monument<br />

39<br />

Russell, in Que ton règne vienne, 1891, pp. 314-315.<br />

40<br />

La Tour de Garde, 1 er janvier 2000, p. 9 § 16.<br />

41<br />

Ibid., pp. 9-10.<br />

42<br />

The Golden Age, 31 décembre 1924, pp. 207, 222.<br />

20


Un trucage de l’Histoire<br />

construit par des pharaons païens et couvert de signes astrologiques<br />

démoniaques pour confirmer le témoignage donné dans la Bible. » 43<br />

Or, c’est grâce aux calculs liés à ce « monument construit par<br />

des pharaons païens et couvert de signes astrologiques<br />

démoniaques » que Barbour a réussi à élaborer une chronologie dont<br />

Russell se fera l’héritier direct. Comble de l’ironie, la principale date<br />

superstitieuse 44 , 1914, occupe toujours une place capitale dans la<br />

chronologie actuelle des Témoins de Jéhovah. 45<br />

Deuxième détail : Russell et les Étudiants de la Bible croyaient, à<br />

l’instar des Adventistes, que l’année 1874 marquerait l’advent charnel<br />

de Jésus. Cela peut surprendre ceux qui sont accoutumés à la<br />

littérature de la Watch Tower, mais la précision historique confirme ce<br />

fait. Pour commencer, voici une explication de Russell datant de<br />

1883, en rapport avec les croyances de départ du mouvement des<br />

Étudiants de la Bible (en 1870) :<br />

Et à propos de la seconde venue du Seigneur, alors que nous avions<br />

réalisé qu’il n’était plus un homme mais à présent une nouvelle créature<br />

[...] nous n'avions pas su faire une application appropriée de cela à sa<br />

43<br />

La Tour de Garde, 1 er janvier 2000, p. 10 § 17.<br />

44<br />

Pour les Étudiants de la Bible, cette date (1914) devait propulser l’humanité dans l’ère du<br />

Verseau oùù se réaliseraient définitivement « les rêves et idéaux de tous les poètes et sages<br />

de l’Histoire. » (cf. Zion’s Watch Tower, 1 er mai 1903, pp. 130-131). Selon le Réveillez- vous<br />

! du 08 juin 1987 (p. 25): « On définit l’ère du Verseau comme ‘une époque qui, d’après les<br />

astrologues, serait marquée par l’affranchissement total de l’humanité, l’établissement de la<br />

fraternité sur la terre et la conquête de l’espace.’ »<br />

45<br />

Leonard & Marjorie Chretien, in Witnesses of Jehovah: A Shocking Exposé of what<br />

Jehovah’s Witnesses really believe, 1988, p. 31. Pour les Témoins de Jéhovah aujourd’hui, la<br />

« chronologie biblique » permettrait d’aboutir à 1914, si l’on admet que Jérusalem a été<br />

détruite par les Babyloniens en 607 avant notre ère et que les Juifs sont retournés de leur exil<br />

en 537. D’après La Tour de Garde du 1 er novembre 2014 (p. 10) : « Même si l’année 1914<br />

n’est pas citée précisément dans la Bible, les Témoins de Jéhovah se basent sur les Ecritures<br />

pour calculer cette date. » Or, la Bible s’accorde avec l’Histoire pour situer la destruction de<br />

la vieille ville, non pas en 607, mais en 587 avant notre ère. Aussi, le retour d’exil advint, non<br />

pas en 537, mais en 538 avant notre ère. — Voir, pour plus de détails, mon dossier Quand<br />

l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite ? Réponse aux Témoins de Jéhovah.<br />

21


Un trucage de l’Histoire<br />

seconde venue et de façon irréfléchie et par ignorance, nous attendions<br />

sa venue en tant qu’un homme glorifié plutôôt qu’un être spirituel. Ce<br />

n’est que vers 1874 que ces choses ont commencé à être plus claires si<br />

bien que nous avons réalisés qu’au moment oùù Jésus viendrait, il ne<br />

serait pas vu par des yeux humains comme si un ange était venu<br />

46<br />

--<br />

Remarquons que ce n’est qu’ « about 1874 » (vers 1874) que<br />

Russell et les siens ont clairement compris que Jésus viendrait de<br />

façon invisible. Ce repère chronologique est confirmé dans le livre<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs :<br />

Ce fut vers le milieu des années 1870 que frère Russell et ceux qui<br />

scrutaient assidûûment les Écritures avec lui ont compris que le Seigneur,<br />

à son retour, serait invisible à l’œil humain. 47<br />

Ce qui indique qu’avant cette date, comme Russell l’a reconnu,<br />

ils avaient « de façon irréfléchie et par ignorance » attendus « sa<br />

venue en tant qu’un homme glorifié plutôôt qu’un être spirituel ». Cette<br />

dernière compréhension qui est devenue « clearer » (plus claire)<br />

faisait donc suite à une déception liée à la déconvenue de l’advent<br />

physique de Christ en 1874, comme Barbour et les Adventistes de<br />

New York le proclamaient. C’est cette déconvenue prophétique qui a<br />

incité Russell et les Étudiants de la Bible à se détacher du tronc de<br />

46<br />

Zion’s Watch Tower, aoûût 1883, p. 513.<br />

47<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap.10, p. 132.<br />

22


Un trucage de l’Histoire<br />

leurs confrères Adventistes. Le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs explique ce qui arriva<br />

par la suite :<br />

Par la suite, frère Russell a dit: « Nous étions navrés de l’erreur des<br />

adventistes, qui attendaient le Christ dans la chair et enseignaient que le<br />

monde et ses habitants, à l’exception d’eux-mêmes, seraient consumés<br />

en 1873 ou en 1874; eux dont le calcul des dates, les déceptions et les<br />

idées généralement sommaires sur le but et la manière de sa venue ont<br />

quelque peu attiré la honte sur nous et sur tous ceux qui languissaient<br />

après son Royaume à venir et qui l’annonçaient. Il y a tellement d’idées<br />

fausses au sujet tant du but que de la manière du retour du Seigneur<br />

que cela m’a amené à écrire une brochure, ‘The Object and Manner of<br />

Our Lord’s Return’ [Le but et la manière du retour de notre Seigneur].<br />

» Cette brochure a été publiée en 1877. Charles Russell l’a fait imprimer<br />

et diffuser à quelque 50 000 exemplaires. 48<br />

Arrêtons-nous un instant sur ce commentaire. Russell dit qu’ils<br />

étaient navrés, lui et ses Étudiants, de l’erreur commise par les<br />

Adventistes car ceux-ci avaient « quelque peu attiré la honte sur [eux]<br />

et sur tous ceux qui languissaient après son Royaume à venir et qui<br />

l’annonçaient ». Pourquoi éprouver de la honte en raison de cet échec<br />

s’ils n’avaient pas, eux aussi, placé une certaine confiance en<br />

l’événement annoncé pour cette date ? Le commentaire nous dit que<br />

Russell a publié sa brochure Le but et la manière du retour de notre<br />

Seigneur en 1877, soit environ trois années après 1874. Pourtant,<br />

chose surprenante d’ailleurs, dans leur Annuaire de l’année 1975, les<br />

Témoins de Jéhovah affirment, sans gêne aucune, que Russell a<br />

plutôôt publié cette brochure en 1873, à l’âge de 21 ans 49 .<br />

48<br />

Zion’s Watch Tower, aoûût 1883, p. 513.<br />

49<br />

« S’efforçant sincèrement de combattre de tels enseignements erronés, en 1873, à l’âge<br />

de vingt et un ans, Russell écrivit et publia à ses frais une brochure intitulée “Le but et la<br />

manière du retour du Seigneur”, qui fut tirée à quelque 50 000 exemplaires." (Annuaire, <strong>éd</strong>.<br />

1975, p. 36). On retrouve une affirmation analogue dans le livre d’Alexander H. Macmillan,<br />

l’un des associés de Russell : "In a sincere effort to counteract the harmful effect of their<br />

erroneous teachings, in 1873 Russell wrote and published at his own personal expense a<br />

23


Un trucage de l’Histoire<br />

Curieusement, dans leur Index des sujets examinés et des textes<br />

expliqués 1950-1985, c’est cette dernière date qui est encore<br />

adoptée (comme le montre la capture d’écran ci-après) :<br />

On reste perplexe. La brochure a été publiée quand exactement?<br />

En 1873 ou en 1877 ? Une analyse d’autres documents publiés par<br />

les Témoins de Jéhovah eux-mêmes permettra de trancher.<br />

Commençons avec leur Index des sujets traités et des textes bibliques<br />

expliqués 1986-2011 :<br />

booklet, The Object and Manner of Our Lord’s Return. Thousands of copies were distributed."<br />

(Faith on the March, Prentice-Hall, 1957, p. 23.)<br />

24


Un trucage de l’Histoire<br />

Déjà, on décèle une nette contradiction entre les deux Index.<br />

L’une postule l’année 1873 ; l’autre, l’année 1877. Poursuivons en<br />

consultant d’autres sources. La Tour de Garde du 1 er mai 1999, p. 8 :<br />

Dans ce cas, vous devriez vous intéresser également à un sujet qui a<br />

retenu l’attention de Charles Russell en 1877. Dans une brochure de<br />

64 pages intitulée The Object and Manner of Our Lord’s Return (Le but et<br />

la manière du retour de notre Seigneur), le futur fondateur de la Société<br />

Watch Tower abordait la question du retour, ou future venue, de Jésus...<br />

Le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 5, p. 47 :<br />

Pour dissiper les idées fausses au sujet du retour du Seigneur, Charles<br />

Russell a écrit la brochure The Object and Manner of Our Lord’s Return<br />

(Le but et la manière du retour de notre Seigneur) qu’il a fait paraître en<br />

1877.<br />

Ibid., chap. 25, p. 557 :<br />

Déjà en 1877, il avait publié la brochure The Object and Manner of Our<br />

Lord’s Return (Le but et la manière du retour de notre Seigneur).<br />

Ibid., chap. 26, p. 575 :<br />

Il était co<strong>éd</strong>iteur de ce journal et, en 1877, il a fait publier par<br />

l’imprimerie du Herald la brochure The Object and Manner of Our Lord’s<br />

Return (Le but et la manière du retour de notre Seigneur).<br />

Ibid., « Événements marquants de l’histoire moderne des Témoins de<br />

Jéhovah », p. 718 :<br />

1877 : Parution du livre Three Worlds (Les trois mondes), produit de la<br />

collaboration de Nelson Barbour et de Charles Russell. Charles Russell<br />

publie la brochure The Object and Manner of Our Lord’s Return (Le but<br />

et la manière du retour de notre Seigneur), au bureau du Herald of the<br />

Morning, à Rochester (État de New York).<br />

Dans le Ministère du Royaume (décembre 1997, p. 6), une série<br />

de questions est proposée au lecteur, dont l’une porte sur la date de<br />

25


Un trucage de l’Histoire<br />

publication de la brochure. Trois dates sont alors proposées, et il<br />

appartenait au lecteur de souligner la réponse juste :<br />

L’année 1873 ne figure pas parmi les choix... Fait révélateur,<br />

n’est-ce pas ? Voici, en effet, l’information qui apparaît sur la page<br />

avant du livre (voir une reproduction de la page ci-après): "Rochester,<br />

N.Y.: Office of Herald of the Morning, 1877." En sus de cette<br />

indication, une affirmation figurant dans la brochure permet de<br />

confirmer définitivement la date de publication.<br />

Russell écrit en effet à la page 62 :<br />

26


Un trucage de l’Histoire<br />

Pour ceux qui sont intéressés par les preuves relatives au temps, je vous<br />

renvoie au Dr. N. H. Barbour, <strong>éd</strong>iteur du ‘Herald of the Morning’,<br />

Rochester, N.Y.<br />

Cette déclaration est tranchante : Russell renvoie ses lecteurs à<br />

Barbour, <strong>éd</strong>iteur du « Herald of the Morning ». Or, nous n’avons pas<br />

manqué de préciser plus haut que le premier numéro du Herald of the<br />

Morning a débuté en juin 1875. Comment la brochure The Object and<br />

Manner aurait-elle pu avoir été publiée en 1873 et faire référence à un<br />

autre imprimé dont l’<strong>éd</strong>ition ne débutera que deux années plus tard ?<br />

Manifestement, la date 1873 n’est pas la bonne. 50<br />

Le lecteur pourrait se demander pourquoi nous nous sommes<br />

atteler à déterminer la date de publication de la brochure. C’est parce<br />

que, pour reprendre les mots de l’historien Bernard :<br />

Si ce document avait été écrit avant la déception de 1874, il aurait été<br />

certain que ce n'était pas la déception d'octobre de cette année qui<br />

aurait provoqué ce changement de doctrine [= advent spirituel] ; dans le<br />

cas contraire, c'était possible. 51<br />

50<br />

T. Daniels, in Historical Idealism, op. cit., pp. 53-55. À cette conclusion vient s’ajouter un<br />

autre détail non moins important : premièrement, le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs admet que Joseph<br />

Russell, le père de Charles Russell, figurait parmi les premiers Étudiants de la Bible jusqu’à sa<br />

mort en 1897. (Cf. Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 5, p. 43 ; Dott, in Les Témoins de Jéhovah, op. cit.,<br />

p. 5.) Or, dans la période s’écoulant de 1869 à 1873, son père et lui-même avaient<br />

régulièrement écrit au journal adventiste The Advent Christian Times pour leur poser des<br />

questions, ce qui constitue une preuve que lui et son père en étaient des lecteurs assidus et<br />

étaient au parfum de la pr<strong>éd</strong>ication de l’advent charnel de Christ pour 1874. (Voir les numéros<br />

de l’Advent Christian Times des 28 mars 1871, p. 244; 1 er avril 1871, p. 260 ; 18 avril 1871,<br />

p. 268 ; 6 juin 1871, p. 324 ; 25 juillet 1871, p. 372 ; 25 février 1873 ; 24 juin 1873.) Or,<br />

Russell l’a précisé, ce n’est que vers cette époque que les choses sont devenues plus claires<br />

— c’est-à-dire après avoir, lui et son groupe d’Étudiants, cru en la prophétie de 1874.<br />

51<br />

Blandre, in « La première brochure de Russel », in Revue de l’histoire des religions, tome<br />

199 n°4, 1982, p. 406.<br />

27


Un trucage de l’Histoire<br />

C’est dire que, si la brochure avait réellement été publiée en<br />

1873, cela n’inclurait pas Russell et ses Étudiants dans la déception<br />

de 1874, ce qui ne serait pas le cas si elle avait été publiée après la<br />

date fatidique 52 . Raison pour laquelle les r<strong>éd</strong>acteurs Témoins de<br />

Jéhovah ont mis un flou autour de la date véritable de publication de<br />

la brochure, en proposant deux dates, parce que voulant faire croire<br />

qu’au moment oùù « ses amis chrétiens-adventistes attendaient une<br />

venue visible du Christ en gloire pour l’année 1874 », « Russell, dès<br />

avant cette date, avait adopté la thèse selon laquelle le Christ<br />

reviendrait de manière invisible. » 53<br />

Or, il n’en est rien, et la déclaration de Russell selon laquelle<br />

jusque vers 1874, ils avaient attendus « sa venue [celle de Jésus] en<br />

tant qu’un homme glorifié plutôôt qu’un être spirituel » porte un coup<br />

fatal à la date erronée de 1873.<br />

Voilà qui explique pourquoi, au matin de janvier 1876, en ouvrant<br />

le numéro du Herald of the Morning, Russell a trouvé des points de<br />

vue qui « se rapprochaient » des siens d’autant plus qu’après la<br />

déception humiliante de 1874, il avait commencé à se démarquer de<br />

l’adventisme afin de trouver une solution pour redéfinir l’advent du<br />

Christ. Les commentaires de Barbour lui offrirent cette solutionexplicative<br />

et lui montrèrent que la date (1874) était correcte, mais<br />

que la chose attendue (retour physique du Christ) était incorrecte.<br />

52<br />

Le sociologue Massimo Introvigne fait valoir que « le groupe d’Étudiants de la Bible de<br />

Pittsburgh attendait avec ferveur le Second Avènement, mais jugeait inutile – ou du moins<br />

secondaire – de fixer des dates précises ; en outre, il restait étranger à l’agitation entourant<br />

l’année 1874. » Et d’ajouter : « De quelque façon qu’on juge la controverse sur l’année<br />

1874, une chose reste certaine : le lien de Russell avec le courant prophétique, avec le<br />

milieu adventiste et – à l’intérieur de celui-ci – avec la tendance chrétienne-adventiste qui se<br />

reconnaissait dans le conditionalisme et pour laquelle l’année 1874 était importante. » — Les<br />

Témoins de Jéhovah, op. cit., pp. 30, 31.<br />

53<br />

Introvigne, in Les Témoins de Jéhovah, op. cit., p. 30. L’italique apparaît dans l’original.<br />

28


Un trucage de l’Histoire<br />

D’oùù le dicton propre aux échecs prophétiques: «The wrong thing at<br />

the right time » (La mauvaise chose au bon moment).<br />

La mauvaise chose, c’était l’attente d’un advent physique de<br />

Christ ; le bon moment, c’était la date. Il fallait juste corriger la nature<br />

de l’advent — le spiritualiser — et tout était reparti comme sur des<br />

roulettes...<br />

Cette solution-explicative permit à Russell et à ses Étudiants<br />

navrés de « saisir la différence qu’il y a entre le Seigneur en tant que<br />

“l’homme qui s’est livré lui-même” et le Seigneur qui reviendra<br />

comme créature spirituelle. » 54 De là est né l’empressement de Russell<br />

à solliciter Barbour pour de plus amples détails et sa disposition « à<br />

prendre à sa charge les frais qu’entraînerait une telle entrevue avec<br />

lui.» 55 Eu égard aux données historiques que nous venons de<br />

considérer, un constat s’impose : Russell et ses associés n’ont pas<br />

discerné une présence invisible du Christ 56 , comme veulent nous le<br />

54<br />

Les Témoins de Jéhovah dans les desseins divins, chap. 2, p. 15.<br />

55<br />

Ibid., chap. 3, p. 18.<br />

56<br />

Il convient de souligner que, même si l’espace ne nous suffit pas ici à discuter longuement<br />

de la question du mot grec parousia (παρουσία), un point reste important à savoir. Parousia<br />

qui dérive du verbe paréimi (πάρειµι : être proche) ne signifie pas seulement « présence » ou<br />

seulement « venue » (ou encore « arrivée »), mais englobe les deux notions. Comme le<br />

souligne l’helléniste William Vine, il « désigne à la fois une arrivée et la présence qui lui fait<br />

suite. » (Expository Dictionary of Old and New Testament Words, 1981, vol. I, p. 208.) Un<br />

autre commentateur déclare qu’il « indique une arrivée, la venue de quelqu’un afin d’être<br />

présent.» (G. Braumann, in The New International Dictionary of New Testament Theology,<br />

Grand Rapids, MI: Zondervan, 1976, vol. II, p. 898.) Les Témoins de Jéhovah reconnaissent<br />

eux-mêmes que « la présence de Jésus sous-entend nécessairement son arrivée à l’endroit<br />

oùù il est présent. » (Étude perspicace des Écritures, 1998, vol. II, p. 648) Ou, comme évoqué<br />

dans La Tour de Garde du 1 er octobre 1992, p. 16 : « pour la plupart des biblistes, ce mot<br />

englobe non seulement une arrivée, mais aussi une présence qui fait suite – comme lorsqu’un<br />

personnage royal effectue une visite officielle. » En un mot, parousia connote une venue<br />

préalable qui débouche sur une présence, pas l’inverse. Les Témoins de Jéhovah font<br />

justement l’inverse. En témoigne ce commentaire du Réveillez-vous! du 08 mai 1993, p. 26:<br />

«... les r<strong>éd</strong>acteurs bibliques du 1 er siècle ont distingué sa venue de sa présence. La présence<br />

de Jésus Christ investi du pouvoir royal serait ressentie et reconnue de nombreuses années<br />

avant sa ‘venue sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire’. (Matthieu 24:30.) La<br />

29


Un trucage de l’Histoire<br />

fait croire les Témoins de Jéhovah. Bien au contraire, ce sont les<br />

avortements et déceptions prophétiques relatifs à l’advent physique<br />

de Christ qui ont conditionné et forcé la spiritualisation de ce retour.<br />

Qui oserait, dès cet instant, contester la validité d’un événement<br />

censé être invisible à l’œil nu 57 ?<br />

présence invisible du Christ (grec parousia) préc<strong>éd</strong>erait sa venue (grec érkhomaï) pour<br />

exécuter le jugement contre une génération rebelle et méchante. » Par ailleurs, ils arguaient<br />

que « l’arrivée de Jésus pour établir l’esclave fidèle sur tous ses biens, mentionnée en<br />

Matthieu 24 : 46, 47, se rapporte aussi à sa venue future, durant la grande tribulation. Une<br />

analyse de l’ensemble de la prophétie de Jésus révèle clairement que les huit mentions de sa<br />

venue se rapportent à l’époque de jugement qui aura lieu durant la grande tribulation. » (La<br />

Tour de Garde, 15 juillet 2013, p. 6). Comment explique-t-on alors que sa présence<br />

(supposée « invisible ») puisse préc<strong>éd</strong>er sa venue future, alors que le mot parousia laisse<br />

entendre le contraire ?<br />

57<br />

Les Témoins de Jéhovah recourent à l’argument selon lequel Jésus devait revenir « de la<br />

manière » (grec : τρόπον) qu’il s’en était allé au ciel. (Actes 1 : 9-11). Ils interprètent ainsi ce<br />

passage: « Seuls les fidèles disciples de Jésus ont observé son départ. Comme dans le cas<br />

de la transfiguration, il n’y a eu aucune démonstration offerte à la foule ; le monde en général<br />

ne s’est pas aperçu de ce qui se passait. Il en serait de même lorsque le Christ reviendrait<br />

investi du pouvoir royal (Jean 14:19). Seuls ses fidèles disciples oints discerneraient sa<br />

présence. » (La Tour de Garde, 15 janvier 2005, p. 15 § 21). Ce raisonnement repose sur des<br />

bases fragiles. Premièrement, les disciples Pierre, Jacques et Jean qui ont été témoins de la<br />

Transfiguration (cf. Matthieu 17:1-9 ; Marc 9:2-10 ; Luc 9:28-36.), l’ont été non pas avec<br />

des yeux spirituels, mais avec leurs yeux physiques. En témoigne Étude perspicace (vol. II, p.<br />

1095) : « C’est donc avec leurs yeux et leurs oreilles de chair qu’ils virent et entendirent bel et<br />

bien ce qui se passa à ce moment-là. » Deuxièmement, le récit en Actes montre que les<br />

disciples voyaient Jésus avec leurs yeux physiques avant qu’« un nuage le déroba à leur vue ».<br />

Selon Étude perspicace (vol. I, p. 197), Jésus a commencé « à monter au ciel d’une manière<br />

visible et en permettant à ses disciples d’être témoins de la phase initiale de cette<br />

ascension». Cela va dans le même sens que La Tour de Garde du 1 er octobre 1992, p. 15 qui<br />

admet que « les apôôtres ont vu tout au plus le début de l’ascension de Jésus ».<br />

Troisièmement, il faut noter que « les fidèles disciples de Jésus » n’ont pas tous observé son<br />

départ ; Actes 1 : 15 et 1 Corinthiens 15 : 6 montrent qu’il y avait une centaine d’autres frères<br />

(et sœurs) qui ne furent pas présents. De plus, les onze disciples qui l’ont vu monter n’étaient<br />

pas encore oints de l’Esprit Saint — chose qui n’adviendra que quelques jours plus tard.<br />

(Actes 2 : 1-4). Quatrièmement, affirmer que le départ de Jésus n’a pas été visible à tout le<br />

monde ne suffit pas, car il faudrait aussi ajouter que ce départ fut confiné en un lieu<br />

géographique précis : la montagne des Oliviers (Actes 1 : 12). En somme, l’interprétation que<br />

font les Témoins de Jéhovah de l’expression « de la manière » ne confirme nullement la<br />

spiritualisation du second advent du Christ.<br />

30


Un trucage de l’Histoire<br />

2. Les temps des Gentils :<br />

Contexte historique<br />

EN LUC 21 : 24, Jésus pr<strong>éd</strong>it la destruction de Jérusalem et<br />

précise qu’elle serait « foulée aux pieds par les nations jusqu’à ce que<br />

les temps fixés des nations soient accomplis. » Au cours des siècles,<br />

ce verset a été le terrain de spéculations prophétiques pour déterminer<br />

le retour de Jésus ; et ceci, en raison de l’expression temps fixés des<br />

nations (ou « temps des Gentils », cf. Bible Jérusalem ; grec : καιροὶ<br />

ἐθνῶν). L’usage dans ce verset du mot « temps » a attisé le<br />

rapprochement avec les « sept temps » mentionnés en<br />

Daniel<br />

chapitre 4 (cf. versets 16, 23, 25, 32).<br />

John Aquila Brown dont l’interprétation de ce verset a fait tâche<br />

d’huile, soutint, pour la première fois selon toutes vraisemblances,<br />

que les « sept temps » de Daniel dureraient 2520 ans. Ce chiffre est<br />

obtenu d’après le calcul suivant : On part du postulat que les « sept<br />

temps » équivalent à sept ans. Or, une année lunaire équivaut à 360<br />

jours, ce qui permet d’aboutir à « sept temps » = sept fois 360, soit<br />

2520 jours. À ce niveau, on fait alors appel à deux textes bibliques<br />

(cf. Nombres 14:34 et Ezékiel 4:6) pour en d<strong>éd</strong>uire une fameuse règle<br />

biblique 58 qui prôône qu’« un jour équivaut à une année prophétique »<br />

— ce qui permet d’obtenir : 2520 jours = 2520 ans 59 .<br />

58<br />

Les Témoins de Jéhovah postulent que « la Bible montre que pour les calculs prophétiques<br />

un jour représente une année (Ézéch. 4:6; Nomb. 14:34). » (Comment raisonner à partir des<br />

Écritures, 1986-9, p. 87). Pourtant, un exemple simple prouve qu’ils font fausse route : le<br />

livre de Daniel renferme des dates prophétiques : 2300 soirs et matins ; 1290 jours et 1335<br />

jours (cf. Daniel 8 :14 ; 12 : 11, 12). Là oùù on s’attendait à l’application de leur « règle<br />

biblique », les Témoins interprètent ces données littéralement (La Tour de Garde, 1 er<br />

novembre 1993, p.. 11 ; Prêtons attention à la prophétie de Daniel ! chap. 17, pp. 300-<br />

303 ; Annuaire, <strong>éd</strong>. 1975, pp. 246-247 etc.) Pourquoi cette inconsistance ? Eduard C.<br />

Hanganu répond, suite à une évaluation de la question : “Les données basées sur les faits<br />

qui ont été examinées dans cet article ont fourni une solide évidence pour arriver à la<br />

conclusion inévitable que le principe “un jour pour une année” qui est une méthode de calcul<br />

31


Un trucage de l’Histoire<br />

Brown fit débuter cette période de 2520 ans à compter de<br />

l’année 604 avant notre ère — censée marquer l’ascension au trôône<br />

du roi babylonien Nabuchodonosor — et la fit achever le 1 er janvier de<br />

l’an 1917, qui marquerait la perfection de la pleine gloire du royaume<br />

d’Israël 60 . Mais, comme précisé par Carl O. Jonsson :<br />

Brown n’a lui-même pas associé cette période avec les temps des<br />

Gentils de Luc 21: 24. N’empêche que son calcul des 2520 ans basé<br />

sur Daniel chapitre 4, a depuis lors joué un rôôle clé dans certaines<br />

interprétations modernes de ces temps des Gentils. 61<br />

La connexion des « temps fixés des nations » chez Luc avec<br />

les « sept temps » de Daniel sera pleinement mise en évidence par<br />

un millénariste nommé Edward Bishop Elliott (1793-1875). Elliot<br />

proposa plusieurs périodes pour les 2520 ans prophétiques, dont l’une<br />

commençait avec l’année d’accession de Nabuchodonosor — qu’il<br />

situa en 606 avant notre ère — et prenait fin en 1914 62 .<br />

Comme dans une chaîne de transmission, cette interprétation<br />

sera captée par William Miller puis par Nelson Barbour qui la<br />

transmettra à son tour à Charles Russell.<br />

Mais il faut éclaircir les choses à ce point.<br />

historique et prophétique des Adventistes du Septième Jour, n’est pas une loi divine, un<br />

principe biblique encore moins une méthode scientifique. Il s’agit plutôôt d’un postulat<br />

théologique qui n’a aucun support linguistique, n’a aucun fondement biblique et qui ne peut<br />

être défendu avec l’appui de la Bible. […] Le principe est illogique, mal fondé, non fiable et<br />

doit être écarté...” (The Year-Day Principle Reexamined, 28 décembre 2013, p. 13.)<br />

59<br />

Pour une analyse détaillée, voir mon dossier 1914 : Jésus est-il présent invisiblement<br />

depuis cette date ? L’anatomie herméneutique d’un discours prophétique (2014).<br />

60<br />

Brown, in The Even-Tide; or Last Triumph of the Blessed and Only Potentate, the King of<br />

kings and the Lord of lords, vol. I, 1823, Londres, pp. 130-152.<br />

61<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered, op. cit., p. 36.<br />

62<br />

Elliott, in Horae Apocalypticae, 1844, 1 e <strong>éd</strong>. (London: Seeley, Bumside, and Seeley), vol.<br />

III, pp. 1429–1431; voir aussi Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 10, p. 134.<br />

32


Un trucage de l’Histoire<br />

Bien qu’il ait gobé l’idée que la période de domination<br />

des<br />

nations païennes sur la Jérusalem terrestre (non pas céleste) durerait<br />

2520 ans — à compter de 606 63 et non 607 — et qu’elle s’achèverait<br />

en octobre 1914, Russell comprenait la chose dans un sens différent<br />

de ce que croient aujourd’hui les Témoins de Jéhovah.<br />

Premièrement, Russell croyait que Jésus était revenu<br />

invisiblement en 1874. « Notre Seigneur, a-t-il écrit, le Roi désigné<br />

par Dieu, est maintenant présent depuis 1874. » 64 Dans leur livre<br />

63<br />

Les Étudiants de la Bible situaient également la démolition de Jérusalem par les<br />

Babyloniens en 606 et le retour des Juifs de leur exil à Babylone, en 536 avant notre ère. (cf.<br />

C. Russell & N. Barbour, in Three Worlds and the Harvest of this World, 1877). Or, comme<br />

expliqué dans une note plus haut, contrairement à l’astronomie l’Histoire ne connait pas<br />

d’année zéro (0), ce qui signifie que de l’an 1 avant notre ère à l’an 1 de notre ère, cela fait 1<br />

an. Suivant ce comput, donc, si on compte 2520 ans à compter de 606, cela renvoie à 1915<br />

et non 1914. Pour tenter d’expliquer ce décalage, les Témoins de Jéhovah arguent que<br />

« providentiellement, les Étudiants de la Bible n’avaient pas compris qu’il n’y a pas d’année<br />

zéro entre la période d’“avant notre ère” et celle “de notre ère.” » (La Révélation — le grand<br />

dénouement est proche ! <strong>éd</strong>. 2006, chap. 18, p. 105, note en bas de page). Ce n’est<br />

pourtant pas vrai : Les Étudiants de la Bible avaient bel et bien compris qu’il n’existait pas<br />

d’année zéro (0) mais ils ont simplement minimisé ce fait. Pour preuve : dans un sermon<br />

qu’il livra le 11 janvier 1904, Russell lui-même traita cette question de manière explicite et<br />

arriva à cette conclusion : « De quelque manière dont nous décidons d’évaluer le problème,<br />

la différence n’est que d’une année. » (cf. Zion’s Watch Tower, 1 er décembre 1912,<br />

réimpression, p. 5141). En raison de la différence d’une année, Russell proposa aussi<br />

octobre 1915 comme date possible de la fin des « temps des Gentils » (cf. Zion’s Watch<br />

Tower, 1 er octobre, 1907, pp. 294, 295; The Time Is At Hand; <strong>éd</strong>. 1915, pp. 99, 101; voir<br />

aussi The Watch Tower, 15 octobre 1913, pp. 306-309 [R5328, R5329]: « We say that<br />

according to the best chronological reckoning of which we are capable, it is approximately<br />

that time—whether it be October, 1914, or later. […] So when October, 1914, comes or<br />

October, 1915, or some other date (the Lord knoweth) and the Gentile Times terminate...»).<br />

Paul S. L. Johnson, Étudiant de la Bible et auteur très capable d’origine juive, adressa à<br />

Russell une lettre depuis Chicago (Illinois) le 07 juin 1914 pour l’interpeller sur la question. Il<br />

écrivit entre autres : « Les Écritures semblent confirmer la pensée qu’octobre 537 avant<br />

Jésus Christ (et non 536) est la date du retour d’Israël dans leur pays, mettant fin aux 70 ans<br />

de désolation. [...] Si nous admettons que 1914 est la fin des temps des Gentils, 2520<br />

années complètes avant cette date serait 607 avant Jésus Christ. » (Appendice, note 1 in Le<br />

temps est proche, étude II, Chronologie de la Bible). Les arguments de Johnson sont repris<br />

aujourd’hui par les Témoins de Jéhovah et révèlent que les Étudiants de la Bible savaient qu’il<br />

n’existe pas d’année zéro (0). — Voir, pour plus de détails sur la question, mon dossier<br />

Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite ?, p. 15, note 27.<br />

64<br />

Russell, in Que ton règne vienne, p. 215. Voir aussi Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 5, p. 47 ; cf.<br />

chap. 10, p. 133 : « Par M. Barbour, r<strong>éd</strong>acteur en chef de ce journal, Charles Russell avait<br />

été persuadé que la présence invisible du Christ avait commencé en 1874.» Puis dans Les<br />

33


Un trucage de l’Histoire<br />

Three Worlds and the Harvest of this World (« Les trois mondes et la<br />

moisson du monde d’à présent ») publié en 1877, Russell et Barbour<br />

avançaient que<br />

la fin des temps des Gentils en 1914 serait préc<strong>éd</strong>ée d’une période de<br />

quarante ans marquée par l’ouverture d’une moisson de trois ans et<br />

demi, qui avait commencé en 1874. Cette moisson se faisait sous la<br />

direction du Seigneur Jésus Christ, dont la présence ou parousie avait<br />

commencé en l’année 1874. […] L’année 1874 marquait la fin de six<br />

mille ans de péché parmi les hommes. Depuis cette date l’humanité se<br />

trouvait dans la septième période de mille ans. 65<br />

Cette date a été maintenue pendant plusieurs années, si bien<br />

que Joseph F. Rutherford qui succ<strong>éd</strong>a à Russell à la tête de la Watch<br />

Tower Society, a déclaré en 1924:<br />

Assurément, il ne peut y avoir de place pour le moindre doute dans<br />

l’esprit d’un véritable enfant consacré de Dieu que le Seigneur Jésus est<br />

présent, et ce, depuis 1874. 66<br />

Deuxièmement, pour Russell, le temps de la fin avait débuté en<br />

1799 qui marqua la fin de la Révolution française : « Non seulement<br />

l’augmentation générale de la connaissance confirme le chapitre onze<br />

de Daniel et montre bien que 1799 est le commencement du temps<br />

de la fin. » 67 Rutherford a défendu également cette date :<br />

témoins de Jéhovah dans les desseins divins : « Le pasteur Russell et ceux qui s’étaient joints<br />

à lui croyaient que la présence invisible du Christ, sous forme spirituelle, avait déjà<br />

commencé en 1874. » — chap. 4, p. 23.<br />

65<br />

Le Royaume millénaire de Dieu s’est approché, 1975, chap. 11, p. 184 § 6.<br />

66<br />

The Watch Tower, 1 er janvier 1924, p. 5.<br />

67<br />

Russell, in Que ton règne vienne, « Les jours d’attente du Royaume ». cf. p. 287.<br />

34


Un trucage de l’Histoire<br />

1260 ans à compter de 539 de notre ère nous conduisent à 1799, une<br />

autre preuve que 1799 marque définitivement le début du « temps de la<br />

fin. » 68<br />

Troisièmement, Russell croyait que le Royaume de Dieu avait<br />

déjà commencé à exercer le pouvoir invisiblement en 1878, année qui<br />

devait voir l’enlèvement des saints au ciel 69 . Il écrivit :<br />

Il n’y aura donc pas lieu d’être surpris, lorsque nous montrerons dans<br />

les chapitres qui suivent que l’établissement du Royaume de Dieu est<br />

déjà en marche, que d’après les prophéties il devait commencer à<br />

exercer son pouvoir en 1878... 70<br />

Quatrièmement, Russell croyait que les gouvernements terrestres<br />

allaient cesser d’exister dès 1914 parce que totalement détruits et<br />

anéantis dans la guerre d’Harmagu<strong>éd</strong>on :<br />

La bataille du Dieu Tout-Puissant (Apocalypse 16 :14), qui finira en<br />

1914 avec le renversement complet des gouvernements terrestres<br />

actuels est déjà commencée. 71<br />

68<br />

Rutherford, in The Harp of God, 1921, p. 230.<br />

69<br />

Dans Three Worlds, Russell et Barbour affirmaient que, trois ans et demi après la venue<br />

invisible du Christ en 1874, les saints du Seigneur seraient enlevés au ciel en 1878. Mais cette<br />

prophétie ne se réalisa pas et suscita à son tour de l’amertume parmi les fervents croyants.<br />

(cf. Introvigne, in Les Témoins de Jéhovah, p. 33.) Une publication des Témoins de Jéhovah<br />

indique : « (...) Le pasteur Russell expose un point de vue erroné que tous avaient partagé<br />

jusqu’à ce moment-là. Sur la base de la déclaration que Paul a formulée dans I Corinthiens<br />

15:51, 52, on s’attendait à voir “les saints en vie être enlevés subitement et miraculeusement<br />

avec leur corps, pour être désormais auprès du Seigneur pour toujours”. Comme on croyait<br />

que cela aurait lieu en 1878, certains ont été déçus parce que rien de visible ne s’est<br />

produit. » (Les Témoins de Jéhovah dans les desseins divins, chap. 3, p. 19). Ainsi, Russell<br />

eut recours au même proc<strong>éd</strong>é propre aux échecs prophétiques passés : il spiritualisa cet<br />

enlèvement des saints (qui, une fois morts, allaient rejoindre le Seigneur) et maintint l’année<br />

1878 comme celle de l’établissement du Royaume de Dieu dans les cieux !<br />

70<br />

Russell, in Le temps est proche, vol. II, 1889, p. 99.<br />

71<br />

Ibid. La Tour de Garde du 1 er décembre 1974 confirme : « (...) Quand Russell commença<br />

à publier un nouveau journal religieux en juillet 1879, il lui donna le titre qui devint en français<br />

“Le Phare de la Tour de Sion, Messager de la présence de Christ” (Zion’s Watch Tower and<br />

Herald of Christ’s Presence). Ce périodique annonçait que la présence de Christ avait<br />

35


Un trucage de l’Histoire<br />

Comme on peut aisément le constater à partir de ces quelques<br />

données, un large fossé sépare les croyances des Étudiants de la<br />

Bible au sujet des « temps fixés des nations » (ou temps des Gentils)<br />

avec ce qu’en pensent aujourd’hui les Témoins de Jéhovah. Pour les<br />

Témoins, la présence invisible du Christ, le temps de la fin et<br />

l’exercice invisible du Royaume de Dieu ont tous débuté à la même<br />

date (1914) alors que les Étudiants de la Bible ont attribué des dates<br />

différentes à ces événements. Thomas Daniels commente :<br />

Durant la période qui a préc<strong>éd</strong>ée 1914, ceux qui étaient associés aux<br />

Étudiants de la Bible comprenaient par la fin des “temps des Gentils” le<br />

renversement complet des gouvernements terrestres, leur destruction<br />

totale suivie de la substitution du royaume terrestre de Christ. Aucun<br />

gouvernement humain ne subsisterait. 72<br />

Il est donc trompeur d’affirmer, comme le font les Témoins de<br />

Jéhovah, que « les événements dramatiques qui ont eu lieu en 1914<br />

ont prouvé qu’ils [= Étudiants de la Bible] ne s’étaient pas<br />

trompés» 73 , alors que, d’après les faits aucun de ces événements ne<br />

correspondait à ce qu’avaient pr<strong>éd</strong>it Russell et ses colporteurs. On lit<br />

sous la plume du sociologue italien Massimo Introvigne :<br />

Contrairement à ce que soutient la littérature apologétique du jéhovisme<br />

actuel, dans les années préc<strong>éd</strong>ents le conflit, Russell n’avait pas<br />

annoncé simplement de « grands événements » pour l’année 1914,<br />

mais avait affirmé que cette année-là précisément le présent ordre de<br />

choses s’achèverait. [...] C’est pourquoi l’échec de la prévision relative<br />

commencé en 1874 et qu’elle devait se continuer jusqu’en 1914, à la fin des temps des<br />

Gentils, époque qui verrait la destruction des nations gentiles... » (p. 731).<br />

72<br />

Daniels, in Historical Idealism, op. cit., p. 38.<br />

73<br />

La Révélation — le grand dénouement est proche ! <strong>éd</strong>. 1988, chap. 21, p. 130.<br />

36


Un trucage de l’Histoire<br />

à l’année 1914, suivi de la mort de Russell le 31 octobre 1916,<br />

provoquèrent une crise au sein du mouvement. 74<br />

Mais les Témoins de Jéhovah ne s’arrêtent pas là. À maintes<br />

reprises, ils se sont targués d’avoir pu pr<strong>éd</strong>ire « plus de 30 ans à<br />

l’avance que 1914 correspondrait à un tournant dans l’histoire de la<br />

domination divine. » 75 Selon eux, il s’agit là d’un « fait historique<br />

digne d’être signalé. » 76 Dans La Tour de Garde du 1 er septembre<br />

1985, on lit à la page 24 :<br />

À partir de 1876, les serviteurs de Jéhovah n’ont cessé d’avertir le<br />

monde, et plus particulièrement la chrétienté, que les temps des Gentils<br />

allaient prendre fin en automne 1914 [...]. [Le clergé] souhaitait<br />

vivement pouvoir attaquer l’<strong>éd</strong>iteur de La Tour de Garde si jamais<br />

l’année 1914 passait sans que surviennent des événements<br />

remarquables qui correspondraient à ceux qu’il avait annoncés. Mais le<br />

clergé fut r<strong>éd</strong>uit au silence quand, le 28 juillet 1914, la paix fut<br />

brusquement rompue par le déclenchement de la Première Guerre<br />

mondiale.<br />

Le clergé a-t-il vraiment été r<strong>éd</strong>uit au silence quand éclatait la<br />

Première guerre mondiale, comme ils le prétendent ? Tout d’abord,<br />

quels ont été les « événements remarquables » annoncés<br />

par<br />

l’<strong>éd</strong>iteur de La Tour de Garde, en l’occurrence Russell ?<br />

Pour répondre à ces questions, inclinons nos regards sur deux<br />

éléments de preuve sur lesquels ils s’appuient pour défendre leur<br />

argument. D’une part, sur leur revue La Tour de Garde (Watch Tower)<br />

qui, dans son <strong>éd</strong>ition de mars 1880, avait « désigné 1914 comme<br />

l’année oùù arriveraient à leur terme les “temps fixés des nations” (et la<br />

74<br />

Introvigne, in Les Témoins de Jéhovah, op. cit., p. 40. L’italique apparaît dans l’original.<br />

75<br />

La Tour de Garde, 1 er juillet 1984, p. 6.<br />

76<br />

Étude perspicace, vol. II, p. 1059.<br />

37


Un trucage de l’Histoire<br />

fin de la cession du pouvoir aux nations gentiles) » ; et d’autre part,<br />

sur un « grand quotidien new-yorkais » de l’époque, à savoir The<br />

World Magazine, dans son <strong>éd</strong>ition du 30 aoûût 1914.<br />

Mais les Témoins de Jéhovah commettent ici deux erreurs<br />

importantes : premièrement, une erreur d’anachronisme et<br />

deuxièmement, une dissimulation d’information.<br />

Sur la question d’anachronisme, il convient de préciser qu’il n’a<br />

jamais été question de « Témoins de Jéhovah » ayant pr<strong>éd</strong>it quoique<br />

ce soit dans les années qui ont préc<strong>éd</strong>é 1914. En fait, il ne faut pas<br />

confondre les « Étudiants de la Bible » et les « Témoins de<br />

Jéhovah », même si ces derniers proviennent du premier groupe et<br />

que tous deux sont issus du terreau adventiste. 77<br />

Les Témoins de Jéhovah, contrairement à ce qu’ils essaient de<br />

faire croire au public non averti 78 , sont une ramification des Étudiants<br />

de la Bible et qui, pour se démarquer des autres Étudiants de la<br />

Bible, ont adopté le nom « Témoins de Jéhovah » en 1931. C’est ce<br />

qu’explique Dominique Dott : « Le tournant s’effectua en 1931 :<br />

Rutherford fonda, sur les fondements du mouvement de Russell et de<br />

sa société Watch Tower qu’il contrôôlait à présent, un autre groupe :<br />

77<br />

À la mort de Russell en 1916, un schisme éclate : plusieurs Étudiants de la Bible quittent la<br />

Watch Tower Society parce que ne partageant pas les convictions réformistes de Joseph F.<br />

Rutherford. (cf. A. N. Pierson et al., in Light after Darkness, 1917, pp. 1-23; un aspect de la<br />

personnalité de Rutherford est défini dans mon dossier Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle<br />

été détruite ?, p. 203, note 590.) D’autres mouvements d’Étudiants de la Bible voient alors le<br />

jour, pour ne citer que quelques-uns: The Standfast Movement, The Layman’s Home<br />

Missionary Movement, Elijah Voice Movement, Eagle Society, Pastoral Bible Institute of<br />

Brooklyn, Dawn Bible Students Association. Etc.<br />

78<br />

Dans leur manuel Comment raisonner (op. cit., pp 396-397), ils prétendent qu’ils « ne<br />

sont pas une ramification d’une autre Église » et que « d’après la Bible, la lignée des<br />

témoins de Jéhovah remonte au fidèle Abel. » Dans la section « Russell et ses associés : une<br />

étude approfondie et impartiale de la Bible ? » de la présente étude, nous démontrerons la<br />

fausseté de cette affirmation.<br />

38


Un trucage de l’Histoire<br />

les Témoins de Jéhovah. » 79 Le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs souligne ce<br />

fait également :<br />

Après la mort de frère Russell, certains de ses anciens associés ont<br />

refusé de coopérer avec la Société Watch Tower et l’Association<br />

internationale des Étudiants de la Bible; ils se sont même opposés à<br />

l’œuvre de ces organisations. Ces groupes dissidents ont utilisé<br />

différents noms, et certains ont gardé l’appellation “Étudiants associés<br />

de la Bible”, ce qui a ajouté à la confusion. Puis, en 1931, nous avons<br />

pris le nom véritablement distinctif de “Témoins de Jéhovah”. 80<br />

Ainsi, la désignation « Témoins de Jéhovah » visait à établir une<br />

distinction les Étudiants de la Bible dissidents d’avec ceux restés loyaux à<br />

Joseph Rutherford via la Watch Tower Society. Ainsi, comme en conclut<br />

Kenneth W. Rawson avec un grand rigorisme :<br />

Les données historiques révèlent au-delà de tout doute que les<br />

Étudiants de la Bible, formés par le Pasteur Russell, et les Témoins de<br />

Jéhovah, formés par le Juge Rutherford, sont deux mouvements<br />

différents. 81<br />

Ceci, parce que Rutherford avait pratiquement changé plusieurs<br />

enseignements de Russell ainsi que le fonctionnement de la société<br />

qu’il dirigeait désormais. C’est ainsi que dans sa parution du 30<br />

octobre 1949, un quotidien américain (Chicago Daily Tribune, p. 18)<br />

affirmait :<br />

Le Pasteur Russell est mort en 1916. Depuis 33 ans maintenant, les<br />

méthodes de cette secte ont complètement dévié de ceux du Pasteur<br />

Russell ainsi que de sa manière d’enseigner.<br />

79<br />

Dott, in Les Témoins de Jéhovah, op. cit., p. 11.<br />

80<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 11, p. 151.<br />

81<br />

Rawson, in Bible Students. Pastor Russell founded The Bible Students not Jehovah’s<br />

Witnesses, 2010, p. 1.<br />

39


Un trucage de l’Histoire<br />

Alan Rogerson ajoute :<br />

Les Témoins de Jéhovah modernes ne sont pas nécessairement les<br />

successeurs directs du Pasteur Russell [et par conséquent, des<br />

Étudiants de la Bible]. Il est vrai qu’ils contrôôlent les associations<br />

légales qu’il a fondées — mais la structure de fonctionnement établie<br />

par Russell a complètement été déformée par Rutherford. 82<br />

Pour ce qui est de la dissimulation d’information, elle est à deux<br />

niveaux : en rapport avec la revue Watch Tower, et en rapport avec le<br />

quotidien newyorkais The World Magazine. Commençons par la revue.<br />

Il s’agit d’un article r<strong>éd</strong>igé en mars 1880 par le prolifique auteur<br />

adventiste John Henry Paton (1843-1922), ex-collaborateur de Nelson<br />

Barbour qui devint l’un des premiers compagnons de Russell. L’article<br />

stipulait ceci :<br />

Que nous traduisons comme suit (partie que nous avons soulignée) :<br />

« Les temps des Gentils » s’étendent jusqu’en 1914, et le royaume<br />

céleste n’obtiendra la pleine domination qu’en ce moment. Mais telle<br />

une « Pierre », le royaume de Dieu s’établira « aux jours de ces (dix<br />

rois) païens », et, les consumant, il devient un royaume universel –<br />

une<br />

« grande montagne qui remplit toute la terre. » Dan. 2 : 35-44. 83<br />

Paton rattachait la fin des « temps des Gentils » en 1914,<br />

certes, mais pour l’établissement du Royaume de Dieu sur terre.<br />

(Nous reviendrons sur ce point dans la section suivante). C’est<br />

d’ailleurs ce qu’il illustre en se référant au texte de Daniel 2 : 35-44.<br />

82<br />

Rogerson, in Millions Now Living Will Never Die, op. cit., p. 39.<br />

83<br />

Paton, in Zion’s Watch Tower, mars 1880, p. 2 (ré-impression, p. 82).<br />

40


Un trucage de l’Histoire<br />

Est-ce ce qui s’est passé en 1914 ? Le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs, publié par<br />

les Témoins de Jéhovah eux-mêmes, fait cet aveu :<br />

Les Étudiants de la Bible […] pensaient qu’à cette date le Royaume de<br />

Dieu aurait obtenu la domination totale, universelle. Cela n’est pas<br />

arrivé... 84<br />

Venons-en au quotidien newyorkais The World Magazine. Les<br />

Témoins de Jéhovah citent en général cette portion qui donne<br />

l’impression que les Étudiants de la Bible avaient prophétisé vrai :<br />

L’effroyable guerre qui vient d’éclater en Europe accomplit une prophétie<br />

extraordinaire. Il y a un quart de siècle, les “Étudiants internationaux de<br />

la Bible” [...] se sont mis à proclamer au monde, par la voix de<br />

pr<strong>éd</strong>icateurs et par la presse, que le Jour de la Colère prophétisé dans<br />

la Bible poindrait en 1914. 85<br />

Or, en la circonstance, ils omettent la suite qui stipule :<br />

Mais dire que la détresse doit atteindre son point culminant en 1914,<br />

voilà qui est étrange. […] (Russell) et ses Étudiants se contentent<br />

d’attendre, d’attendre jusqu’en octobre qu’ils estiment être la fin réelle<br />

de 1914. 86<br />

On le constate, les r<strong>éd</strong>acteurs du quotidien jugeaient « étrange »<br />

que les Étudiants de la Bible puissent s’attendre à ce que la détresse<br />

atteigne « son point culminant en 1914 » et que le mois d’octobre<br />

marquerait « la fin réelle de 1914. » Remarquez que nous sommes en<br />

fin aoûût 1914, soit à environ deux mois du déclenchement de la<br />

84<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 10, p. 135.<br />

85<br />

Étude perspicace, vol. II, p. 1059 ; voir aussi La vie: comment est-elle apparue? Évolution ou<br />

création? 1985, chap. 18, pp. 227-229 ; La Tour de Garde, 1 er juillet 1984, pp. 5-6 ; 1 er<br />

janvier 1972, p. 17.<br />

86<br />

The World Magazine, New York, 30 aoûût 1914, supplément dominical, p. 17. Voir l’Annuaire<br />

des Témoins de Jéhovah, <strong>éd</strong>. 1975, p. 75.<br />

41


Un trucage de l’Histoire<br />

Première Guerre mondiale et on s’approchait à grands pas du mois<br />

d’octobre, le mois prévu pour marquer la fin des gouvernements<br />

terrestres. Comme on peut le lire dans Pr<strong>éd</strong>icateurs :<br />

La Première Guerre mondiale faisait rage, et à cette époque les<br />

Étudiants de la Bible pensaient que la guerre déboucherait sur une<br />

période d’anarchie mondiale qui aboutirait à la fin du système de<br />

choses. 87<br />

Cette anarchie mondiale, selon les termes de Rutherford,<br />

correspondait à la bataille d’Harmagu<strong>éd</strong>on. 88 “La présente guerre qui<br />

a cours en Europe est le commencement de l’Harmagu<strong>éd</strong>on des<br />

Écritures”, peut-on lire dans le livre Pastor Russell’s Sermons 89 (Les<br />

sermons du Pasteur Russell) publié à titre posthume en 1917 par<br />

l’International Bible Students Association. 90 Ce fait est aussi confirmé<br />

dans le Réveillez-vous ! du 08 mars 1985 (p. 5) qui cite les paroles du<br />

livre d’histoire Chronologie américaine (angl.) :<br />

Charles Taze Russell fonde la Watch Tower Bible and Tract Society<br />

pour <strong>éd</strong>iter ses livres, brochures et journaux. Russell (...) proclame que<br />

le monde est sur le point d’être anéanti dans la gigantesque bataille<br />

d’Harmagu<strong>éd</strong>on.<br />

87<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 6, p. 61.<br />

88<br />

Rutherford, in Justification, vol. I, 1931, pp. 26-27. L’Annuaire (<strong>éd</strong>. 2000, p. 152) rapporte<br />

au sujet d’un Étudiant de la Bible nommé Erler : “Il distribuait le livre de frère Russell La<br />

bataille d’Harmagu<strong>éd</strong>on et proclamait avec conviction que cette catastrophe mondiale<br />

surviendrait en 1914.”<br />

89<br />

Russell, in Pastor Russell’s Sermons (Brooklyn: International Bible Students Association,<br />

1917), p. 676.<br />

90<br />

En français : l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Cette filiale de la Watch<br />

Tower Bible and Tract Society fut enregistrée le 30 juin 1914, en Angleterre, à Londres.<br />

42


Un trucage de l’Histoire<br />

Russell avait précisé que « the end of 1914 is not the date for<br />

the beginning, but for the end of the time of trouble » 91 (= la fin de<br />

1914 n’est pas la date du commencement, mais de la fin de la<br />

période de troubles). Or, les troubles ont continué même après 1914.<br />

À deux années de l’éclatement de la guerre, Russell continuait<br />

d’avancer :<br />

We see no reason for doubting, therefore, that the Times of the Gentiles<br />

ended in October, 1914; and that a few more years will witness their<br />

utter collapse and the full establishment of God’s kingdom in the hands<br />

of Messiah. 92<br />

Que nous traduisons ainsi :<br />

Par conséquent, nous ne voyons aucune raison de douter que les<br />

« temps des nations » aient pris fin en octobre 1914 ; et que dans très<br />

peu d’années encore, surviendront leur effondrement définitif et<br />

l’établissement complet du Royaume de Dieu entre les mains du<br />

Messie.<br />

Disons-le tout net : aucun des « événements remarquables »<br />

annoncés par Russell ne s’est accompli à la date prévue 93 . Roy D.<br />

91<br />

Zion’s Watch Tower, 15 juillet 1894, p. 226.<br />

92<br />

The Watch Tower, 1 er septembre 1916, p. 265.<br />

93<br />

D’ailleurs, en janvier 1914, Russell exprimait déjà quelque doute au sujet de ce qu’il avait<br />

pr<strong>éd</strong>it pour octobre 1914. Dans The Watch Tower du 1 er janvier 1914 (p. 1), il avoua : « As<br />

already pointed out, we are by no means confident that this year, 1914, will witness as radical<br />

and swift changes of dispensation as we have expected.» C’est-à-dire: « Comme nous<br />

l’avions déjà souligné, nous ne sommes absolument pas convaincus que cette année, 1914,<br />

verra le changement radical et soudain de dérogation auquel nous nous attendions. »<br />

Pourtant, Russell lui-même avait souligné que « changer la chronologie ne serait-ce que<br />

d’une année démolirait toute [l’harmonie des périodes prophétiques], tellement exactes sont<br />

les diverses preuves reliées ensemble dans les parallèles entres les âges juif et de l’Évangile.»<br />

(Zion’s Watch Tower, 1 er octobre 1904, pp. 296, 297). Comme le précise Greg Stafford :<br />

«Même s’il admettait que sa chronologie n’était pas infaillible, Russell continuait de ne pas<br />

accorder une grande cr<strong>éd</strong>ibilité, ne serait-ce que le minimum, aux arguments présentés<br />

contre son point de vue sur la chronologie biblique. Aujourd’hui, c’est la même attitude<br />

qu’adoptent en substance les Témoins de Jéhovah au regard de la Bible et de l’histoire<br />

séculaire, même si leur approche est plus sophistiquée que celle de Russell puisqu’ils tentent<br />

43


Un trucage de l’Histoire<br />

Goodrich l’a si bien formulé : « Ses multiples pr<strong>éd</strong>ictions en rapport<br />

avec ce qui devait arriver avant ou en 1914, ont complètement échoué<br />

et ce, à cent pour cent. » 94 Pour Emmanuel Bertin :<br />

Cette pr<strong>éd</strong>iction ne se réalisa pas, mais comme cette date [1914]<br />

coïncida avec le début de la première Guerre Mondiale, on en d<strong>éd</strong>uisit<br />

que le calcul était bon mais qu’il y avait eu erreur sur la chose attendue.<br />

1914 devint la nouvelle date marquant le début de la présence du Christ<br />

et 1874 fut rapidement oubliée. 95<br />

Dans son livre La fièvre apocalyptique : prophéties de la fin des<br />

temps dans l’Amérique moderne (angl.), Richard G. Kyle écrit à<br />

propos de Russell :<br />

Russell avait pr<strong>éd</strong>it que 1914 « serait témoin de la destruction des<br />

nations païennes ainsi que de la période de troubles qui aboutirait à<br />

Harmagu<strong>éd</strong>on ». [...] Les canons tonitruants de la Première Guerre<br />

mondiale ont convaincu Russell que son calendrier millénaire était<br />

correct. Ceux qui le suivaient étaient excités. La fin était près de<br />

s’accomplir. Quand cela n’arriva pas en 1914, Russell modifia<br />

légèrement son calendrier pour 1918. 96<br />

de se servir des données historiques pour contredire la chronologie traditionnelle. » — Three<br />

Dissertations on the Teachings of Jehovah’s Witnesses, 2002, appendice, p. 240.<br />

94<br />

Goodrich, in Back to the Bible Way, 12: 38, 1963; cité par Gruss, in Apostles of Denial, op.<br />

cit., p. 279.<br />

95<br />

Bertin, in 1914 : Date de l’intronisation et de la présence invisible du Christ ? 2012, p. 1.<br />

96<br />

Kyle, in Apocalyptic Fever: End-Time Prophecies in Modern America, 2012, p. 74. À propos<br />

de la date 1918, voici ce qu’observe le livre Fin prochaine de la détresse mondiale (1979,<br />

chap. 8, p. 135), publié par les Témoins de Jéhovah : « Quand vint la fin de l’année<br />

1914, alors que la Première Guerre mondiale faisait rage et qu’ils se trouvaient toujours sur la<br />

terre, ils furent enclins à penser qu’ils seraient glorifiés au ciel en 1918, trois ans et demi<br />

après la fin des temps des Gentils.» L’Annuaire des Témoins de Jéhovah, <strong>éd</strong>. 1974, p. 84<br />

renchérit: « Les frères nourrissaient différentes espérances concernant l’année 1918.<br />

Certains étaient convaincus qu’elle marquerait le terme de leur course terrestre et ont parlé à<br />

plusieurs reprises de cet espoir à leurs amis et à leurs connaissances. [...] Cependant,<br />

lorsque leur attente ne se réalisa point, certains s’en allèrent déçus, comme cela s’était déjà<br />

produit en 1914. D’autres ont demandé ce qui allait donc arriver.»<br />

44


Un trucage de l’Histoire<br />

Revenons sur la question de la Première Guerre mondiale.<br />

Nous indiquions préc<strong>éd</strong>emment qu’elle n’a pas éclaté précisément<br />

au mois d’octobre 1914, mais deux mois plus tôôt. En effet, c’est le<br />

28 juillet 1914 lorsque, soutenue par le Kaiser Guillaume<br />

d’Allemagne, l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie que<br />

déclencha la guerre qui embrasa l’Europe, puis le monde entier.<br />

Selon les Témoins de Jéhovah : « Quand arriva la fin des temps<br />

des Gentils vers le 4/5 octobre 1914, la Première Guerre mondiale<br />

sévissait depuis plus de deux mois. » 97<br />

Frederick William Franz (1893-1992) qui fut le cinquième à<br />

piloter la société créée par Russell, déclara :<br />

(...) le 28 juillet 1914, éclatait la première guerre mondiale de l’Histoire.<br />

Quant à nous, les Étudiants de la Bible, nous attendions la fin des<br />

temps des Gentils, d’une durée de 2 520 ans, pour le 1 er octobre de<br />

cette année-là. 98<br />

Voilà qui suscite une interrogation : si Russell avait pr<strong>éd</strong>it la<br />

Première Guerre, pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas débuté au moment<br />

de la fin supposée des temps des Gentils (en octobre 1914)? Cette<br />

question, soulevée dans La Tour de Garde du 1 er février 1973, a été<br />

l’objet d’une réponse plutôôt vague et confuse :<br />

Il ne devrait donc pas être étonnant que la Première Guerre mondiale ait<br />

éclaté deux mois environ avant la fin des temps des Gentils... Il n’était<br />

pas nécessaire que Satan le Diable attende que la royauté sur les<br />

nations fûût remise entre les mains de Jésus-Christ pour plonger les<br />

nations dans une guerre mondiale. Le commencement de ce conflit<br />

meurtrier entrait certainement dans ses plans visant à aveugler les<br />

humains, pour qu’ils ne discernent pas ce qui se passait dans les cieux,<br />

en accomplissement de la prophétie biblique, et pour empêcher, si cela<br />

97<br />

Le Royaume millénaire de Dieu, 1975, chap. 12, p. 343 ; voir aussi La Tour de Garde, 1 er<br />

avril 1983, p. 10.<br />

98<br />

La Tour de Garde, 1 er mai 1987, p. 26.<br />

45


Un trucage de l’Histoire<br />

était possible, le Royaume de Dieu de régner sur le monde des<br />

hommes. 99<br />

Pourtant, les Témoins de Jéhovah hésitent quant à savoir le<br />

moment exact de l’expulsion supposée de Satan et ses démons du<br />

ciel : en octobre 1914 ou après ? 100 Entre-temps, si on se réfère à la<br />

chronologie des événements relatés en Apocalypse (Révélation) 12 :<br />

7-12, « l’établissement du Royaume de Christ au ciel » qui a vu<br />

l’expulsion de Satan, devait être « suivi [et non préc<strong>éd</strong>é] d’une<br />

période marquée par une augmentation des ‘malheur[s]’ pour la terre<br />

et ses habitants » 101 puisque Satan est l’entité qui devait «provoque[r]<br />

beaucoup de souffrances, le ‘malheur’, sur la terre » seulement après<br />

avoir été chassé du ciel, pas avant. 102<br />

Quiconque étudie attentivement les théories présentées par les<br />

Témoins de Jéhovah sur ce sujet ne manquera pas d’être dérouté par<br />

les acrobaties linguistiques dont ils usent. Russell avait en vue la<br />

99<br />

La Tour de Garde, 1 er février 1973, pp. 95-96.<br />

100<br />

Dans La Tour de Garde du 15 mai 2009 (p. 18), nous lisons suite à une longue explication<br />

sur la date de l’expulsion supposée de Satan des cieux : « En résumé, la Bible ne révèle pas<br />

à quel moment précis Satan et ses démons ont été expulsés du ciel. Mais il apparaît<br />

clairement que cet événement a suivi de près l’intronisation de Jésus dans les cieux<br />

en 1914 ». La Tour de Garde du 15 mars 1974 soulignait aussi que « le récit biblique ne nous<br />

dit pas combien de temps dura cette “bataille (...) dans le ciel” opposant les saints anges<br />

aux démons » (p. 233 § 24).<br />

101<br />

La Tour de Garde, 15 février 2008, p. 22 § 6.<br />

102<br />

Qu’enseigne réellement la Bible, 2005, chap. 8, p. 80 § 4. Selon le manuel La<br />

connaissance qui mène à la vie éternelle (1995) : « Révélation 12:7-12 montre qu’après avoir<br />

reçu le Royaume Jésus allait expulser Satan et ses anges-démons du ciel, ce qui entraînerait<br />

des malheurs sur la terre. » (Chap. 10, p. 97 § 18). Cette explication induit que c’est<br />

l’expulsion des hordes démoniaques du ciel qui devait avoir pour conséquence (cf. « ce qui<br />

entrainerait ») les malheurs de la terre. Or, une autre publication laisse entendre qu’«<br />

apparemment, l’expulsion du “grand dragon” et de ses démons hors du ciel fut pleinement<br />

accomplie à la fin de la Première Guerre mondiale. » (Alors sera consommé le mystère de<br />

Dieu, chap. 21, p. 338 § 45). Suivant cette dernière affirmation — gratuite, de surcroît —<br />

Satan (le grand dragon) et ses anges-démons ont été pleinement expulsés des cieux à la fin<br />

de la Première Guerre mondiale, soit en 1918. On ne saurait donc faire de corrélation entre<br />

l’expulsion avec la Première Guerre mondiale déclenchée des années plus tôôt !<br />

46


Un trucage de l’Histoire<br />

guerre d’Harmagu<strong>éd</strong>on, comme on l’a signifié déjà, et non une simple<br />

guerre mondiale. Bernard Blandre écrit :<br />

Les Témoins de Jéhovah se félicitent de la précision du calcul<br />

aboutissant au début de la Première Guerre mondiale. On peut en<br />

penser ce que l’on veut, mais la lecture des publications de Russell<br />

prouve que ses disciples attendaient tout autre chose. Non seulement<br />

on ne pensait pas qu’une ère de désordres commencerait en 1914,<br />

mais on considérait qu’à cette date tout le système politique et<br />

ecclésiastique aurait laissé place nette au royaume de Dieu qui<br />

inaugurerait mille ans de bonheur. Juste avant, Russell et ses amis<br />

changés en êtres spirituels auraient été enlevés au ciel. 103<br />

Dans une autre publication, l’historien poursuit :<br />

On sait l’importance de l’année 1914 pour les témoins de Jéhovah:<br />

c’était à l’époque de leur précurseur Charles Taze Russell l’année oùù<br />

l’ensemble du système politique, social et religieux mondial devait<br />

s’effondrer pour faire place au millenium, le royaume de 1000 ans du<br />

Christ. Les faits attendus ne s’étant pas produits, l’année fut<br />

réinterprétée: Jésus avait installé son royaume au Ciel dont il avait<br />

expulsé Satan et ses démons. 104<br />

Joseph Rutherford a lui aussi reconnu que 1914 a été un échec<br />

prophétique :<br />

La Tour de Garde, et les publications annexes de la Société ont,<br />

pendant une quarantaine d’années, pointé le fait que 1914 marquerait<br />

l’établissement du Royaume de Dieu et la glorification complète de<br />

l’Église. […] Tout le peuple du Seigneur attendait 1914 avec une<br />

espérance mêlée de joie. Mais quand le moment arriva, puis dépassé, il<br />

y eut une grande déception, du chagrin et de l’affliction et le peuple du<br />

103<br />

Blandre, in Les Témoins de Jéhovah : un siècle d’histoire, Éditions Desclée de Brouwer,<br />

1987, p. 43.<br />

104<br />

Blandre, « Témoins de Jéhovah. 1914: Année du "commencement des douleurs"», in<br />

Mouvements religieux, Sarreguemines: Association d'Étude et d'Information sur les<br />

Mouvements Religieux, février-mars 2013, p. 18.<br />

47


Un trucage de l’Histoire<br />

Seigneur était dans le regret. Ils étaient ridiculisés par le clergé et<br />

particulièrement par leurs associés ; et on les pointait du doigt pour<br />

avoir tellement parlé de 1914 et de ce qui devait arriver, sans que leurs<br />

‘prophéties’ ne se soient réalisées. […] le peuple du Seigneur était alors<br />

dans l’humiliation. 105<br />

Les faits parlent d’eux-mêmes. Le clergé, plutôôt que d’être r<strong>éd</strong>uit<br />

au silence, s’était mis à ridiculiser les Étudiants de la Bible pour leur<br />

échec de 1914. Alors s’il est vrai que, d’après les calculs qu’ils ont<br />

adopté auprès des Adventistes et d<strong>éd</strong>uit des mesures<br />

pyramidologiques, les Étudiants de la Bible ont rattachés la fin des<br />

«temps fixés des nations » (ou « temps des Gentils »)<br />

à octobre<br />

1914, il est tout aussi vrai que les événements pr<strong>éd</strong>its ne se sont pas<br />

accomplis.<br />

Par ailleurs, un fait que les Témoins de Jéhovah semblent<br />

ignorer, c’est que l’Église mormone 106 et d’autres mouvements<br />

religieux américains revendiquent aussi le droit d’avoir pr<strong>éd</strong>it avec<br />

exactitude la Première Guerre mondiale.<br />

L’apôôtre mormon Bruce McConkie, dans sa discussion sur « Les<br />

signes des temps », après avoir indiqué que « dans chaque époque,<br />

le Seigneur envoie des signes clairs et discernables, ainsi que des<br />

avertissements si bien que ceux qui ont un penchant spirituel arrivent à<br />

connaître ses manières de proc<strong>éd</strong>er avec les hommes », fait en outre<br />

mention d’une déclaration datant du 24 juin 1894 et émanant de<br />

Wilford Woodruff (1807–1898), quatrième président des Mormons :<br />

Dieu a retenu les anges de la destruction pendant plusieurs années de<br />

peur qu’ils n’arrachent le blé avec l’ivraie. Mais, à présent, je puis vous<br />

dire que ces anges ont quitté les portails des cieux et ils se tiennent<br />

105<br />

Rutherford, in Light, vol. I, 1930, pp. 194, 198.<br />

106<br />

Encore appelée : « L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ». Ce<br />

mouvement américain est né en 1830 sous l’impulsion du « prophète » Joseph Smith.<br />

48


Un trucage de l’Histoire<br />

désormais au-dessus de ce peuple et de cette nation et ils survolent la<br />

terre, dans l’attente de déverser les jugements. Et à partir de ce jour, ils<br />

seront déversés. Les calamités et les troubles accroissent sur la terre, et<br />

il y a une signification à ces choses. [...] De grands changements sont<br />

à nos portes. Les vingt prochaines années verront de puissants<br />

changements parmi les nations de la terre (Discourses of Wilford<br />

Woodruff, p. 230).<br />

McConkie fait alors remarquer: « Il est intéressant de noter que<br />

quelque 20 années plus tard à compter de ce jour, le 28 juin 1914,<br />

l’archiduc Ferdinand d’Autriche fut assassiné, déclenchant ainsi la<br />

Première Guerre mondiale. » 107<br />

William A. Redding suggéra en 1896 que les « temps<br />

des<br />

Gentils » avaient pris fin cette même année, mais que<br />

les gouvernements de la terre seront autorisés à tenir débout et à<br />

s’amenuiser pendant 18 ans... et cela fait que leur fin définitive et leur<br />

disparition de la terre arrivera en 1914, puisque 18 années ajoutées à<br />

1896 renvoie à 1914, qui correspond justement à 2520 ans depuis 606<br />

avant notre ère... Le présent ordre de choses sera dans la désolation et<br />

sa destruction totale surviendra en 1915. 108<br />

Dans son livre Signposts of History (Les poteaux indicateurs de<br />

l’Histoire), J. Bernard Nicklin fait mention de certains auteurs comme<br />

le Dr. Henry Grattan Guinness et T. H. Salmon qui avaient indiqué que<br />

les « temps des Gentils », une période longue de 2520 ans,<br />

expireraient en 1914-1915 109 . Salmon, particulièrement, « suggéra<br />

qu’avec cette expiration l’on verrait la guerre à une grande échelle. »<br />

107<br />

Bruce McConkie, « Signs of the Times », in Mormon Doctrine (2 nd <strong>éd</strong>., Salt Lake City:<br />

Bookcraft, 1966, p. 715; http://www.gospeldoctrine.com/content/signs-times.<br />

108<br />

Redding, Our Near Future: A Message to All the Governments and People of Earth<br />

(Peekskill-on-Hudson, N.Y.: Ernest Loomis & Co., 1896, pp. 25-30.<br />

109<br />

Il faut signaler que le Dr. Henry Grattan Guinness avait proposé, outre l’année 1915,<br />

d’autres dates pour la fin des “temps des Gentils” : 1917, 1923 et 1934. — Cf. Jonsson, in<br />

The Gentiles Times Reconsidered, op. cit., p. 236.<br />

49


Un trucage de l’Histoire<br />

Nicklin rapporte alors ces propos tirés du livre Christ is coming de<br />

Salmon datant de 1910 : « Il semble probable que quelque temps<br />

entre maintenant et 1914, les nations entreront en guerre. » Nicklin de<br />

préciser : « Ainsi, à l’été de 1914, quand la Grande Guerre<br />

déclencha, il a certainement semblé que le résultat des recherches de<br />

ces auteurs était confirmé par les événements. » 110<br />

Nicklin se réfère ensuite à David Davidson, auteur du livre The<br />

Great Pyramid : Its Divine Message (La Grande Pyramide : Son<br />

message divin) qui, sur la base des mesures obtenues à partir de la<br />

Pyramide — tout comme Russell —, avait déterminé la date du 4-5<br />

aoûût 1914, date oùù « la Grande-Bretagne déclara la guerre à<br />

l’Allemagne. » 111<br />

Blanton Duncan est un autre auteur qui avait, dans son livre The<br />

Near Approach of Christ’s Second Advent (L’approche prochaine du<br />

Second Advent de Christ) publié en 1887, proposé son interprétation<br />

des temps prophétiques du livre de Daniel et de la fin des « temps<br />

des Gentils ». Duncan « était arrivé à la date 1913-1914, croyant<br />

qu’elle marquerait le temps oùù s’accomplirait un événement<br />

merveilleux, et que cet événement serait sans doute le second advent<br />

de Christ.» 112<br />

Andrew N. Dugger (1886-1975), illustre ministre du Church of<br />

God, Seventh Day (Église du Christ, Septième Jour) qui devint l’<strong>éd</strong>iteur<br />

de The Bible Advocate, a rappelé ce que son père, A. F. Dugger,<br />

avant annoncé avant sa mort en 1910 :<br />

110<br />

Nicklin, in Signposts of History (Merrimac, Mass.: Destiny Publishers, 1956), p. 19.<br />

111<br />

Ibid., p. 64; La Tour de Garde, 15 octobre 1990, p. 16.<br />

112<br />

Duncan, in The Near Approach of Christ’s Second Advent (Louisville, Ky.: Bradley and<br />

Gilbert, 1887), p. 15. Cité par Wayne A. Scriven, “Date-Setting in America for the Second<br />

Coming of Christ During the Late Nineteenth and Early Twentieth Century” (M.A. Thesis,<br />

Seven-day Adventist Theological Seminary, 1947), pp. 66-67.<br />

50


Un trucage de l’Histoire<br />

Before his death he gave me his old Bible, and had written across this<br />

12th chapter, in his own handwriting: "The coming world war will take<br />

place in 1912 to 1914." 113<br />

Que nous traduisons ainsi:<br />

Avant sa mort, il me donna sa vieille Bible dans laquelle il avait écrit à<br />

travers ce chapitre 12 [du livre de Daniel], de sa propre main : "La<br />

guerre mondiale qui vient aura lieu entre 1912 et 1914."<br />

Au vu de ces faits, il apparaît que le sujet des « temps des<br />

Gentils » occupait une place importante dans le<br />

prophétisme<br />

américain du XIX e siècle. Prétendre que Russell et ses associés<br />

auraient pr<strong>éd</strong>it avec exactitude, Bible à l’appui, et plusieurs années en<br />

avance, de grands événements pour 1914, se révèle être une relecture<br />

tronquée de l’Histoire.<br />

113<br />

Dugger, in Daniel and the Book of Revelation, <strong>éd</strong>. Shabbat Shalom Publishing House,<br />

Richard C. Nickels, 2013, p. 53. La première <strong>éd</strong>ition du livre fut publiée à Jérusalem en 1960<br />

par la Mount Zion Reporter Press.<br />

51


Un trucage de l’Histoire<br />

3. Le Royaume de Dieu établi « dans les cieux » ?<br />

Contexte historique<br />

EN MATTHIEU 6 : 10, Jésus a enseigné une prière à ses<br />

disciples, le « Notre Père », qui incluait cette phrase adressée à<br />

Dieu : « Que ton royaume vienne. » Vienne oùù ? Manifestement sur la<br />

terre, comme l’indique l’autre partie du verset : « Que ta volonté se<br />

fasse, comme dans le ciel, aussi sur la terre. »<br />

Dans la première partie de notre enquête, nous indiquions<br />

d’après une remarque de Bernard Blandre, que les crises qui<br />

secouaient le monde et particulièrement les États-Unis, avaient<br />

poussé certains à ne trouver « d’autre solution à leurs problèmes que<br />

l’attente du royaume de Dieu... » Nous soutenions que Russell était<br />

au nombre de ceux qui attendaient ce Royaume.<br />

Les propos extraits de la brochure Unis pour faire la volonté de<br />

Dieu, qui font l’objet de notre étude, laisse entendre que Russell et<br />

ses associés auraient discerné que « le Royaume de Dieu serait établi<br />

dans les cieux ». Cette affirmation réapparaît dans un autre livre<br />

publié par la Watch Tower and Tract Society en 1979 :<br />

Par ailleurs, le reste des Israélites spirituels s’attendaient depuis<br />

des dizaines d’années, pour être plus précis depuis 1876, que<br />

les temps des Gentils prennent fin en automne 1914. Ils<br />

espéraient que le Royaume messianique de Dieu serait alors<br />

pleinement établi dans les cieux... 114<br />

Vraiment « dans les cieux » ?<br />

Nous avons vu que, selon Russell, le Royaume de Dieu avait déjà<br />

commencé à exercer le pouvoir invisiblement en 1878. Au sujet de<br />

114<br />

Fin prochaine de la détresse mondiale, op. cit., chap. 8, p. 135 § 15.<br />

52


Un trucage de l’Histoire<br />

1914, les documents originaux montrent qu’il a pr<strong>éd</strong>it l’établissement<br />

du Royaume sur la terre (comme enseigné dans le « Notre Père »), et<br />

non dans les cieux comme le prétendent honteusement les Témoins<br />

de Jéhovah. Laissons plutôôt parler les textes :<br />

C’est ainsi que viendra le Royaume de Dieu, et que sa volonté sera faite<br />

sur la terre comme elle est faite au ciel. C’est ainsi que régnera le Christ<br />

comme Représentant du Père, jusqu’à ce qu'il ait abattu toute autorité<br />

et toute puissance antagonistes, et obligé tout genou à se plier et toute<br />

langue à confesser la sagesse, la justice, l'amour et la puissance de<br />

Dieu le Père. […] Le Royaume de Dieu sera alors sur la terre, comme il<br />

l’est maintenant au ciel parmi les anges. 115<br />

Dans ce chapitre, nous présenterons les preuves bibliques démontrant<br />

[…] que le Royaume de Dieu pour lequel notre Seigneur nous a<br />

enseignés à prier en disant : “Que ton Règne vienne”, aura obtenu à<br />

cette date l’autorité universelle et qu’il sera alors “suscité” ou fermement<br />

établi sur la terre. 116<br />

... Avant cette date [1914], le Royaume de Dieu — organisé en<br />

puissance — sera sur la terre; qu’il aura frappé et écrasé la statue des<br />

nations gentiles... 117<br />

Ce n’est qu’à la plénitude des temps des Gentils (octobre 1914) que<br />

nous nous attendons à voir la phase terrestre du Royaume de Dieu [...].<br />

La phase terrestre du Royaume de Dieu, au moment de son<br />

établissement, sera israélite... 118<br />

Ces propos de Russell démolissent la fausse affirmation des<br />

Témoins de Jéhovah. Il a annoncé l’établissement du Royaume de<br />

115<br />

Russell, in La bataille d’Harmagu<strong>éd</strong>on, 1897, p. 712.<br />

116<br />

Russell, in Le temps est proche, p. 73.<br />

117<br />

Ibid., p. 74.<br />

118<br />

Russell, in La bataille d’Harmagu<strong>éd</strong>on, pp. 624, 625.<br />

53


Un trucage de l’Histoire<br />

Dieu sur la terre pour écraser les puissances humaines et la chrétienté<br />

devait être « completely destroyed » 119 (détruite complètement).<br />

Il faut aussi rappeler un point important : Russell était un sioniste<br />

dévoué 120 . Lors d’une adresse à l’hippodrome Theater de New York à<br />

un auditoire composé de milliers de Juifs sur le sujet « Le sionisme<br />

dans la prophétie », Russell a désigné Theodor Herzl, Juif hongrois<br />

qui a fondé l’Organisation sioniste mondiale en 1897, comme étant un<br />

« envoyé de Dieu » et « suscité par la Providence comme conducteur<br />

du peuple juif.» 121<br />

Russell croyait donc au rétablissement terrestre du royaume<br />

théocratique d’Israël en Palestine grâce au sionisme 122 ; la Jérusalem<br />

qui devait être « foulée aux pieds par les nations » désignait dans<br />

l’entendement des Étudiants de la Bible, la Jérusalem terrestre, et non<br />

une quelconque « Jérusalem céleste » 123<br />

comme l’interprètent<br />

aujourd’hui les Témoins de Jéhovah 124 . Dominique Dott écrit :<br />

119<br />

Zion’s Watch Tower, 15 janvier 1892, p. 1355.<br />

120<br />

Voir Davis Horowitz, in Pastor Charles Taze Russell: An Early American Christian Zionist,<br />

Philosophical Library, 1986.<br />

121<br />

United lsrael Bulletin, mars 1971, 507, 5 e Avenue, New York (N.Y.) :<br />

http://pyramide.bible.free.fr.<br />

122<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 10, p. 141.<br />

123<br />

Ibid.¸ chap. 10, pp. 141-142.<br />

124<br />

La déclaration de Jésus en Luc 21: 24 s’applique dans le contexte à la Jérusalem<br />

terrestre, comme le reconnaissent les Témoins de Jéhovah en ces mots : « C’est<br />

manifestement la ville de Jérusalem au sens littéral qui est concernée par les propos de Jésus<br />

au sujet de la destruction qui devait venir et qui vint effectivement sur cette ville en l’an 70 de<br />

notre ère lorsque les Romains la démolirent » (cf. Étude perspicace, vol. II, p. 1056.)<br />

Toutefois, ils précisent que « si le début de la prophétie de Jésus consignée en Luc 21:24<br />

s’est appliqué à la Jérusalem terrestre, la fin de la même prophétie, elle, se rapporte<br />

nécessairement à la “Jérusalem céleste” » (cf. La Tour de Garde du 1 er février 1985, p. 12).<br />

Pourquoi « nécessairement » ? Parce que, selon les Témoins, « Jérusalem était la capitale<br />

de la nation d’Israël, et on disait de ses rois de la lignée de David qu’ils ‘siégeaient sur le<br />

trôône de Jéhovah’. (1Ch 29:23.) De ce fait, Jérusalem représentait le siège du gouvernement<br />

divinement constitué, ou royaume typique de Dieu, qui opérait par l’interm<strong>éd</strong>iaire de la<br />

maison de David. » (cf. Étude perspicace, vol. II, pp. 1056-1057.) Cette d<strong>éd</strong>uction est<br />

54


Un trucage de l’Histoire<br />

Les 40 ans allant de 1874 à 1914 seraient une période de trouble sans<br />

préc<strong>éd</strong>ent durant laquelle les Juifs seraient rétablis, les gouvernements<br />

non-juifs anéantis et le Royaume de Dieu établi. 125<br />

Rien de tel ne s’est accomplit en 1914. Ce qui fait dire à Alan<br />

Rogerson :<br />

En dépit de ce que racontent les Témoins, Russell n’a pas cru que 1914<br />

marquerait l’établissement du Royaume de Dieu dans les cieux (cela<br />

s’était produit en 1878) et il ne croyait certainement pas que 1914 serait<br />

suivie par une autre génération de conflits sans aucune intervention par<br />

Dieu. [...] La conclusion principale que l’on puisse tirer de tout ceci,<br />

c’est que<br />

Russell (à l’évidence) était obs<strong>éd</strong>é par les temps<br />

prophétiques, la plupart étant erronés. L’opinion moderne parmi les<br />

Témoins de Jéhovah est que Russell avait raison en ce qui concerne<br />

1914, mais un tel avis est basé sur une méconnaissance de ses<br />

écrits. 126<br />

On ne saurait mieux dire...<br />

spécieuse : Tout d’abord, si Jérusalem (la terrestre) était « l’instrument par lequel Jéhovah<br />

exprimait sa souveraineté légitime concernant la terre » (cf. Étude perspicace, vol. II, p. 158),<br />

il convient aussi de préciser que cette ville fut « foulée aux pieds » en raison de son infidélité<br />

et les puissances gentiles qui l’ont foulé étaient des instruments de Jéhovah pour punir la ville<br />

et ses habitants. (cf. Étude perspicace, vol. II, p. 1036 ; La Tour de Garde du 15 décembre<br />

1971, pp. 761-762). Le foulage de Jérusalem ne peut donc s’appliquer à la « Jérusalem<br />

céleste » puisque cette dernière n’a jamais été infidèle à Dieu. Ensuite, sous le règne des<br />

Maccabées, pendant près de 80 ans (de 142 à 63 avant notre ère), Jérusalem n’a été ni<br />

vassale ni tributaire de nations gentiles. (cf. La Tour de Garde, 15 novembre 1998, pp. 21-<br />

24. Voir aussi Étude perspicace, vol. II, p. 10 ; voir 1 Maccabées 4:36-54 ; 2 Maccabées<br />

10:1-8, Bible de Jérusalem.) Enfin, si la ville de Jérusalem (qui était la capitale du royaume<br />

de Juda) en vint à symboliser la royauté de Jéhovah, c’était en raison de son alliance avec<br />

David ; or, dans la lignée davidique, c’est Josias (Yoshiya) qui fut le dernier roi légal du<br />

royaume théocratique de Juda, et non S<strong>éd</strong>écias (Tsidqiya). — 1 Chroniques 28 : 5; 29 : 23 ;<br />

Jérémie 3: 17 ; 14 : 21 ; Ézékiel 43 : 7 ; voir mon dossier 1914 : Jésus est-il présent<br />

invisiblement depuis cette date ? L’anatomie herméneutique d’un discours prophétique<br />

(2014).<br />

125<br />

Dott, in Les Témoins de Jéhovah, op. cit., p. 6.<br />

126<br />

Rogerson, in Millions Now Living Will Never Die, op. cit., pp. 20-22. L’italique apparaît<br />

dans l’original.<br />

55


Un trucage de l’Histoire<br />

4. Sur le retour du Christ :<br />

Une étude approfondie et impartiale de la Bible ?<br />

LA CRISE spirituelle précoce de Charles Taze Russell l’avait<br />

amené aux pieds des Adventistes oùù il sera abreuvé de spéculations<br />

prophétiques. D’infidèle qu’il était, son incr<strong>éd</strong>ulité se métamorphosa<br />

au contact de ceux qui devinrent très tôôt ses associés. Le livre<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs se réfère à ces derniers comme ayant influencé Russell à<br />

cette époque cruciale de sa vie :<br />

Charles Russell a parlé très franchement de l’aide que d’autres<br />

personnes lui avaient apportée dans son étude de la Bible. Non<br />

seulement il a reconnu qu’il était redevable à l’adventiste Jonas Wendell,<br />

mais il a aussi parlé avec affection de deux autres hommes qui l’avaient<br />

aidé dans l’étude de la Bible. Il a dit de ces derniers: “L’étude de la<br />

Parole de Dieu avec ces chers frères a conduit, pas à pas, à des<br />

pâturages plus verdoyants.” L’un, George Stetson, était un étudiant<br />

assidu de la Bible, pasteur de l’Église chrétienne de l’avènement<br />

d’Edinboro (Pennsylvanie). L’autre, George Storrs, né le 13 décembre<br />

1796, était l’<strong>éd</strong>iteur de la revue Bible Examiner (Le scrutateur de la<br />

Bible), à Brooklyn, un district de New York. 127<br />

Trois noms apparaissent ici: Jonas Wendell, George Stetson et<br />

George Storrs. L’un d’eux — il s’agit de Wendell — est mentionné<br />

comme étant un adventiste. Et les deux autres ?<br />

Dans notre première section portant sur la « Présence invisible<br />

de Jésus », nous avons montré que Wendell était ce pr<strong>éd</strong>icateur qui<br />

de par sa pr<strong>éd</strong>ication avait relevé la foi chancelante de Russell. Nous<br />

précisions alors qu’il était de l’Advent Christian Church (Église<br />

chrétienne de l’avènement) de Pennsylvanie, exactement dans la<br />

même congrégation adventiste oùù George Stetson était pasteur.<br />

127<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 5, p. 45; cf. chap. 10, p. 120.<br />

56


Un trucage de l’Histoire<br />

Wendell qui, autrefois, avait été un disciple de William Miller et<br />

victime du Great Disappointment, « devint un Second Adventiste après<br />

l’échec millérite de 1843. » 128 Il se joignit alors à un ministre baptiste<br />

de Rochester (New York), John C. Bywater, pour publier un journal<br />

intitulé The Watchman (le guetteur) qui prévoyait l’advent du Seigneur<br />

en 1850 129 , date que défendait également Enoch Jacobs, <strong>éd</strong>iteur de<br />

The Western Midnight Cry 130 (Le cri de minuit occidental).<br />

Cette pr<strong>éd</strong>iction ayant aussi échoué, Wendell porta ses regards<br />

vers une autre date : 1854. Cette date fut proposée par un ex-Millérite<br />

éloquent, Jonathan Cummings, qui prétendait avoir reçu une<br />

« nouvelle lumière » relative à la chronologie. 131 Plusieurs Adventistes<br />

se sont joints à lui pour proclamer l’advent du Christ avec la parution<br />

d’un journal, le World’s Crisis (La crise mondiale).<br />

L’échec de cette énième pr<strong>éd</strong>iction ne rebuta pas Wendell si bien<br />

qu’il se tourna vers 1868, une autre date qui fut l’objet d’un article<br />

intitulé « The Year of my Redeemer is Come » (L’année de mon<br />

R<strong>éd</strong>empteur est arrivée), qu’il publia dans un journal adventiste au<br />

mois de février de la même année. 132<br />

La date prévue, une fois de plus, est arrivée et passée « sans<br />

que Jésus ne soit apparu. » 133 Mais Wendell n’était pas du genre à se<br />

128<br />

B. W. Schulz & R. M. de Vienne, in A Separate Identity: Organizational Identity Among<br />

Readers of Zion’s Watch Tower: 1870-1887, 2014, p. 63.<br />

129<br />

Wellcome, in History of the Second Advent Message and Mission, op. cit., p. 585; Schulz &<br />

de Vienne, in A Separate Identity, op. cit., p. 64.<br />

130<br />

Jacobs, « Matthew 24 th and 25 th Chapters (Concluded) », in The Western Midnight Cry,<br />

1844.<br />

131<br />

Schulz & de Vienne, in A Separate Identity, op. cit., pp. 67-68; Jonsson, in The Gentiles<br />

Times Reconsidered, op. cit., pp. 42, 43.<br />

132<br />

Wendell, «The Year of my Redeemer is Come », in The World’s Crisis and Second Advent<br />

Messenger, 11 mars 1868.<br />

133<br />

Schulz & de Vienne, in A Separate Identity, op. cit., p. 72.<br />

57


Un trucage de l’Histoire<br />

décourager. Plus confiant que les autres fois, il s’intéressa à une autre<br />

date, 1873, qui marquerait la fin de 6000 ans d’histoire humaine,<br />

selon que le défendait Nelson Barbour. 134 Comme le fait valoir<br />

Jonsson, cette date (1873) « fut adoptée par de nombreux Seconds<br />

Adventistes, particulièrement ceux de l’Advent Christian Church avec<br />

lesquels Barbour va évidemment s’associer pendant un nombre<br />

d’années. » 135<br />

L’une des raisons d’une telle acceptation générale dans le milieu<br />

adventiste était liée au fait que cette date n’était pas nouvelle pour<br />

eux. À en croire Barbour, William Miller lui-même aurait évoqué cette<br />

date après l’échec prophétique de 1843 136 . D’autres auteurs, comme<br />

John Fry (en 1835), George Duffield (en 1842) et l’adventiste Joseph<br />

Marsh (en 1853) avaient proposé la même date. 137<br />

Ayant hérité de cette chronologie, Charles Russell et ses<br />

Étudiants adopteront eux aussi le point de vue que « 6 000 ans<br />

d’histoire humaine s’étaient achevés en 1873, que depuis ils vivaient<br />

le septième millénaire de cette histoire et qu’ils étaient à coup sûûr<br />

proches de l’aurore du Millénium annoncé.» 138<br />

Par le biais de Wendell, Russell rencontre George Stetson<br />

(1814-1879) et George Storrs (1796-1879). Storrs était un expr<strong>éd</strong>icateur<br />

méthodiste qui avait rejoint le mouvement millérite en<br />

134<br />

Jonas Wendell, in The Present truth; or Meat in Due Season (Edenboro, Pa.: Jonas<br />

Wendell, 1870, pp. 35-36.<br />

135<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered, op. cit., p. 45, note 41.<br />

136<br />

Barbour, in Evidences for the Coming of the Lord in 1873; or the Midnight Cry, 1870, pp.<br />

33-34.<br />

137<br />

Cf. LeRoy Edwin Froom, in The Prophetic Faith of Our Fathers, op. cit., vol. III, 1946, pp.<br />

496, 497; vol. IV, 1954, p. 337; David Tallmadge Arthur, in “Come out of Babylon”: A Study<br />

of Millerite Separatism and Denominationalism, 1840–1865 (unpublished Ph.D. dissertation,<br />

University of Rochester, 1970), p 360.<br />

138<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 28, p. 631.<br />

58


Un trucage de l’Histoire<br />

1842 pour proclamer l’advent du Christ. La Tour de Garde du 15<br />

octobre 2000 (p. 28) souligne que « pendant environ deux<br />

ans,<br />

Storrs participa activement à la pr<strong>éd</strong>ication de ce message dans tout<br />

le nord-est des États-Unis. »<br />

Suite au premier échec de 1843 qui amena Samuel S. Snow à<br />

recalculer la date de l’advent sur la base du calendrier juif (karaïte) et<br />

à déterminer celle du 10 e jour du 7 e mois juif (appelé Tishri), soit le<br />

22 octobre 1844, Storrs publia à son tour dans le numéro du 24<br />

septembre 1844 de son Bible Examiner (Le scrutateur de la Bible), à<br />

seulement quelques jours de la date fatidique, sa conviction<br />

complète en la réalisation de cette prophétie :<br />

Je récupère mon stylo avec des sentiments comme jamais éprouvés<br />

auparavant. Dans mon esprit, il n’y a pas de doute : le 10 e jour du 7 e<br />

mois verra apparaître la révélation de notre Seigneur Jésus Christ sur les<br />

écluses des cieux. 139<br />

Quand vint le 22 octobre 1844, Storrs en fut amèrement déçu. Il<br />

écrira en cause de son désespoir :<br />

Après avoir été convaincu que nous nous étions trompés quant au<br />

temps précis ou moment exact du second advent de notre Seigneur...<br />

je m’en tiens, dès à présent, au fait que le moment exact — le jour,<br />

l’heure ou l’année — de l’advent n’est pas révélé dans la Bible. Ceux qui<br />

croient le contraire continueront de faire leurs calculs, de donner des<br />

jours, des mois et des années ; mais le temps prouvera probablement,<br />

comme cela s’est répété encore et encore, qu’ils « travaillent en vain et<br />

que leur force est nulle. » 140<br />

139<br />

Cf. Wellcome, in History of the Second Advent Message and Mission, op. cit., p. 358.<br />

140<br />

Cf. Wellcome, in History of the Second Advent Message and Mission, op. cit., p. 370; voir<br />

aussi D. T. Arthur, in “Come out of Babylon”: A Study of Millerite Separatism and<br />

Denominationalism, op. cit., pp. 89-92.<br />

59


Un trucage de l’Histoire<br />

Dès cet instant, Storrs « ne s’aventura plus à fixer de date pour<br />

le retour du Christ. » 141 N’empêche que le jeune Russell, assoiffé<br />

théologiquement et prophétiquement, fut « au nombre de ceux qui se<br />

sont associés à George Storrs » 142 et dans cette association, Russell<br />

« adopta plusieurs, si ce n’est une grande partie de ses<br />

enseignements » 143 — notamment au sujet de l’enfer, du dogme<br />

trinitaire, de l’immortalité conditionnelle de l’âme etc. Pas étonnant<br />

que Russell ait exprimé « sa gratitude à Storrs pour toute l’aide qu’il<br />

lui avait apportée, tant oralement que par écrit.» 144<br />

Pour tout dire, comme l’indique le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs, Russell « a<br />

parlé avec reconnaissance du bon travail que divers mouvements de<br />

la Réforme avaient accompli dans le but de faire davantage briller [ce<br />

qu’il croyait être] la lumière de la vérité. » 145<br />

En regardant ces faits avec tout le recul nécessaire, une chose<br />

devient évidente : les hommes qui ont contribué à relever la foi<br />

chancelante du jeune Russell et à le propulser à la tête d’un<br />

mouvement religieux (les Étudiants de la Bible), étaient tous issus de<br />

la chrétienté, des Adventistes déçus qui partageaient un trait<br />

commun: la pr<strong>éd</strong>iction de l’advent du Christ sur la base de certains<br />

calculs supposés bibliques et entremêlés avec les données<br />

pyramidologiques.<br />

Russell qui évoluait comme une jeune pousse à cette époque, et<br />

qui était « une proie facile de la logique apparente du rationalisme »,<br />

trouva satisfaction aux théories que lui inculquaient ses paires sous le<br />

141<br />

La Tour de Garde, 15 octobre 2000, p. 28.<br />

142<br />

La Tour de Garde, 15 aoûût 2006, p.13.<br />

143<br />

Jerry Bergman, in Jehovah’s Witnesses and Kindred Groups: A Historical Compendium and<br />

Bibliography (New York: Garland, 1984), p. 58.<br />

144<br />

La Tour de Garde, 15 aoûût 2006, p.13.<br />

145<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, op. cit., chap. 10, p. 120. J’ai ajouté les crochets.<br />

60


Un trucage de l’Histoire<br />

vernis de vérités bibliques. « En conséquence, explique Jonsson, sur<br />

tous les points essentiels, le mouvement des Étudiants de la Bible de<br />

Russell peut être décrit comme une autre ramification du mouvement<br />

millérite. » 146 Prétendre donc que Russell et quelques-uns de ses<br />

amis s’étaient livrés à une étude approfondie et impartiale de la Bible<br />

en rapport avec le retour du Christ, repose sur une imagination fertile.<br />

Les Étudiants de la Bible ont plutôôt hérité de toutes leurs croyances de<br />

la part des Adventistes déçus issus du mouvement millérite. 147<br />

Tentant d’escamoter cette réalité historique, les Témoins de<br />

Jéhovah sont allés jusqu’à insinuer qu’après l’échec prophétique de<br />

Miller en 1843, les Étudiants de la Bible qui vinrent à l’existence<br />

quelque 30 années plus tard « n’avaient pas de liens avec les<br />

adventistes et [...] n’étaient affiliés à aucune des sectes de la<br />

chrétienté. » Les Étudiants auraient étudié la Parole de Dieu « en<br />

toute indépendance, se gardant de scruter la Bible à travers les<br />

lunettes des sectes. » 148<br />

Cette vision déformée des faits est très vite contredite dans le<br />

même ouvrage, à la page suivante, oùù il est indiqué que « Russell se<br />

joignit à Nelson H. Barbour » 149 qui était un adventiste. 150 La Tour de<br />

Garde du 1 er octobre 1973 relatait :<br />

Finalement, le groupe d’étude biblique de Russell, à Pittsburgh, se<br />

joignit à celui de Barbour, et Russell devint co-r<strong>éd</strong>acteur du Messager<br />

du matin. 151<br />

146<br />

Jonsson, in The Gentiles Times Reconsidered, op. cit., p. 43.<br />

147<br />

Voir Roger W. Coon, « Watch Tower’s Debt to Seventh-day Adventism: A fascinating<br />

footnote to History », in The Ministry, octobre 1969, pp. 35, 36.<br />

148<br />

Le Royaume millénaire de Dieu s’est approché, op. cit., chap. 11, p. 183 § 4.<br />

149<br />

Ibid., chap. 11, p. 184 § 6.<br />

150<br />

La Tour de Garde, 1 er mars 1989, pp. 22-23 § 17.<br />

151<br />

La Tour de Garde, 1 er octobre 1973, p. 587 § 7.<br />

61


Un trucage de l’Histoire<br />

Il y a ainsi eu jonction entre les Étudiants de la Bible et des<br />

Adventistes. Russell a lui-même souligné qu’en remontant jusqu’en<br />

1871, « nous constatons que plusieurs de nos compagnons étaient<br />

ceux qu’on désigne comme les Seconds Adventistes. » 152 Le livre<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs rapporte également ces paroles de Russell:<br />

C’est un fait [que la chronologie dont nous nous servons] fut<br />

pratiquement employée sous la forme oùù nous la présentons,<br />

longtemps avant nos jours, de même que les diverses prophéties que<br />

nous employons furent utilisées dans un but différent par les<br />

adventistes; et tout comme les doctrines que nous soutenons et qui,<br />

elles aussi, semblent si récentes, si neuves et si différentes, ont été<br />

déjà soutenues d’une certaine manière longtemps avant nous... 153<br />

Melvin Dotson Curry en d<strong>éd</strong>uit :<br />

Un fait demeure vrai pour autant : toute la structure théologique de<br />

Russell est pénétrée de la terminologie adventiste, de l’insistance<br />

adventiste sur les types, les antitypes et les dispensations parallèles ; et<br />

particulièrement ses doctrines relatives à la présence invisible de Christ,<br />

à la rançon, à l’élection, à la restitution, au conditionalisme et à<br />

152<br />

Zion’s Watch Tower, février 1881, p. 3.<br />

153<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, op. cit., chap. 5, p. 49. Les Témoins de Jéhovah n’ignorent pourtant pas<br />

que les croyances des Étudiants de la Bible étaient un folklore d’autres groupements religieux.<br />

Mais ils avancent que « Russell a employé toutes ses ressources à les diffuser dans le monde<br />

entier, à une échelle qu’aucun individu ni aucun groupe n’avait égalée. » (Ibid., chap. 28, p.<br />

622). Mais, d’un point de vue biblique, avoir un excès de zèle ou faire preuve de<br />

prosélytisme, cela ne prouve pas la rectitude de ce qui est proclamé. (Romains 10 : 2 ;<br />

Galates 1 : 14 ; Philippiens 3 : 6). Qui plus est, l’enthousiasme de Russell à propager ce<br />

qu’il tenait pour des vérités bibliques, s’explique aisément par son background d’homme<br />

d’affaires : ayant investi près de 250 000 dollars dans la Zion's Watch Tower Tract Society<br />

qu’il venait de créer, qui n’était pas « une ‘société religieuse’ dans le sens ordinaire du<br />

terme » mais « une simple association d'affaires » (cf. Zion's Watch Tower, <strong>éd</strong>ition spéciale,<br />

avril 1894, pp. 55-60 ; Zion's Watch Tower, octobre 1894, p. 330), il parvint à mettre en<br />

place des méthodes de merchandising pour la vente de ses publications à travers de<br />

nombreux pays. Ce qui ne fut pas sans succès.<br />

62


Un trucage de l’Histoire<br />

l’universalisme, étaient enseignées par de nombreux pr<strong>éd</strong>icateurs<br />

adventistes. 154<br />

David et James Penton renchérissent:<br />

Bien que Russell ne se soit jamais considéré lui-même comme un<br />

Second Adventiste, plusieurs de ceux qui l’ont influencé l’étaient. [...]<br />

Les Étudiants de la Bible étaient, d’une manière ou d’une autre, les<br />

héritiers de William Miller au point oùù ils ont tenté de calculer le temps<br />

de la présence de Christ ou de son second advent à partir des livres de<br />

Daniel, l’Apocalypse et d’autres livres prophétiques de la Bible. 155<br />

Il faut se rendre à l’évidence : le parangon chronologique dont<br />

s’était servi Russell dans ses écrits provenait de ses formateurs<br />

adventistes. Les Étudiants de la Bible ont donc effectivement eu des<br />

liens étroits avec les Adventistes, une secte de la chrétienté, au grand<br />

dam des Témoins de Jéhovah qui veulent simplement truquer<br />

l’Histoire. Le mobile d’une telle falsification est clairement évoqué<br />

dans les propos qui suivent :<br />

De nos jours, les Témoins de Jéhovah constituent également une famille<br />

chrétienne heureuse. On ne peut voir en eux une secte, car ils ne sont<br />

pas les disciples d’un enseignant ou d’un maître humain, ni la<br />

ramification d’une Église ou d’une autre confession. 156<br />

Les Témoins de Jéhovah constituent-ils une secte? Certains définissent<br />

une secte comme un groupement qui s’est coupé d’une religion établie.<br />

D’autres appliquent ce terme à un mouvement qui suit un chef ou un<br />

enseignant humains. Le mot est généralement pris dans un sens<br />

péjoratif. Cependant, les Témoins de Jéhovah ne sont pas une<br />

154<br />

Curry, in « Jehovah’s Witnesses: The Effects of Millennarianism on the Maintenance of a<br />

Religion Sect ». Ph.D. diss.: Florida State University, Tallahassee, Fla., 1980, p. 131.<br />

155<br />

D. Penton et J. Penton, in « A Case of Science, Pseudo-Science and Religion-<br />

Pyramidology in the Adventist-Bible Student Tradition », 1998, pp. 7, 9.<br />

156<br />

La Tour de Garde, 15 décembre 1983, p. 9.<br />

63


Un trucage de l’Histoire<br />

ramification d’une autre Église. Parmi eux figurent des personnes de<br />

toutes origines sociales et religieuses. De plus, c’est en Jésus Christ et<br />

non en quelque humain qu’ils saluent leur Conducteur. 157<br />

On s’en doute, c’est afin d’éviter les qualifications de « secte »<br />

ou de « ramification [...] d’une autre confession » que les Témoins<br />

de Jéhovah ont essayé de faire croire que les Étudiants de la Bible —<br />

dont ils sont issus — n’ont pas eu de liens avec les Adventistes ou<br />

une autre secte de la chrétienté. Pourtant, on ne peut cacher le soleil<br />

avec la main. Blandre l’exprime en des termes francs :<br />

C’est donc dans la crise de l’adventisme qu’il faut chercher l’origine des<br />

Étudiants de la Bible. Mais si Russel ne resta pas dans l’église<br />

adventiste, il n’en conserva pas moins ses deux doctrines : mortalité de<br />

l'âme et millénarisme. 158<br />

Or, puisqu’ils sont issus de la grande famille des Étudiants de la<br />

Bible, les Témoins de Jéhovah constituent eux aussi une<br />

«ramification [...] d’une autre confession. » En effet, bien que le mot<br />

secte soit difficile à définir avec exactitude, et ait acquis une<br />

connotation péjorative et variée au fil du temps dans l’entendement du<br />

public, son étymologie ne laisse planer aucun doute sur son sens<br />

neutre. Dérivant du latin secta et du grec αἵρεσις (hérésie en<br />

français), il désigne : une voie que l’on suit, un parti, un choix et, par<br />

suite, « un groupe d’hommes qui se séparent d’autres et suivent leur<br />

propre doctrine. » 159<br />

Cette séparation laisse supposer que les<br />

séparatistes accusent les autres d’une certaine déviation doctrinale ou<br />

idéologique. Nathalie Luca explique :<br />

157<br />

Comment raisonner, op. cit., pp 396-397.<br />

158<br />

Blandre, « Russel et les étudiants de la Bible (1870-1916) », op. cit., p. 185.<br />

159 J. Thayer, in A Greek-English Lexicon of the New Testament, 1889, p. 16; cf. Étude<br />

perspicace, vol. II, p 916.<br />

64


Un trucage de l’Histoire<br />

L’exemple magistral en est la naissance du protestantisme. À la<br />

Réforme, un besoin de radicalité s’exprime, pour revenir au plus proche<br />

d’un christianisme authentique moins imprégné de la vie sociale. C'est<br />

une démarche volontaire et pleinement religieuse de chrétiens engagés.<br />

La secte — le mot n’a pas de connotation péjorative — est une force de<br />

rupture par rapport à l’Église dont elle est issue et qu’elle accuse de se<br />

compromettre avec le monde. La réforme a donné naissance à quantité<br />

de groupes radicaux, de « sectes ». Mais, à chaque époque, on retrouve<br />

ce besoin de radicalité: Baptistes, Témoins de Jéhovah, Pentecôôtistes,<br />

Charismatiques, protestants et catholiques, etc. Et comme la radicalité<br />

est difficilement viable à long terme, peu à peu la secte se « routinise »,<br />

perd de sa ferveur initiale, et devient une Église vouée à d'autres<br />

réactions sectaires et schismes ! 160<br />

Vu sous cet angle, tant les groupes protestants issus de la<br />

Réforme que le mouvement des Témoins de Jéhovah correspondent<br />

bel et bien à la notion de secte — au sens neutre — car constituant<br />

tous des ramifications de religions préexistantes. Mais le caractère<br />

neutre du terme s’élimine dans la ligne doctrinale qui sera désormais<br />

suivie après la séparation : Dans notre contexte, s’agira-t-il<br />

d’un<br />

retour aux vérités bibliques ou d’une assimilation de points de vue<br />

humains ?<br />

Après avoir accusé les Étudiants de la Bible dont ils se sont<br />

détachés pour leur « tendance à la formation d’une secte » en vouant<br />

un « culte de la créature » à l’égard de Russell 161 , les Témoins de<br />

Jéhovah en sont venus, pour leur part, à vouer un « culte de<br />

l’organisation » ; la personne physique (Russell) a tout simplement<br />

160<br />

Luca, « Sectes : Savoir de quoi on parle », in Réforme, n o 2797, novembre 1998, p. 8.<br />

161<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 6, pp. 64, 65 ; chap. 28, p. 625 ; Les Témoins de Jéhovah dans les<br />

desseins divins, chap. 11, p. 68 ; La Tour de Garde, 1 er mai 1989, p. 4 ; Annuaire, <strong>éd</strong>. 1975,<br />

pp. 88, 115 ; Le Royaume millénaire de Dieu s’est approché, chap. 17, p. 341 ; Alors sera<br />

consommé le mystère de Dieu, 1972, chap. 8, p. 119.<br />

65


Un trucage de l’Histoire<br />

été substituée par une personne morale (leur organisation) en dehors<br />

de laquelle il n’est pas possible d’obtenir la vie éternelle. 162<br />

Décourageant toute étude individuelle de la Bible sous le prétexte<br />

que « Jéhovah n’éclaire pas chaque chrétien individuellement » 163 , ils<br />

insinuent que pour être approuvé et béni de Dieu, le chrétien se doit<br />

de soutenir l’organisation des Témoins de Jéhovah et « accepter les<br />

nouvelles compréhensions des Écritures » 164 prodiguées par leur élite<br />

gouvernante (Governing body) ou Collège central. Le livre Pr<strong>éd</strong>icateurs<br />

stipule :<br />

Aujourd’hui, les Témoins de Jéhovah reconnaissent que La Tour de<br />

Garde et les publications apparentées sont employées par l’esclave<br />

fidèle et avisé [comprenant les membres du Collège central] pour<br />

donner la nourriture spirituelle. Ils ne prétendent pas que la classe de<br />

l’esclave est infaillible, mais ils la considèrent comme le seul canal<br />

utilisé par le Seigneur pendant les derniers jours de l’actuel système de<br />

choses. 165<br />

Certes, le Collège central à la tête de l’organisation n’est pas<br />

constitué d’individus infaillibles 166 , sauf que la nourriture spirituelle qu’il<br />

dispense dans les publications « est fondée sur la Parole de Dieu. Ce<br />

162<br />

On peut lire dans La Tour de Garde du 15 septembre 2010 (p. 18 § 7) : « Jéhovah n’utilise<br />

qu’une seule organisation, à laquelle il accorde son esprit et sa bén<strong>éd</strong>iction. Allons- nous<br />

quitter la congrégation parce que quelqu’un nous contrarie ? Non, car nulle part ailleurs nous<br />

ne pourrions entendre les ‘paroles de vie éternelle’. (Jean 6:68). » — Voir aussi La Tour de<br />

Garde, 15 novembre 1995, pp. 20-21 ; La Tour de Garde, 15 mars 1988, pp. 18-19 ; La<br />

Tour de Garde, 1 er octobre 1973, p. 596 ; La Tour de Garde, 1 er aoûût 1970, p. 461 etc.<br />

163<br />

La Tour de Garde, 15 aoûût 1988, p. 28.<br />

164<br />

La Tour de Garde, 15 mai 2014, p. 29.<br />

165<br />

Pr<strong>éd</strong>icateurs, chap. 28, p. 626.<br />

166<br />

« Il est vrai que les frères qui préparent les publications ne sont pas infaillibles. Leurs<br />

écrits ne sont pas inspirés comme l’étaient ceux de Paul et des autres écrivains bibliques<br />

(II Tim. 3:16). » —La Tour de Garde, 15 mai 1981, p. 19.<br />

66


Un trucage de l’Histoire<br />

qui est enseigné vient donc de Jéhovah, et non des hommes. » 167<br />

Cette assertion qui veut que ce qui est enseigné dans leurs écrits vient<br />

de Jéhovah et non des hommes, suffit à justifier l’infaillibilité de ces<br />

enseignements. 168<br />

De ce fait, les Témoins de Jéhovah sont<br />

encouragés, de manière inféodée, à exercer une foi totale et sans<br />

défiance aucune dans les publications de la Watch Tower Bible and<br />

Tract Society 169 :<br />

Que nous traduisons ainsi (partie soulignée):<br />

Si nous aimons Jéhovah et son organisation, nous n’aurons aucune<br />

défiance mais, comme le dit la Bible, ‘nous croirons tout’, c’est-à-dire<br />

tout ce qui paraît dans les colonnes de La Tour de Garde...<br />

Une autre publication ajoute :<br />

Jusqu’à ce jour, le Collège central a suivi une ligne de conduite<br />

semblable. Chaque article de La Tour de Garde comme de Réveillez-<br />

167<br />

La Tour de Garde, 15 septembre 2010, p. 13.<br />

168<br />

Remarquons que le Collège central est désigné comme le « canal », le seul de surcroît,<br />

pour dispenser la nourriture spirituelle, et non comme la source. Celui qui en est la source est<br />

le Seigneur Jésus Christ lui-même (La Tour de Garde, 1 er mai 1993, p. 18 ; Comment<br />

raisonner, p. 399). On lit dans La Tour de Garde du 15 mars 1982 (p. 31) que Jésus<br />

communique les paroles de la vie éternelle « par l’interm<strong>éd</strong>iaire de la seule organisation qu’il<br />

utilise aujourd’hui sur la terre, celle de l’‘esclave fidèle et avisé.’ » De ce fait, les<br />

enseignements (=la nourriture spirituelle) contenus dans les publications sont des révélations<br />

divines et ne peuvent renfermer d’erreurs ou de contradictions (cf. Les Témoins de Jéhovah<br />

dans les desseins divins, chap. 3, p. 22; La Tour de Garde, 1 er septembre 1984, p. 12 ;<br />

Réveillez-vous ! 08 février 1989, p. 28).<br />

169<br />

Qualified to be ministers, op. cit., p. 156. Dans l’<strong>éd</strong>ition française parue en 1962 (Qualifiés<br />

pour le ministère), la citation apparaît à la page 158 § 4-6.<br />

67


Un trucage de l’Histoire<br />

vous!, chaque page, chaque illustration est minutieusement examinée<br />

par plusieurs membres du Collège central avant d’être imprimée. […]<br />

Ils passent de nombreuses heures à faire des recherches dans la Bible<br />

et dans divers ouvrages de référence pour s’assurer que ce qui est écrit<br />

est la vérité et suit fidèlement les Écritures […]. Par conséquent, vous<br />

pouvez lire La Tour de Garde et Réveillez-vous! en toute confiance. 170<br />

Le manuel La connaissance qui mène à la vie éternelle compare<br />

la foi née d’une étude individuelle de la Bible à « une plante qui se<br />

desséchera et mourra si on ne lui prodigue pas les soins nécessaires.<br />

Vous devez donc recevoir la nourriture spirituelle qui convient » 171 ,<br />

c’est-à-dire les arguments herméneutiques de la Bible fournis par le<br />

Collège central des Témoins de Jéhovah. Et ce, parce qu’ils « sont<br />

convaincus qu’en suivant les directives du Collège central ils suivent<br />

en réalité Christ, leur Conducteur » 172 et que « le Collège central est<br />

organisé pour diriger l’œuvre, sous la direction de l’esprit saint de<br />

Jéhovah. » 173<br />

Tout Témoin lambda qui commence à éprouver des doutes « au<br />

sujet de certains enseignements auxquels souscrivent les Témoins de<br />

Jéhovah » est censé se montrer patient jusqu’à ce que le Collège<br />

finisse « peut-être par publier quelque chose qui répondra à [ses]<br />

questions et dissipera [ses] doutes. » 174 En attendant, il ne devait<br />

pas cesser de fréquenter l’organisation et de consommer la nourriture<br />

spirituelle dispensée par le Collège. 175<br />

170<br />

La Tour de Garde, 1 er mars 1987, p. 15 § 18-19.<br />

171<br />

La connaissance qui mène à la vie éternelle, chap. 17, p. 162.<br />

172<br />

La Tour de Garde, 15 septembre 2010, p. 23.<br />

173<br />

La Tour de Garde, 15 aoûût 2008, p. 29.<br />

174<br />

La Tour de Garde, 15 juillet 2006, p. 22.<br />

175<br />

La Tour de Garde, 1 er juillet 2001, p. 21 ; La Tour de Garde, 15 novembre 1980, p. 30 ;<br />

Le ministère du Royaume, septembre 1995, p. 6.<br />

68


Un trucage de l’Histoire<br />

Ces propos ne souffrent d’aucune interprétation. Les discours<br />

panégyriques des Étudiants de la Bible et leur loyauté envers Russell<br />

(qu’ils considéraient comme « l’esclave fidèle et avisé » mentionné<br />

en Matthieu 24:45-47) ont été transférés par les Témoins de Jéhovah<br />

à leur organisation avec à leur tête le Collège central. 176 Ce qu’ils<br />

redoutent tant — refus d’identification à une secte au sens péjoratif —<br />

s’impose pragmatiquement à eux. 177<br />

Le constat est là : la proclamation prophétique relative à l’advent<br />

spirituel de Christ par les Étudiants de la Bible n’était pas le fruit d’une<br />

« étude approfondie et impartiale de la Bible. » Loin s’en faut ! Il<br />

s’agissait plutôôt d’un héritage traditionnel transmis par les Adventistes<br />

à Russell. Les Témoins de Jéhovah, nés sous la gouverne de<br />

Rutherford, se berceront eux aussi dans les hallucinations<br />

prophétiques de la fin du système de choses. 178<br />

176<br />

Il est difficile de comprendre comment la ‘parabole’ de Jésus en ce passage a pu se<br />

métamorphoser en une ‘prophétie biblique’, voire en une doctrine de légitimation de leur<br />

organisation en 1919. L’espace ne nous permettant pas d’aborder ici tous les paramètres du<br />

sujet, le lecteur pourra se référer à l’article de B. Blandre, « Russel et le serviteur fidèle et<br />

prudent », in Revue de l’histoire des religions, tome 195 n°2, 1979, pp. 193-205 ; et aussi<br />

Leonard & Marjorie Chretien, in Witnesses of Jehovah, op. cit., pp. 61-63, 105.<br />

177<br />

On aurait pu inclure d’autres facteurs qui confirment le caractère sectaire des Témoins de<br />

Jéhovah. Mais nous réservons cette question à un prochain article.<br />

178<br />

Le lecteur pourra se référer, pour un aperçu de la question, à mon dossier Quand<br />

l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite ?, pp. 197- 224.<br />

69


Un trucage de l’Histoire<br />

5. Se tenir aux aguets en vue du retour de Jésus<br />

LE MESSIANISME était fortement inculqué dans la mentalité<br />

hébraïque. En proie au creuset de l’épreuve et de la persécution,<br />

l’annonce de la venue du Messie par les prophètes israélites avait fini<br />

par susciter un cortège d’illusions prophétiques parmi le peuple,<br />

illusions qui se sont traduites par une éclosion de sectes juives —<br />

Pharisiens, Sadducéens, Esséniens, Zélotes. 179<br />

Au 1 er siècle, écrit Emmanuel Bertin, le peuple juif, alors sous le<br />

joug romain, attendait un Messie qui deviendrait roi sur Israël et rendrait<br />

à la nation son indépendance. 180<br />

La Bible confirme ce détail : elle fait mention d’un « homme<br />

nommé Siméon (…) [qui] attendait la consolation d’Israël »,<br />

soulignant qu’à la naissance de Jésus, des gens « attendaient la<br />

délivrance de Jérusalem » et aussi que « le peuple était dans<br />

l’attente. » Aussi, lorsqu’un jour Jésus s’approchait de Jérusalem avec<br />

ses disciples, ces derniers « pensaient que le royaume de Dieu allait<br />

se montrer à l’instant même. » 181 Même après sa résurrection d’entre<br />

les morts, ses disciples ne manquaient pas de lui demander s’il allait<br />

rétablir "le royaume pour Israël" dans le « peu de jours » qu’ils avaient<br />

à attendre la promesse de l’envoi de l’Esprit saint à Jérusalem. 182<br />

179<br />

Voir l’excellent travail de recherche de Marie Joseph Lagrange, in Le messianisme chez les<br />

Juifs, Paris, 1909 ; surtout le chap. III, « Les déceptions messianiques », pp. 301-331.<br />

180<br />

Bertin, in La prophétie des soixante-dix semaines : Annonce du moment exact de la venue<br />

du Messie, p. 8. Voir aussi l’Encyclopædia Judaica, Jérusalem, 1971, tome XI, col. 1407.<br />

181<br />

Luc 2 : 25, 38 ; 3 : 15 ; 19 : 11 ; cf. 17 : 20 ; 24 : 21.<br />

182<br />

Actes 1 : 6.<br />

70


Un trucage de l’Histoire<br />

Ces indications scripturaires traduisent tout l’empressement<br />

éprouvé par le peuple juif dans l’attente du Libérateur longtemps<br />

promis. L’Histoire ne faisant que se répéter, on a assisté à un<br />

enthousiasme similaire parmi les Adventistes, les Étudiants de la Bible<br />

et les Témoins de Jéhovah eux-mêmes au cours des XIX e et XX e<br />

siècles. Aux disciples qui s’enquerraient du temps de l’établissement<br />

du Royaume, Jésus a répondu sans détours :<br />

Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les époques que le<br />

Père a placés sous son propre pouvoir. 183<br />

Par cette mise en garde ferme, il balayait toute idée de calcul en<br />

rapport avec l’établissement de son Royaume, empêchant ainsi ses<br />

vrais disciples de se laisser emballer dans les spéculations<br />

prophétiques. Les Témoins de Jéhovah qui n’ont pas tenu compte de<br />

ces exhortations à l’instar de leurs ascendants Adventistes, écrivent :<br />

Les membres des Églises établies de la chrétienté, comme d’autres<br />

personnes, ont beau jeu de critiquer les Témoins de Jéhovah parce que<br />

les publications de ces derniers ont parfois laissé entendre que tel ou tel<br />

événement pourrait se produire à telle ou telle date. Cependant, pareille<br />

ligne de conduite n’était-elle pas conforme à l’ordre du Christ qui nous<br />

enjoint de "rester aux aguets" ? (Marc 13 : 37). [...] Il est vrai que<br />

certaines espérances qui semblaient s’appuyer sur la chronologie de la<br />

Bible ne se sont pas concrétisées au moment prévu. Mais n’est-il pas<br />

de loin préférable de faire quelques erreurs par excès d’empressement,<br />

parce qu’on attend avec trop d’impatience la réalisation des desseins de<br />

Dieu, plutôôt que de s’assoupir spirituellement au point de ne plus être<br />

conscient de l’accomplissement des prophéties bibliques ? 184<br />

Les Témoins estiment donc, malgré la mise en garde claire de<br />

Jésus, qu’il est de loin préférable de commettre « quelques erreurs<br />

183<br />

Actes 1 : 6.<br />

184<br />

La Tour de Garde, 1 er avril 1985, pp. 29-30.<br />

71


Un trucage de l’Histoire<br />

par excès d’empressement », c’est-à-dire faire preuve de zèle,<br />

« plutôôt que de s’assoupir spirituellement ». Une telle attitude est-elle<br />

vraiment « conforme à l’ordre du Christ qui nous enjoint de ‘rester aux<br />

aguets’ » ?<br />

L’inverse est plutôôt vrai. Christ a exhorté ses disciples de veiller<br />

et prier parce que ne sachant pas le jour ou l’heure de sa venue. 185 Il<br />

ne s’agit nullement ici de faire « quelques erreurs par excès<br />

d’empressement ». D’ailleurs, l’apôôtre Paul a reconnu que plusieurs<br />

Juifs de son époque avaient du zèle pour Dieu, « mais non selon la<br />

connaissance exacte. » 186 Ce n’est pas l’excès d’empressement qui<br />

importe, mais l’exactitude de ce qui est proclamé. Fait digne d’intérêt,<br />

le Christ avait clairement prévenu que de « pseudo-prophètes »<br />

surgiraient en son nom, en vêtements de brebis 187 (une apparence<br />

d’humilité), et qu’ils se livreraient à des spéculations sur son retour.<br />

Nous lisons en Matthieu 24 : 23-28 :<br />

Si quelqu’un vous dit alors : "Voyez ! Le Christ est ici", ou bien : "Là !",<br />

ne le croyez pas. Car de faux Christs et de faux prophètes se lèveront et<br />

produiront de grands signes et des prodiges, de façon à égarer, si<br />

possible, même ceux qui ont été choisis. Voyez ! Je vous ai prévenus.<br />

Si donc on vous dit : "Voyez ! Il est dans le désert", ne sortez pas ;<br />

"Voyez ! Il est dans les chambres intérieures", ne le croyez pas. Car de<br />

même que l’éclair sort de l’est et brille jusqu’à l’ouest, ainsi sera la<br />

présence du Fils de l’homme. Oùù que soit le cadavre, là seront<br />

rassemblés les aigles.<br />

Le m<strong>éd</strong>ecin Luc apporte une autre précision : ces gens diront<br />

que « le temps est approché. » 188 C’est ce que confirment les faits<br />

185<br />

Matthieu 24 : 42-44 ; Luc 12 : 39, 40 ; cf. 1 Thessaloniciens 5 : 2.<br />

186<br />

Romains 10 : 2 ; cf. Galates 1 : 14 ; Philippiens 3 : 6.<br />

187<br />

Matthieu 7 : 15-20.<br />

188<br />

Luc 21 : 8.<br />

72


Un trucage de l’Histoire<br />

historiques. Les Témoins de Jéhovah qui se sont auto-proclamés la<br />

seule organisation terrestre choisie par Dieu, son « prophète pour les<br />

nations » afin d’annoncer les choses à venir 189 , ont fixé plusieurs<br />

dates relatives à l’advent christique. Avec grand zèle, ils n’ont cessé<br />

de proclamer que « Christ est présent de façon invisible depuis<br />

1914 », ce qui fait remarquablement écho à la déclaration<br />

susmentionnée de Jésus au sujet de ceux qui diraient que « le Christ<br />

est ici, ou bien : Là!" ; et encore que « le temps est approché » pour<br />

l’établissement du Royaume sur terre.<br />

Autant d’affirmations péremptoires et prématurées qui, placées<br />

dans le contexte de l’avertissement du Christ, permettent d’arriver à la<br />

conclusion que les Témoins de Jéhovah figurent parmi les « faux<br />

prophètes » dont a parlé Jésus. 190 Après leur échec prophétique de<br />

1975 — censée marquer la fin de 6000 ans d’histoire humaine et le<br />

début du Millénium « d’après la chronologie biblique digne de foi » 191<br />

— l’organe officiel de la Watch Tower Bible and Tract Society<br />

annonça :<br />

Mais en s’imaginant que la chronologie révèle la date précise de la fin,<br />

ils n’ont pas compris la véritable signification des avertissements<br />

bibliques concernant la fin du présent système de choses. Quelle est,<br />

d’après les propres paroles de Jésus, la bonne attitude à adopter à<br />

189<br />

La Tour de Garde, 15 octobre 1972, p. 625 ; La Tour de Garde, 1 er mars 1973, p. 152 ; La<br />

Tour de Garde, 1 er avril 1978, pp. 12, 16 ; La Tour de Garde, 1 er janvier 1983, pp. 26-27 ;<br />

Réveillez-vous ! 08 juin 1986, p. 9 ; La Tour de Garde, 15 janvier 1997, pp. 8-9.<br />

190<br />

Les Témoins de Jéhovah refusent d’être identifiés à de faux prophètes. Toute une gamme<br />

d’arguments ont été avancés pour montrer au public qu’ils n’ont jamais prétendu être inspirés<br />

de Dieu ou qu’ils soient infaillibles ; et donc ils peuvent se tromper : cela ne fait pas d’eux<br />

pour autant de faux prophètes (cf. Réveillez-vous ! 22 mars 1993, p. 4, note ; La Tour de<br />

Garde, 1 er septembre 1997, p. 22 ; La Tour de Garde, 15 juin 1980, p. 17). Vous trouverez<br />

cependant une réfutation de ces arguments dans mon dossier Quand l’ancienne Jérusalem a-<br />

t-elle été détruite ?, pp. 110-233. Nous prévoyons aussi r<strong>éd</strong>iger un article sur cette<br />

importante question.<br />

191 La vie éternelle dans la liberté des fils de Dieu, 1970, chap. I, pp. 28, 29.<br />

73


Un trucage de l’Histoire<br />

propos de la fin ? Doit-on chercher à déterminer une date ? [...] Ce<br />

n’est pas l’attitude d’esprit que conseillait Jésus. [...] ll ne serait pas<br />

raisonnable de concentrer toute notre attention sur une date et de<br />

négliger des choses courantes dont s’occupent ordinairement les<br />

chrétiens. [...] Si quelqu’un a été déçu en ne suivant pas cette manière<br />

de penser, il devrait maintenant veiller particulièrement à redresser son<br />

point de vue, tout en reconnaissant que ce n’est pas la Parole de Dieu<br />

qui a manqué son but ou qui l’a trompé ou déçu, mais que son<br />

raisonnement était fondé sur de fausses conceptions. [...] Plusieurs<br />

textes des Écritures nous disent que lorsque la fin viendra, elle<br />

surprendra complètement le monde. [...] Ces paroles très claires de<br />

Jésus montrent que les serviteurs de Dieu ne connaîtront pas la date de<br />

la ‘venue’ du Christ pour le jugement avant qu’il n’arrive. En fait, c’est à<br />

une heure oùù ses disciples n’y penseront pas que viendra Jésus. 192<br />

Encore plus récemment, ils firent la remarque suivante :<br />

De nos jours, les hommes se posent également des questions au sujet<br />

de l’avenir. Il est naturel de s’intéresser aux importantes prophéties<br />

bibliques et à l’époque de leur accomplissement. Cependant, il est sage<br />

d’accepter et de respecter la pensée de Dieu dans ce domaine. Par<br />

l’interm<strong>éd</strong>iaire de son Fils, Jéhovah a fait connaître ses intentions et a<br />

donné une réponse claire à ce sujet. Peu avant son ascension, les<br />

disciples ont interrogé Jésus à propos de l’époque à laquelle devaient<br />

s’accomplir les promesses divines. Jésus a répondu : "Il ne vous<br />

appartient pas de connaître les temps ou les époques que le Père a<br />

placés sous son propre pouvoir." [...] De toute évidence, il n’appartient<br />

donc pas aux humains de "connaître les temps ou les époques" relatifs<br />

à l’accomplissement futur de prophéties bibliques. Dieu a choisi de ne<br />

pas nous révéler ces informations [...]. Serait-il en notre pouvoir de<br />

modifier d’une façon ou d’une autre le dessein de Dieu en découvrant<br />

par nous-mêmes "ce jour-là et cette heure-là" contre sa volonté ? Cela<br />

est évidemment impossible. 193<br />

192<br />

La Tour de Garde, 1 er novembre 1976, p. 665.<br />

193<br />

Réveillez-vous ! 08 mai 1998, p. 21.<br />

74


Un trucage de l’Histoire<br />

Le même article ajoute que « certaines personnes intéressées<br />

par la chronologie émettent des théories arbitraires au sujet des dates<br />

précises. [...] Bien que Dieu place les temps et les époques sous son<br />

propre pouvoir, beaucoup aiment se livrer à des spéculations. [...]<br />

Cependant, nous nous refusons à spéculer sur les théories en vogue<br />

ou à leur accorder un certain cr<strong>éd</strong>it. » 194<br />

Si les Écritures condamnent les « théories arbitraires au sujet des<br />

dates précises », comment se fait-il qu’ils aient eux-mêmes fixé des<br />

dates précises ? Puisque les « paroles très claires de Jésus montrent<br />

que les serviteurs de Dieu ne connaîtront pas la date de la ‘venue’ du<br />

Christ pour le jugement avant qu’il n’arrive », pourquoi continuer<br />

d’affirmer que Jésus est présent depuis 1914 — ce qui présuppose<br />

qu’il est déjà arrivé 195 ?<br />

194<br />

Ibid., pp. 20-21.<br />

195<br />

Selon La Tour de Garde, 15 mars 1982, p. 5 : « Autre chose est d’annoncer la venue ou le<br />

retour de quelqu’un, autre chose est de prouver que la personne attendue est déjà arrivée.<br />

[…] On retrouve la même nuance subtile entre le retour du Christ et sa “présence”, ce dernier<br />

terme indiquant qu’il est déjà arrivé. »<br />

75


Un trucage de l’Histoire<br />

CONCLUSION<br />

NOUS avons parcouru un aspect du passé des Témoins de<br />

Jéhovah — la croyance des Étudiants de la Bible concernant 1914 —<br />

avec présent à l’esprit une affirmation remarquable de Lucien de<br />

Samosate.<br />

Que conclure après un tel parcours ?<br />

Plutôôt que de « dire les choses telles qu’elles se sont passées »,<br />

les r<strong>éd</strong>acteurs de la brochure se sont montrés peu objectifs. Des<br />

détails gênants ont été passés sous silence, déformés ou présentés<br />

sous forme de demi-vérités. Le lecteur lambda qui ne se donne pas<br />

la peine de fouiller et de creuser le sujet, se voit ainsi entubé et pris<br />

dans le filet. Nous terminons sur cette observation de James M.<br />

Penton, professeur émérite d’histoire à l’Université de Lethbridge<br />

(Canada), qui écrit:<br />

Il n’y a eu aucun autre mouvement chrétien sectaire majeur qui ait<br />

autant insisté sur la pr<strong>éd</strong>iction de la fin du présent monde, de manières<br />

aussi définies ou à des dates aussi spécifiques comme les Témoins de<br />

Jéhovah, au moins depuis les Millérites et les Seconds-Adventistes du<br />

XIX e siècle […]. Tout au long des premières années de leur histoire, ils<br />

ont régulièrement porté attention sur des dates spécifiques — 1874,<br />

1878, 1881, 1910, 1914, 1918, 1920, 1925 et d’autres encore —<br />

comme ayant une signification eschatologique précise […]. Quand ces<br />

pr<strong>éd</strong>ictions échouèrent, elles furent réinterprétées, spiritualisées ou,<br />

dans certains cas, finalement abandonnées. 196<br />

196<br />

Penton, in Apocalypse Delayed: The Story of Jehovah Witnesses [Toronto: University of<br />

Toronto Press], 1985, p. 18.<br />

76


Un trucage de l’Histoire<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

(Cette bibliographie ne fait que la recension de quelques publications consultées.)<br />

Ouvrages majeurs des Témoins de Jéhovah<br />

• Les Témoins de Jéhovah dans les desseins divins, 1972.<br />

• Annuaire des Témoins de Jéhovah, 1975.<br />

• Les Témoins de Jéhovah — Unis pour faire la volonté de Dieu sur<br />

toute la terre, 1986.<br />

• Les Témoins de Jéhovah — Pr<strong>éd</strong>icateurs du Royaume de Dieu,<br />

1993.<br />

Divers<br />

• Wellcome, Isaac. History of the Second Advent Message and<br />

Mission, Doctrine and People, 1874.<br />

• Edgar, Morton. The Great Pyramid-Its scientific features. Part I of<br />

1914 A.D. and the Great Pyramid, 1924.<br />

• Rogerson, Alan. Millions Now Living Will Never Die — A Study of<br />

Jehovah’s Witnesses, 1969.<br />

• Gruss, Edmond Charles. Apostles of Denial: An examination and<br />

exposé of the history, doctrines and claims of the Jehovah<br />

Witnesses, 1970.<br />

77


Un trucage de l’Histoire<br />

• Penton, James. Apocalypse Delayed: The Story of Jehovah<br />

Witnesses, 1985.<br />

• Blandre, Bernard. Les Témoins de Jéhovah : un siècle d’histoire,<br />

1987.<br />

• Chretien, Leonard & Marjorie. Witnesses of Jehovah: A Shocking<br />

Exposé of what Jehovah’s Witnesses really believe, 1988.<br />

• Jonsson, Carl Olof. The Gentiles Times Reconsidered: Chronology<br />

and Christ’s Return, 2004.<br />

• Daniels, Thomas. Historical Idealism and Jehovah’s Witnesses: A<br />

critical analysis of how they present their history. (Aucune date de<br />

publication mentionnée.)<br />

• Introvigne, Massimo. Les Témoins de Jéhovah, 1990.<br />

• Schulz, B. W. & de Vienne, R. M. A Separate Identity: Organizational<br />

Identity Among Readers of Zion’s Watch Tower: 1870-1887, 2014.<br />

Articles<br />

• Blandre, Bernard. « Russel et les étudiants de la Bible (1870-<br />

1916) », in Revue de l’histoire des religions, tome 187 n°2, 1975.<br />

• Blandre, Bernard. « La première brochure de Russel », in Revue de<br />

l’histoire des religions, tome 199 n°4, 1982.<br />

• Blandre, Bernard. « Témoins de Jéhovah. 1914: Année du<br />

"commencement des douleurs"», in Mouvements religieux,<br />

Sarreguemines: Association d'Étude et d'Information sur les<br />

Mouvements Religieux, février-mars 2013.<br />

78


Du même auteur :<br />

• Beth Sarim: La villa des princes hébreux. Retour sur un mythe<br />

des Témoins de Jéhovah (juillet <strong>2017</strong>)<br />

• L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone : Pendant ou<br />

après le règne de Jéhoïakim ? (août 2016)<br />

• Quand l'ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite ? Réponse aux<br />

Témoins de Jéhovah (octobre 2012)<br />

à télécharger gratuitement sur le blog :<br />

https://salomonlesage777.wordpress.com/<br />

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