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1er -Marie CHABRIER que faire du flair

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<strong>Marie</strong> <strong>CHABRIER</strong><br />

IFSI Bagnols-sur-Cèze<br />

Diplôme d’Etat Infirmier<br />

UE 3.4-S6 Initiation à la démarche de recherche<br />

UE 5.6-S6Analyse de la qualité et traitement des données<br />

scientifi<strong>que</strong>s et professionnelles<br />

TRAVAIL DE FIN D’ETUDES<br />

Que <strong>faire</strong> <strong>du</strong> <strong>flair</strong> ?<br />

Année universitaire 2015-2016<br />

Promotion 2013-2016 24 mai 2016


ENGAGEMENT DE NON PLAGIAT<br />

« Je soussigné(e) Mlle xxxxxxx déclare être pleinement conscient(e) <strong>que</strong> le plagiat de<br />

documents ou d’une partie d’un document publiés sur toutes formes de support, y compris<br />

l’Internet, constitue une violation des droits d’auteur ainsi qu’une fraude caractérisée. En<br />

consé<strong>que</strong>nce, je m’engage à citer toutes les sources <strong>que</strong> j’ai utilisées pour écrire ce<br />

mémoire. »<br />

Signature :


REMERCIEMENTS<br />

Je tiens tout d’abord à remercier ma directrice de mémoire, Chantal Sire, son<br />

accompagnement m’a permis de franchir plus sereinement les différentes étapes de mon<br />

Travail de Fin d’Etudes tout en me permettant de cheminer dans une liberté rassurante.<br />

Je remercie également Annabelle, notre si précieuse documentaliste, qui a su me<br />

proposer, toujours volontiers, les bons ouvrages qui m’ont permis de mieux cibler mon objet<br />

d’étude.<br />

Je remercie ensuite les infirmiers qui ont accepté de répondre à mes <strong>que</strong>stions pour<br />

leur disponibilité.<br />

Enfin, je remercie les Cadres de Santé Formateurs de l’IFSI qui m’ont proposé des<br />

articles forts intéressants pour étayer ma réflexion.


TABLE DES MATIERES<br />

INTRODUCTION...................................................................................................................... 1<br />

1 PHASE EXPLORATOIRE.................................................................................................. 2<br />

1.1 De la situation d’appel à la <strong>que</strong>stion de départ..................................................................2<br />

1.1.1 Situations d’appel........................................................................................................2<br />

1.1.2 Analyse et <strong>que</strong>stionnement .........................................................................................3<br />

1.2 Problémati<strong>que</strong> prati<strong>que</strong>......................................................................................................5<br />

2 PHASE THEORIQUE ......................................................................................................... 9<br />

2.1 Question centrale ...............................................................................................................9<br />

2.2 Cadre conceptuel ...............................................................................................................9<br />

2.2.1 L’intuition ...................................................................................................................9<br />

2.2.2 Le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier...........................................................................12<br />

3 PHASE DE TERRAIN....................................................................................................... 14<br />

3.1 Dispositif de recherche ....................................................................................................14<br />

3.2 Résultats de l’enquête......................................................................................................16<br />

3.3 Analyse des résultats .......................................................................................................28<br />

CONCLUSION ........................................................................................................................ 34<br />

BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................


TABLE DES ANNEXES<br />

Annexe 1 : Trame de l’entretien semi-directif ............................................................................I<br />

Annexe 2 : Entretien IDE n°1.................................................................................................... II<br />

Annexe 3 : Entretien IDE n°2...................................................................................................IV<br />

Annexe 4 : Entretien IDE n°3...................................................................................................VI<br />

Annexe 5 : Entretien IDE n°4.................................................................................................... X<br />

Annexe 6 : Entretien IDE n°5................................................................................................XIV<br />

Annexe 7 : Entretien IDE n°6............................................................................................. XVIII<br />

Annexe 8 : Entretien IDE n°7............................................................................................. XXIII<br />

Annexe 9 : Entretien IDE n°8............................................................................................XXVII<br />

Annexe 10 : Tableau d’analyse des entretiens ..................................................................XXXII


INTRODUCTION<br />

Le Travail de Fin d’Etudes clôture la formation en Institut de Formation en Soins<br />

Infirmiers. Ainsi, il symbolise à la fois l’aboutissement <strong>du</strong> cursus universitaire infirmier et il<br />

représente principalement une initiation à la démarche de recherche en soins infirmiers.<br />

Ce travail permet de se <strong>que</strong>stionner de manière approfondie sur un thème de notre<br />

choix ce qui nous laisse une véritable liberté. Selon moi, le Travail de Fin d’Etudes illustre<br />

parfaitement la démarche réflexive atten<strong>du</strong>e de cha<strong>que</strong> futur infirmier et défen<strong>du</strong>e par notre<br />

programme.<br />

Tout au long de ces trois années, j’ai réalisé des stages dans des services bien divers.<br />

Malgré cette diversité nécessaire, j’ai pu rencontrer dans chacun de ces stages des situations<br />

similaires. J’ai observé, à maintes reprises, des infirmiers à qui il arrivait, dans leur prati<strong>que</strong><br />

quotidienne, de penser et d’agir d’une certaine manière sans qu’ils parviennent sur le moment<br />

à m’en expli<strong>que</strong>r la raison lors<strong>que</strong> je les <strong>que</strong>stionnais. En faisant l’effort de réfléchir sur le<br />

pourquoi de leurs agissements, nombreux sont ceux qui m’expli<strong>que</strong>nt agir ainsi par ressenti.<br />

C’est la répétition de cette observation qui m’a interpelée et qui m’a donné le goût de<br />

m’intéresser à la place des ressentis dans l’exercice de la profession d’infirmier.<br />

Ainsi, ma réflexion se déroule selon cinq axes principaux. Je pars de ces situations<br />

d’appel pour cheminer ensuite vers une enquête exploratoire ayant pour objectif de mieux<br />

cibler mon objet de recherche et de clarifier mon <strong>que</strong>stionnement. Ensuite, je poursuis par la<br />

construction <strong>du</strong> cadre conceptuel ce qui me permet d’éclaircir les concepts clefs de mon étude<br />

afin de partir sur un socle de connaissances solide. Après, j’aborde le dispositif de recherche<br />

de mon enquête et j’expose les résultats de cette dernière. Enfin, je rends compte de mon<br />

analyse au regard de la confrontation entre la réalité de terrain et les concepts préalablement<br />

définis.<br />

1


1 PHASE EXPLORATOIRE<br />

1.1 De la situation d’appel à la <strong>que</strong>stion de départ<br />

1.1.1 Situations d’appel<br />

Situation n°1 :<br />

Cette situation se déroule en service de cardiologie. Mme R. a 82 ans a été admise<br />

dans le service pour œdèmes des membres inférieurs sur une nouvelle poussée d’insuffisance<br />

cardia<strong>que</strong>. Elle présente tous les facteurs de ris<strong>que</strong> cardiovasculaires.<br />

Un matin vers 8 heures, Mme O. infirmière depuis dix ans et moi même arrivons dans<br />

la chambre de Mme R., nous lui donnons ses traitements et la patiente nous apprend qu’elle<br />

sort le lendemain. Sur le moment, l’infirmière est très surprise mais ne commente pas la<br />

décision devant le patiente. Une fois la porte fermée, l’infirmière s’adresse à moi en ces<br />

termes « il veut la <strong>faire</strong> sortir mais je le sens pas ce retour à domicile ! ». L’infirmière me<br />

témoigne ce ressenti, elle connaît bien cette patiente et même si son état s’est bien amélioré,<br />

elle éprouve ce sentiment de doute. Néanmoins, l’infirmière ne témoignera pas son ressenti au<br />

médecin qu’elle croisera plus tard.<br />

Le lendemain matin, Madame R. rentre chez elle, elle chutera le jour même. Elle sera<br />

réadmise de suite couverte de commotions. Elle sera mise sous morphine pour gérer sa<br />

douleur, mais son insuffisance rénale se détériorera en seulement deux jours et elle décèdera.<br />

Situation n°2 :<br />

La situation <strong>que</strong> j’ai choisi de décrire se déroule dans un service de chirurgie viscérale<br />

et urologi<strong>que</strong>. Cette situation concerne Monsieur P., âgé de 79 ans et admis dans le service<br />

pour une prostatectomie par voie haute. Il souffre également d’une bronchopathie chroni<strong>que</strong><br />

obstructive relativement avancée et présente dès son entrée une toux.<br />

De retour dans le service, les suites opératoires se déroulent de manière habituelle. Mais<br />

au quatrième jour post-opératoire, Monsieur P. fait une importante poussée d’hyperthermie au<br />

delà de 39°C, l’interne d’urologie prescrit des hémocultures qui ne donneront rien <strong>du</strong> fait <strong>que</strong><br />

le patient soit sous antibiothérapie préventive et un examen cytobactériologi<strong>que</strong> des urines<br />

(ECBU) qui reviendra négatif. Le week-end passe, l’hyperthermie de Monsieur P. résiste aux<br />

antipyréti<strong>que</strong>s et antibioti<strong>que</strong>s prescrits.<br />

Le lundi matin, je suis de poste avec deux infirmières, je suis celle qui est en charge <strong>du</strong><br />

secteur dont dépend Monsieur P. Cette infirmière est diplômée depuis dix ans et travaille dans<br />

2


ce service depuis six ans. Lors <strong>du</strong> staff, l’hyperthermie <strong>du</strong> patient est rediscutée, l’interne<br />

propose <strong>que</strong> l’on fasse un test de la grippe, selon elle cela peut expli<strong>que</strong>r la toux et<br />

l’hyperthermie résistante au traitement antibioti<strong>que</strong>. Une fois le staff terminé, l’infirmière<br />

rediscute avec l’interne la prescription <strong>du</strong> test de la grippe et lui expli<strong>que</strong> qu’elle sent <strong>que</strong> ça<br />

vient d’autre chose, peut être une complication, car la toux est <strong>du</strong>e, selon elle, à sa BPCO. De<br />

plus, elle insiste auprès de l’interne pour qu’elle prescrive un examen d’imagerie médicale.<br />

Finalement, le test de la grippe est prescrit, je le réalise car l’infirmière n’y tient pas<br />

convaincue de son inutilité, il revient négatif. Plus tard, l’interne rediscute <strong>du</strong> cas de Monsieur<br />

P. avec le chirurgien, un scanner de contrôle est prescrit le jour même et met en évidence un<br />

important abcès péri-vésical. Le lendemain, nous apprenons la nouvelle lors de la relève.<br />

L’infirmière expli<strong>que</strong> alors qu’elle sentait <strong>que</strong> <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose n’allait pas mais <strong>que</strong> ce n’était<br />

pas la grippe.<br />

1.1.2 Analyse et <strong>que</strong>stionnement<br />

Ces deux situations m’ont interpelée en ce sens qu’elles illustrent de nombreuses<br />

situations de prise en charge de patient dans tous secteurs de soins confon<strong>du</strong>s. J’ai vu à<br />

plusieurs reprises des décisions médicales ou infirmières remises en <strong>que</strong>stion par des<br />

infirmières sur la base <strong>du</strong> ressenti qu’elles avaient de la situation, ressenti qui s’est avéré être<br />

le bon. A cha<strong>que</strong> fois j’ai pu mesurer l’écart qu’il y a entre le ressenti vécu par l’infirmière en<br />

<strong>que</strong>stion et l’analyse <strong>que</strong> je pouvais <strong>faire</strong> de la situation.<br />

Dans ces situations, je m’imagine à la place des infirmières et je pense <strong>que</strong> je n’aurais<br />

<strong>que</strong>stionné ni la prescription ni la sortie de la patiente. D’une part, je peux très bien<br />

m’imaginer appli<strong>que</strong>r la prescription sans réfléchir. D’autre part, quand je repense à la<br />

situation n°2, de part la vision <strong>que</strong> j’en ai à ce moment précis, je n’aurais pas remis la<br />

prescription en <strong>que</strong>stion car je partage la logi<strong>que</strong> de raisonnement de l’interne. Effectivement,<br />

l’hyperthermie résiste aux antibioti<strong>que</strong>s, le patient tousse et je ne suis pas capable d’évaluer si<br />

cette toux est entièrement <strong>du</strong>e à sa BPCO ou si elle cache autre chose alors, dans le doute,<br />

j’aurais pratiqué le test. Je me suis surement focalisée sur les signes clini<strong>que</strong>s en oubliant le<br />

contexte.<br />

Je tiens à préciser qu’il n’est pas ici <strong>que</strong>stion d’égo et de pouvoir. Les infirmières en<br />

<strong>que</strong>stion n’ont pas tendance à contredire les décisions médicales par esprit de contradiction<br />

même quand celles-ci viennent des internes.<br />

3


Avec le recul, je crois <strong>que</strong> c’est l’évidence <strong>que</strong> j’ai pu lire sur leur visage qui m’a<br />

convaincue <strong>du</strong> bien fondé de leurs dires ou en tout cas de l’intérêt de <strong>que</strong>stionner cette<br />

certitude. Cette intime conviction qu’elles témoignent à ce moment là m’a permis de<br />

m’interroger à mon tour sur ces décisions médicales, chose <strong>que</strong> je n’aurais pas faite de moimême.<br />

Je pense <strong>que</strong> sur ce point, il en a été de même pour l’interne de la deuxième situation<br />

qui, même si elle n’a pas renoncé à ce test, a communiqué ses doutes à son médecin référent<br />

ce qui a sûrement contribué à la prescription <strong>du</strong> scanner.<br />

Je suis enthousiaste à l’idée de travailler sur les ressentis car l’idée <strong>que</strong> notre cerveau est<br />

capable de nous livrer des solutions adaptées à certaines situations sans <strong>que</strong> nous en soyons<br />

maître me sé<strong>du</strong>it, surement car étant en plein apprentissage, je me réfère beaucoup à la théorie<br />

et <strong>que</strong> j’aime à penser qu’un jour, je serai capable de lever le regard de toutes ces<br />

connaissances aux<strong>que</strong>lles je me raccroche tant et de pouvoir m’en détacher suffisamment afin<br />

d’entamer une tout autre réflexion, plus globale et à l’écoute de mes sens.<br />

De plus, je suis attirée par ce thème car il me paraît flou et <strong>que</strong> je souhaite l’éclaircir<br />

pour mieux en saisir le sens. J’imagine déjà les divergences d’opinions sur le sujet et cela<br />

aiguise ma curiosité.<br />

Je pense <strong>que</strong> ce travail de recherche peut avoir un intérêt car nous évoluons dans une<br />

société où le contrôle est roi et où la performance est reine. La profession d’infirmière requiert<br />

la maitrise de savoirs, de savoir-<strong>faire</strong> et de savoir être. En ce sens, je pense qu’il est<br />

intéressant de pointer ce qui nous échappe et qui ramène un peu de notre indivi<strong>du</strong>alité au<br />

devant de la scène car le soin reste avant toute chose une af<strong>faire</strong> d’indivi<strong>du</strong>s.<br />

Ces situations m’ont amené à me poser diverses <strong>que</strong>stions :<br />

− L’intuition est elle un sixième sens à exploiter ?<br />

− Le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier peut-il être guidé par une intuition ?<br />

− L’intuition a-t-elle sa place, est-elle légitime dans le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

− Quelle est la valeur de l’intuition dans le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

− L’intuition a-t-elle une valeur scientifi<strong>que</strong> ?<br />

− Dans <strong>que</strong>lles mesures les intuitions conditionnent-elles nos actions?<br />

− Les intuitions sont-elles forcément aidantes ? Peuvent-elle nous engager dans une<br />

mauvaise voie ?<br />

− Qu’est-ce qui permet d’être à l’écoute de ses intuitions ? Est-ce donné à tout les<br />

soignants?<br />

A l’issue de tous ces <strong>que</strong>stionnements, j’ai pu formuler la <strong>que</strong>stion de départ suivante :<br />

4


Le <strong>flair</strong> infirmier : Au delà des sens, <strong>que</strong>lle est la place de l’intuition dans le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

1.2 Problémati<strong>que</strong> prati<strong>que</strong><br />

Pour ma recherche exploratoire, tout d’abord, j’ai décidé de consulter des articles<br />

scientifi<strong>que</strong>s qui traitent précisément de l’intuition dans les soins infirmiers. Ainsi, je voulais<br />

savoir si des infirmiers avaient déjà réfléchi sur ce thème. Je n’ai trouvé <strong>que</strong> deux articles<br />

abordant exclusivement l’intuition. Le premier article qui a attiré mon attention traite de<br />

l’intuition des infirmières en pédiatrie. Pour l’auteur, « l’intuition, dans son sens le plus<br />

commun, est un sentiment difficilement définissable » (LOIZEAU & TROPHARDIE, 2013).<br />

Ces dires illustrent bien le sentiment <strong>que</strong> j’ai quand je pense à l’intuition, je pense qu’elle est<br />

une richesse à exploiter mais lors<strong>que</strong> je tente de définir ce qu’elle est, je n’y parviens qu’en<br />

termes flous ce qui me donne l’impression qu’elle en perd de sa valeur. Comme tout<br />

sentiment, elle est difficilement descriptible et c’est sans doute une des raisons pour la<strong>que</strong>lle<br />

nous avons <strong>du</strong> mal à la définir. Dans ce même article, un autre point aiguise ma curiosité. En<br />

effet, l’auteur se pose les <strong>que</strong>stions suivantes au sujet de l’intuition : « Cette intuition, souvent<br />

décrite comme l’apanage des femmes, et difficilement palpable, ne serait-elle pas une<br />

composante de la compétence ? Ou tout simplement, est-ce une finalité chez les infirmières<br />

expertes ? » (LOIZEAU & TROPHARDIE, 2013). Ainsi, après la lecture de ce premier<br />

article, je ressens le besoin d’une part, d’éclaircir le mot intuition afin de clarifier ma pensée<br />

et d’être capable de savoir précisément de quoi je parle et d’autre part d’aller rechercher les<br />

liens potentiels entre intuition et compétence.<br />

Si la partie concernant la définition <strong>du</strong> concept d’intuition sera reprise dans le cadre<br />

conceptuel, je poursuis ma réflexion sur le second point en lisant l’ouvrage de Patricia Benner<br />

« De novice à expert ». Cette auteure expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « la conscience perceptive est l’élément<br />

central d’un bon jugement infirmier, et cela commence par de vagues intuitions et des<br />

évaluations globales, qui échappent au départ à l’analyse criti<strong>que</strong> »(BENNER, 2003). Elle<br />

reconnait ainsi l’utilité de l’intuition dans le jugement infirmier comme point de départ de la<br />

réflexion. Dans le même sens, « c’est la conscience perceptive ou l’intuition de l’infirmière<br />

qui lui permettrait de distinguer les informations pertinentes de celles qui ne le sont pas ».<br />

(GUITARD & MICHAUD, 2011). L’infirmière peut alors <strong>faire</strong> le tri de toutes les<br />

informations qui lui parviennent. De plus, dans son livre, j’apprends <strong>que</strong> « les infirmières<br />

développent également des comportements typi<strong>que</strong>s par rapport aux malades. Les<br />

psychologues de la Gestalt définissent ces comportements types comme étant des<br />

5


prédispositions à agir d’une certaine manière dans des situations bien précises »(BENNER,<br />

2003). Ce terme de « comportements types » m’interroge et je me documente sur ce point.<br />

En fait, il s’agit là de ce <strong>que</strong> la psychologie cognitive appelle schèmes ou routines mentales.<br />

Piaget parle lui d’un « inconscient prati<strong>que</strong> », notre cerveau aurait en <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s sortes<br />

enregistré des points communs à de nombreuses situations qu’il transpose à d’autres sous<br />

forme d’actions spontanées sans <strong>que</strong> nous en soyons conscient. Ainsi, « les expériences<br />

concrètes passées guident donc les perceptions et les actes de l’experte, et lui permettent<br />

d’appréhender rapidement la situation »(BENNER, 2003). « L’intuition clini<strong>que</strong> est donc<br />

composée non seulement de ce pré-savoir mais aussi de nombreux schémas d’expériences<br />

typi<strong>que</strong>s qui ont sédimenté au cours de l’exercice professionnel » (LEDOUX, 2008).<br />

Selon P. Benner, l’intuition serait en lien direct avec le niveau d’expérience et la<br />

compétence de l’infirmière. Ainsi, « c’est l’intuition qui mar<strong>que</strong> l’aboutissement <strong>du</strong> processus<br />

d’acquisition d’une compétence, même si la pensée analyti<strong>que</strong> est nécessaire au débutant »<br />

(DREYFUS & DREYFUS, 1986). Non pas qu’une infirmière novice ne soit pas capable<br />

d’avoir une intuition mais plutôt <strong>que</strong> dans sa manière de raisonner, elle se réfère à des savoirs<br />

théori<strong>que</strong>s concrets alors <strong>que</strong> l’experte qui en est plus détaché <strong>du</strong> fait d’une plus grande<br />

maîtrise, agit le plus souvent sur un mode intuitif. En fait, « l’expert résout un problème en<br />

comparant inconsciemment la situation nouvelle avec les situations de référence dont il<br />

possède un grand nombre » (PETITMENGIN, 2001).<br />

Je tenais à rechercher les liens entre intuition et compétence et ce <strong>que</strong> j’ai trouvé m’a<br />

permis de mieux comprendre ce qui se joue dans ma situation de départ. En effet, les deux<br />

situations de départ illustrent deux niveaux de compétence, novice (l’interne et moi-même) et<br />

experte (les infirmières). Je comprends mieux alors qu’en tant <strong>que</strong> novices nous nous sommes<br />

référées aux savoirs théori<strong>que</strong>s (fièvre résistante + toux= grippe), alors <strong>que</strong> l’infirmière<br />

experte appréhende la situation de manière globale, dans son contexte et garde ainsi ses sens<br />

en éveil. Mais « être compétent, c’est avoir de l’intuition et c’est aussi se <strong>que</strong>stionner afin<br />

d’anticiper les situations ou les complications ».(MILHOMME & GAGNON, 2010). Je<br />

comprends alors <strong>que</strong> l’intuition participe au bon jugement infirmier mais ne saurait le résumer<br />

à elle seule.<br />

Ensuite, je m’interroge sur le lien entre intuition et raisonnement clini<strong>que</strong>. Je me<br />

demande si certains auteurs ont pu relier ces deux notions. J’apprends alors <strong>que</strong> le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier est de deux sortes, il « est basé sur une approche intuitive et<br />

cognitive » (GOUDREAU, POIRIER, & DE MONTIGNY, 2006). Je comprends donc <strong>que</strong><br />

des infirmiers chercheurs ont déjà réfléchi sur ce lien et font de l’intuition une composante <strong>du</strong><br />

6


aisonnement clini<strong>que</strong> infirmier mais est-ce le cas de tous les infirmiers de manière générale ?<br />

Egalement, l’Evidence Based nursing « tient compte de l’expérience professionnelle<br />

n’excluant pas l’utilisation de l’intuition, pour autant qu’elle soit réfléchie et analysée, en se<br />

référant aux savoirs scientifi<strong>que</strong>s actualisés ». Ainsi, l’EBN, prati<strong>que</strong> fondée sur les données<br />

probantes, reconnaît l’intuition comme source potentielle de raisonnement infirmier à la<br />

condition qu’elle reste soumise au <strong>que</strong>stionnement.<br />

Au fil de mes recherches, je lis un article scientifi<strong>que</strong> qui traite <strong>du</strong> man<strong>que</strong><br />

d’intégration des diagnostics infirmiers dans la démarche de soins et expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> leur<br />

intégration impli<strong>que</strong>rait des changements qui passeraient par « l’acceptation d’un nouveau<br />

discours, par la validation de ses intuitions et la valorisation d’une prati<strong>que</strong><br />

réfléchie ».(ROMEDER, 2009). Cet article illustre bien la volonté de continuer à <strong>faire</strong> évoluer<br />

la prati<strong>que</strong> infirmière pour en <strong>faire</strong> une prati<strong>que</strong> réflexive dans la<strong>que</strong>lle l’intuition a sa place.<br />

A ce stade, je peux donc réaliser <strong>que</strong> l’intuition est considérée comme une source utile<br />

à exploiter même si pour certains « elle ne peut pas <strong>faire</strong> partie des caractéristi<strong>que</strong>s <strong>du</strong><br />

raisonnement clini<strong>que</strong> ». (CÔTE & SAINT CYR TRIBBLE, 2012). Je me pose alors la<br />

<strong>que</strong>stion différemment : Pour <strong>que</strong>lles raisons l’intuition ne pourrait pas être assimilée au<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier ? Nous pourrions l’exclure <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier<br />

car elle n’est pas rationnelle. Sur ce point, Francisco J. Varela neurobiologiste et philosophe<br />

chilien expli<strong>que</strong> qu’« on ne gagne rien à marginaliser l’intuition, dans une vaine tentative<br />

pour rationaliser et maitriser tout ce qui peut arriver ». (PETITMENGIN, 2001).Je partage ce<br />

point de vue. Egalement, nous pourrions dire <strong>que</strong> nous ne pouvons pas l’assimiler à une<br />

science exacte, mais n’existe-il qu’une seule science ? Non, certains reconnaissent l’intuition<br />

comment faisant partie des sciences humaines : « autant les sciences exactes peuvent<br />

appréhender leur objet de l’extérieur, autant les sciences humaines ont à le comprendre « de<br />

l’intérieur », par recours à une « intuition » compréhensive » (FONTAINE, 2008). En<br />

continuant mes investigations sur la valeur à accorder à l’intuition, je suis étonnée de<br />

découvrir <strong>que</strong> d’éminents scientifi<strong>que</strong>s parlent d’elle en des termes assez élogieux. En effet,<br />

par exemple, Henri Pointcaré disait <strong>que</strong> « c’est par la logi<strong>que</strong> <strong>que</strong> nous prouvons et c’est par<br />

l’intuition <strong>que</strong> nous découvrons ». En réalité, nous pouvons être des êtres extrêmement<br />

rationnels et ne pas se priver des apports intuitifs.<br />

Plus loin, je découvre qu’ Henry Bernstein parle de la rapidité de construction de<br />

l’intuition, mais de <strong>que</strong>l mécanisme intellectuel découlent nos intuitions ? Daniel Goleman,<br />

psychologue américain fervent défenseur de l’intelligence émotionnelle expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> nous<br />

aurions deux voies cérébrales. « La « route haute », (...), passe par des systèmes neuraux qui<br />

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travaillent plus méthodi<strong>que</strong>ment, étape par étape, et non sans efforts »(...)« la route basse est<br />

un circuit qui opère à notre insu, automati<strong>que</strong>ment et sans effort, à une vitesse incroyable »<br />

(GOLEMAN, 2013). L’intuition serait le résultat de la « route basse ». Cette dernière « est<br />

plus rapide <strong>que</strong> précise ; la route haute, plus lente, nous donne une vue plus juste de ce qui se<br />

passe. La route basse est hâtive, grossière, la route haute est pondérée, raffinée »<br />

(GOLEMAN, 2013). J’apprends donc <strong>que</strong> l’intuition ne vient pas de nulle-part, son processus<br />

a bien été décrit et je comprends mieux la raison pour la<strong>que</strong>lle il est nécessaire d’interroger<br />

nos intuitions et de ne pas les suivre à tout prix.<br />

Enfin, je réalise <strong>que</strong> l’intuition est un processus non conscientisé mais je me<br />

demande : Est-il <strong>que</strong>stion de l’inconscient au sens freudien <strong>du</strong> terme ? Claire Petitmengin,<br />

Professeure à l'Institut Mines-Télécom expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « cette part de connaissances non<br />

conscientisées-non explicable par un refoulement au sens freudien-, semble même présente au<br />

cœur de nos activités les plus abstraites, les plus conceptuelles, les plus dénuées<br />

d’affectivité. » (PETITMENGIN, 2001). Je comprends donc qu’il ne s’agit pas là de<br />

l’inconscient psychanalyti<strong>que</strong>.<br />

A ce stade de ma réflexion je peux dire <strong>que</strong> l’intuition peut <strong>faire</strong> partie <strong>du</strong><br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier. Mais je me pose la <strong>que</strong>stion de la fiabilité de nos intuitions.<br />

Quand les suivre et quand s’en méfier? John Kounios, professeur de psychologie à l'université<br />

Drexel de Philadelphie et Christopher Chabris, professeur de psychologie à l'Union College<br />

de New York ont deux visions divergentes au sujet de la fiabilité de notre intuition. Pour John<br />

Kounios, « elle apparaît fiable, notamment face aux situations inconnues » or pour<br />

Christopher Chabris « il ne faut pas s'y fier si elle ne s'appli<strong>que</strong> pas à un champ d'expertise<br />

bien connu » (SENDER, 2016). Les avis divergent et c’est ce qui, à mon sens, rend le sujet<br />

intéressant à étudier. Je peux dire <strong>que</strong> j’adhère à la théorie de C. Chabris, la majorité des<br />

lectures <strong>que</strong> j’ai faites s’accordent à décrire le lien entre intuition et expertise et j’en<br />

comprends mieux le sens.<br />

Pour conclure, je peux dire <strong>que</strong> cette phase de recherches bibliographi<strong>que</strong>s a été<br />

nécessaire afin de clarifier mon objet d’étude. Je suis curieuse de savoir si, à l’issue de<br />

l’enquête, je retrouverai des points communs entre ce <strong>que</strong> j’ai lu et les témoignages infirmiers.<br />

8


2 PHASE THEORIQUE<br />

2.1 Question centrale<br />

A l’issue de la recherche bibliographi<strong>que</strong>, je décide d’énoncer la <strong>que</strong>stion centrale<br />

suivante :<br />

Dans <strong>que</strong>lle mesure l’intuition participe-t-elle au raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

2.2 Cadre conceptuel<br />

2.2.1 L’intuition<br />

L’intuition vient <strong>du</strong> latin classi<strong>que</strong> intuitum, « regarder attentivement » c’est une «<br />

connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l'expérience.<br />

C’est un sentiment irraisonné, non vérifiable qu'un événement va se pro<strong>du</strong>ire, <strong>que</strong> <strong>que</strong>l<strong>que</strong><br />

chose existe. »(LAROUSSE, 2016).Mais l’intuition n’est pas à assimiler à de l’instinct, en<br />

effet, « on ne saurait parler d’instinct, car ce mot désigne un montage inné, qui ne s’apprend<br />

pas ; alors <strong>que</strong> la capacité à réagir adéquatement s’accroit au fil de<br />

l’expérience »(PERRENOUD, 2003).<br />

Après de nombreuses recherches sur le concept d’intuition, j’ai fait le choix de décrire<br />

l’intuition selon ses différentes définitions, son mode d’expression, sa temporalité, ses formes,<br />

ses conditions d’exercice, sa valeur et ceci au regard de l’éclairage des différents auteurs<br />

ayant écrit sur le sujet.<br />

Selon F.J. Varela, « l’intuition est pour nous le paradigme de l’intimité, de ce qui est<br />

vécu et personnel » (PETITMENGIN, 2001). Dans le même sens, Eric Berne, créateur de la<br />

méthode de développement personnel appelée Analyse Transactionnelle, expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « les<br />

intuitions sont synthétisées à partir d’éléments sensoriels directs dont la perception et la<br />

synthèse se déroulent en dessous <strong>du</strong> seuil de conscience » (PETITMENGIN, 2001). Ainsi, je<br />

réalise d’une part <strong>que</strong> l’intuition est propre à cha<strong>que</strong> indivi<strong>du</strong>, à sa propre sensibilité, à ses<br />

propres émotions et d’autre part qu’elle se présente à nous de manière inconsciente.<br />

Ces deux points attirent tout mon intérêt car je comprends qu’autant il y a d’indivi<strong>du</strong>s<br />

autant il y a d’intuitions particulières et c’est ce qui à mon sens rend la sujet riche. De plus,<br />

son caractère inconscient m’intéresse comme toutes les choses qui ont tendance à nous<br />

échapper d’ailleurs. Philippe Perrenoud, sociologue suisse expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « c’est<br />

incompréhensible aussi longtemps <strong>que</strong> nous refusons l’idée <strong>que</strong> notre fonctionnement mental<br />

échappe en partie à notre conscience ».(PERRENOUD, 2003)<br />

9


Pour résumer mon propos je trouve cette citation de Nadine Sciacca,<br />

psychothérapeute, très parlante. En effet, pour cette dernière, l’intuition est « une<br />

connaissance non consciente qui nous vient des enseignements enregistrés par nos milliards<br />

de neurones au fil de nos expériences, à l’origine d’émotions destinées à orienter nos actions<br />

et nos décisions. »(SCIACCA, 2015). Tout comme je l’avais remarqué lors de la phase<br />

exploratoire, une fois de plus le lien est fait entre intuition et expérience.<br />

Je me suis ensuite penchée sur le mode d’expression de l’intuition et Henri Bergson,<br />

philosophe français, en parle dans ces termes« l'intuition est une sorte de sympathie par<br />

la<strong>que</strong>lle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec lui en ce qu'il a d'uni<strong>que</strong><br />

et d'inexprimable. » (BERGSON, 1938). Ces mots illustrent bien le cheminement de<br />

l’intuition.<br />

Plus tard, il me paraissait intéressant de m’attarder un instant sur l’intuition dans le<br />

rapport qu’elle entretient avec le temps. Henri Bernstein, dramaturge français, disait <strong>que</strong> «<br />

l'intuition, c'est l'intelligence qui commet un excès de vitesse.».Lors<strong>que</strong> F.J. Varela parle <strong>du</strong><br />

phénomène d’apparition de l’intuition, il expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose, jailli de nulle part,<br />

émerge soudain à la conscience » (PETITMENGIN, 2001). De plus, Claire Petitmengin<br />

expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « l’apparition de l’intuition comporte un caractère discontinu : elle surgit par un<br />

bond »(PETITMENGIN, 2001) et pour illustrer son propos, elle fait référence aux célèbres<br />

intuitions de Scherlock Holmes :« l’analyse <strong>que</strong> fait Sherlock Holmes de ses célèbres<br />

intuitions-comme un enchainement très rapide d’inférences inconscientes à partir<br />

d’observation d’infimes détails » (PETITMENGIN, 2001). Ainsi, je réalise la temporalité de<br />

l’intuition : elle est d’apparition rapide.<br />

Ensuite, j’ai lu divers écrits qui exposent les différentes formes <strong>que</strong> pouvait revêtir<br />

l’intuition. Sur ce point, les avis divergent. Pour Descartes, « l’intuition est une représentation<br />

qui est le fait de l’intelligence pure et attentive, représentation si facile et si distincte qu’il ne<br />

subsiste aucun doute sur ce <strong>que</strong> l’on comprend »(DESCARTES, Règles pour la direction de<br />

l'esprit, 2002) mais pour Kant,« c’est donc au moyen de la sensibilité <strong>que</strong> les objets nous sont<br />

donnés, et elle seule nous fournit des intuitions ; mais c’est par l’entendement qu’ils sont<br />

pensés, et c’est de lui <strong>que</strong> sortent les concepts »(KANT, Criti<strong>que</strong> de la raison pure, 1869). Les<br />

deux philosophes ont deux conceptions différentes de l’intuition, pour Descartes, l’intuition<br />

est liée à l’intelligence or pour Kant, l’intuition ne peut pas être intellectuelle mais seulement<br />

sensible. Il ajoute <strong>que</strong> « l’expérience consiste en intuitions qui appartiennent à la sensibilité, et<br />

en jugements qui sont exclusivement l'af<strong>faire</strong> de l'entendement uni<strong>que</strong>ment. » (KANT,<br />

Prolegomènes à toute métaphysi<strong>que</strong> future qui pourra se présenter comme science, 2001). La<br />

10


conception de l’intuition d’Emmanuel Kant est plus proche de l’idée <strong>que</strong> je me fais à présent<br />

de l’intuition comme un concept en lien avec les sens, les ressentis et les émotions. Rolland<br />

Romain, écrivain français, enrichit la thèse de Kant en écrivant <strong>que</strong> « c'est à l'intelligence<br />

d'achever l'œuvre de l'intuition. » (ROMAIN, 1978).Ainsi, l’intuition serait en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte<br />

une donnée brute à exploiter.<br />

En ce qui concerne les conditions d’exercice de l’intuition, Descartes exige deux<br />

conditions pour l’intuition « à savoir : <strong>que</strong> la proposition soit claire et distincte et qu'on la<br />

comprenne tout entière dans le même temps et non successivement. » (DESCARTES,<br />

Discours sur la méthode, 1844).<br />

Lors de ma phase exploratoire, j’ai évoqué la valeur <strong>que</strong> différents auteurs pouvaient<br />

accorder à l’intuition. J’ai poursuivi mes recherches sur ce point. Robert Bresson, cinéaste<br />

français, donne le conseil suivant : « Préfère ce <strong>que</strong> te souffle l'intuition à ce <strong>que</strong> tu as fait et<br />

refait dix fois dans ta tête. » (BRESSON, 1995).<br />

Pour Albert Einstein,« Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel est un<br />

serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don. ».<br />

Peter Hoeg, écrivain danois, expli<strong>que</strong> <strong>que</strong>« toute explication théori<strong>que</strong> est ré<strong>du</strong>ctrice, elle<br />

néglige l'importance de l'intuition. »(HOEG, 1995). Ces auteurs s’accordent à dire <strong>que</strong><br />

l’intuition a une valeur importante. Et l’intuition est, pour certains, présente dans tous les<br />

domaines, pour Arthur Koestler romancier et journaliste hongrois notamment, « c'est une<br />

erreur flagrante <strong>que</strong> d'assimiler la science à la raison pure et à la logi<strong>que</strong>, comme l'art à<br />

l'intuition et à l'émotion. » (KOESTHLER, 2011).Enfin, pour Heidegger « l’intuition<br />

représente l’idéal de toute connaissance, l’idéal de l’appréhension de l’étant en<br />

général »(HEIDEGGER, 1985).<br />

Tous ces écrits qui insistent sur la valeur de l’intuition me renvoient à la <strong>que</strong>stion de savoir<br />

si nous pouvons suivre nos intuitions. A cette <strong>que</strong>stion, Nadine Sciacca répond <strong>que</strong> « nous<br />

pouvons nous y fier (...) dans les domaines où nous sommes compétents (...), lors<strong>que</strong> nous<br />

avons une mesure de la pertinence de notre action (...), lors<strong>que</strong> nous ne sommes pas stressés<br />

(...), lors<strong>que</strong> nous avons suffisamment dormi, (...) lors<strong>que</strong> nous avons mangé,(...) lors<strong>que</strong> nous<br />

avons l’esprit reposé »(SCIACCA, 2015).<br />

Pour conclure sur le concept d’intuition je voudrais citer Jürgen Habermas, théoricien<br />

allemand en philosophie et sciences sociales. Pour ce dernier, c’est l’intuition qui « nous<br />

informe sur la <strong>que</strong>stion de savoir comment nous devons nous comporter au mieux afin de<br />

contrecarrer l’extrême vulnérabilité des personnes, en la protégeant et en l’épargnant »<br />

11


(HABERMAS, 1992). Cette citation me permet de <strong>faire</strong> le lien entre le concept d’intuition et<br />

les soins infirmiers dont le raisonnement clini<strong>que</strong> fait partie intégrante.<br />

2.2.2 Le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier<br />

Raisonnement vient <strong>du</strong> latin ratio qui signifie raison ou calcul. « Le terme<br />

« raisonnement »est défini à la fois comme un processus intellectuel et comme le résultat d’un<br />

processus ; la personne qui raisonne effectue une série d’inférences mais n’exprime <strong>que</strong> le<br />

pro<strong>du</strong>it de son raisonnement » (PSIUK, 2010).Si nous devions réfléchir de manière<br />

dichotomi<strong>que</strong>, il existe deux types de raisonnement : le raisonnement in<strong>du</strong>ctif et le<br />

raisonnement dé<strong>du</strong>ctif. Le raisonnement in<strong>du</strong>ctif « part d’observations particulières pour<br />

aboutir à une conclusion de portée générale » et le raisonnement dé<strong>du</strong>ctif « part d’une idée<br />

générale pour en dé<strong>du</strong>ire des propositions particulières » (BRISWALTER, 2016). Le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier est in<strong>du</strong>ctif, c’est un « processus intellectuel hypothéticodé<strong>du</strong>ctif<br />

qui utilise les données provenant de l’observation <strong>du</strong> patient pour arriver à une<br />

décision de soins ». (PSIUK, 2010) Ainsi, dans sa prati<strong>que</strong> quotidienne, l’infirmier part bien<br />

<strong>du</strong> particulier. Dans le même sens, « étymologi<strong>que</strong>ment, le raisonnement clini<strong>que</strong> consiste<br />

donc à l’utilisation de la réflexion par un clinicien qui collecte des données à partir<br />

d’observations directes <strong>du</strong> malade, à son chevet, pour en arriver à des conclusions ». (CÔTE<br />

& SAINT CYR TRIBBLE, 2012).<br />

Il n’existe pas de définition commune <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier, Thérèse<br />

Psiuk expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « pour définir le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier, la définition de Jean-<br />

Baptiste Paolaggi et Joël Coste appliquée au diagnostic médical a été adaptée en nommant la<br />

conclusion <strong>du</strong> raisonnement “jugement clini<strong>que</strong>”. Le jugement clini<strong>que</strong> se construit en partant<br />

des données recueillies lors de l’observation structurée <strong>du</strong> patient. À partir de ces données, les<br />

opérations mentales hypothético-dé<strong>du</strong>ctives sont activées ». (PSIUK, 2010)<br />

Dans une publication de l’ARSI, Sarah CÔTÉ et Denise ST-CYR TRIBBLE retracent<br />

la chronologie de la définition <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong>. Ainsi, la première définition <strong>du</strong><br />

raisonnement clini<strong>que</strong> est la suivante : c’est un« processus cognitif <strong>que</strong> les infirmières<br />

utilisent lorsqu’elles analysent les données provenant <strong>du</strong> patient pour planifier les soins de<br />

manière à en obtenir de bons résultats » (FONTEYN, 1991). La définition la plus récente est<br />

celle de Simmons qui définit le raisonnement clini<strong>que</strong> comme un« processus cognitif<br />

complexe qui utilise les stratégies formelles et informelles de la pensée pour assembler et<br />

analyser les informations provenant <strong>du</strong> patient, évaluer la signification de ces informations et<br />

12


générer et peser les alternatives » (SIMMONS, 2010). « La définition <strong>du</strong> raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> peut donc se résumer à l’utilisation de la cognition et de stratégies cognitives pour<br />

analyser et interpréter des données dans une démarche systémati<strong>que</strong> pour générer des<br />

hypothèses et des alternatives de solutions afin de résoudre un problème clini<strong>que</strong> » (CÔTE &<br />

SAINT CYR TRIBBLE, 2012).<br />

Pour Simmons qui parle de raisonnement clini<strong>que</strong> en suivant la théorie de Carl<br />

Rogers,« la délibération, les heuristi<strong>que</strong>s, les inférences, la métacognition, la logi<strong>que</strong> et<br />

l’intuition » (SIMMONS, 2010) sont les attributs <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong>. Thérèse Psiuk,<br />

quant à elle, énonce quatre attributs au raisonnement clini<strong>que</strong> : « la pertinence des<br />

connaissances en sciences médicales et en sciences humaines ,l’utilisation d’une<br />

méthodehypothético-dé<strong>du</strong>ctive identifiable lors de l’explicitation sur le processus utilisé pour<br />

poser un jugement clini<strong>que</strong> ; la maîtrise des niveaux de jugement clini<strong>que</strong> dans le modèle<br />

clini<strong>que</strong> tri-focal comprenant : les signes et symptômes de la pathologie, les ris<strong>que</strong>s liés à la<br />

pathologie et aux effets secondaires de traitement, les réactions humaines physi<strong>que</strong>s et<br />

psychologi<strong>que</strong>s (parfois exprimées en capacités) et la relation d’aide de type counseling.<br />

(PSIUK, 2010). Le raisonnement clini<strong>que</strong> est un concept dit « conjonctif »(PSIUK, 2010) en<br />

ce sens qu’il est transférable à toute situation de soins infirmiers.<br />

Pour certains la pensée humaniste est le seul antécédent <strong>du</strong> concept de raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> (PSIUK, 2010), pour d’autres, ils sont multiples et « incluent l’expérience de la<br />

personne dans son domaine, ses connaissances, sa mémoire à court et à long terme, la<br />

perception de signaux, la collecte de données ainsi <strong>que</strong> l’utilisation de l’intuition ». (CÔTE &<br />

SAINT CYR TRIBBLE, 2012).<br />

Les consé<strong>que</strong>nts <strong>du</strong> concept sont « la prise d’une décision, le passage à l’action (la<br />

décision d’intervenir ou non), la formation d’un jugement clini<strong>que</strong> et, finalement, la<br />

résolution ou non <strong>du</strong> problème » (CÔTE & SAINT CYR TRIBBLE, 2012). Egalement, les<br />

consé<strong>que</strong>nts se résument dans le fait <strong>que</strong> « le patient est acteur, les consensus d’équipe sont<br />

rapides, les raisonnements collectifs sont coordonnés, la démarche d’adaptation des soins est<br />

facilitée et les connaissances sont transférées dans la prati<strong>que</strong> des soins ». (PSIUK, 2010)<br />

Thérèse Psiuk décrit la méthodologie <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> et expli<strong>que</strong> qu’il « est<br />

initié à partir d’un indice existant chez le patient, visuel et/ou exprimé. Le processus suivi par<br />

l’infirmière experte pour parvenir à la conclusion clini<strong>que</strong> est inconscient et automati<strong>que</strong> car<br />

il agit par similarité avec d’autres cas stockés en mémoire. Ce processus non analyti<strong>que</strong> est<br />

prépondérant lors<strong>que</strong> les signes sont visuels. Cependant, la reconnaissance par similarité peut<br />

être source d’erreur si elle n’est pas complétée par un processus analyti<strong>que</strong> basé sur la<br />

13


formulation d’hypothèses ». (PSIUK, 2010) Ainsi, le raisonnement clini<strong>que</strong> est à la fois<br />

analyti<strong>que</strong> et non analyti<strong>que</strong>.<br />

Pour <strong>faire</strong> le lien avec l’intuition, je remar<strong>que</strong> <strong>que</strong> certains la définissent comme<br />

attributs <strong>du</strong> concept de raisonnement clini<strong>que</strong>, or « les attributs d’un concept sont des<br />

caractéristi<strong>que</strong>s qui doivent être présentes pour reconnaître ce dernier dans la réalité et<br />

transférables à tout autre contexte dans le<strong>que</strong>l le concept est présent »(PSIUK, 2010) donc<br />

l’intuition fait pour certain partie intégrante <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong>. Mais pour<br />

d’autres« l’intuition étant un « sentiment instinctif » d’un événement à venir, la connaissance<br />

directe et immédiate de la vérité sans l’aide <strong>du</strong> raisonnement » (Le dictionnaire, 2016), elle ne<br />

peut pas <strong>faire</strong> partie des caractéristi<strong>que</strong>s <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> ». (CÔTE & SAINT CYR<br />

TRIBBLE, 2012). Pour ma part, je défends la théorie de Carl Rogers qui définit l’intuition<br />

comme attribut <strong>du</strong> concept de raisonnement clini<strong>que</strong>.<br />

Pour conclure sur le cadre conceptuel de ma recherche, lors de mes investigations, j’ai<br />

souvent remarqué <strong>que</strong> l’intuition était liée au concept de décision. Nadine Sciacca a<br />

interviewé Erit Fiat, philosophe français contemporain et lui a posé la <strong>que</strong>stion suivante :<br />

« Quand votre cœur balance, comment prenez-vous vos décisions, vous fiez-vous davantage à<br />

votre intuition ou à votre raison ? Quels éclairages la philosophie vous a-t-elle apportés en<br />

matière de prise de décision ? ». A cette <strong>que</strong>stion le philosophe répond <strong>que</strong> « l’avantage d’une<br />

décision prise à l’issue d’un raisonnement est <strong>que</strong> l’on peut la justifier, expli<strong>que</strong>r à autrui<br />

<strong>que</strong>l fut son fondement. Son inconvénient est sa lenteur (...) L’avantage d’une décision prise<br />

par intuition est sa fulgurance (...) Son inconvénient est <strong>que</strong> celui qui décide intuitivement ne<br />

peut expli<strong>que</strong>r, justifier sa décision. »Il ajoute : « J’essaye d’équilibrer en moi intuition et<br />

raison, mais on ne peut pas opposer l’une et l’autre de manière trop radicale. Leibnitz disait<br />

« qu’il y a dans l’intuition des raisons cachées qu’on ne voit pas à cause qu’elle se pro<strong>du</strong>isent<br />

trop vite ». « L’intuition, c’est un raisonnement enveloppé comme, en un sens, le<br />

raisonnement est une sorte d’intuition développée... Ne les opposons pas de manière trop<br />

cadastrale ! »(SCIACCA, 2015). Cette interview illustre bien le lien étroit entre raisonnement<br />

et intuition.<br />

3 PHASE DE TERRAIN<br />

3.1 Dispositif de recherche<br />

Pour réaliser mon enquête, j’ai décidé de suivre la méthode clini<strong>que</strong> au cours de la<strong>que</strong>lle<br />

« le chercheur s’intéresse aux déterminants biographi<strong>que</strong>s <strong>du</strong> sujet dans le phénomène<br />

14


observé » (EYMARD, 2003). L’objectif de mon enquête est de déterminer la place de<br />

l’intuition dans le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier. En effet, pour mener à bien ma recherche,<br />

j’ai choisi de suivre le paradigme biologiste pour le<strong>que</strong>l « la réalité est subjective, et<br />

correspond aux conditions mentales de chacun »(SOYER, 2014). Ce qui m’intéresse de savoir<br />

c’est le vécu singulier des soignants afin de déterminer dans <strong>que</strong>lles mesures l’intuition<br />

intervient dans le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier. En effet, dans le paradigme biologiste,<br />

l’objectif <strong>du</strong> chercheur est de : « comprendre les phénomènes » et de répondre à la <strong>que</strong>stion<br />

<strong>du</strong> « pourquoi ? ».Le chercheur s’intéresse à différentes valeurs: « la subjectivité, la<br />

singularité-unicité (sujet ou groupe), la diversité, le cheminement, l’errance,<br />

l’imprévisibilité » (SOYER, 2014). Ainsi, c’est une démarche apostérioriste et « l’analyse est<br />

qualitative, l’étude est liée au contexte. L’observateur est interne : le chercheur est considéré<br />

comme une ressource inhérente au processus d’investigation. L’interprétation découle de<br />

l’expérience des participants et les résultats sont contextualisés » (SOYER, 2014).<br />

Dans la méthode clini<strong>que</strong> j’ai choisi la casuisti<strong>que</strong> dans la<strong>que</strong>lle « le chercheur<br />

s’intéresse au processus <strong>du</strong> changement <strong>du</strong> sujet et aux traces qu’il veut bien livrer », « étudie<br />

ce qu’il y a de singulier chez cha<strong>que</strong> sujet » et « où la valeur exemplaire <strong>du</strong> cas sert de modèle<br />

de compréhension des cas similaire »(SOYER, 2014). J’ai donc décidé de réaliser huit<br />

entretiens semi-directifs auprès d’infirmiers. Comme je souhaite également observer<br />

l’influence de l’intuition au regard de l’expérience, j’ai décidé de réaliser quatre entretiens<br />

auprès d’infirmières expérimentées (au moins six ans d’expérience) et novices (maximum<br />

trois ans de diplôme).<br />

Mes entretiens se déroulent en service de chirurgie viscérale, en médecine-cardiologie et<br />

en libéral. J’ai décidé de ne pas interviewer d’infirmier <strong>du</strong> secteur psychiatri<strong>que</strong> ni d’infirmier<br />

travaillant dans un service où la techni<strong>que</strong> est prédominante (réanimation, bloc-opératoire).<br />

Pour la psychiatrie, il me semble <strong>que</strong> les infirmiers pourraient être plus au fait de ce qu’est<br />

l’intuition, ce n’est peut être qu’un simple apriori mais je décide d’éliminer ces professionnels<br />

de ma recherche pour la rendre plus objective. Pour les infirmiers issus de services<br />

« techni<strong>que</strong>s », je souhaitais interroger des infirmiers ayant une certaine liberté dans leur<br />

service, non pas <strong>que</strong> je pense <strong>que</strong> les infirmiers en réanimation ne sont pas libres mais<br />

j’imagine <strong>que</strong> les outils à leur disposition peuvent interférer dans leur choix d’action. Les<br />

lieux choisis ne sont pas spécifi<strong>que</strong>s ce qui ne permet pas de prendre en compte l’identité<br />

professionnelle des soignants propre à cha<strong>que</strong> service. En effet, ne pouvant réaliser <strong>que</strong> huit<br />

entretiens et souhaitant interroger des infirmiers novices et expérimentés, les résultats auraient<br />

été encore moins significatifs.<br />

15


3.2 Résultats de l’enquête<br />

Pour exposer les résultats de mon enquête de terrain, j’ai fait le choix d’exposer les<br />

résultats <strong>que</strong>stion par <strong>que</strong>stion afin de rendre la restitution plus claire et faciliter l’analyse qui<br />

en découlera.<br />

Question 1 : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa<br />

corrélation avec la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour<br />

vous cette démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

Objectif : Savoir ce <strong>que</strong> le soignant entend par raisonnement clini<strong>que</strong> dans sa prati<strong>que</strong><br />

quotidienne et déterminer sur <strong>que</strong>ls éléments est basée sa réflexion infirmière.<br />

Résultats : Afin d’exposer les résultats de cette <strong>que</strong>stion, j’ai identifié différents thèmes<br />

plus ou moins récurrents dans les entretiens.<br />

Ainsi, je peux dire <strong>que</strong> les trois quarts des infirmiers interrogés associent le raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> aux savoirs et aux connaissances (théori<strong>que</strong>s ou clini<strong>que</strong>s). Pour illustrer mon propos,<br />

l’IDE 1 n°1 dit « je vais <strong>faire</strong> par rapport à ce <strong>que</strong> je sais <strong>du</strong> patient, de ce qu’on m’a transmis<br />

et de ce <strong>que</strong> je sais des antécédents et de la pathologie ».<br />

Ensuite, j’ai pu remar<strong>que</strong>r <strong>que</strong> plus des deux tiers des infirmiers interrogés basent leur<br />

réflexion sur l’observation, c’est le cas de l’IDE n°7 qui met l’observation au premier plan<br />

« les observer, observer ton patient, ça commence par ça ».<br />

Egalement, la même proportion d’infirmiers de mon échantillon expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier leur permet de « <strong>faire</strong> les liens » « mettre en lien », l’IDE n°2<br />

expli<strong>que</strong> cela en disant <strong>que</strong> le raisonnement c’est « <strong>faire</strong> le lien entre ce qu’on observe chez le<br />

patient, mettre en lien avec d’autres données... ».<br />

Ensuite, j’ai été très surprise de remar<strong>que</strong>r <strong>que</strong> sans avoir annoncé le sujet de mon<br />

mémoire, la moitié des infirmiers évo<strong>que</strong>nt l’« instinct », le « feeling », c’est le cas<br />

notamment de l’IDE n°5 qui expli<strong>que</strong> qu’ « au bout d’un moment, je pense <strong>que</strong> ça finit par se<br />

<strong>faire</strong> un peu plus par l’instinct <strong>que</strong> par raisonnement ».<br />

Egalement, la moitié des infirmiers expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> la réflexion infirmière évolue avec<br />

l’expérience, en ce sens l’IDE n°7 dit qu’ « avec l’expérience, ta réflexion évolue, pas au<br />

début (...) mais après c’est un peu au feeling enfin tu le sens ou tu le sens pas ».<br />

La moitié des interrogés me parlent de divers objectifs <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong>. Selon<br />

eux, le raisonnement clini<strong>que</strong> sert à la mise en place d’actions (IDE n°2), à poser des<br />

1 Infirmier Diplômé d’Etat<br />

16


diagnostics (IDE n°4), à hiérarchiser ses actions (IDE n°5), à déterminer les besoins <strong>du</strong><br />

patient (IDE n°5) et enfin identifier des ris<strong>que</strong>s (IDE n°8).<br />

Mais je remar<strong>que</strong> <strong>que</strong> la moitié des soignants se trouvent dans un premier temps face à la<br />

difficulté de répondre à ma <strong>que</strong>stion. Par exemple l’IDE n°6 me répond « ça ne me parle pas<br />

<strong>du</strong> tout ton raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier », l’IDE n°7 éprouve cette même difficulté et me<br />

répond : « alors je ne voudrais pas <strong>faire</strong> de hors sujet, c’est ce sur quoi tu te fies c’est ça ?<br />

Comment tu travailles ? Tous ces trucs là ? ».<br />

Enfin, plus d’un tiers des infirmiers évo<strong>que</strong>nt les termes de ressentis et parlent des sens<br />

lorsqu’ils décrivent ce sur quoi est basé leur raisonnement clini<strong>que</strong>, par exemple, pour l’IDE<br />

n° 8, l’observation <strong>du</strong> patient se fait « par tous les moyens, par tous les sens », elle énonce<br />

également la vue, les ressentis, l’ouïe. L’IDE n°5 fait la synthèse de son patient entre autres<br />

grâce aux « ressentis » de ce dernier.<br />

Question n°2 : On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensezvous<br />

?<br />

Objectifs : Permettre au soignant de témoigner de leur opinion sur ce constat, intro<strong>du</strong>ire le<br />

thème de mon mémoire basé sur les ressentis et ouvrir aux témoignages d’expériences<br />

propres.<br />

Résultats : Le premier constat <strong>que</strong> je peux <strong>faire</strong> c’est <strong>que</strong> globalement, tous les infirmiers<br />

interrogés pensent <strong>que</strong> les infirmiers ressentent les choses. Sur les huit infirmiers, la moitié<br />

valident ce constat sans réserve. Une infirmière parle <strong>du</strong> ressenti comme étant au cœur <strong>du</strong><br />

métier d’infirmier en me répondant très spontanément « oui tu sens enfin sinon tu fais pas ce<br />

métier » (IDE n°4). Dans le même ordre d’idée un autre me répond « oui je suis tout à fait<br />

d’accord, on sent les choses ça c’est sûr » (IDE n°5).<br />

Tous sont d’accord avec ce constat mais une infirmière éprouve des difficultés à illustrer<br />

ses dires avec un exemple parlant et me témoigne un exemple où les signes de dégradation de<br />

la clini<strong>que</strong> <strong>du</strong> patient sont flagrants (IDE n°1). Une autre infirmière ne sait pas quoi me<br />

répondre dans un premier temps, met ensuite en doute ce constat « je ne pense pas qu’on ait<br />

un truc particulier » mais se ravise lors<strong>que</strong> je la relance et finit par déclarer <strong>que</strong> « ça peut<br />

arriver on va observer un patient et on se dit il a pas l’air bien je le sens pas peut-être <strong>que</strong> cet<br />

après-midi il va merder » (IDE n°2).<br />

Ensuite, je remar<strong>que</strong> deux infirmières associent leurs ressentis à l’évaluation de l’état<br />

psychologi<strong>que</strong> <strong>du</strong> patient plutôt <strong>que</strong> somati<strong>que</strong> « après c’est beaucoup pour le ressenti par<br />

exemple l’angoisse des patients, ce genre de choses ça va être dans le ressenti » (IDE n°2).<br />

17


De plus une infirmière valide le faits <strong>que</strong> l’infirmière a des ressentis mais ne les classe pas<br />

directement dans le raisonnement clini<strong>que</strong>, pas « dans le sens pur de ce <strong>que</strong> tu dis là <strong>du</strong><br />

raisonnement clini<strong>que</strong> » (IDE n°6).<br />

Ensuite, je réalise <strong>que</strong> cette <strong>que</strong>stion permet aux infirmiers de me témoigner des situations<br />

vécues, seul un infirmier n’illustre pas sa réponse d’un exemple.<br />

Plus après, je constate <strong>que</strong> la moitié des infirmiers répondent à cette <strong>que</strong>stion en faisant<br />

référence à l’intuition ou à l’instinct. Par exemple, l’IDE n°1 évo<strong>que</strong> le terme d’intuition<br />

qu’elle relie aux sens comme l’odorat et aux « choses non matérialisées », l’IDE n°8 quant à<br />

elle l’évo<strong>que</strong> en parlant de la difficulté de s’expli<strong>que</strong>r ses propres ressentis infirmiers « c’est<br />

vrai <strong>que</strong> après pourquoi tu as comme l’intuition <strong>que</strong> ça part bien ou mal, je sais pas ». L’IDE<br />

n°7 évo<strong>que</strong> une expérience « il allait pas bien mais rien d’alarmant clini<strong>que</strong>ment et c’était<br />

plus un instinct, un ressenti ». L’IDE n°4 parle également d’instinct « t’as tes compétences,<br />

tes liens et ton intelligence qui te fait dire voilà mais aussi ton instinct », par ces dires, je<br />

comprends <strong>que</strong> pour certains, l’intuition, les ressentis sont à considérer non pas séparément <strong>du</strong><br />

reste mais comme faisant partie d’un tout. Dans ce sens, trois infirmières placent l’intuition<br />

dans un ensemble de choses à prendre en compte pour évaluer l’état de santé <strong>du</strong> patient, l’IDE<br />

n°8 expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « parfois la plaie est pas mal mais tu sens <strong>que</strong> ça part pas bien en fait c’est<br />

un tout, c’est un global <strong>que</strong> tu ressens où tu te dis ça part dans le bon sens ou ça part pas dans<br />

le bon sens ».<br />

Deux infirmières parlent de la difficulté de s’expli<strong>que</strong>r le pourquoi de leur ressentis, c’est<br />

le cas de l’IDE n°8 qui dit « bien sûr tu ressens des choses en fait <strong>que</strong> tu ne peux pas<br />

expli<strong>que</strong>r » « tu sais juste dire <strong>que</strong> t’as l’intuition qu’il y a un truc qui va partir en sucette mais<br />

tu sais pas trop pourquoi ».<br />

En avançant dans la lecture de mes entretiens, je m’aperçois <strong>que</strong> deux infirmiers associent<br />

spontanément les ressentis avec un exemple de prise en soins d’un patient en phase palliative<br />

de sa pathologie, l’IDE n°3 m’expli<strong>que</strong> « y’a pas de douleur clairement identifiée mais voilà<br />

on sent qu’elles sont pas à l’aise <strong>que</strong> ces personnes elles sont pas bien ».<br />

Enfin, une même infirmière relie les ressentis à l’expérience professionnelle : « je pense<br />

qu’au plus les années passent au plus je ressens les choses », elle expli<strong>que</strong> également <strong>que</strong> la<br />

confiance au sein de l’équipe soignante conditionne le suivi des ressentis « nous on a de la<br />

chance <strong>que</strong> quand ça nous arrive les médecins nous écoutent et nous croient » (IDE n°8),<br />

enfin, elle évo<strong>que</strong> la fiabilité des ressentis infirmiers « c’est vrai <strong>que</strong> c’est souvent fondé ».<br />

18


Question n°3 : Vous est-il déjà arrivé de prendre une décision/d’agir sur un simple<br />

ressenti sans pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui, pourriez-vous me parler<br />

d’une expérience ?<br />

Objectifs : Amener les infirmiers à me parler d’une situation qu’ils ont vécu en rapport<br />

avec le thème de ma recherche en laissant libre court à leur témoignage.<br />

Résultats : Sur les huit infirmiers interrogés, sept ont déjà vécu ce genre de situation « oui<br />

tout le temps oui souvent » (IDE 4), « ça m'est déjà arrivée par exemple de dire aux médecins<br />

de dire venez la voir je sais pas je la sens pas je la trouve pas top » (IDE 2). Une seule<br />

infirmière répond par la négative dans un premier temps, « Là non ça ne me parle pas sans se<br />

dire tiens pourquoi j'ai fait ça? Non en général euh ... » mais finit par me donner des exemples<br />

de situations qui illustrent bien une prise de décision sur la base d’un ressenti.<br />

Les exemples décrits par les infirmiers sont pour la grande majorité sur des situations<br />

de ressentis vis à vis d’un problème somati<strong>que</strong> : « il y a des personnes qu'on va aller voir<br />

même si au niveau de la clini<strong>que</strong> purement non même pas la clini<strong>que</strong> mais voilà on va dire<br />

des personnes qui ne sont pas dyspnéi<strong>que</strong>s les constantes sont bonnes mais on voit au faciès à<br />

l'attitude qu'on le sent pas on se dit il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui va pas » (IDE n°3). Un infirmier<br />

donne l’exemple des rétentions aigues d’urine : « c'est typi<strong>que</strong>ment chez les personnes<br />

âgées alitées c'est typi<strong>que</strong>ment tu les sens décompenser quand ça commence j'entends quand<br />

ils commencent un peu à sur charger tu les sens décompenser c'est l'exemple <strong>que</strong> j'ai le plus<br />

de vécu je parle avec la personne âgée tu les sens décompenser tu les sens s'aggraver sur le<br />

plan respiratoire mais la saturation est bien tu les sens un peu dyspnéi<strong>que</strong>s tu les sens pas<br />

flamme je sais pas exactement le dire » (IDE n°5). Une autre donne l’exemple des bilans<br />

d’entrée en chirurgie : « Y'a <strong>que</strong>lqu'un qui rentre il est peu pâle au bilan d'entrée tu te dis<br />

tiens je vais pi<strong>que</strong>r des groupes et des RAI je sens qu'il va avoir besoin d'être transfusé<br />

pourtant bon d'accord y'a les signes clini<strong>que</strong>s il est un pâle mais en même temps il peut être<br />

pâle pour d'autres raisons <strong>que</strong> pour un problème d'hémoglobine moi ça m'est déjà arrivé de<br />

prendre cette initiative par intuition et qu’en fait le lendemain on ait besoin de le transfuser. »<br />

(IDE n°6). Une autre infirmière me donne l’exemple d’une occlusion digestive à domicile<br />

« une personne qui est <strong>que</strong> je trouvais pas bien je trouvais qu'elle avait une sale tête <strong>que</strong> son<br />

teint était pas top je sais pas et concrètement la tension était bonne les pulsations étaient<br />

bonnes la plaie n'avait pas évolué en bien ou en mal et je sais pas je euh c'est vrai <strong>que</strong> j'ai<br />

appelé le médecin son médecin en plus était en vacances donc j'ai hésité et je me suis dit non<br />

il faut pas <strong>que</strong> je la laisse comme ça ». (IDE n°8). Deux infirmiers parlent de situation où les<br />

mauvais ressentis précèdent l’apparition de signes évidents « j'étais passée une demi-heure<br />

19


avant il avait rien mais je le sentais pas je suis arrivé il était marbré des œdèmes discrets aux<br />

jambes 9/5 de tension dans pas forcément alarmant 100 de pouls j'ai dit allez c'est bon il fait<br />

un OAP 2 j'ai vite appelé l'anesthésiste et bingo OAP tu vois» (IDE n°4). Pour deux infirmiers,<br />

les ressentis leur permettent de dire <strong>que</strong> <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose ne va pas sans identifier pour autant<br />

dans un premier temps l’origine précise <strong>du</strong> mal-être : « J'avais pas pensé à un problème<br />

digestif de cet ordre là » (IDE n°8), « ben je pense <strong>que</strong> je l’avais identifié au niveau cardia<strong>que</strong><br />

après avoir eu le ressenti » (IDE n°5).<br />

Sur la totalité de mon échantillon seule une infirmière prend pour exemple un ressenti<br />

au niveau psychologi<strong>que</strong> : « Si je ressens à un moment qu'il y a un qu'il y a un creux <strong>que</strong>l<strong>que</strong><br />

chose je vais sentir qu'elle a peut-être besoin de parler de ça ou quoi ça fait aussi partie de la<br />

prise en charge le ressenti » (IDE n°1). Pour cette personne, les ressentis ne semblent pas être<br />

sur des problèmes somati<strong>que</strong>s « Les soins en eux mêmes il y a toujours une base » (IDE n°1).<br />

Ensuite, il m’intéressait de connaître les actions mises en place par les infirmiers suite<br />

à leurs ressentis. Une seule infirmière ne décrit pas d’action particulière mise en place. Les<br />

autres infirmiers évo<strong>que</strong>nt tous l’appel au médecin comme action suite à un mauvais ressenti :<br />

« Ben moi ça m'est déjà arrivé d'interpeller à deux ou trois reprises un chirurgien parce qu'en<br />

arrivant le matin le patient je sentais qu'il allait avoir un truc je sentais » (IDE n°7), « j'ai<br />

appelé le médecin son médecin en plus était en vacances donc j'ai hésité et je me suis dit non<br />

il faut pas <strong>que</strong> je la laisse comme ça j'ai appelé un autre médecin qui ne la connaissait pas je<br />

lui ai dépeint le tableau en lui demandant s'il pouvait y aller parce <strong>que</strong> ben parce <strong>que</strong> je la<br />

trouvais pas bien » (IDE n°8). Sur les sept infirmiers qui décident d’alerter le médecin, seuls<br />

deux l’alertent sur la base d’un simple ressenti : « ça m'est déjà arrivé par exemple de dire aux<br />

médecins de dire venez la voir je sais pas je la sens pas je la trouve pas top » « où je n’avais<br />

pas de symptôme particulier à décrire au médecin » (IDE n°2), « Je la trouvais pas bien mais<br />

c'est vrai <strong>que</strong> j'arrivais pas à dire voilà je la trouvais juste pas bien et en fait il s'est avéré qu'il<br />

l'a faite hospitaliser et qu'elle avait une occlusion » (IDE n°8). Les cinq autres infirmiers<br />

cherchent d’autres signes avant d’alerter le médecin : « Tu vas lui trouver <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d'un<br />

peu anormal qui va te prétexter une raison d'appeler un médecin » (IDE n°5).<br />

Comme autre action mise en place, je note l’observation et la surveillance rapprochées<br />

des patients : « Ces ressentis là je vais plus les surveiller entre guillemets pour m'appuyer sur<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose » (IDE n°3), « Si juste il a une petite tension et une tachycardie mais qu'il a<br />

aucun autre signe ben juste tu vas le surveiller en attendant d'autres signes mais au final c'est<br />

2 Œdème Aigu <strong>du</strong> Poumon<br />

20


juste une surveillance » (IDE n°4), « C'est d'abord de l'observation la bonne observation et le<br />

bon suivi <strong>du</strong> patient on en revient au même dans ces moments-là aller le voir régulièrement<br />

être présente plus qu'en temps normal » (IDE n°7). Un infirmier évo<strong>que</strong> comme actions la<br />

prise des constantes et la surveillance clini<strong>que</strong> <strong>du</strong> patient : « Soit tu commences à t'intéresser à<br />

savoir à savoir un peu ses constantes de toute façon tu le sais soit à ton tour des constantes<br />

comme ça par le pur des hasards soit tu vas avoir le réflexe de palper et dire ah là merde il est<br />

en globe ou alors tu vas pas le <strong>faire</strong> », « généralement quand tu as ce genre de ressentis tu<br />

essaies d'apprêter un œil plus attentif encore d'être plus exhaustif dans ta recherche clini<strong>que</strong> »<br />

(IDE n°5).<br />

Au sujet de la décision d’appeler ou non le médecin, une infirmière évo<strong>que</strong> la<br />

difficulté de juger si l’appel au médecin est nécessaire car la crédibilité personnelle est mise<br />

en jeu : « Après c'est à toi de juger c'est ça qui est <strong>du</strong>r dans ton boulot parce qu' au final si<br />

t'appelle l'anesth une fois et qu'au final il vient pour rien deux fois il vient pour rien et <strong>que</strong> tu<br />

t'alarmes à cha<strong>que</strong> fois pour rien et <strong>que</strong> c'est vraiment rien au bout d'un moment il dit "allez<br />

c'est bon" d'un air "je vous connais vous je viens pas " » (IDE n°4). Un autre infirmier parle<br />

également de la crédibilité de l’infirmier qui peut être mise à mal : « Tu passes pour un<br />

pruneau des fois » (IDE n°5). La difficulté d’être pris au sérieux lors de la communication des<br />

ressentis est également évoquée par une infirmière : « Elle était pas bien je faisais <strong>que</strong> dire<br />

elle est pas pas bien elle est pas bien elle est pas bien et personne me croyait les médecins ne<br />

me croyaient pas au staff rien à cirer alors qu'elle était hypoten<strong>du</strong>e et tachycardie » (IDE n°6).<br />

Une infirmière décrit la nécessaire insistance auprès des médecins en cas de mauvais ressenti :<br />

« Il y a pas longtemps j'ai fait suer la chirurgienne toute la matinée en lui disant le patient je le<br />

sens pas je le sens pas le patient je le sens pas ça va pas il va y avoir <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose », elle<br />

décrit précisément son argumentaire auprès <strong>du</strong> médecin : « Je l'ai argumenté comme ça les<br />

constantes sont bien mais il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose je lui ai fait tous les antalgi<strong>que</strong>s ça passe pas le<br />

redon commence à donner un petit peu plus c'est un peu plus rouge et puis il est bizarre c'était<br />

plus ça » et décrit la réaction <strong>du</strong> médecin « a un moment ça a été « tu m'agaces ça fait dix fois<br />

<strong>que</strong> tu me le dis » mais à la onzième fois ça été merci ». Cette même infirmière expli<strong>que</strong><br />

qu’elle « préfère prévenir pour rien plutôt <strong>que</strong> de passer à côté surtout quand ça <strong>du</strong>re »(IDE<br />

n°7). Une infirmière expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> l’expérience et l’ancienneté aident à ce <strong>que</strong> les médecins<br />

les prennent au sérieux : « J'avais l'expérience je pense <strong>que</strong> c'est plus l'expérience et parce <strong>que</strong><br />

j'appelle pas pour rien parce <strong>que</strong> je ne m'inquiète pas de grand chose(rires) donc en général en<br />

fait ils savent <strong>que</strong> si je leur dis attention je sens <strong>que</strong> c'est pas bon ils préfèrent quand même<br />

21


aller voir après parce <strong>que</strong> j'ai plus d'expérience ça fait longtemps <strong>que</strong> je suis là ». Mais elle<br />

expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> «même jeune diplômée j'appelais quand même » (IDE n°6).<br />

Au sujet <strong>du</strong> caractère fondé des ressentis, deux infirmières font le lien avec<br />

l’expérience et le fait de connaître ses patients : « A priori au départ tu sais pas trop ce qui va<br />

pas mais au final avec l'expérience à force de les voir de les côtoyer de je ne sais pas quand ça<br />

part en sucette tu le vois venir » (IDE n°8), « je pense <strong>que</strong> c'est parce qu'on les connaît plus on<br />

est plus vigilants plus présents les médecins ne les voient qu'à la visite matin et soir alors <strong>que</strong><br />

nous on est là toute la journée on les connaît plus » (IDE n°6).<br />

Deux infirmiers expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> les ressentis ne sont pas toujours infaillibles « puis<br />

des fois t'as tort aussi des fois tort aussi tu te dis le patient je sais pas je le sens pas puis<br />

finalement il va dégueuler un bon coup il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui était pas passé au repas et en<br />

fait tu passes pour un idiot voilà(rires) » (IDE n°5), « ça peut très bien arriver parfois on peut<br />

s'alerter avoir des impressions qui finalement ne sont pas forcément ne sont pas forcément<br />

bonnes » (IDE n°7). Mais un infirmier expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> pour lui les ressentis sont plus aidants<br />

<strong>que</strong> pénalisants : « C'est plus souvent d'ailleurs dans ce sens là <strong>que</strong> dans le sens où tu passes<br />

pour un idiot » (IDE n°5).<br />

Enfin, pour conclure sur les résultats obtenus à cette <strong>que</strong>stion, deux infirmières<br />

déclarent <strong>que</strong> nous n’avons pas les mêmes ressentis selon la personne <strong>que</strong> l’on a en face de<br />

soi. Une d’entre elles dit qu’« après ça dépend des gens il y a des gens avec qui ça passe<br />

mieux des gens avec qui ça passe moins bien donc peut-être <strong>que</strong> c'est ça aussi mais il y a une<br />

part de ressenti »(IDE n°6).<br />

Question 4 : Est-ce <strong>que</strong> ce phénomène de « sentir les choses » a évolué au cours<br />

de vos années d’expériences ? A quoi cela est dû à votre avis ?<br />

Objectifs : Amener les infirmiers à réfléchir sur l’évolution de leurs ressentis depuis<br />

l’obtention de leur diplôme afin de déterminer si les ressentis évoluent au cours <strong>du</strong> temps et si<br />

oui de <strong>que</strong>lle manière.<br />

Résultats : Sur les huit infirmiers interrogés, sept témoignent d’une évolution positive<br />

de leurs ressentis : « Oui oui oui oui ben je pense <strong>que</strong> euh qu'ils ont évolué dans un sens plutôt<br />

positif dans la mesure où ils sont plus adaptés plus justes » (IDE n°5), « ben oui, tout à fait<br />

c’est évident » (IDE n°8). Une seule infirmière me parle d’une évolution qui se déroule<br />

seulement sur la première année d’exercice : « Alors je dis peut-être qu'au début il y a eu une<br />

évolution et là après au bout... on va dire par exemple la première année quand tu as pas <strong>du</strong><br />

22


tout l'habitude peut-être <strong>que</strong> j'avais beaucoup moins d'intuition et après ça a stagné quoi »<br />

(IDE n°2).<br />

Les sept infirmiers qui s’accordent à dire <strong>que</strong> leurs ressentis évoluent positivement<br />

depuis le début de leur profession justifient ce phénomène par diverses explications.<br />

Cinq infirmiers pensent <strong>que</strong> c’est le gain d’expérience qui permet d’avoir plus de<br />

ressentis : « Je pense <strong>que</strong> tu l'acquiers au fur et à mesure de tes expériences au fur et à mesure<br />

de ouais de tes expériences ta maturité » (IDE n°7), « Oui oui oui oui il a évolué parce <strong>que</strong> <strong>du</strong><br />

coup tu te réfères je pense toujours à des trucs qui te sont arrivés » (IDE n°4). Cette même<br />

infirmière m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> selon elle l’expérience nous permet en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte de courtcircuiter<br />

notre réflexion « Eh oui avec l'expérience tu arrives direct à savoir sans réfléchir ce<br />

qu'il y a » (IDE n°4), elle illustre son propos d’un exemple : « Par exemple dans un cas<br />

d'urgence quand tu as un infarctus un OAP ou quoi tu agis automati<strong>que</strong>ment mais après en<br />

repensant la situation tu dis putain c'est moi qui fait ça mais tu sais pas comment tu l'as fait<br />

c'est je sais pas ça ne s'expli<strong>que</strong> pas c'est l'instinct animal on est tous animaux » (IDE n°4).<br />

Ensuite, quatre infirmiers expli<strong>que</strong>nt l’évolution positive de leurs ressentis par<br />

l’habitude : « Oui tu vois on va on va se dire là y'a ça ça ça et tout va s'enchaîner dans le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> ce dont on parlait c'est vrai <strong>que</strong> des fois on va pas toujours regarder le<br />

plan de soins de suite on va pas être carré et on va savoir quoi <strong>faire</strong> comme par intuition c'est<br />

parce qu'en fait on a des habitudes » (IDE n°1),« ça fait trois ans <strong>que</strong> je suis ici donc <strong>du</strong> coup<br />

y'a des trucs <strong>que</strong> j'ai plus l'habitude plus l'habitude avec la pathologie avec la spécialité donc<br />

forcément il y a plus des choses qui vont alerter ». (IDE n°2), « Il y a des habitudes de service<br />

aussi enfin de service de discipline » (IDE n°3), « Une fois <strong>que</strong> tu l'exploites pendant un an<br />

cinq dix ans tu tu tu deviens bien routinier donc si tu veux toute la techni<strong>que</strong> te pose plus de<br />

problème c'est rentré dans tes habitudes dans ton quotidien de boulot donc voilà au niveau<br />

techni<strong>que</strong> tu n'as plus de <strong>que</strong>stion à te poser et je pense <strong>que</strong> c'est parce <strong>que</strong> tu n'as plus de<br />

<strong>que</strong>stion à te poser au niveau techni<strong>que</strong> <strong>que</strong> <strong>du</strong> coup tu peux tu peux ouvrir tes sens tu vois<br />

t'es plus centré sur ta techni<strong>que</strong> petit un petit deux <strong>que</strong> j'oublie pas <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose voilà » (IDE<br />

n° 8).<br />

De plus, deux infirmiers justifient cette évolution au regard de l’ancienneté de<br />

l’infirmier dans le service : « Je trouve quand même <strong>que</strong> plus on reste dans un service plus on<br />

a des automatismes et plus on va <strong>faire</strong> les choses naturellement... » (IDE n°1), « Plus tu es tu<br />

as de l'expérience dans un service plus ton intuition elle est fiable tu auras pas la même<br />

intuition dans un service où tu n'as pas l'habitude d'aller », « je pense <strong>que</strong> dans des spécificités<br />

particulières l'ancienneté dans le service y est pour beaucoup dans l'intuition parce <strong>que</strong> tu es<br />

23


plus à l'aise tu connais tu connais les pathologies tu connais les soins tu connais beaucoup<br />

plus de choses qui te permet de ressentir les choses positives négatives » (IDE n°7).<br />

Mais encore, deux infirmiers placent les connaissances à l’origine de la progression<br />

positive de leurs ressentis : « Il y a des services où je vais très rarement où je n'ai pas<br />

d'expérience ni énormément de connaissances et je vois <strong>que</strong> je ne percutes pas <strong>du</strong> tout de la<br />

même manière » (IDE n°3), « On peut parler d'intuition mais l'intuition sans le savoir ça doit<br />

être compliqué à ce moment-là c'est les vaudous peut-être mais moi perso il faut <strong>que</strong> j'ai une<br />

base de données en fait voilà c'est ça il faut <strong>que</strong> tu aies une base de données à cette base de<br />

données » (IDE n°8). Une infirmière m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les savoirs et les expériences accumulés<br />

sont transposables à d’autres situations : « Je pense c'est pour ça <strong>que</strong> c'est super bien en début<br />

de carrière de commencer dans des services où tu as plein de trucs parce <strong>que</strong> finalement ça te<br />

servira partout ça te servira partout » (IDE n°4)<br />

Enfin deux infirmiers évo<strong>que</strong>nt le stress et la sur sollicitation de l’infirmier<br />

novicecomme frein à l’écoute des ressentis « au début non tu as d'autres tu es parasité par<br />

tellement de choses autres <strong>que</strong> tu peux peut-être avoir ce ressenti mais pas aussi poussé pas<br />

aussi puis tu as peur t'as peur tu peux avoir un ressenti mais tu l'as vraiment quand t'as<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de très concret <strong>du</strong> genre le patient tachycarde il est en hypotension quand tu as<br />

vraiment des signes clini<strong>que</strong>s mais pas sur de vagues impressions en tout cas je me souviens<br />

pas non ça vient plus après » (IDE n°7), « au début tu pani<strong>que</strong>s tu te dis oh là là » (IDE n°4).<br />

Une seule infirmière m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> ses ressentis n’ont pas évolué voire ont régressé<br />

et expli<strong>que</strong> ce phénomène par une baisse d’attention au fil <strong>du</strong> temps « Je sais pas peut-être<br />

moins (rires) je sais pas peut-être <strong>que</strong> tu quand tu es jeune diplômée tu fais plus attention tu es<br />

plus attentif peut-être <strong>que</strong> maintenant je suis moins attentive » (IDE n°6). Elle illustre ses<br />

dires par un exemple : « L'autre fois je me rappelle très bien celui qui a fait la phlébite s'il n'y<br />

avait pas eu l'élève infirmier j'aurais pas appelé moi donc peut-être <strong>que</strong> finalement avec<br />

l'expérience le prend plus cool et peut-être qu'on a peut-être qu'on est moins attentif à son<br />

intuition c'est possible » (IDE n°6).<br />

Une infirmière m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les ressentis dépendent de la personne <strong>que</strong> l’on a en<br />

face de soi, de sa propre personnalité et <strong>du</strong> stress et non de son expérience « après ça dépend<br />

des gens surtout comme je te dis avec certains tu ressens plus les choses avec d'autres »,<br />

« Pour moi, l'intuition n'est pas une af<strong>faire</strong> d'expérience ça dépend de la personnalité des gens<br />

certains ressentent plus les choses <strong>que</strong> d'autres et surtout quand tu es stressé par exemple tu<br />

n'écoutes pas tes ressentis parce <strong>que</strong> tu as besoin de toujours tout vérifier donc moi je pense<br />

pas <strong>que</strong> ce soit une af<strong>faire</strong> expérience mais plutôt de caractère », « « Non honnêtement je<br />

24


pense <strong>que</strong> c'est pareil ça change pas le ressenti non je pense qu'on se fait quand même<br />

toujours à ses intuitions même si on est moins vigilant je pense qu'il y a pas d'évolution je<br />

pense <strong>que</strong> c'est dû à la personne sa capacité à écouter ses ressentis et non à son expérience »<br />

(IDE n°6).<br />

Quatre infirmiers parlent de la difficulté d’avoir des ressentis en tant <strong>que</strong> novice : « J'ai<br />

un pourcentage au pool où il y a des services comme en chirurgie où c'est pas <strong>du</strong> tout mon<br />

domaine je suis complètement novice il y a pleins de choses <strong>que</strong> je ne remar<strong>que</strong> pas <strong>que</strong> mes<br />

collègues qui ont de l'expérience dans la chirurgie vont remar<strong>que</strong>r de suite je pense qu'il y a la<br />

discipline qui fait <strong>que</strong>... » (IDE n°3), « Au début non tu as d'autres tu es parasité par tellement<br />

de choses autres <strong>que</strong> tu peux peut-être avoir ce ressenti mais pas aussi poussé pas aussi puis tu<br />

as peur t'as peur tu peux avoir un ressenti mais tu l'as vraiment quand t'as <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de<br />

très concret <strong>du</strong> genre le patient tachycarde il est en hypotension quand tu as vraiment des<br />

signes clini<strong>que</strong>s mais pas sur de vagues impressions en tout cas je me souviens pas non ça<br />

vient plus après » (IDE n°7),« Je pense <strong>que</strong> c'est beaucoup plus difficile pour les jeunes<br />

diplômés qui arrivent dans un service d'avoir de l'intuition mais surtout d'être pris au sérieux<br />

par rapport à cette intuition voilà » (IDE n°7) , « Ben au début de l'exercice de la profession<br />

enfin en ce qui me concerne en tous cas il n'y a pas de place pour l'intuition », « j'étais trop<br />

concentrée sur bien <strong>faire</strong> les choses au niveau techni<strong>que</strong> donc <strong>du</strong> coup je ne laissais pas de<br />

place alors qu'une fois <strong>que</strong> tu maîtrises le geste ben <strong>du</strong> coup tes sens sont en éveil sur tout ce<br />

qu'il y a autour quoi » « tu prends l'exemple de l'appareil photo au début les premières années<br />

tu fais un zoom sur ce <strong>que</strong> tu es en train de <strong>faire</strong> donc tu vois la plaie la ponction le cath le<br />

machin enfin ce <strong>que</strong> tu es en train de <strong>faire</strong> sur le patient et au fil des années le zoom il se<br />

recule il se recule et <strong>du</strong> coup ton champ de vision s'élargit et tu n'as plus besoin d'être centrée<br />

sur ton point »( IDE n°8).<br />

Un infirmier m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> le mode intuitif s’acquiert et s’affine avec le temps « Oui<br />

tu t'expérimentes dans le mode intuitif et en fait il vient compléter finalement tu en viens à<br />

détecter des choses <strong>que</strong> tu n'aurais pas détectées <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s années avant parce <strong>que</strong> les signes<br />

clini<strong>que</strong>s étaient peut-être trop subtils pas assez évidents pour <strong>que</strong> tu t'y intéresses » (IDE<br />

n°5).<br />

Enfin, une infirmière expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les soignants doivent gagner la confiance des<br />

médecins pour <strong>faire</strong> valoir leurs intuitions « Mais tu as beau avoir de l'expérience dans un<br />

service tu as beau arriver avec tes bagages j'ai envie de dire des années d'ancienneté de<br />

diplôme et ton ancienneté dans une spécificité mais il faut apprendre à gagner la confiance<br />

des chirurgiens et ça ça prend <strong>du</strong> temps il faut <strong>faire</strong> ses preuves il faut suivre ton intuition<br />

25


l'avoir est un fait mais après faut prouver faut prouver au chirurgien <strong>que</strong> ton intuition est<br />

bonne pour être pris au sérieux par la suite », « maintenant je sais <strong>que</strong> n'importe le<strong>que</strong>l si<br />

j'appelle en disant ça va pas ils savent <strong>que</strong> c'est parce <strong>que</strong> ça va pas », « après je pense qu'une<br />

fois <strong>que</strong> c'est acquis c'est acquis une fois <strong>que</strong> le chirurgien a confiance en toi et en tes<br />

ressentis tu peux plus le perdre voilà et même si t'as un mauvais ressentis pour rien c'est pas<br />

grave tu perds pas en crédibilité » (IDE n°7).<br />

Question 5 : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

Objectifs : Amener les infirmiers à exprimer librement l’importance de leurs ressentis<br />

dans leur prati<strong>que</strong> quotidienne afin de déterminer le niveau de leur influence.<br />

Résultats : Afin de simplifier le ren<strong>du</strong> des résultats obtenus à cette <strong>que</strong>stion, j’ai<br />

décidé de schématiser les réponses apportées en trois groupes : le premier groupe comporte<br />

quatre infirmiers pour les<strong>que</strong>ls les ressentis ont une place très importante, le second groupe<br />

est composé d’une seule infirmière pour la<strong>que</strong>lle les ressentis sont à prendre en considération<br />

et enfin, le troisième groupe comporte trois infirmiers plus mitigés dans leurs réponses et pour<br />

les<strong>que</strong>ls les ressentis occupent une place plus ou moins importante dans leur raisonnement<br />

clini<strong>que</strong>.<br />

Ainsi, quatre infirmiers décrivent leurs ressentis comme une partie très importante de<br />

leur raisonnement clini<strong>que</strong>. En effet, ils le témoignent en ces termes : « Je pense <strong>que</strong> ça prend<br />

un part considérable » (IDE n°5), « Je pense qu'il faut accorder une grande place à son<br />

ressenti à ses intuitions sur les gens » (IDE n°6), « J'accorde beaucoup de place » (IDE n°8),<br />

« Si dès le début de la matinée j'ai un mauvais pressentiment dès mon premier tour si je sens<br />

qui il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui m'alerte qui me chagrine entre guillemets tout de suite je vais déjà<br />

en parler une première fois au médecin référent au médecin responsable » (IDE n°7). Ces<br />

quatre infirmiers justifient l’importance des ressentis dans le raisonnement clini<strong>que</strong> de<br />

diverses manières. Pour une, la place des ressentis n’est pas à déterminer car ils sont innés,<br />

s’imposent à nous, leur suivi dépend de notre personnalité propre et mieux vaut les suivre:<br />

« Je sais pas je pense qu'il y a pas à dire qu'il y ait une place ou pas c'est inné non? », « C'est<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d'inconscient moi comme je suis impulsive on va dire <strong>que</strong> ça a une grande<br />

place (rires) moi une grande place je suis très impulsive (rires) je ressens un truc je le dis! » et<br />

« De toute façon il vaut mieux suivre son ressenti quitte à avertir pour rien » « Moi je pense<br />

qu'il vaut mieux écouter quand même son intuition » (IDE n°6). Pour une autre infirmière,<br />

l’importance qu’elle accorde à ses ressentis est <strong>du</strong>e selon elle à la confiance qui est établie au<br />

26


sein de l’équipe infirmière, entre infirmiers et médecins et également à l’absence <strong>du</strong> poids<br />

hiérarchi<strong>que</strong> : « Je pense <strong>que</strong> j'y accorde beaucoup de place parce <strong>que</strong> les médecins avec<br />

les<strong>que</strong>ls on travaille nous accordent cette place là aussi tu vois je pense <strong>que</strong> si jamais à cha<strong>que</strong><br />

fois qu'on ressentait <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qu'on téléphonait à un médecin on se faisait envoyer<br />

bouler euh au bout d'un moment tu dis bon ben tu ressentirais des trucs mais tu réponds ou tu<br />

vois on irait pas au bout », « Oui la confiance ce qu'on a entre nous et avec les médecins ouais<br />

ouais on peut communi<strong>que</strong>r le ressenti sans-gêne ça fait clair et on est conscient <strong>que</strong> c'est une<br />

chance », « Moins de hiérarchie pyramidale « peut-être c'est plus difficile en milieu<br />

hospitalier je sais pas y'a peut-être plus de hiérarchie pyramidale non on est vraiment sur un<br />

pied d'égalité » « et <strong>du</strong> coup je laisse énormément de place à l'intuition et c'est ce qui fait la<br />

richesse <strong>du</strong> job aussi » (IDE n°8). Enfin, un infirmier m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les ressentis sont le<br />

premier contact avec le patient avant toute réflexion : « ça fait partie <strong>du</strong> premier contact <strong>du</strong><br />

premier contact avec le patient dans ta journée c'est-à-dire <strong>que</strong> euh le premier contact avant<br />

même <strong>que</strong> tu commences en fait il vient toujours avant même <strong>que</strong> tu commences à réellement<br />

t' intéresser à la clini<strong>que</strong> », il décrit le mécanisme de réception des ressentis en ces termes « tu<br />

vas avoir le feed-back <strong>du</strong> patient qui va te renvoyer un ressenti » (IDE n°5).<br />

Pour une infirmière, les ressentis sont à prendre en considération : « C'est un<br />

peu 50/50 quand même je trouve ces 50 % ». (IDE n°4).<br />

Enfin, trois infirmiers apportent une réponse plus mitigée. Certains accordent<br />

seulement une « petite place » à leurs ressentis dans leur raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier car<br />

la clini<strong>que</strong> passe au premier plan: « Une petite place en fait on va dire par (silence) non ça va<br />

être quand même la clini<strong>que</strong> qui va passer beaucoup au premier plan mais comme je te dis de<br />

temps en temps ça peut arriver » (IDE n°2). Une autre infirmière m’expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> les<br />

ressentis sont plutôt basés sur le plan psychologi<strong>que</strong> : « On va avoir des ressentis mais c'est<br />

quand même plus <strong>du</strong> côté psychologi<strong>que</strong> des fois on va voir des ressentis » (IDE n°1). Enfin,<br />

pour une autre infirmière, les ressentis sont importants mais ne suffisent pas en eux mêmes :<br />

« C’est important mais ... ça ne suffit pas pour mettre en place des actions derrière. » (IDE<br />

n°3). Deux infirmières de ce groupe justifient la place relative accordée à leur ressentis par le<br />

fait <strong>que</strong> ces derniers sont à l’origine d’une investigation nécessaire et ne suffisent pas en eux<br />

même. C’est l’occasion de « fouiner un petit peu on va dire de fouiner après au niveau<br />

clini<strong>que</strong> biologi<strong>que</strong> et de se dire finalement ah ouais pas top y'a ça qui va pas parce <strong>que</strong> ...»<br />

(IDE n°2)<br />

De plus, à la lecture de mes entretiens, je me rend compte <strong>que</strong> quatre infirmiers<br />

s’accordent à dire <strong>que</strong> les ressentis et le raisonnement clini<strong>que</strong> sont complémentaires : « Oui,<br />

27


en fait <strong>que</strong> les deux sont complémentaires » (IDE n°1), « Après (silence) avoir la petite<br />

intuition plus des données clini<strong>que</strong>s qui vont se rajouter voilà donc on va dire pour moi ça a<br />

une petite importance » (IDE n°2), « Je dirais <strong>que</strong> c’est un ensemble de choses et le ressenti<br />

peut aider dans le bon sens » (IDE n°3), « Tu lies les deux y'a pas forcément <strong>que</strong> les ressentis<br />

ou <strong>que</strong> les signes c'est un lien » (IDE n°4).<br />

Egalement, trois infirmiers expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> leurs ressentis sont de plus en plus fiables<br />

au fil <strong>du</strong> temps.Un infirmier relate <strong>que</strong> « des fois tu penses rien de particulier mais de moins<br />

en moins quand même » (IDE n°5), «de moins en moins mon ressenti est en inadéquation<br />

avec les réalités <strong>du</strong> patient » (IDE n°5). Ce même infirmier me parle de ses débuts<br />

professionnels et m’expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> « ça pouvait être le cas (silence) de m'inquiéter pour rien<br />

ou de ne pas m'inquiéter et de constater qu'il y avait <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de grave » « signaler des<br />

choses qui pouvaient être des petites anomalies qui en fin de compte se sont révélées être des<br />

choses un peu importantes quand même ça arrive au début de carrière ouais moi ça m'est<br />

arrivé en tout cas ». Une autre infirmière me parle de la fiabilité de ses ressentis ainsi : « Plus<br />

ça va et plus c’est rare <strong>que</strong> je me trompe. » (IDE n°6). Une autre infirmière partage le même<br />

avis « ça peut arriver ben oui <strong>que</strong> qu'on le sente pas mais <strong>que</strong> finalement il n'y a pas plus<br />

d'évolution mais en règle générale on a quand même une évolution qui est qui confirme ce<br />

ressenti » (IDE n°7).<br />

Pour conclure, deux infirmiers me disent <strong>que</strong> leurs ressentis contribuent à poser un<br />

diagnostic : « ça peut aider après à poser un diagnostic peut-être même ». (IDE n°2), « C'est<br />

une globalité de tes signes tes compétences et ton ressenti qui fait <strong>que</strong> tu arrives à tirer des<br />

diagnostics un raisonnement infirmier » (IDE n°4).<br />

3.3 Analyse des résultats<br />

Cette dernière partie de mon Travail de Fin d’Etudes me permet de mettre en lien les<br />

résultats précédemment obtenus lors de mes entretiens sur le terrain et les concepts <strong>que</strong> j’ai<br />

définis préalablement.<br />

La réflexion <strong>que</strong> j’ai menée à la lecture des résultats de l’enquête m’a permis de mettre<br />

en avant plusieurs constats. Dans un premier temps, je précise <strong>que</strong> j’ai fait le choix de ne pas<br />

divulguer aux interviewés le sujet de mon enquête afin de ne pas influencer leurs réponses et<br />

je remar<strong>que</strong> qu’une seule infirmière n’a pas évoqué l’intuition ou un mot s’y référant. Tous<br />

les autres infirmiers ont, au cours de leurs discours, évoqué soit le mot « intuition », soit le<br />

mot « instinct » ou « feeling ». Dans ma phase conceptuelle, j’ai précisé <strong>que</strong> l’instinct et<br />

28


l’intuition étaient à distinguer car l’intuition s’acquiert à la différence de l’instinct qui est<br />

inné. Or, si cette distinction me paraissait nécessaire pour partir sur un concept clairement<br />

défini, je pense qu’en ce qui concerne les dires des infirmiers, je peux confondre les deux<br />

termes dans un même sens. J’avais l’appréhension de ne pas réussir à amener les interviewés<br />

sur mon sujet de recherche mais ce ne fut pas le cas et j’en suis soulagée.<br />

En ce qui concerne le raisonnement clini<strong>que</strong>, la quasi totalité des infirmiers interrogés<br />

l’associent naturellement avec les savoirs et les connaissances acquis. Ces deux notions<br />

semblent plus prégnantes encore chez les infirmiers novices. Je retrouve bien ici une partie<br />

des attributs <strong>du</strong> concept de raisonnement clini<strong>que</strong> tels <strong>que</strong> la « pertinence des connaissances<br />

en sciences médicales et en sciences humaines, la maitrise des niveaux de jugement clini<strong>que</strong><br />

vis à vis des signes et symptômes, des ris<strong>que</strong>s liés à la pathologie et des effets secondaires de<br />

traitements ». (PSIUK, 2010).<br />

Plus tard, j’observe qu’ils sont nombreux àplacer l’observation à la base de tout leur<br />

raisonnement clini<strong>que</strong>. Ce qui me paraît intéressant de soulever c’est qu’étymologi<strong>que</strong>ment le<br />

mot intuition signifie « regarder attentivement » d’où le lien avec l’observation. Cet élément<br />

me permet donc de confirmer <strong>que</strong> le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier est bel et bien in<strong>du</strong>ctif,<br />

ainsi, il utilise bien « les données provenant de l’observation <strong>du</strong> patient pour arriver à une<br />

décision de soin ». (PSIUK, 2010). Tels de véritables Sherlock Holmes, les infirmiers pensent<br />

et agissent « à partir d’observation d’infimes détails ». (PETITMENGIN, 2001). La vue<br />

détermine l’apparition d’intuition mais pres<strong>que</strong> tous les sens sont évoqués par les soignants.<br />

Ceci rejoint bien la pensée d’Eric Berne qui expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les « intuitions sont synthétisées à<br />

partir d’éléments sensoriels directs ».<br />

Ensuite, il me semble intéressant de revenir sur le fait <strong>que</strong> tous les infirmiers novices<br />

interviewés décrivent leur démarche intellectuelle comme une mise en lien d’un tas de<br />

données. Cette démarche réflexive semble demander plus d’efforts aux novices ce qui, selon<br />

moi, expli<strong>que</strong> qu’ils y fassent plus facilement référence <strong>que</strong> les infirmiers plus expérimentés.<br />

Ce point illustre bien le fait <strong>que</strong> « la pensée analyti<strong>que</strong> est nécessaire au<br />

débutant ».(DREYFUS & DREYFUS, 1986).. Ce point de vue correspond tout à fait à celui<br />

de Claire PETITMENGIN :« Dans sa manière de raisonner (...) l’infirmière débutante « se<br />

réfère à des savoirs théori<strong>que</strong>s concrets alors <strong>que</strong> l’experte qui en est plus détachée <strong>du</strong> fait<br />

d’une plus grande maîtrise, agit le plus souvent sur un mode intuitif » (PETITMENGIN,<br />

2001).En ce sens, les quatre infirmiers expérimentés interrogés relient la construction <strong>du</strong><br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier à l’écoute de leurs sens et de leurs ressentis. Ceci<br />

expli<strong>que</strong>rait <strong>que</strong> l’infirmier expert est plus à même d’agir intuitivement car « il est plus<br />

29


détaché <strong>du</strong> fait d’une plus grande maitrise ». (PETITMENGIN, 2001). Cet aspect est bien<br />

décrit par l’infirmière la plus expérimentée qui illustre bien le détachement progressif de<br />

l’infirmier lors de la réalisation d’un acte techni<strong>que</strong>.<br />

Dans un premier temps, les infirmiers expérimentés interrogés éprouvent des<br />

difficultés à définir le concept de raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier alors <strong>que</strong> les novices<br />

répondent plus rapidement. Je pense <strong>que</strong> ce phénomène est dû au fait <strong>que</strong> le concept de<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier est relativement récent donc a moins connu des infirmiers<br />

expérimentés à la différence des infirmiers novices dont le programme d’étude comprend ce<br />

concept.<br />

En ce qui concerne les ressentis, tous les infirmiers de l’échantillon valident le fait <strong>que</strong><br />

les infirmiers ressentent les choses. Ceci agrémente la théorie de Patricia Benner selon<br />

la<strong>que</strong>lle « la conscience perceptive est l’élément central <strong>du</strong> bon jugement<br />

infirmier ».(BENNER, 2003). Un des infirmiers expérimentés expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> ses ressentis lui<br />

permettent d’évaluer l’urgence ou le caractère non urgent d’une situation. Cet élément fait<br />

complètement référence au fait <strong>que</strong> « la conscience perceptive ou intuition permettrait de<br />

distinguer les informations pertinentes de celles qui ne le sont pas ». (GUITARD &<br />

MICHAUD, 2011). Si les infirmiers expérimentés associent les ressentis à la prati<strong>que</strong><br />

infirmière sans réserve, deux des plus jeunes semblent dans une certaine difficulté de réponse<br />

et associent parfois leurs ressentis au pan psychologi<strong>que</strong> de la prise en charge et non de<br />

manière globale à toute leur prati<strong>que</strong>. Dans leur façon de me répondre j’ai compris <strong>que</strong> leurs<br />

perceptions n’étaient pas au premier plan et je comprends maintenant qu’elles ne peuvent pas<br />

l’être.<br />

Ensuite, deux infirmiers expérimentés expli<strong>que</strong>nt la difficulté de savoir le pourquoi de<br />

leurs intuitions. Ceci rejoint les dires d’Eric Berne qui expli<strong>que</strong> le caractère inconscient <strong>du</strong><br />

processus intuitif basé sur « la perception et la synthèse d’éléments sensoriels directs qui se<br />

déroule en dessous <strong>du</strong> seuil de conscience ».<br />

Je suis étonnée de constater <strong>que</strong> pour deux jeunes diplômées, les ressentis sont<br />

illustrés par des situations de soins palliatifs. En relisant leurs dires, je me <strong>que</strong>stionne : la<br />

place qu’elles accordent à leur ressenti est plus grande quand les soins curatifs sont absents ?<br />

Ou bien la gravité de la situation fait émerger des émotions fortes qui les rendent plus<br />

réceptifs à leurs perceptions ? Je n’ai pas pensé à poser ces <strong>que</strong>stions sur le moment et mon<br />

échantillon est trop restreint pour en tirer une vérité mais à y repenser, je souhaiterais poser ce<br />

genre de <strong>que</strong>stions afin d’éclaircir leur propos.<br />

30


Tous les infirmiers interrogés ont vécu des situations où leurs ressentis ont guidé leurs<br />

choix et leurs actions. La prise de décision et le passage à l’action sont deux des consé<strong>que</strong>nts<br />

<strong>du</strong> concept de raisonnement clini<strong>que</strong> (CÔTE & SAINT CYR TRIBBLE, 2012), je peux donc<br />

en dé<strong>du</strong>ire <strong>que</strong> l’intuition participe à la prise de décision ainsi qu’à l’action et donc au<br />

raisonnement clini<strong>que</strong>. Dans le même sens ce constat est partagé par Nadine Sciacca qui dit<br />

<strong>que</strong> l’intuition est liée aux « émotions destinées à orienter nos actions et nos décisions »<br />

(SCIACCA, 2015).<br />

Concernant l’influence des ressentis sur la prise de décision, je suis surprise de<br />

constater <strong>que</strong> certains de plus jeunes n’hésitent pas à appeler le médecin sur la base d’un<br />

mauvais ressenti sans avoir récolté de signes vraiment alarmants. J’imaginais <strong>que</strong> les novices<br />

ne se feraient pas suffisamment confiance pour oser appeler le médecin sur ce motif, ce qui<br />

s’est avéré être un simple apriori. Les ressentis peuvent, pour la majorité, mener à une<br />

observation plus précise <strong>du</strong> patient, à une investigation plus poussée. Ainsi, il semble <strong>que</strong><br />

c’est bien à « l’intelligence d’achever l’œuvre de l’intuition » (ROMAIN, 1978), ce constat<br />

est également partagé par Emmanuel Kant qui expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> la sensibilité « elle seule nous<br />

fournit des intuitions ; mais c’est par l’entendement <strong>que</strong> les objets sont pensés ». (KANT,<br />

Criti<strong>que</strong> de la raison pure, 1869).Ce lien me permet également de dire <strong>que</strong> les intuitions et le<br />

raisonnement vont de pair.<br />

Pour ce qui est de la notion de fiabilité de leurs ressentis certains m’expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong><br />

l’expérience et le temps de présence consé<strong>que</strong>nt auprès des patients sont le gage d’une plus<br />

grande fiabilité de leurs perceptions. Mais ils disent également <strong>que</strong> leurs perceptions peuvent<br />

les mener sur de mauvaises intuitions et <strong>que</strong> l’erreur est possible malgré tout. Une infirmière<br />

expérimentée expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> parfois l’habitude est source d’erreur par man<strong>que</strong> d’attention. Lors<br />

de l’élaboration de mon cadre conceptuel, cette notion d’erreur apparaissait également. En<br />

effet, T. Psiuk expli<strong>que</strong> le phénomène d’intuition par la reconnaissance par similarité d’une<br />

situation déjà vécue par le passé et expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> cette reconnaissance peut être source d’erreur<br />

si elle n’est pas complétée par un processus analyti<strong>que</strong>. Ainsi, l’intuition donne une piste <strong>que</strong><br />

la réflexion poursuit. Pour plus de la moitié des infirmiers, la fiabilité de leurs ressentis<br />

grandit avec le temps et l’expérience. Ce constat rejoint l’opinion de Christopher Chabris pour<br />

qui nous ne pouvons pas nous fier à notre intuition « si elle ne s’appli<strong>que</strong> pas à un champ<br />

d’expertise bien connu ».<br />

Certains infirmiers expérimentés déclarent <strong>que</strong> les ressentis qu’ils peuvent avoir<br />

dépendent de la personne qu’ils ont en face d’eux à la<strong>que</strong>lle ils sont plus ou moins réceptifs<br />

<strong>du</strong> fait de leur propre personnalité. En ce sens, ils m’expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> les ressentis s’imposent à<br />

31


eux et qu’ils influencent leur réflexion à venir puis<strong>que</strong>, selon eux, ils constituent le premier<br />

contact avec le patient. Cette explication fait référence au cheminement de l’intuition décrit<br />

par Bergson comme « une sorte de sympathie par la<strong>que</strong>lle on se transporte à l’intérieur d’un<br />

objet pour coïncider avec lui en ce qu’il a d’uni<strong>que</strong> et d’inexprimable ». (BERGSON, 1938)<br />

La quasi totalité de l’échantillon décrit une évolution croissante de leurs ressentis. Les<br />

infirmiers justifient ce phénomène par le gain d’expérience au fil <strong>du</strong> temps qui crée des<br />

habitudes de travail qui participent à l’accroissement des perceptions de part les automatismes<br />

qu’elles créent. Ceci me permet de <strong>faire</strong> le lien avec « les comportements types », les<br />

« schèmes » ou encore l’ « inconscient prati<strong>que</strong> » de Piaget qui expli<strong>que</strong>nt le phénomène<br />

d’enregistrement cérébral de situations passées transférées à d’autres situations similaires de<br />

manière automati<strong>que</strong> et inconsciente. De plus, Perrenoud expli<strong>que</strong> bien <strong>que</strong> l’intuition est « la<br />

capacité à réagir adéquatement » et <strong>que</strong> cette capacité « s’accroit au fil de l’expérience »<br />

(PERRENOUD, 2003). Le mode intuitif s’acquiert donc bien avec le temps. D’autres<br />

infirmiers complètent ceci en expliquant <strong>que</strong> leurs ressentis augmentent <strong>du</strong> fait de<br />

l’accroissement de leurs connaissances dans un domaine, phénomène qu’ils lient notamment à<br />

l’ancienneté dans un service. Une infirmière témoigne même <strong>du</strong> fait <strong>que</strong> selon elle, la<br />

connaissance conditionne l’intuition en ce sens qu’elle est son socle. Ce point de vue rend une<br />

fois de plus l’intuition et le raisonnement interdépendants. Ces deux notions sont liées en ce<br />

sens <strong>que</strong> Patricia Benner expli<strong>que</strong> : l’« intuition clini<strong>que</strong> est composée non seulement de présavoir<br />

mais aussi de nombreux schémas d’expérience typi<strong>que</strong>s ». (BENNER, 2003).<br />

Une infirmière expérimentée crée en <strong>que</strong>l<strong>que</strong> sorte la surprise car c’est la seule<br />

de son groupe à déclarer <strong>que</strong> selon elle, plus le temps passe moins elle est sensible et réactive<br />

à ses ressentis. Elle justifie ce phénomène par l’habitude prise dans son service qui<br />

occasionnerait un relâchement <strong>du</strong> fait de la diminution de son stress. Ainsi, je comprends <strong>que</strong><br />

pour certains, le « bon » stress permet de rester alerte et réceptif. Les dires de cette infirmière<br />

me surprennent et me permettent de me <strong>que</strong>stionner sur la nécessité de réajuster mon cadre<br />

conceptuel en effectuant des recherches sur les liens éventuels entre l’habitude et erreur.<br />

Certains infirmiers expérimentés évo<strong>que</strong>nt les facteurs qui inhibent les ressentis. Le<br />

stress est évoqué comme frein ainsi <strong>que</strong> le man<strong>que</strong> d’expérience qui occasionne évidemment<br />

<strong>du</strong> stress, une sur-sollicitation qui laisse selon eux peu de place aux ressentis. Ce point a déjà<br />

été évoqué lors de la phase conceptuelle, le stress étant décrit comme facteur néfaste aux<br />

ressentis.(SCIACCA, 2015).<br />

La moitié des infirmiers dont la totalité des expérimentés expli<strong>que</strong>nt qu’il est difficile<br />

d’avoir des ressentis en tant <strong>que</strong> novice.<br />

32


En ce qui concerne la communication des intuitions, les infirmiers les plus<br />

expérimentés et une novice qui fait exception expli<strong>que</strong>nt <strong>que</strong> la relation entre infirmier et<br />

médecin conditionne le suivi de leur intuition. Certains évo<strong>que</strong>nt la difficulté d’être pris au<br />

sérieux parfois, la remise en <strong>que</strong>stion de leur crédibilité en cas de fausse alerte mais ils<br />

m’expli<strong>que</strong>nt qu’avec le temps, une relation de confiance s’instaure entre médecins et<br />

infirmiers, cette relation se construit et conditionne la communication de leurs ressentis et par<br />

consé<strong>que</strong>nts leur exploitation. Je remar<strong>que</strong> <strong>que</strong> mise à part une novice qui se démar<strong>que</strong> sur ce<br />

point en suivant le point de vue des « anciens », pour les plus jeunes, la communication de<br />

leurs ressentis semble moins évidente en tout cas elle ne se fait pas de manière brute mais sur<br />

la base d’éléments probants. Ce constat me permet de <strong>faire</strong> le lien avec ma deuxième situation<br />

d’appel où l’infirmière expérimentée a osé communi<strong>que</strong>r ses ressentis à l’interne.<br />

Pour ce qui est de la part accordée aux ressentis dans leur raisonnement clini<strong>que</strong><br />

infirmier, je remar<strong>que</strong> <strong>que</strong> plus l’expérience est grande, plus l’importance accordée grandit.<br />

En effet, les plus expérimentés accordent une grande importance à leurs ressentis dans leur<br />

prati<strong>que</strong> quotidienne. En revanche, si une jeune infirmière se démar<strong>que</strong> à nouveau en<br />

déclarant accorder de l’importance à ses ressentis dans sa réflexion, les novices expli<strong>que</strong>nt<br />

<strong>que</strong> leurs ressentis ne suffisent pas en eux mêmes tels <strong>que</strong>ls et <strong>que</strong> des investigations<br />

complémentaires sont nécessaires. En relisant les entretiens, je me rend compte qu’en réalité,<br />

aucun infirmier ne prend de décision directement à la suite d’un ressenti, tous interrogent<br />

leurs perceptions, enquêtent, recherchent par la réflexion des éléments allant dans le même<br />

sens ou dans le sens contraire. C’est dans ce sens <strong>que</strong> l’Evidence Based Nursing reconnaît<br />

l’influence de l’ « expérience professionnelle n’excluant pas l’utilisation de l’intuition, pour<br />

autant qu’elle soit réfléchie et analysée ».<br />

A l’issue de mes entretiens, je me suis rapidement ren<strong>du</strong>e compte de plusieurs points<br />

perfectibles. Dans un premier temps, je souhaitais évaluer l’influence de l’intuition sur le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> d’infirmier et ce en fonction <strong>du</strong> niveau d’expérience. Ainsi, deux<br />

population se dessinent mais ne comprennent <strong>que</strong> quatre infirmiers chacune ce qui n’est pas<br />

très représentatif. Cette enquête de terrain me permet de toucher <strong>du</strong> doigt l’expérience de la<br />

recherche en soins infirmiers, d’observer si les propos recueillis suivent ou bousculent mon<br />

cadre conceptuel. En ce sens, mon cadre conceptuel m’a permis de dégager des portraits<br />

atten<strong>du</strong>s mais une infirmière novice crée la surprise et bouscule mes croyances. En effet, pour<br />

cette dernière et malgré sa faible expérience, les ressentis ont une grande place dans son<br />

raisonnement et sa prati<strong>que</strong>. Ceci rejoint les dires de certains infirmiers de mon échantillon<br />

selon les<strong>que</strong>ls la personnalité de chacun influe sur la capacité à ressentir les choses. A y<br />

33


penser, c’est un point <strong>que</strong> je n’avais pas évoqué dans mon cadre conceptuel et qu’il<br />

m’intéresserait d’étudier.<br />

CONCLUSION<br />

A l’issue de cette analyse, il semble <strong>que</strong> le lien soit fait entre le cadre conceptuel et la<br />

réalité de terrain : l’intuition et le raisonnement clini<strong>que</strong> sont complémentaires, l’un ne va pas<br />

sans l’autre. Néanmoins, au vu <strong>du</strong> caractère restreint de mon échantillon, il faudrait<br />

entreprendre une recherche d’une plus grande ampleur pour pouvoir être plus représentatif. La<br />

place de l’intuition est-elle la même toutes disciplines confon<strong>du</strong>es ? Il serait intéressant de<br />

<strong>faire</strong> une étude comparative de plus grande ampleur.<br />

Ainsi, les intuitions, les ressentis, peuvent être à l’origine <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong><br />

infirmier tels une hypothèse <strong>que</strong> les infirmiers <strong>que</strong>stionnent ensuite par leur propre réflexion.<br />

Il semble <strong>que</strong> l’intuition soit une aide pour notre prati<strong>que</strong> soignante qu’il faut savoir interroger<br />

pour ne pas tirer de conclusion trop hâtive et risquée. Nos sens peuvent être aidants comme<br />

nous tromper parfois mais le fait de <strong>que</strong>stionner nos ressentis est, selon moi, une bonne chose.<br />

En effet, cela nous permet de mieux nous connaître ce qui, à mon sens, est important dans la<br />

profession <strong>que</strong> nous exerçons.<br />

Pour conclure sur la réalisation de mon travail de fin d’étude, je souhaite revenir sur le<br />

cheminement qui m’a permis de choisir ce thème <strong>que</strong> j’ai travaillé avec tant de plaisir.<br />

Dans un premier temps, je souhaitais travailler un thème au<strong>que</strong>l je tenais de par mon<br />

expérience professionnelle passée mais qui ne provenait pas de ma nouvelle expérience<br />

d’étudiante en soins infirmiers. Il n’a pas été facile d’y renoncer mais avec le recul je suis<br />

ravie d’avoir suivi les conseils avisés de ma guidante.<br />

Cette « petite » frustration passée, je me suis mise à chercher lors de mes stages des<br />

situations qui m’interpelaient. Au départ, je souhaitais travailler sur les sens et l’odorat en<br />

particulier mais ce sujet a été traité plusieurs fois. J’ai donc continué mes recherches et je me<br />

suis intéressée, dans un second temps, aux émotions, sujet également régulièrement travaillé.<br />

Alors <strong>que</strong> je commençais à m’inquiéter, une lueur d’espoir est apparue ! Que dire de<br />

l’intuition dans la réflexion infirmière ? Ce sujet m’intrigue, je me lance... Et tout au long de<br />

la réalisation de ce travail de recherche, j’ai lu des écrits qui évoquaient les sens et les<br />

34


émotions. En acceptant de me laisser surprendre, j’ai emprunté un chemin sur le<strong>que</strong>l, en<br />

réalité, se tenaient les deux thémati<strong>que</strong>s qui avaient attiré mon attention auparavant.<br />

A l’issue de ce travail, j’ai continué mes recherches et je me suis posée la <strong>que</strong>stion<br />

suivante: L’intuition peut-elle être enseignée ?<br />

L’intuition semble difficile à enseigner de manière académi<strong>que</strong> car elle s’acquiert par<br />

l’expérience et selon la sensibilité de chacun mais le fait de savoir <strong>que</strong> nos ressentis peuvent<br />

nous aider dans notre prise en charge peut être une force et un atout. Ainsi, sensibiliser les<br />

futurs professionnels à ce phénomène serait sans doute utile.<br />

Au cours de l’UE 4 .2 « Soins relationnels », j’ai eu la chance de suivre les<br />

enseignements de Madame Domini<strong>que</strong> Chapot sur les émotions et sur la gestion des<br />

émotions. J’ai lu l’un de ses ouvrages, Emois en moi. Cet écrit reprend les différentes<br />

émotions et donne une quantité de <strong>que</strong>stions-réponses et de conseils utiles et prati<strong>que</strong>s pour<br />

apprendre à mieux gérer nos émotions. C’est une approche simple et claire.<br />

Plus tard et toujours dans cette même unité d’enseignement, nous avons eu plusieurs<br />

interventions sur l’estime de soi. Je me rends compte alors <strong>que</strong> tout ceci est lié, l’écoute de<br />

nos ressentis dépend de notre propre estime de soi, de notre confiance en soi.<br />

Alors, pourquoi ne pas sensibiliser les étudiants infirmiers à l’intuition puisqu’elle<br />

découle de tous ces enseignements ?<br />

35


BIBLIOGRAPHIE<br />

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1


ANNEXES<br />

0


1


Annexe 1 : Trame de l’entretien semi-directif<br />

Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec la prise<br />

en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette démarche<br />

intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensez-vous ?<br />

Vous est-il déjà arrivé de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est dû à votre avis ?<br />

Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

I


Annexe 2 : Entretien IDE n°1<br />

Age<br />

22 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 1 an 1/2<br />

Ancienneté dans le service 1 an 1/2<br />

Durée de l’entretien 10’05<br />

Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 1 : En fait c’est pour moi, euh, en fait le raisonnement clini<strong>que</strong> c'est prendre le patient<br />

dans sa globalité, dès <strong>que</strong> j'arrive sur une problémati<strong>que</strong>, avant d'entrer dans la chambre je<br />

vais voir ce <strong>que</strong> je vais <strong>faire</strong> par rapport à ce <strong>que</strong> je sais <strong>du</strong> patient de ce qu'on m'a transmis<br />

euh et de ce <strong>que</strong> je sais des antécédents de la pathologie après je vais voir le plan de soins etc.<br />

(silence). Et <strong>du</strong> coup je vais <strong>faire</strong> des liens moi après avec mes connaissances, ce <strong>que</strong> j'ai<br />

appris avec l'expérience, je sais pas ça peut être vague euh par exemple : si c'est un monsieur<br />

qui a été opéré il y a des surveillances, savoir pourquoi il a été opéré, c'est tout ça c'est tout<br />

mettre en lien tes connaissances avec ce <strong>que</strong> tu sais <strong>du</strong> patient son histoire, de ses antécédents<br />

et compagnie.<br />

Moi : On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensez-vous ?<br />

IDE 1 : Ben moi je pense <strong>que</strong> c'est vrai par exemple euh là on a eu un patient qui était en fin<br />

de vie bon c'est vrai qu'on savait qu'il était en fin de vie mais il y a parfois des choses comme<br />

notamment pour la fin de vie qui ne trompent pas des odeurs par exemple des choses c'est pas<br />

matérialisé même si on le savait pas et même si on nous avait pas dit <strong>que</strong> c'était un soin<br />

palliatif euh il y a quand même des choses qui sont de l'ordre je sais pas si on peut appeler ça<br />

de l'intuition car il y a quand même des signes mais c'est pas matériel c'est pas un résultat<br />

d'examen ou <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose <strong>que</strong> tu vois? (Silence). Après on travaille avec le patient avec<br />

<strong>que</strong>lqu'un d'humain donc forcément il y a tout ce qui est non-dits le non parlé.<br />

Moi : Vous est-il déjà arrivé de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

II


IDE 1 : Ben parfois par exemple sur les patients euh, là on a une dame qui a une stomie qui<br />

avait pas été prévue <strong>du</strong> tout, c'est plus dans l'accompagnement tu vois je sais pas si ça répond<br />

à ta <strong>que</strong>stion aussi? Par exemple un moment si je ressens à un moment qu'il y a un euh qu'il y<br />

a un creux <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose je vais sentir qu'elle a peut-être besoin de parler de ça ou quoi ça fait<br />

aussi partie de la prise en charge le ressenti après au niveau des soins en eux-mêmes il y a<br />

toujours une base (soupirs)...Peut-être sur la douleur? La prise en charge de la douleur quand<br />

parfois on a des patients qui sont non communicants on a des échelles mais par exemple des<br />

fois on va nous dire non il a pas mal mais on va connaître le patient d'un certain temps euh<br />

donc on va savoir qu'il a tendance à dire non après c'est des choses comme ça.<br />

Moi : Non communicant ?<br />

IDE 1 : Je veux dire qui refuse souvent de parler, n’ose pas.<br />

Moi : En fait vous me dis <strong>que</strong> vous avez plus tendance à ressentir des choses au niveau<br />

psychologi<strong>que</strong> qu'au niveau techni<strong>que</strong>?<br />

IDE 1 : Oui c'est ça.<br />

Moi : Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est <strong>du</strong> à votre avis ?<br />

IDE 1 : Je trouve quand même <strong>que</strong> plus on reste dans un service plus on a des automatismes<br />

et plus on va <strong>faire</strong> les choses naturellement.<br />

Moi : Sans passer par la réflexion vous voulez dire?<br />

IDE 1 : Oui tu vois on va on va se dire là y'a ça ça ça euh et tout va s'enchaîner dans le<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> ce dont on parlait, c'est vrai <strong>que</strong> des fois on va pas toujours regarder le<br />

plan de soins de suite euh, on va pas être carré et on va savoir quoi <strong>faire</strong> comme par intuition<br />

c'est parce qu'en fait on a des habitudes.<br />

Moi : Est-ce <strong>que</strong> par habitude vous entendez expérience dans un domaine?<br />

IDE1 : Oui je pense.<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

IDE 1 : Bah tout ce qui est de l'ordre <strong>du</strong> psychologi<strong>que</strong>, euh ben après mais comme tu l'as dit<br />

tu m'as bien résumée tout ce qui est euh, on a des connaissances parfois on passe pas<br />

forcément par les médecins ou quoi on va avoir des ressentis mais c'est quand même plus <strong>du</strong><br />

côté psychologi<strong>que</strong> des fois on va avoir des ressentis par exemple la personne est blanche<br />

III


mais la tension est bonne etc. Ça fait partie <strong>du</strong> ressenti mais on va quand même se baser sur la<br />

dernière NF avant.<br />

Moi : Avant quoi ?<br />

IDE 1 : D’alerter le médecin. Oui, mais au départ ça part bien d'un ressenti.<br />

Moi : En fait si je comprends bien quand vous avez un ressenti vous allez le vérifier sur<br />

des faits plus précis et concrets?<br />

IDE 1 : Oui, en fait <strong>que</strong> les deux sont complémentaires.<br />

Moi : Les ressentis et les données clini<strong>que</strong>s?<br />

IDE 1 : Oui.<br />

Annexe 3 : Entretien IDE n°2<br />

Age<br />

27 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 3 ans<br />

Ancienneté dans le service 3 ans<br />

Durée de l’entretien 12’15<br />

Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soin des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 2 : Qu'est-ce <strong>que</strong> c'est pour moi le raisonnement clini<strong>que</strong>? Euh, ben pour moi ce serait<br />

l'observation qu'on fait <strong>du</strong> patient euh, des symptômes et après le raisonnement qu'il y a<br />

derrière par rapport à ... Ben en fait pour moi ce serait vraiment réussir à <strong>faire</strong> le lien entre ce<br />

qu'on observe chez le patient mettre en lien après avec d'autres données des examens de la<br />

biologie tout ça et essayer de se <strong>faire</strong> notre propre idée sur les problèmes à traiter <strong>du</strong> patient<br />

quoi.<br />

Moi: Par observation <strong>du</strong> patient vous entendez ce <strong>que</strong> vous voyez au sens visuel <strong>du</strong><br />

terme ou ça peut être aussi des choses ressenties?<br />

IDE 2: Ça peut être des choses ressenties après c'est beaucoup euh, pour le ressenti par<br />

exemple pour l'angoisse des patients ce genre de choses, ça va être plus dans le ressenti après<br />

c'est plus sur des symptômes ça va être plus visuel et puis aussi par rapport aux propos <strong>du</strong><br />

patient qu'il peut... Ce <strong>que</strong> le patient peut nous dire quoi.<br />

Moi: Ok très bien.<br />

IV


Moi : On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensez-vous ?<br />

IDE 2 : (rire gêné).<br />

Moi: Dites-moi honnêtement ce <strong>que</strong> vous en pensez.<br />

IDE 2: Honnêtement non je ne sais pas... Euh, je saurais pas trop... Je pense pas qu'on ait un<br />

truc particulier pour ressentir non. (Silence)<br />

Moi: Vous n'avez pas connu de situation où vous avez pu avoir des ressentis particuliers<br />

et où ça a pu interférer dans votre prise en charge?<br />

IDE2: Non franchement non (Silence).<br />

Moi: D'accord.<br />

(Long silence)<br />

IDE 2: Après peut-être si euh, tu me fais penser <strong>du</strong> coup des fois quand on a un patient et on<br />

se dit je le sens pas trop oh là c'est vrai qu'il a pas l'air... Si si ça peut arriver ben <strong>du</strong> coup en<br />

fait ça peut arriver on va observer un patient et on se dit il a pas l'air bien je le sens pas peutêtre<br />

<strong>que</strong> cet après-midi il va merder ouais ça peut arriver qu'on ait ce genre de réflexion ouais.<br />

Moi: Euhm euhm.<br />

IDE 2: Toutes prati<strong>que</strong>ment ouais.<br />

Moi : Euhm euhm.<br />

IDE 2: (Eclats de rires) En réfléchissant en fait oui (rires).<br />

Moi: D'accord (rires).<br />

Moi : Vous est-il déjà arrivé de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

IDE 2 : Ouais si ben après euh ça m'est déjà arrivé par exemple de dire aux médecins de dire<br />

venez la voir je sais pas euh je la sens pas je la trouve pas top.<br />

Moi: Ok (silence).<br />

IDE 2: Où il y avait pas forcément voilà j'avais pas un symptôme particulier à décrire au<br />

médecin ou quoi mais je lui disais Madame Untel je la trouve pas top aujourd'hui allez jeter<br />

un coup d'œil oui ça m'est déjà arrivé.<br />

Moi: D'accord et ça ne vous gêne pas de demander au médecin sans avoir comme vous<br />

dites un symptôme ou <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de clini<strong>que</strong> à décrire?<br />

IDE 2: Non non non après c'est vrai euh, <strong>que</strong> des fois c'est plus un état général on va voir<br />

l'état général de la patiente, on va la trouver complètement affaiblie tout ça et on va dire je la<br />

V


sens pas trop, aller jeter un coup d'œil. Non ça ne me dérange pas ça m'est arrivé plusieurs<br />

fois de dire aux médecins, ouais ça m'est déjà arrivé.<br />

Moi : Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est dû à votre avis ?<br />

IDE 2 :Alors je dis peut-être qu'au début euh il y a eu une évolution et là après au bout... On<br />

va dire par exemple la première année quand tu as pas <strong>du</strong> tout l'habitude euh, peut-être <strong>que</strong><br />

j'avais beaucoup moins d'intuition et après ça a stagné quoi.<br />

Moi: D'accord est-ce <strong>que</strong> vous pensez <strong>que</strong> c'est peut-être parce <strong>que</strong> vous êtes à l'aise<br />

maintenant dans le service dans le<strong>que</strong>l vous êtes? Que vous avez plus d’expérience ?<br />

IDE 2: Oui voilà ça fait trois ans <strong>que</strong> je suis ici donc <strong>du</strong> coup y'a des trucs <strong>que</strong> j'ai plus<br />

l'habitude euh, plus l'habitude avec la pathologie avec la spécialité donc forcément il y a plus<br />

des choses qui vont alerter.<br />

Moi: Ok.<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

IDE 2 : Euh, une petite place en fait on va dire par (silence). Non ça va être quand même la<br />

clini<strong>que</strong> qui va passer beaucoup au premier plan mais comme je te dis de temps en temps ça<br />

peut arriver et après (silence) avoir la petite intuition plus des données clini<strong>que</strong>s qui vont se<br />

rajouter, voilà donc on va dire euh, pour moi ça a une petite importance.<br />

Moi: Vous pensez <strong>que</strong> ça peut être le début... (coupée)<br />

IDE 2: ...Voilà de fouiner un petit peu euh, on va dire de fouiner après au niveau clini<strong>que</strong><br />

biologi<strong>que</strong> et de se dire finalement à ouais pas top y'a ça qui va pas parce <strong>que</strong> (silence)... Ça<br />

peut aider après à poser un diagnostic peut-être même.<br />

Moi: Ok je comprends.<br />

Annexe 4 : Entretien IDE n°3<br />

Age<br />

28 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 3 ans<br />

Ancienneté dans le service 3 ans<br />

Durée de l’entretien 14’28<br />

VI


Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 3 : Ben euh, c'est principalement de <strong>faire</strong> des liens par rapport à la clini<strong>que</strong> de mon<br />

patient euh, aux drogues qu'il peut avoir, aux perturbations qu'il va avoir sur sa mobilité, sur<br />

son alimentation, sur son hygiène et nous les démarches qu'on va <strong>faire</strong> euh, dans ben dans<br />

notre rôle infirmier ce <strong>que</strong> l'on va mettre en place suite à ces perturbations et à ces<br />

changements c'est principalement ça.<br />

Moi : Comment faites-vous pour identifier les besoins de votre patient non vous me<br />

parlez?<br />

IDE 3 : Ben euh, c'est identifier des signes, des ris<strong>que</strong>s sachant <strong>que</strong> nous ici si on a <strong>que</strong>lqu'un<br />

qui a une douleur thoraci<strong>que</strong>, qui va être en lit strict, ça va être <strong>faire</strong> attention à son état<br />

cutané, voilà tous ces liens <strong>que</strong> c'est à nous de mettre en place si on sait qu'il y a certaines<br />

drogues qu'il va avoir, si il est sous diuréti<strong>que</strong> depuis trois jours et <strong>que</strong> l'on a pas eu de<br />

contrôle iono penser à le <strong>faire</strong> ou à en parler au médecin ça va être euh simplement ça.<br />

Moi : On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensez-vous ?<br />

IDE 3 : Quand on ressent les choses euh au niveau psychologi<strong>que</strong> plutôt?<br />

Moi : Oui par exemple mais pas uni<strong>que</strong>ment je veux dire des choses qui ne sont pas de<br />

l'ordre <strong>du</strong> visuel comment on peut dire il est pale où il transpire, je veux dire des<br />

situations dans les<strong>que</strong>lles l'infirmière a un ressenti sans pouvoir s'appuyer sur des signes<br />

évidents.<br />

IDE 3 : Ben après on va ressentir euh, on va c'est peut-être plus de l'interprétation mais là<br />

encore sur ce <strong>que</strong> l'on voit de la personne souvent nous on a des soins palliatifs, on va<br />

ressentir <strong>que</strong> les personnes, on va les trouver souvent inconfortables souvent on sent qu'elles<br />

ne sont pas à l'aise qu'elles sont... Y'a pas de douleur clairement identifiée mais voilà on sent<br />

qu'elles sont pas à l'aise <strong>que</strong> ces personnes elles sont pas bien mais ... (Silence).<br />

Moi : Mais il n'y a pas <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose <strong>que</strong> vous identifiez clairement visuellement ou <strong>que</strong><br />

la personne exprime vous voulez dire?<br />

IDE 3 : Oui voilà euh, on ne va pas pouvoir le classer dans <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose où ça va être des<br />

douleurs avec une EVA etc. mais c'est juste juste qu'on voit <strong>que</strong> la personne n'est pas bien, on<br />

va leur demander ben comment ils se sentent et même eux ne savent pas forcément le décrire,<br />

ils se disent pas forcément douloureux mais voilà on sent qu'ils ne sont pas à l'aise.<br />

VII


Moi : Vous est-il déjà arrivé de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

IDE 3 : Là euh non ça ne me parle pas, sans se dire tiens pourquoi j'ai fait ça? Non en général<br />

euh, ben j'ai l'impression <strong>que</strong> ça se fait plutôt naturellement ça va être des personnes ou alors<br />

on va ressentir sans <strong>que</strong> nous disent, par exemple la pudeur il y a des gens qui n'ont pas<br />

franchement de pudeur ça ne les dérange pas <strong>du</strong> tout, il y a des personnes on va se rendre<br />

compte qu'elles sont un peu gênées d'être dénudées donc naturellement,on va <strong>faire</strong> plus<br />

attention mais je dirais plus <strong>que</strong> ça se fait, oui peut-être sans réfléchir, qu'on va le <strong>faire</strong><br />

naturellement par rapport à l'impression <strong>que</strong> la personne donne mais derrière non j'ai pas de<br />

réflexion sur pourquoi? J'ai l'impression <strong>que</strong> c'est fait assez naturellement on s'adapte par<br />

rapport à ce <strong>que</strong> la personne ressent.<br />

Moi : Oui oui d'accord c'est un ressenti <strong>que</strong> vous avez par exemple si c'est la pudeur la<br />

personne ne va pas vous dire« je suis pudi<strong>que</strong> » c'est vous qui le ressentez et vous<br />

réagissez <strong>du</strong> coup en fonction mais de manière naturelle sans réfléchir sans vous dire "je<br />

la sens pudi<strong>que</strong>".<br />

IDE 3 : Oui voilà c'est ça le lien doit être fait euh, peut-être inconsciemment mais oui on se<br />

pose pas la <strong>que</strong>stion « elle est pudi<strong>que</strong> » donc je vais <strong>faire</strong> attention à ce qu’elle soit le moins<br />

dénudée possible, on fait plus naturellement euh et des personnes on voit également qu'elles<br />

ne sont pas forcément,il y a des personnes qui sont plutôt refermées mais parce <strong>que</strong> de leur<br />

naturel elles ne sont pas bavardes, ça les embête d'être à l'hôpital et on les embête donc on va<br />

pas s'étaler dans la communication et l'échange parce <strong>que</strong> voilà, on pose une ou deux<br />

<strong>que</strong>stions pour échanger, on voit qu'on les embête et voilà on va s'adapter. Pareil euh, par<br />

exemple, des personnes qui au contraire ont énormément besoin de parler, on peut voir<br />

derrière juste si elles ont besoin d'échanger et ça peut découler, si ce sont des personnes qui se<br />

sentent seules ou si elle veulent parler de leur maladie et qu' il y a de l'anxiété derrière ça.<br />

C’est plus euh, on peut avoir une réflexion là-dessus mais naturellement notre comportement<br />

je pense euh qu'il s'adapte en fonction de la personne qu'on a en face de nous.<br />

Moi : Les exemples <strong>que</strong> vous me donnez décrivent des ressentis plutôt sur un penchant<br />

psychologi<strong>que</strong>. Pensez-vous <strong>que</strong> vos ressentis sont plus importants sur les aspects<br />

psychologi<strong>que</strong>s de la personne? Comme l'anxiété ou la pudeur plutôt <strong>que</strong> sur des<br />

ressentis sur un état de mal-être dans le sens somati<strong>que</strong> <strong>du</strong> terme? Du genre il y a<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui ne marche pas je ne le sens pas?<br />

VIII


IDE 3 : Ah ben ci-après dans le sens où ce patient euh, je le sens pas, il y a des personnes<br />

qu'on va aller voir même si au niveau de la clini<strong>que</strong> purement, non même pas la clini<strong>que</strong> mais<br />

voilà on va dire des personnes qui ne sont pas dyspnéi<strong>que</strong>s, les constantes sont bonnes mais<br />

on voit au faciès à l'attitude qu'on le sent pas, on se dit il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui va pas après ça<br />

on ne peut pas <strong>du</strong> tout l'expli<strong>que</strong>r et on a pas forcément d'actions à mettre en place dessus.<br />

Après euh voilà même en parler au médecin en disant mais lui je le sens pas trop je sens <strong>que</strong><br />

ça va « quoi<strong>que</strong>r » mais en même temps si ça quoi<strong>que</strong> pas on a rien pour s'appuyer.<br />

Moi : Est-ce <strong>que</strong> ça vous est déjà arrivé de le communi<strong>que</strong>r aux médecins par exemple<br />

de dire oui ce patient a pas l'air d'aller bien mais la clini<strong>que</strong> est bonne et les constantes<br />

sont correctes...<br />

IDE 3 : Oui euh, il y a rien de particulier mais je le sens pas ouais, mais voilà mais y'a pas<br />

d'action derrière on va peut être <strong>faire</strong> encore plus attention parce qu'on se dit <strong>que</strong> là peut être<br />

qu'il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui va découler sur le<strong>que</strong>l on pourra s'appuyer pour agir et alerter<br />

après y'a pas plus...<br />

Moi : Donc votre ressenti vous amène quand même à effectuer une surveillance plus<br />

approfondie pour voir si ça mène à <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose et si c’est le cas vous pourrez dans un<br />

second temps en parler aux médecins ?<br />

IDE 3 : Oui euh, mais après parfois ça ne mène à rien, mais ces ressentis là je vais plus les<br />

surveiller entre guillemets pour m'appuyer sur <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose, des fois on peut se tromper<br />

parce qu'après on apprend à connaître les gens, si c'est leur naturel d'avoir tel ou tel<br />

comportement ou comme des personnes qui ont des petites tensions et dont c'est leur habitude<br />

euh, on s'affole pas après on apprend à les connaître, des fois ces premières impressions qu'on<br />

a et <strong>que</strong> ça fait plusieurs jours qu'on s'occupe des personnes en discutant en apprenant à les<br />

connaître euh, on se rend compte <strong>que</strong> c'est leur état naturel entre guillemets .<br />

Moi : Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est dû à votre avis ?<br />

IDE 3 : Euh, il a énormément évolué en service de cardiologie-pneumologie, parce <strong>que</strong> parce<br />

<strong>que</strong> forcément on prend des habitudes, de l'expérience, moi j'ai un pourcentage au pool où il y<br />

a des services comme en chirurgie où c'est pas <strong>du</strong> tout mon domaine, je suis complètement<br />

novice il y a pleins de choses <strong>que</strong> je ne remar<strong>que</strong> pas <strong>que</strong> mes collègues qui ont de<br />

l'expérience dans la chirurgie vont remar<strong>que</strong>r de suite. Je pense qu'il y a la discipline qui fait<br />

<strong>que</strong>... (Silence).<br />

Moi : Et puis l'expertise comme vous dites.<br />

IX


IDE 3 : Oui voilà euh. Oui moi je le vois bien avec cette partie au pool, il y a des services où<br />

je vais très rarement où je n'ai pas d'expérience, ni énormément de connaissances et je vois<br />

<strong>que</strong> je ne percute pas de <strong>du</strong> tout de la même manière... Il y a des habitudes de service aussi<br />

enfin de service de discipline<br />

Moi : Ok<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

IDE 3 : C’est important mais ... ça ne suffit pas pour mettre en place des actions derrière. Je<br />

dirais <strong>que</strong> c’est un ensemble de choses et le ressenti peut aider dans le bon sens.<br />

Annexe 5 : Entretien IDE n°4<br />

Age<br />

23 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 1 an 1/2<br />

Ancienneté dans le service 1 an 1/2<br />

Durée de l’entretien 17’04<br />

Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 4 : Ben euh, c'est tout ce <strong>que</strong> tu fais machinalement quand t’es infirmière voilà. Tu rentre<br />

dans la chambre <strong>du</strong> patient, tu observes donc c'est tout ce qui est signes clini<strong>que</strong>s, le teint, les<br />

constantes hémodynami<strong>que</strong>s, c'est tout ce qui est autour <strong>du</strong> patient quoi, au final c'est tout ton<br />

raisonnement clini<strong>que</strong> parce <strong>que</strong> c'est ce qui te permet de te <strong>faire</strong> un diagnostic et de te dire<br />

dans ta tête par exemple, euh il a je sais pas euh il a euh il revient <strong>du</strong> bloc il a 35.5 de<br />

température, tu te dis oh là là hypothermie il revient <strong>du</strong> bloc euh, je surveille si sa température<br />

remonte ben tout ça quoi tu vois ton raisonnement clini<strong>que</strong> c'est tout c'est tout ton patient.<br />

Moi : Et le raisonnement clini<strong>que</strong> ça part de l'observation des signes clini<strong>que</strong>s de la prise<br />

des constantes pour vous?<br />

IDE 4 : Ben de l’observation oui euh, et réflexion quand même de l'observation tu en fais des<br />

liens dans ta tête, mais qui viennent surtout avec l'expérience aussi parce qu'au début tu les<br />

fais pas ces liens, donc de l'observation tu te fais un lien et tu te fais ton diagnostic.<br />

X


Moi : Euhm euhm.<br />

IDE 4 : Observation-lien-diagnostic tu vois?<br />

Moi : Ok je comprends.<br />

Moi : Vous me parlez de signes clini<strong>que</strong>s mais vous arrive-t-il d’avoir des ressentis à la<br />

base de votre réflexion ?<br />

IDE 4 : C'est-à-dire des instincts tu veux dire?<br />

Moi : Par exemple.<br />

IDE 4 : Alors euh, après ça va dépendre d'une infirmière à l'autre tu vois, y'a des signes qui<br />

vont alerter, après je te dis c'est l'expérience qui fait <strong>que</strong> tu vois, moi euh direct quand je vois<br />

hypotension tachycardie je me dis putain ris<strong>que</strong> hémorragi<strong>que</strong>, il faut <strong>que</strong> je surveille les<br />

signes extérieurs genre les redons les pansements si ça saigne etc. Alors <strong>que</strong> tu as peut être<br />

des infirmières qui ont ... Pourtant j'en ai pas beaucoup moi d'expérience, euh qui ont moins<br />

moins d'expérience dans ce service là, où dans ces soins et qui vont se dire mais y'a juste une<br />

petite hypotension et une tachycardie, donc oui au final t'as quand même de l'instinct parce<br />

qu'au final c'est ton observation, tes capacités et tes compétences infirmières qui font <strong>que</strong> tu<br />

arrives, mais d'une infirmière à l'autre c'est pas pareil tu vois t'as pas le même vécu, la même<br />

expérience et c'est différent après pour moi euh, en première année enfin pas en première<br />

année mais au premier poste, j'avais pas autant euh d'expérience, peut-être <strong>que</strong> ça m'aurait<br />

moins alertée alors <strong>que</strong> maintenant tu vois euh, ça m'est déjà arrivé je me dis putain surveille<br />

quoi.<br />

Moi : Vous voulez dire <strong>que</strong> vous apprenez de vos expériences passées?<br />

IDE 4 : Oui voilà.<br />

Moi : On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensez-vous ?<br />

IDE 4 : Ben moi c'est vrai euh, parce <strong>que</strong> je suis un chat noir j'ai toujours des merdes parce<br />

<strong>que</strong> je le sens trop ! Donc non mais c'est vrai le cadre me l'a encore dit « non mais vous voilà<br />

c'est pas possible », euh genre encore avant-hier j'avais un mec il venait pour une coli<strong>que</strong><br />

néphréti<strong>que</strong> à la base, il devait avoir une néphro sous scan sauf <strong>que</strong> le mec blancasse il<br />

transpirait, j'ai dit oh là là je commence à lui prendre la tension et tout 8/5 je me dis euh, il va<br />

me <strong>faire</strong> un choc septi<strong>que</strong> ! Donc j'ai vite appelé le SMUR 3 " vite il me fait un choc<br />

scepti<strong>que</strong>" et tout ben là il est en mutations à Nimes tu vois si j'avais pas eu le nez...euh.<br />

3 Structure Mobile d’Urgence et de Réanimation<br />

XI


Alors <strong>que</strong> y'en a euh tu vois par exemple une infirmière <strong>du</strong> pool qui n'a pas l'habitude <strong>du</strong><br />

service, elle aurait dit oh il me fait 8/5, il me fait un malaise vagal tu vois enfin donc oui tu<br />

sens, enfin sinon tu fais pas ce métier je veux dire t'as tes compétences, tes liens et ton<br />

intelligence qui te font dire voilà mais aussi ton instinct enfin c'est comme une maman<br />

l'instinct maternel! Ben t'as aussi l'instinct infirmier c'est pareil! (Rires)<br />

Moi : Vous est-il déjà arrivé de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

IDE 4 : Oui tout le temps euh, oui souvent (rires). Ben oui tout le temps souvent si souvent<br />

encore j'ai un autre exemple, c'était un monsieur qui venait et qui avait de l'ascite et qui s'est<br />

fait opérer d'une hernie ombilicale j'étais passée une demi-heure avant, il avait rien mais je le<br />

sentais pas, je suis arrivée il était marbré des œdèmes discrets aux jambes 9/5 de tension donc<br />

euh pas forcément alarmant, 100 de puls j'ai dit allez c'est bon il fait un OAP! J'ai vite appelé<br />

l'anesthésiste et bingo OAP tu vois (rires). Parce qu'il était marbré et des œdèmes aux jambes<br />

en une demi-heure de temps et là j'ai dit c’est bon il commence à descendre en tension, à<br />

tachycardiser, il a des marbrures et des œdèmes j'appelle! Et il a eu un sub OAP euh, un<br />

début d’OAP et oui tu ressens. Après euh, c'est à toi de juger c'est ça qui est <strong>du</strong>r dans ton<br />

boulot parce qu' au final si t'appelle l'anesth une fois, et qu'au final il vient pour rien, deux<br />

fois il vient pour rien et <strong>que</strong> tu t'alarmes à cha<strong>que</strong> fois pour rien et <strong>que</strong> c'est vraiment rien au<br />

bout d'un moment il dit « allez c'est bon » d'un air « je vous connais vous je viens pas » alors<br />

<strong>que</strong> moi euh, maintenant quand j'appelle, au début il me prenait jamais au sérieux « non je<br />

viens pas je viens pas » et au bout de six fois « bon ben j'arrive » et maintenant euh, dès <strong>que</strong> je<br />

les appelle ils savent <strong>que</strong> tu les appelles pas pour rien tu vois ?<br />

Moi : Oui je vois.<br />

IDE 4 : Parce qu'après euh, il ne faut pas chercher des trucs où y en a pas non plus ! Y'en a<br />

elles te voient des trucs euh qui n'ont pas lieu d'être tu vois ?<br />

Moi : Euhm euhm.<br />

IDE 4 : Si juste euh, il a une petite tension et une tachycardie mais qu'il a aucun autre signe<br />

ben juste tu vas le surveiller en attendant d'autres signes mais au final euh, c'est juste une<br />

surveillance.<br />

Moi : Si je comprends bien c'est un ensemble vous avez votre ressenti de la situation,<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong>s signes qui peuvent vous alerter et qui se rajoutent à ça et qui font <strong>que</strong>...<br />

XII


IDE 4 : ...<strong>que</strong> dans <strong>que</strong> dans ta tête ça doit <strong>faire</strong> clic c'est ça! (Rires) Non mais tu verras euh,<br />

ça vient avec le temps tu le sens enfin je sais pas, c'est bizarre c'est comme les fins de vie et<br />

les morts tu les sens c'est fou ça euh, ouais c'est bizarre même moi j'arrive pas à expli<strong>que</strong>r<br />

(Silence).<br />

Moi : Chez des patients dont vous savez qu'ils sont en fin de vie ou pas?<br />

IDE 4 : Oui je sais pas si c'est des liens euh, avec ce qu'on fait, par rapport à leurs antécédents<br />

ce qu'ils ont, on dit putain il va merder mais les fins de vie euh, on sait qu'ils vont mourir mais<br />

tu sais par exemple, tu sais des fois <strong>que</strong> c'est demain tu vois ? C'est plus ça tu te dis à ben là<br />

c'est bon c'est pour cette nuit (silence) et c'est cette nuit.<br />

Moi : Et tu n'arrives pas à te l'expli<strong>que</strong>r c'est ça ?<br />

IDE 4 : Oui c'est fou.<br />

Moi : C’est très intéressant.<br />

Moi : Est-ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est <strong>du</strong> à votre avis ?<br />

IDE 4 : Oui oui oui oui euh, il a évolué parce <strong>que</strong> <strong>du</strong> coup tu te réfères je pense toujours à des<br />

trucs qui te sont arrivés, je pense c'est pour ça <strong>que</strong> c'est super bien en début de carrière de<br />

commencer dans des services où tu as plein de trucs parce <strong>que</strong> finalement ça te servira<br />

partout, ça te servira partout.<br />

Moi : Euhm<br />

IDE4 : Et oui euh, avec l'expérience tu arrives direct à savoir sans réfléchir ce qu'il y a alors<br />

qu'au début tu pani<strong>que</strong>s tu te dis oh là là...<br />

Moi : Est-ce <strong>que</strong> ça vous est déjà arrivé d'agir d'une certaine manière sans réfléchir et<br />

de vous dire après coup tiens pourquoi j'ai agi comme ça?<br />

IDE 4 : Oui euh, par exemple dans un cas d'urgence quand tu as un infarctus, un OAP ou<br />

quoi, tu agis automati<strong>que</strong>ment mais après en repensant euh, la situation tu dis putain c'est moi<br />

qui ai fait ça ? Mais tu sais pas comment tu l'as fait, c'est je sais pas ça ne s'expli<strong>que</strong> pas c'est<br />

l'instinct animal on est tous des animaux ! (rires).<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

IDE 4 : C'est compliqué quand même cette <strong>que</strong>stion. Au final euh, c'est une globalité de tes<br />

signes, tes compétences et ton ressenti qui fait <strong>que</strong> tu arrives à tirer des diagnostics, un<br />

raisonnement infirmier, donc <strong>du</strong> coup c'est un peu (silence) c'est un peu 50/50 quand même je<br />

XIII


trouve ces 50 %. Tu lies les deux y'a pas forcément <strong>que</strong> les ressentis ou <strong>que</strong> les signes c'est un<br />

lien c'est 50/50 moi je dirais.<br />

Annexe 6 : Entretien IDE n°5<br />

Age<br />

28 ans<br />

Sexe<br />

Masculin<br />

Années de diplôme 6 ans<br />

Ancienneté dans le service 6 mois<br />

Durée de l’entretien 22’15<br />

Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 5 : Oh là tu me prends de court. Euh le raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier... (silence).<br />

Moi : Ça vous évo<strong>que</strong> quoi spontanément?<br />

IDE 5 : Spontanément, euh ben c'est l'évaluation clini<strong>que</strong> <strong>du</strong> patient et pour moi c'est<br />

essentiellement <strong>faire</strong> la synthèse de son état pour savoir et pouvoir évaluer sa nécessité de<br />

prise en charge ou non et l'urgence de cette prise en charge.<br />

Moi : D'accord mais la synthèse de l'état de votre patient vous la faites par rapport à<br />

<strong>que</strong>ls éléments?<br />

IDE 5 : Mes connaissances euh, très certainement et certainement influencé aussi par ce <strong>que</strong><br />

le patient ressent en terme de besoin si ça semble impétueux ou si ça semble plus reportable.<br />

Moi : D'accord et ses besoins vous les déterminez comment quand vous entrez dans la<br />

chambre concrètement?<br />

IDE 5 : Ben euh, c'est lui qui les exprime et après ben selon si je fais un tour de constantes<br />

euh, ben je les évalue en fonction de ce <strong>que</strong> je regarde, de la clini<strong>que</strong>, des constantes<br />

hémodynami<strong>que</strong>s et de façon générale, après au bout d'un moment je pense <strong>que</strong> tu<br />

commences à avoir un certain œil euh euh un peu instinctif, puis<strong>que</strong> tu tu remar<strong>que</strong>s après je<br />

sais pas la respiration, leur façon de te regarder, de te parler, si il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de normal<br />

ou pas. Au bout d'un moment je pense <strong>que</strong> ça finit par se <strong>faire</strong> un peu plus par l'instinct <strong>que</strong><br />

par raisonnement c'est très logi<strong>que</strong>.<br />

Moi : D'accord.<br />

XIV


Moi : On dit parfois <strong>que</strong> la professionnelle "sent les choses", qu’en pensez-vous ?<br />

IDE 5 : Oui je suis tout à fait d’accord, on sent les choses ça c’est sûr !<br />

Moi : Vous est-il déjà arrivé de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

IDE 5 : Oui oui ça m'est arrivé des euh (silence). Beaucoup euh c'est peut-être con des<br />

rétentions aiguës d'urine, les rétentions aiguës d'urine c'est typi<strong>que</strong>ment le genre de euh c'est<br />

typi<strong>que</strong>ment chez les personnes âgées alitées, c'est typi<strong>que</strong>ment tu les sens décompenser<br />

quand ça commence j'entends, quand ils commencent un peu à sur charger tu les sens<br />

décompenser, c'est l'exemple <strong>que</strong> j'ai le plus de vécu je parle avec la personne âgée, tu les<br />

sens décompenser, tu les sens s'aggraver sur le plan respiratoire mais la saturation est bien, tu<br />

les sens un peu dyspnéi<strong>que</strong>s euh, tu les sens pas flamme, je sais pas exactement le dire et<br />

ensuite soit tu commences à t'intéresser à savoir à savoir un peu les constantes de toute façon<br />

tu le sais, soit à ton tour des constantes comme ça par le pur des hasards, soit tu vas avoir le<br />

réflexe de palper et dire à la merde il est en globe, ou alors tu vas pas le <strong>faire</strong> et tu vas lui<br />

trouver <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d'un peu anormal qui va te prétexter une raison d'appeler un médecin et<br />

(rires) ou tu vas essayer de trouver <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d'anormal pour le <strong>faire</strong> montrer, ou alors tu<br />

vas juste choper <strong>que</strong>lqu'un regarde lui je le sens pas ce qui marche pas à tous les coups par<br />

contre.<br />

Moi : Vous avez eu des expériences où c'était problémati<strong>que</strong> de dire simplement au<br />

médecin « je le sens pas » ?<br />

IDE 5 : Oui oui oui, euh, tu passes pour un pruneau des fois, ça arrive ça arrive oui puis des<br />

fois t'as tort aussi, des fois t’as tort aussi, tu te dis le patient je sais pas je le sens pas puis<br />

finalement il va dégueuler un bon coup, il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui était pas passée au repas, et<br />

en fait tu passes pour un idiot voilà(rires), les <strong>que</strong>nelles sont pas passés tant pis(rires), mais<br />

mais oui ça arrive aussi.<br />

Moi : Et à l'inverse est-ce <strong>que</strong> vous avez eu des situations où vous avez dû alerter les<br />

médecins sur un ressenti et où vous avez eu <strong>du</strong> <strong>flair</strong> au final?<br />

IDE 5 : Oui euh, c'est plus souvent d'ailleurs dans ce sens là <strong>que</strong> dans le sens où tu passes<br />

pour un idiot, ou alors des fois tu alertes euh on te dit ben y'a rien et et finalement ça vient<br />

plus tard, tu te dis ah finalement, le lendemain quand tu reprends ta relève tu te dis ah il lui est<br />

arrivé ça ah ben zut quand même.<br />

Moi : Avez-vous des exemples?<br />

XV


IDE 5 : Euh, ben récemment une ACF 4 A euh une ACFA euh dans le service là il y a une<br />

semaine de ça, un patient je lui ai pris sa tension, elle était bonne je le trouvais euh<br />

asthéni<strong>que</strong>, sub douloureux, un patient qui était pas très conscient, enfin qui était pas très<br />

cohérent ni communicatif, c'était déjà le cas avant parce <strong>que</strong> démence et tu tu dis je sais pas et<br />

au niveau <strong>du</strong> rythme machin, je sais pas « je fais moi un ECG » et le premier il a l'air propre<br />

ben tu l'as pas pris sur un moment d'arythmie et puis ben le lendemain t'apprends en fin de<br />

compte qu'ils ont appelé d'urgence un cardiologue parce <strong>que</strong> c'était bien une ACFA, c'était<br />

bien le truc cardia<strong>que</strong> mais pas enregistrée au bon moment et <strong>que</strong> toi tu avais bien sous-ten<strong>du</strong><br />

qu'il y avait <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de cardia<strong>que</strong> à ce moment-là.<br />

Moi : Est-ce <strong>que</strong> vous aviez identifié <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose au niveau cardia<strong>que</strong> ou est-ce <strong>que</strong><br />

vous aviez seulement le ressenti <strong>que</strong> <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose n'allait pas?<br />

IDE 5 : Ben je pense <strong>que</strong> je l'avais identifié au niveau cardia<strong>que</strong> mais après avoir eu le<br />

ressenti.<br />

Moi : Si je comprends bien dans un premier temps vous avez eu un ressenti comme quoi<br />

le patient n'allait pas bien et dans un second temps est-ce par la réflexion en y<br />

réfléchissant <strong>que</strong> vous vous êtes dit <strong>que</strong> c'était probablement niveau cardia<strong>que</strong> ou pas?<br />

IDE 5 : Oui c'est ça généralement quand tu as ce genre de ressentis tu essaies d'apprêter un<br />

œil plus attentif encore d'être plus exhaustif dans ta recherche clini<strong>que</strong>.<br />

Moi : En fait pour vous les ressentis peuvent être la base d'une attention plus<br />

particulière à mettre en place?<br />

IDE 5 : Oui c'est ça.<br />

Moi : Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est <strong>du</strong> à votre avis ?<br />

IDE 5 : Oui oui oui oui, euh ben je pense <strong>que</strong> euh qu'ils ont évolué dans un sens plutôt positif,<br />

dans la mesure où ils sont plus adaptés, plus justes peut-être même <strong>que</strong>, peut-être même <strong>que</strong><br />

j'ai plus de ressentis <strong>que</strong> ce <strong>que</strong> c'était en début de carrière, c'est-à-dire au début c'était plus<br />

basé sur un raisonnement clini<strong>que</strong> et après tu finis par le ressentir oui plus précocement je<br />

pense.<br />

Moi : Pensez-vous qu'au plus vous avez de l'expérience et au plus vous êtes sur un mode<br />

intuitif?<br />

4 Arythmie Cardia<strong>que</strong> par Fibrillation Auriculaire<br />

XVI


IDE 5 : Oui euh, tu t'expérimentes dans le mode intuitif et en fait il vient compléter<br />

finalement tu en viens à détecter des choses <strong>que</strong> tu n'aurais pas détectées <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s années<br />

avant parce <strong>que</strong> les signes clini<strong>que</strong>s étaient peut-être trop subtils pas assez évidents pour <strong>que</strong><br />

tu t'y intéresses.<br />

Moi : Euhm euhm ok.<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

IDE 5 : Euh ben, dans le raisonnement clini<strong>que</strong> euh dans le raisonnement clini<strong>que</strong>, il a une<br />

place relative dans le sens où il faut s'y fier, dans le sens où je pense <strong>que</strong> oui il faut s'y fier, il<br />

faut pas laisser passer ce genre de ressenti et sortir de la chambre en te disant y'a un truc qui<br />

va pas, mais bon tu es obligé d'en tenir compte, après c'est pas <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose <strong>que</strong> tu peux<br />

quantifier et <strong>que</strong> tu peux et <strong>que</strong> tu peux gérer, tu le sens tu sens quand tu rencontres un patient<br />

il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui va pas tu vas essayer de rechercher de rechercher si c'est plutôt<br />

somati<strong>que</strong> ou plutôt psychologi<strong>que</strong> et si c'est somati<strong>que</strong> d'essayer d'inciter les autres à s’y<br />

intéresser, quand je dis les autres je parle surtout des médecins euh mais euh (silence).<br />

Moi : Dans le raisonnement clini<strong>que</strong>, vous placerez vos ressentis plus au départ, à<br />

l'origine de celui-ci?<br />

IDE 5 : Oui voilà euh, disons <strong>que</strong> ça fait partie <strong>du</strong> premier contact <strong>du</strong> premier contact avec le<br />

patient dans ta journée, c'est-à-dire <strong>que</strong> euh le premier contact avant même <strong>que</strong> tu commences<br />

en fait, il vient toujours avant même <strong>que</strong> tu commences à réellement t’intéresser à la clini<strong>que</strong>,<br />

c'est-à-dire <strong>que</strong> ça vient dans les premiers mots, quand tu vas dire « bonjour comment ça<br />

va ? » tu vas avoir le feed-back <strong>du</strong> patient qui va te renvoyer un ressenti (silence). Du coup<br />

ton ressenti t'es toujours obligé de l'avoir en premier de toute façon, t'as pas encore eu le<br />

temps de prendre des constantes et de t'intéresser réellement la clini<strong>que</strong> quoi, à la clini<strong>que</strong><br />

palpable de toute façon tu es obligé de l’avoir avant et puis des fois tu penses rien de<br />

particulier mais de moins en moins quand même.<br />

Moi : D’accord euhm (silence).<br />

IDE 5 : De moins en moins mon ressenti est en inadéquation avec les réalités <strong>du</strong> patient.<br />

Moi : Ça pouvait être le cas au début de votre carrière?<br />

IDE 5 : Oui ça pouvait être le cas (silence). De m'inquiéter pour rien ou de ne pas m'inquiéter<br />

et de constater qu'il y avait <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de grave.<br />

Moi : D'accord ok.<br />

XVII


IDE 5 : Signaler des choses qui pouvaient être euh, des petites anomalies qui en fin de compte<br />

se sont révélées être des choses un peu importantes quand même, ça arrive au début de<br />

carrière ouais moi ça m'est arrivé en tout cas.<br />

Moi : Euhm euhm.<br />

IDE 5 : Ce qui ne m'arrive plus aujourd'hui puis<strong>que</strong> après tu verras tu acquiers des<br />

connaissances qui te font penser <strong>que</strong> quand bien même après je pense <strong>que</strong> ça prend un part<br />

considérable et tu as aussi le côté ressenti vis à vis <strong>du</strong> patient, le coté ressenti peut aussi<br />

s'intéresser sur le plan psychologi<strong>que</strong> de la prise en charge, pas forcément pour un problème<br />

somati<strong>que</strong> après ça reste quand même de la clini<strong>que</strong> infirmière mais tu vas plutôt sur un<br />

versant surtout dans le cas des hospitalisations des maladies chroni<strong>que</strong>s euh, des maladies<br />

létales euh, pour des tas de choses et puis des fois par rapport à euh les patients ils ont leur vie<br />

et des fois ils sont déprimés par ce <strong>que</strong> le boulot ça se passe pas bien et aujourd'hui ils sont en<br />

arrêt maladie et ils vont encore plus se <strong>faire</strong> démonter la tronche, ça c'est la partie<br />

psychologi<strong>que</strong> <strong>du</strong> ressenti <strong>du</strong> contact.<br />

Moi : Ok.<br />

Annexe 7 : Entretien IDE n°6<br />

Age<br />

38 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 16 ans<br />

Ancienneté dans le service 13 ans<br />

Durée de l’entretien 23’08<br />

Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 6 : Ben c'est ça euh, en fait j'allais te demander (éclats de rires) ça me parle pas <strong>du</strong> tout...<br />

Ça me parle pas <strong>du</strong> tout raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier tu vois ce <strong>que</strong> je veux dire? Quand<br />

t'es élève tu le fais après quand tu travailles tu fais pas, après c'est des relèves approfondies les<br />

liens qu'on fait entre pathologies et tout quoi.<br />

Moi : En fait vous ce <strong>que</strong> vous me dites, je pense <strong>que</strong> vous utilisez votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier, mais comme vous dites c'est pas <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de formalisé, c'est<br />

justement la démarche intellectuelle qui m'intéresse.<br />

XVIII


IDE 6 : C'est instinctif en fait.<br />

Moi : Ce n'est pas <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose <strong>que</strong> l'on réfléchi forcément vous voulez dire ?<br />

IDE 6 : Oui euh, disons <strong>que</strong> nous on fait les liens directement quoi, il rentre pour ça euh, il a<br />

tel médicament pour ça, il faut surveiller ça ça ça c'est ça le raisonnement? Rires<br />

Moi : Et concrètement quand vous rentrez dans une chambre et <strong>que</strong> vous vous dites : je<br />

vais surveiller ça ça ça, sur quoi est basée votre surveillance?<br />

IDE 6 : (Rires) Tu comprends <strong>que</strong> c'est vaste quand même euh, tu comprends <strong>que</strong> si c'est une<br />

entrée, il faut le cadrer par rapport aux antécédents, à son traitement actuel tout ça. Euh si<br />

c'est un retour de bloc, tu vas surveiller les ris<strong>que</strong>s immédiats de post-op immédiats, après si<br />

c'est un bloc qui est à J4-J5 un bloc simple, il y'aura pas grande surveillance à <strong>faire</strong> quoi euh,<br />

à part regarder le pansement, qu'il n'ait pas mal à la rigueur la perf le point de ponction voilà<br />

quoi tu comprends?<br />

MOI : D'accord en fait moi ce qui m'intéresse de savoir...<br />

IDE 6 : Oui c'est ça tu veux en venir où? Rires<br />

Moi : Souvent quand on parle de raisonnement clini<strong>que</strong>, même si pour vous c'est<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose peut être lointain car vous avez 16 ans de diplôme et <strong>que</strong> vous faites les<br />

choses maintenant de manière comme vous dites plus instinctive...<br />

IDE 6 : Euh, je sais même pas si je l'ai fait à l'école, j'ai dû le <strong>faire</strong> je m'en rappelle pas (rires).<br />

Moi : Ok.<br />

Moi : Mais moi ce qui m'intéresse de savoir c'est qu'on dit souvent <strong>que</strong> les infirmières<br />

ressentent les choses, qu’en pensez-vous ?<br />

IDE 6 : Euh, après moi je trouve <strong>que</strong> c'est pas peut-être pas dans le sens pur de ce <strong>que</strong> tu dis là<br />

de la <strong>du</strong> raisonnement infirmier, mais c'est sûr vu qu'on est plus là <strong>que</strong> les médecins, qu'on les<br />

voit plus souvent, voilà <strong>que</strong>lqu'un qui va bien par exemple, on va dire attention je pense qu'il<br />

faut le surveiller plus, je pense qu'il n'est pas bien quoi qu'il y a un problème.<br />

Moi : C'est <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de l'ordre <strong>du</strong> ressenti?<br />

IDE 6 : Ouais.<br />

Moi : Mais vous pouvez vous laisser guider sur le moment ou...<br />

IDE 6 : Oui, c'est juste qu'on est plus vigilant parce qu'on les connaît plus quoi.<br />

Moi : Est-ce <strong>que</strong> vous auriez un exemple d'une situation?<br />

IDE 6 : En exemple euh, j'avais une dame qui, par exemple, était un peu tachycarde<br />

et hypoten<strong>du</strong>e pas bien. Un matin quand j'arrive et c'était juste je crois euh, je ne me rappelle<br />

plus de quoi elle était opérée mais <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de simple, je sais plus peut-être une hernie<br />

XIX


mais un truc vraiment bâtard. Elle était pas bien, je faisais <strong>que</strong> dire, elle est pas bien, elle est<br />

pas bien, elle est pas bien et personne me croyait les médecins ne me croyaient pas, au staff<br />

rien à cirer alors qu'elle était hypoten<strong>du</strong>e et tachycarde. J'appelle l'anesthésiste, je lui dis<br />

quand même viens la voir elle est pas bien "non non non". Finalement, il la scanne et elle part<br />

au scan en marchant "tout va bien" et finalement ils l'ont reprise en urgence euh, je crois<br />

qu'elle avait tout pété, elle saignait comme un cochon, elle était en hémorragie quoi, elle était<br />

pas bien, elle a fait une hémorragie ! Sauf qu'elle le tolérait bien au niveau, tu vois, elle le<br />

tolérait bien clini<strong>que</strong>ment mais euh elle a été pris en urgence.<br />

Moi : Clini<strong>que</strong>ment et au niveau des constantes c'était correct mais vous aviez le ressenti<br />

<strong>que</strong> <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose clochait ?<br />

IDE 6 : Oui voilà exactement, j'ai d'autres exemples voilà d'autres cas euh de Chir digestive,<br />

voilà où le mec il était pas bien et je me dis putain quand même j'appelle le chir, je le sens pas<br />

à <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose je pense qu'il faut le scanner, il est pas bien...<br />

Moi : Ça s’est avéré être des complications...<br />

IDE 6 : Oui voilà le mec a été repris. Bon après des fois on passe à côté après ça dépend des<br />

gens il y a des gens avec qui ça passe mieux des gens avec qui ça passe moins bien donc peutêtre<br />

<strong>que</strong> c'est ça aussi mais il y a une part de ressenti je pense je pense <strong>que</strong> c'est parce qu'on<br />

les connaît plus on est plus vigilants plus présents les médecins ne les voient qu'à la visite<br />

matin et soir quoi donc <strong>que</strong> nous on est là toute la journée on les connaît plus.<br />

Moi : Vous avez déjà répon<strong>du</strong> un peu à la <strong>que</strong>stion suivante mais est-ce <strong>que</strong> ça vous est<br />

déjà arrivé de prendre une décision sur la base d'un ressenti, d'une intuition, vous<br />

m'avez dit <strong>que</strong> vous n'hésitiez pas à appeler les médecins mais est-ce <strong>que</strong> vous avez<br />

d'autres exemples?<br />

IDE 6 :Si quand j'appelle, ben voilà là c'était en semaine la dame qui avait été reprise c'était<br />

en semaine mais j'avais prévenu tout le monde j'ai même appelé l'anesthésiste voilà mais bon<br />

après elle a été scannée, mais bon voilà et sinon l'autre c'était le week-end le patient je me<br />

rappelle très bien, c'était un week-end j'avais appelé le Chir chez lui pour lui dire non non<br />

mais je te jure il... je pense <strong>que</strong> tu devrais venir le voir, il est pas bien il faut le scanner<br />

(silence).<br />

Moi : Et il était revenue?<br />

IDE 6 : Oui et il l'avait scanné ouais il était revenu.<br />

Moi : Et en général on vous prend un sérieux quand vous appelez pour...<br />

IDE 6 : Oui oui.<br />

XX


Moi : Vous pensez <strong>que</strong> c'est dû à quoi?<br />

IDE 6 : Non c'est parce <strong>que</strong> j'avais l'expérience je pense <strong>que</strong> c'est plus l'expérience et parce<br />

<strong>que</strong> j'appelle pas pour rien, parce <strong>que</strong> je ne m'inquiète pas de grand chose(rires). Donc en<br />

général, en fait ils savent <strong>que</strong> si je leur dis attention je sens <strong>que</strong> c'est pas bon, ils préfèrent<br />

quand même aller voir. Après parce <strong>que</strong> j'ai plus d'expérience ça fait longtemps <strong>que</strong> je suis là,<br />

ils savent <strong>que</strong> je vais pas m'affoler pour rien pour <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de pas important.<br />

Mais même jeune diplômée, j'appelais quand même. Je me rappelle qu'une fois, après je me<br />

rappelle plus, mais la dernière fois j'avais revu la dame elle m'en avait reparlé, j'ai vu une<br />

dame qui était suivie à Montpellier pour un truc particulier et je sais plus pourquoi mais elle<br />

était super inquiète pour son traitement ou je sais pas quoi. Le chef de service lui il voulait pas<br />

appeler, j'avais appelé Montpellier, enfin c'est elle qui me l'a dit parce <strong>que</strong> je l'ai revue y'a pas<br />

longtemps, j'avais appelé Montpellier parce <strong>que</strong> je le sentais pas pour savoir et apparemment<br />

j'avais bien fait, je me rappelle pas c'est la dame qui me l'a redit « heureusement <strong>que</strong> vous<br />

étiez là et <strong>que</strong> vous avez appelé Montpellier » après je me rappelle plus pourquoi exactement<br />

mais voilà. J'avais déjà pris les devants j'avais téléphoné mais c'est aussi ma personnalité<br />

(rires). Un autre exemple tout con parfois y'a <strong>que</strong>lqu'un qui rentre, il est peu pale au bilan<br />

d'entrée tu te dis tiens je vais pi<strong>que</strong>r des groupes et des RAI euh, je sens qu'il va avoir besoin<br />

d'être transfusé, pourtant bon d'accord y'a les signes clini<strong>que</strong>s il est un pâle mais en même<br />

temps, il peut être pâle pour d'autres raisons <strong>que</strong> pour un problème d'hémoglobine. Moi ça<br />

m'est déjà arrivé de prendre cette initiative par intuition est en fait le lendemain on ait besoin<br />

de le transfuser.<br />

Moi : Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est <strong>du</strong> à votre avis ?<br />

IDE 6 : Je sais pas peut-être moins (rires). Je sais pas euh, peut-être <strong>que</strong> tu quand tu es jeune<br />

diplômée tu fais plus attention, tu es plus attentif, peut-être <strong>que</strong> maintenant je suis moins<br />

attentive. Par exemple l'autre fois, je me rappelle très bien celui qui a fait la phlébite, s'il n'y<br />

avait pas eu l'élève infirmier j'aurais pas appelé moi. Donc peut-être <strong>que</strong>, finalement, avec<br />

l'expérience on le prend plus cool et peut-être qu'on a, peut-être qu'on est moins attentif à son<br />

intuition c'est possible. Après ça dépend des gens surtout comme je te dis avec certains tu<br />

ressens plus les choses avec d'autres. Pour moi, l'intuition n'est pas une af<strong>faire</strong> d'expérience,<br />

ça dépend de la personnalité des gens certains ressentent plus les choses <strong>que</strong> d'autres et<br />

surtout quand tu es stressé par exemple, tu n'écoutes pas tes ressentis parce <strong>que</strong> tu as besoin<br />

XXI


de toujours tout vérifier. Donc moi je pense pas <strong>que</strong> ce soit une af<strong>faire</strong> expérience mais plutôt<br />

de caractère.<br />

Moi : Justement c'est peut-être ce ressenti qui est différent en fonction des personnes qui<br />

fait <strong>que</strong> parfois vous pouvez passer à côté de <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose mais vous n’avez pas<br />

d'exemple de ressenti <strong>que</strong> vous avez suivi récemment?<br />

IDE 6 : Oui c'est vrai la dame qui a fait l'hémorragie c'était y'a pas longtemps c'était y'a pas<br />

longtemps hein non non.<br />

Moi : En fait si je comprends bien on peut pas toujours être sur le coup ?<br />

IDE 6 : Ben ouais on est humain on en rate tout dépend le degré de vigilance.<br />

Moi : Donc pour vous il n'y a pas forcément d'évolution ni positive ni négative de vos<br />

ressentis depuis <strong>que</strong> vous avez démarré ?<br />

IDE 6 : Je pense <strong>que</strong> j'étais plus vigilante.<br />

Moi : Vigilante je comprends est-ce <strong>que</strong> c'était de la vigilance de l'ordre de « je vais<br />

surveiller les constantes la clini<strong>que</strong> et tout ça <strong>que</strong> tout soit bien carré » mais est-ce qu'il y<br />

avait une place laissée pour votre ressenti?<br />

IDE 6 : Non honnêtement je pense <strong>que</strong> c'est pareil, ça change pas le ressenti non je pense<br />

qu'on se fie quand même toujours à ses intuitions, même si on est moins vigilant. Je pense<br />

qu'il y a pas d'évolution, je pense <strong>que</strong> c'est dû à la personne sa capacité à écouter ses ressentis<br />

et non à son expérience.<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

IDE 6 : Je sais pas euh, je pense qu'il y a pas à dire qu'il y ait une place ou pas c'est inné non?<br />

non?<br />

Moi : Je sais pas... qu'entendez-vous par inné?<br />

IDE 6 : Je sais pas c'est <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose d'inconscient, euh moi comme je suis impulsive, on va<br />

dire <strong>que</strong> ça a une grande place (rires). Moi une grande place je suis très impulsive (rires), je<br />

ressens un truc je le dis!<br />

Moi : Vous ne vous mettez pas de filtre vous voulez dire?<br />

IDE 6 : Non pas de filtre! Oui on me l'a toujours reproché même à l'école, on m'a toujours dit<br />

de réfléchir avant de parler on me l'a toujours dit...<br />

Moi : À l'école c'était sans doute un bon conseil (rires)mais visiblement dans votre<br />

métier ça vaut le coup <strong>que</strong> vous fassiez part de manière brute de vos ressentis.<br />

XXII


IDE 6 : Je pense qu'il faut accorder une grande place à son ressenti, à ses intuitions sur les<br />

gens. Après je pense <strong>que</strong> de toute façon, il vaut mieux suivre son ressenti, quitte à avertir pour<br />

rien <strong>que</strong> pas avertir non? Moi je pense qu'il vaut mieux écouter quand même son intuition.<br />

Moi : J'aimerais savoir quand vous avez un patient <strong>que</strong> vous ne sentez pas, est-ce <strong>que</strong><br />

vous allez chercher à vous appuyer sur d'autres éléments pour confirmer ou affirmer<br />

votre ressenti ou...<br />

IDE 6 : Ben oui, euh je vais pas appeler pour rien. Si je la sens pas bien sûr je vais prendre ses<br />

constantes, euh évidemment en premier je vais regarder le dossier, je vais regarder si y'a pas<br />

un bilan. Pour la dame de l'hémorragie, là j'avais regardé l'hémoglobine, elle avait une<br />

hémoglobine qui était maintenue tu vois, euh je vais regarder tout ce <strong>que</strong> j'ai en main avant<br />

d'appeler je vais pas appeler pour rien.<br />

Moi : En fait quand vous avez appelé le médecin les constantes étaient bonnes la clini<strong>que</strong><br />

aussi ?<br />

IDE 6 : Oui en fait maintenant je me souviens, quand j'ai commencé à appeler, la tension était<br />

maintenue, elle était pas encore en hypotension ça c'est venu après. Elle avait euh, une bonne<br />

tension à onze et demi-douze, j'ai dit ouais peut-être mais elle est tachycarde, tu vois bien <strong>que</strong><br />

ça va pas bien et c'est après qu'elle a décompensé euh, mais je regarde ce <strong>que</strong> j'ai en main<br />

avant d'appeler bien sûr.<br />

Moi : Ce qu’il m’intéressait c’est de savoir si vous appeliez dans le cas d’un mauvais<br />

ressenti sans signes évidents ?<br />

IDE 6 : Oui, euh je lâche rien (rires). Mieux vaut appeler pour rien. Mais plus ça va, plus c’est<br />

rare <strong>que</strong> je me trompe.<br />

Annexe 8 : Entretien IDE n°7<br />

Age<br />

38 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 13 ans<br />

Ancienneté dans le service 2 ans<br />

Durée de l’entretien 20’24<br />

XXIII


Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 7 : (Silence) Alors euh, je voudrais pas <strong>faire</strong> hors sujet, mais c'est sur quoi tu te fies c'est<br />

ça? Comment tu travailles? C’est plus tous ces trucs là?<br />

Moi : Oui complètement.<br />

IDE 7: Ben euh déjà c'est sur <strong>du</strong> concret, les observer ton patient, ça commence par ça.<br />

L'écouter et écouter donc l'observer, écouter, prendre en considération <strong>que</strong> <strong>faire</strong> ce <strong>que</strong><br />

t'aimerais pas qu'on te fasse enfin ne pas <strong>faire</strong> ce <strong>que</strong> tu aimerais pas qu'on te fasse. Euh, quoi<br />

moi j'aimerais pas qu'on me dénude et qu'on me laisse nue comme un ver pendant toute une<br />

toilette euh et ben je pars <strong>du</strong> principe où je ne le fais pas aux patients parce <strong>que</strong> j'aimerais pas<br />

qu'on me fasse voilà. Et après euh, avec l'expérience ta réflexion évolue, pas au début parce<br />

qu'au début t'es trop scolaire, t'es trop dans le stress de bien <strong>faire</strong>, de vouloir des<br />

responsabilités tout ça, enfin tu les as toujours après mais après c'est plus un peu au feeling<br />

enfin tu le sens tu sens pas.<br />

Moi: Justement vous me parlez de feeling on dit parfois <strong>que</strong> les infirmières ressentent les<br />

choses qu'en pensez-vous?<br />

Moi : Vous est-il déjà arriver de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

IDE 7: Ben moi euh, ça m'est déjà arrivé d'interpeller à deux ou trois reprises un chirurgien<br />

parce qu'en arrivant le matin, le patient je sentais qu'il allait avoir un truc, je sentais <strong>que</strong><br />

(silence)... Je sais pas c'est des paramètres, c'est un teint, un ressenti c'est tout ça...<br />

Moi: Donc vous êtes d'accord avec le fait qu'on dise <strong>que</strong> les infirmières ressentent des<br />

choses ?<br />

IDE 7: Oui euh, tout à fait c'est euh, j'ai un cas récent un cas concret. Il y a pas longtemps j'ai<br />

fait suer la chirurgienne toute la matinée en lui disant : « le patient je le sens pas, je le sens<br />

pas, le patient je le sens pas, ça va pas, il va y avoir <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose » et en fait il avait tout pété<br />

à l'intérieur et il allait pas bien et c'était plus un instinct un ressenti.<br />

Moi: Et au niveau clini<strong>que</strong> le patient ses constantes et tout ça c'était...<br />

IDE 7: C'était stable euh, il n'était pas tachycarde, il ne chauffait pas mais euh, il y avait juste<br />

une douleur, une douleur qui était décrite mais qui aurait pu être similaire à des suites<br />

opératoires parce qu'il venait d'être opéré ce monsieur donc il était en post-opératoire de trois-<br />

XXIV


quatre jours je crois. Et toute la matinée, j'ai dit « il va pas, ça va pas, il va pas bien, je<br />

voudrais <strong>que</strong> tu le vois, ça va pas, il va pas bien » et à midi en effet, euh d'un coup d'un seul<br />

coup les redons se sont mis à donner plein de sang, il est descen<strong>du</strong> très vite au scanner et au<br />

scanner il a refait bloc voilà.<br />

Moi: Et quand ça vous arrive d’appeler le chirurgien sur un ressenti c'est bien pris en<br />

règle générale ou pas on te prend au sérieux ou est-ce <strong>que</strong> ça peut poser problème?<br />

IDE 7 : Je l'ai argumenté comme ça : euh, les constantes sont bien mais il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose,<br />

je lui ai fait tous les antalgi<strong>que</strong>s, ça passe pas, le redon commence à donner un petit peu plus,<br />

c'est un peu plus rouge et puis il est bizarre c'était plus ça. Non, non, non, euh ben si a un<br />

moment ça a été « tu m'agaces ça fait dix fois <strong>que</strong> tu me le dis » mais à la onzième fois, ça été<br />

merci. Après donc euh, voilà <strong>du</strong> coup après t'as ta satisfaction, j'ai été jusqu'au bout parce <strong>que</strong><br />

je pense <strong>que</strong> je l'ai fait avant tout pour le patient, qu'il avait besoin d'être réconforté sur l'idée<br />

<strong>que</strong> le chirurgien revienne le voir pour savoir si cette douleur était normale ou pas et qu'il<br />

verbalise ce qu'il ressentait et puis aussi pour moi parce <strong>que</strong> j'avais besoin aussi d'avoir<br />

<strong>que</strong>lqu'un d'autre, enfin un professionnel supérieur, qui euh, enfin le chirurgien, qui vienne et<br />

qui acte ce <strong>que</strong> j'étais en train de dire ou me dise non tu fais fausse route ou pas. Parce <strong>que</strong> ça<br />

peut très bien arriver parfois euh, on peut s'alerter avoir des impressions qui finalement ne<br />

sont pas forcément, ne sont pas forcément bonnes, ça peut arriver. Des fois on se dit ah il va<br />

pas bien, il va pas bien et puis finalement on se rend compte <strong>que</strong> c'était pour d'autres raisons,<br />

il y avait un truc autre et <strong>que</strong> finalement ça va. Mais je préfère prévenir pour rien plutôt <strong>que</strong><br />

de passer à côté surtout quand ça <strong>du</strong>re euh, mais c'est d'abord de l'observation la bonne<br />

observation et le bon suivi <strong>du</strong> patient, on n'en revient au même dans ces moments-là aller le<br />

voir régulièrement être présente plus qu'en temps normal.<br />

Moi: Quand vous avez un ressenti c'est le début pour vous d'une observation plus<br />

précise et rigoureuse <strong>du</strong> patient?<br />

IDE 7: Oui euh, c'est ça, sur les constantes, sur l'état général surtout.<br />

Moi : Est ce <strong>que</strong> ce phénomène de "sentir les choses" a évolué au cours de vos années<br />

d'expérience ? À quoi cela est <strong>du</strong> à votre avis ?<br />

IDE 7: Non, euh je pense <strong>que</strong> tu l'acquiers au fur et à mesure de tes expériences, au fur et à<br />

mesure de, ouais de tes expériences, ta maturité. Mais je peux pas dire, au début non, tu as<br />

d'autres, tu es parasité par tellement de choses autres <strong>que</strong> tu peux peut-être avoir ce ressenti<br />

mais pas aussi poussé pas aussi, euh puis tu as peur, t'as peur, tu peux avoir un ressenti mais<br />

tu l'as vraiment quand t'as <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose de très concret <strong>du</strong> genre le patient tachycarde, il est<br />

XXV


en hypotension, quand tu as vraiment des signes clini<strong>que</strong>s. Mais euh, pas sur de vagues<br />

impressions, en tout cas je me souviens pas non, ça vient plus. Après euh, en fait après, je<br />

pense <strong>que</strong> cha<strong>que</strong> cas est différent, une jeune infirmière diplômée qui avant au préalable<br />

sortait <strong>du</strong> bac, j'ai envie de dire et qui est vraiment toute jeune dans la profession, a pas en tant<br />

<strong>que</strong> jeune diplômée, n'aura pas euh, les mêmes ressentis les mêmes choses <strong>que</strong> une jeune<br />

diplômée qui au préalable, était aide-soignante, qui a déjà euh un vécu professionnel, qui était<br />

dans une catégorie professionnelle différente mais qui a quand même une sacrée expérience<br />

quoi. Mais je pense <strong>que</strong> c'est encore tu vois vraiment encore autre chose encore différent.<br />

Moi: Vous pensez <strong>que</strong> c'est vraiment l'expertise de l'expérience dans un domaine qui fait<br />

qu'en fait vous pouvez avoir ce genre de ressenti?<br />

IDE 7: Exactement. Plus tu es euh, tu as de l'expérience dans un service plus ton intuition elle<br />

est fiable. Tu auras pas la même intuition dans un service où tu n'as pas l'habitude d'aller. Je<br />

pense <strong>que</strong> dans des spécificités particulières l'ancienneté dans le service y est pour beaucoup<br />

dans l'intuition parce <strong>que</strong> tu es plus à l'aise, euh tu connais, tu connais les pathologies, tu<br />

connais les soins, tu connais beaucoup plus de choses qui te permettent de ressentir les choses<br />

positives négatives. Mais tu as beau avoir de l'expérience dans un service, tu as beau arriver<br />

avec tes bagages j'ai envie de dire, des années d'ancienneté, de diplôme et ton ancienneté dans<br />

une spécificité mais il faut apprendre à gagner la confiance des chirurgiens, et ça ça prend <strong>du</strong><br />

temps, il faut <strong>faire</strong> ses preuves il faut suivre ton intuition euh, l'avoir est un fait mais après<br />

faut prouver faut prouver au chirurgien <strong>que</strong> ton intuition est bonne pour être pris au sérieux<br />

par la suite. C'est-à-dire <strong>que</strong> moi euh, en deux ans <strong>que</strong> je suis là, les premiers temps c'est pas<br />

qu'on me prenait pas au sérieux mais on venait en disant « ouais mais non » maintenant, je<br />

sais <strong>que</strong> n'importe le<strong>que</strong>l si j'appelle en disant « ça va pas » ils savent <strong>que</strong> c'est parce <strong>que</strong> ça<br />

va pas et ça j'ai envie de dire tu le euh, tu le construis dans les premiers mois. Après je pense<br />

qu'une fois <strong>que</strong> c'est acquis, c'est acquis une fois <strong>que</strong> le chirurgien a confiance en toi et en tes<br />

ressentis tu peux plus le perdre, voilà et même si t'as un mauvais ressentis pour rien euh, c'est<br />

pas grave, tu perds pas en crédibilité mais par contre ça met <strong>du</strong> temps. Au début, il y a comme<br />

une méfiance, « elle dit ça mais on verra » je pense <strong>que</strong> c'est beaucoup plus difficile pour les<br />

jeunes diplômés qui arrivent dans un service d'avoir de l'intuition mais surtout d'être pris au<br />

sérieux par rapport à cette intuition voilà.<br />

Moi : Pour conclure, <strong>que</strong>lle place accordez-vous à vos ressentis dans votre raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier ?<br />

XXVI


IDE 7: Ah si si dès le début de la matinée j'ai un mauvais pressentiment, euh dès mon premier<br />

tour si je sens qu’ il y a <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qui m'alerte, qui me chagrine entre guillemets, tout de<br />

suite je vais déjà en parler une première fois au médecin référent, au médecin responsable en<br />

disant voilà là je crois <strong>que</strong> le mot qui revient souvent c'est dans la profession et lors des staffs<br />

c'est « je le sens pas » c'est le fameux « je le sens pas » là le patient c'est bizarre ce matin je<br />

l'ai vu mais je le sens pas. Et euh, dans les heures qui suivent, en général c'est rare ça peut<br />

arriver, ça peut arriver ben oui <strong>que</strong> qu'on le sente pas mais <strong>que</strong> finalement il n'y a pas plus<br />

d'évolution mais en règle générale, on a quand même une évolution qui est qui confirme ce<br />

ressenti.<br />

Moi: Ok très bien.<br />

Annexe 9 : Entretien IDE n°8<br />

Age<br />

51 ans<br />

Sexe<br />

Féminin<br />

Années de diplôme 30 ans<br />

Ancienneté dans le service 11 ans<br />

Durée de l’entretien 20’27<br />

Moi : Je fais un travail autour <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier et sa corrélation avec<br />

la prise en soins des patients. Je voudrais savoir comment s'opère pour vous cette<br />

démarche intellectuelle appelée raisonnement clini<strong>que</strong> ?<br />

IDE 8: Quelle est ma réflexion par rapport à une situation donnée par rapport à un patient<br />

voilà? Euh, ben il y a plein de choses, ben ce pourquoi on est appelé déjà parce <strong>que</strong> je sais<br />

pourquoi je vais chez le patient et après l'atmosphère <strong>que</strong> tu rencontres, quand tu rentres.<br />

Nous on rentre au domicile <strong>du</strong> patient donc tu ressens une atmosphère et voilà tu sens si c'est<br />

harmonieux, euh si c'est ten<strong>du</strong> voilà tu as aussi <strong>du</strong> coup une notion d'hygiène de la maison,<br />

donc <strong>du</strong> coup de ce <strong>que</strong> tu vas trouver derrière et des ris<strong>que</strong>s qui peuvent en découler et quoi<br />

te dire d'autre? C'est un mixe de tout ça, euh c'est l'observation de tout ça, <strong>du</strong> patient, de la<br />

prescription, de dans <strong>que</strong>l milieu de vie sociale environnementale familiale, voilà et d'hygiène<br />

quoi. Après euh, en fonction des soins <strong>que</strong> l'on a à <strong>faire</strong>, penser si par exemple sur des soins<br />

sur des pansements post-op euh, selon le niveau d'hygiène dans le<strong>que</strong>l le patient se trouve, tu<br />

vas prendre plus ou moins de précautions et tu vas donner des conseils un peu plus avérés, si<br />

tu sens qu'il y a des ris<strong>que</strong>s d'infection derrière.<br />

XXVII


Moi: Dans ce <strong>que</strong> vous me dites, vous m'expli<strong>que</strong>z <strong>que</strong> votre réflexion est basée sur<br />

l'observation <strong>du</strong> patient, de son environnement et moi ce qui m'intéresse de savoir <strong>que</strong>ls<br />

sont les moyens <strong>que</strong> vous utilisez pour observer votre patient: la vue, ... d'autres choses?<br />

IDE 8: Par tous les moyens euh, par tous les sens en fait. Par ce <strong>que</strong> tu vois, ce <strong>que</strong> tu sens, ce<br />

<strong>que</strong> tu ressens, ce qu'il te dit et ce <strong>que</strong> tu connais de la maladie. Alors en libéral, euh le<br />

problème c'est <strong>que</strong> tu n'as pas accès au dossier <strong>du</strong> patient donc tu ne connais pas grand chose,<br />

tu n'es pas très au fait de ce qu'il a eu mis à part de ce qu'il t'en dit voilà . (silence)<br />

Moi: Du coup je rebondis sur ce <strong>que</strong> vous me disiez par rapport à l'observation <strong>que</strong> vous<br />

faites <strong>du</strong> patient quand vous me disiez <strong>que</strong> c'était basé sur tous les sens au final. Que<br />

pensez-vous <strong>du</strong> fait qu'on puisse dire <strong>que</strong> les infirmières parfois ressentent les choses?<br />

IDE 8: Ben ouais, euh je pense <strong>que</strong> moi au plus les années passent et au plus je ressens de<br />

choses. Euh, je crois qu'au début tu m'aurais posé cette <strong>que</strong>stion au début de mon diplôme, je<br />

t'aurais dit <strong>que</strong> j'étais tellement attachée à appli<strong>que</strong>r ce qui était prescrit ce <strong>que</strong> j'avais appris à<br />

l'école machin à être bien dans les clous etc. qu'en fait, je ne savais même pas <strong>que</strong> je pouvais<br />

avoir un rôle propre en fait tu vois à la limite. Et au fil <strong>du</strong> temps et des années ben si, ça doit<br />

être ça qu'on appelle l'expérience ou la vieillerie je sais pas, mais c'est vrai <strong>que</strong> oui bien sûr tu<br />

ressens des choses en fait <strong>que</strong> tu peux pas vraiment expli<strong>que</strong>r, mais je sais pas si jamais tu<br />

vois qu'il y a un pansement qui part mal, tu vas bien sûr avoir des données comment dirais-je<br />

cartésiennes pour dire <strong>que</strong> voilà y'a de la fibrine, ou ça suinte machin donc tu te dis voilà mais<br />

parfois la plaie est pas mal mais tu sens <strong>que</strong> ça part pas bien. En fait c'est un tout c'est un état<br />

global <strong>que</strong> tu ressens où tu te dis ça part dans le bon sens, euh où ça part pas dans le bon sens<br />

mais c'est vrai <strong>que</strong> après pour pourquoi tu as comme l'intuition <strong>que</strong> ça part bien ou mal je sais<br />

pas... Mais nous on a la chance <strong>que</strong> quand ça nous arrive euh, les médecins nous écoutent et<br />

nous croient (rires). Non mais c'est vrai euh, mais même on peut les appeler en disant « écoute<br />

tu devrais aller voir Monsieur machin parce <strong>que</strong> je le sens pas je sais pas je trouve qu'il est pas<br />

bien il a pas un beau teint je sais pas y'a un truc » voilà et puis ils viennent et nous<br />

envoient pas sur les roses et souvent il y a un truc quoi euh, mais c'est vrai qu'on a de la<br />

chance car ils pourraient nous envoyer bouler quoi! Mais c'est vrai <strong>que</strong> c'est souvent fondé<br />

mais des fois euh, tu sais pas le dire, enfin tu sais juste dire <strong>que</strong> t'as l'intuition qui a un truc qui<br />

va partir en sucette mais tu sais pas trop pourquoi.<br />

Moi : Euhm, euhm.<br />

XXVIII


Moi : Vous est-il déjà arriver de prendre un décision/d’agir sur un simple ressenti sans<br />

pouvoir vous l’expli<strong>que</strong>r sur le moment ? Si oui pourriez-vous me parler d’une<br />

expérience ?<br />

IDE 8: Ouais ça a dû m'arriver mais j'arrive pas à retrouver (silence).<br />

Moi: Une situation où un ressenti, une intuition vous a fait réagir d'une certaine manière<br />

ou prendre une décision...<br />

IDE 8: ça arrive euh, par exemple sur des changements si on reste sur l'exemple des<br />

pansements, ça arrive tout d'un coup on va changer, on va mettre autre chose sur un<br />

pansement mais euh, c'est réfléchi quand même tu vois. Enfin des fois, il est vrai qu'on<br />

termine avec <strong>du</strong> miel de thym sur les pansements tu vois donc (rires).<br />

Moi: Vous avez peut-être des exemples ? Comme vous disiez tout à l'heure, où vous avez<br />

dû appeler le médecin, des exemples concrets où vous avez vu un patient et comme vous<br />

disiez vous sentiez <strong>que</strong>...<br />

IDE 8 : ça oui ça m'est arrivé, euh sur une personne qui est, <strong>que</strong> je trouvais pas bien, je<br />

trouvais qu'elle avait une sale tête, <strong>que</strong> son teint était pas top. Je sais pas et concrètement la<br />

tension était bonne, les pulsations étaient bonnes, la plaie n'avait pas évolué en bien ou en mal<br />

et je sais pas je euh, c'est vrai <strong>que</strong> j'ai appelé le médecin. Son médecin en plus était en<br />

vacances donc j'ai hésité et je me suis dit non il faut pas <strong>que</strong> je la laisse comme ça, j'ai appelé<br />

un autre médecin qui ne la connaissait pas je lui ai dépeint le tableau en lui demandant s'il<br />

pouvait y aller parce <strong>que</strong> ben parce <strong>que</strong> je la trouvais pas bien mais c'est vrai <strong>que</strong> j'arrivais pas<br />

à dire voilà je la trouvais juste pas bien. Et en fait euh, il s'est avéré qu'il l'a faite hospitaliser<br />

et qu'elle avait une occlusion j'avais pas <strong>du</strong> tout pensé à ça, c'est vrai <strong>que</strong> je m'étais interrogé<br />

voilà j'arrivais pas, j'avais pensé après coup à un problème cardia<strong>que</strong>, les constantes étaient<br />

bonnes mais j'avais pas pensé à un problème digestif de cet ordre là, et en fait c'était ouais<br />

heureusement <strong>que</strong> j'ai appelé parce <strong>que</strong> c'était un vendredi et le lundi ça aurait été peut-être<br />

trop tard.<br />

Moi: Ok je très bien.<br />

IDE 8: Mais c'est arrivé une autre fois sur un problème cardia<strong>que</strong> mais euh, pareil un patient<br />

qui « ça va pas? » « si ça va, si si ça va aller, non non, je suis un peu fatigué » machin « mais<br />

sinon ça va aller », enfin le patient qui essaie de rassurer l'infirmière. En fait tu vois et puis et<br />

puis voilà j'ai quand même téléphoné au toubib en lui disant « écoute passe parce <strong>que</strong> si ça se<br />

trouve je te dérange pour rien mais passe quand même » et puis pareil hospitalisation et<br />

c'était un problème cardia<strong>que</strong> en fait. Donc souvent c'est bizarre souvent c'est fondé quand<br />

même, souvent c'est au final c'est fondé et a priori au départ tu sais pas trop ce qui va pas mais<br />

XXIX


au final avec l'expérience, à force de les voir de les côtoyer, de je ne sais pas quand ça part en<br />

sucette tu le vois venir.<br />

Moi: Vous avez déjà un peu répon<strong>du</strong> à ma <strong>que</strong>stion mais est-ce <strong>que</strong> vous avez<br />

l'impression <strong>que</strong> vos ressentis ont évolué depuis <strong>que</strong> vous travaillez ou pas?<br />

IDE 8: Euh, ben oui tout à fait c'est évident. Je pense <strong>que</strong> tu ne peux enfin ouais on peut parler<br />

d'intuition mais l'intuition sans le savoir ça doit être compliqué. A ce moment-là c'est les<br />

vaudous peut-être mais moi perso, il faut <strong>que</strong> j'ai une base de données. Euh en fait voilà, c'est<br />

ça, il faut <strong>que</strong> tu es une base de données, à cette base de données une fois <strong>que</strong> tu l'exploites<br />

pendant un an, cinq, dix ans, tu tu tu deviens bien routinier donc si tu veux toute la techni<strong>que</strong><br />

te pose plus de problème, c'est rentré dans tes habitudes, dans ton quotidien de boulot donc<br />

voilà au niveau techni<strong>que</strong> tu n'as plus de <strong>que</strong>stion à te poser. Euh, et je pense <strong>que</strong> c'est parce<br />

<strong>que</strong> tu n'as plus de <strong>que</strong>stion à te poser au niveau techni<strong>que</strong> <strong>que</strong> <strong>du</strong> coup tu peux, tu peux<br />

ouvrir tes sens tu vois, euh t'es plus centré sur ta techni<strong>que</strong> petit un, petit deux, <strong>que</strong> j'oublie<br />

pas <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose voilà ben au début de l'exercice de la profession enfin en ce qui me<br />

concerne en tous cas il n'y a pas de place pour l'intuition.<br />

Moi: Euhm euhm.<br />

IDE 8: J’étais trop concentrée sur bien <strong>faire</strong> les choses au niveau techni<strong>que</strong> donc <strong>du</strong> coup je<br />

ne laissais pas de place, alors qu'une fois <strong>que</strong> tu maîtrises le geste ben <strong>du</strong> coup tes sens sont en<br />

éveil sur tout ce qu'il y a autour quoi.<br />

Moi: En fait vous voulez dire <strong>que</strong> l'expérience permet de se détacher de la tâche <strong>que</strong><br />

vous êtes en train d'accomplir pour pouvoir être attentive à des choses...<br />

IDE 8: Plus larges autour, voilà c'est ça euh, des choses plus subtiles tu vois. Si jamais tu<br />

prends l'exemple de l'appareil photo, au début les premières années, tu fais un zoom sur ce<br />

<strong>que</strong> tu es en train de <strong>faire</strong>, donc tu vois la plaie, la ponction, le cath, le machin enfin ce <strong>que</strong> tu<br />

es en train de <strong>faire</strong> sur le patient et au fil des années le zoom, il se recule euh, il se recule et <strong>du</strong><br />

coup ton champ de vision s'élargit et tu n'as plus besoin d'être centrée sur ton point là où tu<br />

fais même à la limite quand tu enlèves des points ou des agrafes évidemment <strong>que</strong> tu regardes<br />

ce <strong>que</strong> tu fais mais c'est tellement, euh tu l'a fait tellement de fois <strong>que</strong> tu n'as pas de souci<br />

techni<strong>que</strong> tu peux regarder <strong>du</strong> coup autour ce qui se passe quoi.<br />

Moi : Donc si je comprends bien pour vous l'habitude un rôle important dans le suivi<br />

des intuitions?<br />

IDE 8: La répétition des gestes, je veux dire avec l'habitude tu n'as plus besoin d'avoir 100 %<br />

de ton attention sur ton geste alors au départ tu as 100 % de ton attention puis 80% et 70% et<br />

XXX


<strong>du</strong> coup là au bout de trente ans de diplôme franchement je dois voir euh, je sais pas, je dois<br />

avoir 35 % de mon attention qui est centrée sur le geste <strong>que</strong> je suis en train d'effectuer et <strong>du</strong><br />

coup ça me laisse 65 % d'attention sur tout le reste. Et puis tu peux discuter, c'est ça ouais au<br />

début de mon diplôme moi il fallait pas me parler (rires), il fallait me laisser concentrée dans<br />

mon truc maintenant c'est bon tu peux me raconter ta vie à côté, je t'écoute y'a pas de soucis je<br />

peux <strong>du</strong> coup euh, je peux repérer des choses à côté des<strong>que</strong>lles je pouvais passer avant ouais<br />

avant je les voyais pas j'étais trop préoccupée par ma tache techni<strong>que</strong>. Je pense <strong>que</strong> l'intuition<br />

et l'expérience ça va ensemble, quoi l'intuition augmente avec les années d'expérience et c'est<br />

au moins un bénéfice de l'âge (rires).<br />

Moi: Vous avez également répon<strong>du</strong> un petit peu à cette <strong>que</strong>stion (rires)<br />

IDE 8: Pourtant tu ne m'as rien dit avant c'est drôle.<br />

Moi: Quelle place accordez vous à vos ressentis dans votre raisonnement clini<strong>que</strong><br />

infirmier?<br />

IDE 8: Ouais ouais, euh j'accorde beaucoup de place mais si j'y accorde beaucoup de place à<br />

mon ressenti de façon quotidienne, mais je pense <strong>que</strong> j'y accorde beaucoup de place parce <strong>que</strong><br />

les médecins avec les<strong>que</strong>ls on travaille nous accordent cette place là aussi tu vois je pense <strong>que</strong><br />

si jamais à cha<strong>que</strong> fois qu'on ressentait <strong>que</strong>l<strong>que</strong> chose qu'on téléphonait à un médecin on se<br />

faisait envoyer bouler, euh au bout d'un moment tu dis bon ben tu ressentirais des trucs mais<br />

tu réponds ou tu vois on irait pas au bout alors <strong>que</strong> là...<br />

Moi: La confiance joue beaucoup dans...<br />

IDE 8: Oui la confiance ce qu'on a entre nous et avec les médecins ouais ouais on peut<br />

communi<strong>que</strong>r le ressenti sans gêne, ça c’est clair et on est conscient <strong>que</strong> c'est une chance <strong>que</strong><br />

peut-être c'est plus difficile en milieu hospitalier je sais pas y'a peut-être plus de hiérarchie<br />

pyramidale,nous on est vraiment sur un pied d'égalité avec les médecins tu vois, euh au<br />

niveau de la communication on est pas pas <strong>du</strong> tout dans une relation pyramidale pas <strong>du</strong> tout<br />

pas <strong>du</strong> tout.<br />

Moi: D'accord.<br />

IDE 8: On on est vraiment euh, dans la relation horizontale quoi et <strong>du</strong> coup, <strong>du</strong> coup tout est<br />

permis, tu peux les déranger tout le temps, en fait tu les déranges jamais. Tu peux leur poser<br />

n'importe <strong>que</strong>lle <strong>que</strong>stion, même les <strong>que</strong>stions les plus stupides, jamais ils te rabaissent donc<br />

<strong>du</strong> coup <strong>du</strong> coup c'est confortable quoi et <strong>du</strong> coup je laisse énormément de place à l'intuition<br />

et c'est ce qui fait la richesse <strong>du</strong> job aussi.<br />

XXXI


Annexe 10 : Tableau d’analyse des entretiens<br />

Démarche<br />

Ressentis<br />

Exemples<br />

Evolution<br />

Place des<br />

intellectuelle<br />

infirmiers,<br />

de décisions<br />

des<br />

ressentis<br />

<strong>du</strong><br />

points de<br />

ou actions<br />

ressentis<br />

dans la<br />

raisonnement<br />

vue<br />

réalisées sur<br />

dans le<br />

réflexion<br />

clini<strong>que</strong><br />

la base d’un<br />

temps<br />

infirmière<br />

ressenti<br />

IDE n°1<br />

IDE n°2<br />

IDE n°3<br />

IDE n°4<br />

IDE n°5<br />

IDE n°6<br />

IDE n°7<br />

IDE n°8<br />

XXXII


Résumé<br />

Diplôme d’Etat d’Infirmier<br />

<strong>CHABRIER</strong> <strong>Marie</strong><br />

Sous la direction de Mme CHANTAL Sire<br />

L’intuition est « une connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au<br />

raisonnement ». Cette recherche traite <strong>du</strong> lien entre l’intuition et le raisonnement clini<strong>que</strong><br />

infirmier. Elle a pour objectif de démontrer la place de l’intuition dans le raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier. L’intuition est un concept difficile à définir. C’est un phénomène<br />

inconscient ce qui expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les infirmiers aient <strong>du</strong> mal à l’expli<strong>que</strong>r. Suite à une<br />

enquête menée auprès de huit infirmiers de niveau d’expérience varié, il en ressort <strong>que</strong><br />

l’intuition peut être à l’origine <strong>du</strong> raisonnement infirmier. De manière générale, les<br />

infirmières expérimentées agissent plus sur un mode intuitif <strong>que</strong> les infirmières novices<br />

Mots<br />

qui se<br />

clés<br />

réfèrent<br />

:Relation<br />

davantage<br />

soignant-soigné,<br />

à leurs connaissances<br />

confiance, information,<br />

pour prendre<br />

valeurs.<br />

des décisions. Tous les<br />

infirmiers interviewés s’accordent à dire qu’il est risqué de suivre aveuglément ses<br />

intuitions et <strong>que</strong> par consé<strong>que</strong>nt, il convient de les <strong>que</strong>stionner. Pour conclure, l’intuition<br />

peut être à l’origine <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier telle une première hypothèse.<br />

Mots clefs : intuition, raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier, ressentis, décision.<br />

Abstract<br />

Intuition is a direct perception of the truth or facts independant of an yrea oning process.<br />

This research deals with the realtion ship b etweenintution and clinical nursing reasoning.<br />

This studywants do show if intuition is part of nursing reasoning.Intuition is a concept<br />

whichisdifficult to explain. As intuition isunconsciousphenomenal, itisthereforedifficult<br />

for nurses to discuss. Following an enquiryamongeight nurses more or lessexperienced, it<br />

Keywords :Nurse-patient relationship, trust, information, values.<br />

points out intuition canbeat the root of nursing reasoning. An experienced nurse<br />

thereforereacts more according to his/her perception whereas an inexperienced nurse<br />

refers more to his/herknowledge to make a decision. All nurses<br />

interviewedagreedthatitwhouldbe a risk to blindlyfollowhis/her intuition only. Finally,<br />

intuition couldbebehindclinical nursing reasoning as a first hypothesis.<br />

Key words : intuition, clinical nursing reasoning, perceived, decision.<br />

1


FICHE D’ARCHIVAGE<br />

TITRE : Que <strong>faire</strong> <strong>du</strong> <strong>flair</strong> ?<br />

Auteur(s) :<br />

Mots clés :<br />

<strong>CHABRIER</strong> <strong>Marie</strong><br />

Intuition, raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier, ressentis, décision.<br />

Résumé<br />

L’intuition est « une connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au<br />

raisonnement ». Cette recherche traite <strong>du</strong> lien entre l’intuition et le raisonnement clini<strong>que</strong><br />

infirmier. Elle a pour objectif de démontrer la place de l’intuition dans le raisonnement<br />

clini<strong>que</strong> infirmier. L’intuition est un concept difficile à définir. C’est un phénomène<br />

inconscient ce qui expli<strong>que</strong> <strong>que</strong> les infirmiers aient <strong>du</strong> mal à l’expli<strong>que</strong>r. Suite à une<br />

enquête menée auprès de huit infirmiers de niveau d’expérience varié, il en ressort <strong>que</strong><br />

l’intuition peut être à l’origine <strong>du</strong> raisonnement infirmier. De manière générale, les<br />

infirmières expérimentées agissent plus sur un mode intuitif <strong>que</strong> les infirmières novices<br />

qui se réfèrent davantage à leurs connaissances pour prendre des décisions. Tous les<br />

infirmiers interviewés s’accordent à dire qu’il est risqué de suivre aveuglément ses<br />

intuitions et <strong>que</strong> par consé<strong>que</strong>nt, il convient de les <strong>que</strong>stionner. Pour conclure, l’intuition<br />

peut être à l’origine <strong>du</strong> raisonnement clini<strong>que</strong> infirmier telle une première hypothèse.<br />

Méthode-Outils :<br />

Méthode clini<strong>que</strong> - Entretiens semi-directifs<br />

Qualité de l’ensemble <strong>du</strong> document :<br />

Rempli par le formateur<br />

Rempli par l’étudiant<br />

Légende :<br />

****Excellent à exceptionnel (18-20)<br />

***Très bon (15-17)<br />

**Bon (13-14)<br />

*Acceptable (12)<br />

I

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