JOURNAL ASMAC No 5 - Octobre 2015

Jeu - Gynécologie/Douleur 24 000 signatures Jeu - Gynécologie/Douleur 24 000 signatures

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POINT DE MIRE ▶ JEU A la fois jeu et thérapie La créativité sous toutes ses formes compte depuis longtemps parmi l’effectif des mesures thérapeutiques. Ce qui est par contre inhabituel, c’est de rendre les résultats accessibles à un plus large public. A Bâle, des personnes atteintes d’un trouble psychique ont réalisé un projet de théâtre d’un autre genre avec des acteurs professionnels. Fidelio Lippuner, musicien et artiste de scène Prologue «ELFe (11e – un processus rédactionnel)» était un projet de théâtre consacré aux troubles psychiques. La première s’est déroulée le 20 novembre 2013 dans le foyer du Théâtre de Bâle. Les acteurs étaient des personnes souffrant de troubles psychiques logées dans le cadre d’une offre de l’association Mobile Basel ainsi que des actrices et acteurs professionnels et danseurs du Théâtre de Bâle. Les participants se sont confrontés (ainsi que le public) avec les normes et valeurs de la société en posant la question: «Qu’est-ce qui est normal?», «Qu’est-ce qui est anormal?» Accompagnés sur le plan agogique et artistique, le sujet des troubles psychiques a été travaillé dans le cadre d’ateliers, répétitions et finalement de la représentation. Le résultat: un projet intéressant et interdisciplinaire pour professionnels et amateurs, acteurs et danseurs. 1 er acte: la genèse Une résidente de l’association Mobile Basel écrit depuis de nombreuses années de la prose et de la poésie. Dans ses textes, elle parle de ses sentiments et de ses observations dans la manière dont les troubles psychiques sont abordés. Ses travaux m’ont beaucoup touché. Son langage clair et appuyé, la légèreté inattendue de ses textes m’ont plu. L’intention de l’auteure d’écrire une pièce de théâtre a été l’évènement déclencheur pour le projet. Je trouvais cette idée passionnante et j’ai participé à son travail. En accord avec elle, j’ai placé l’action à une autre époque et complété la pièce avec de la poésie et de la prose des ouvrages de l’auteure. Il en a résulté une matière première intéressante qui n’était plus tellement axée sur les troubles psychiques, mais davantage sur les conflits humains. J’étais convaincu 30 VSAO JOURNAL ASMAC N o 5 Octobre 2015

POINT DE MIRE ▶ JEU que n’importe qui pouvait se sentir interpellé par le contenu. L’idée pour un projet élargi était née. Il était prévu de proposer les rôles à des acteurs et danseurs professionnels ainsi qu’aux résidents de Mobile Basel. 2 e acte: contenu de l’œuvre La pièce commence par une fête estivale. Parmi les invités se trouve une femme de 42 ans qui s’amuse et discute dans un cercle de connaissances élargi. Dans le courant de la fête, elle commence à se sentir mal à l’aise et se retire. C’est le début d’un processus qui la conduira finalement à l’isolement total. Elle n’est plus socialement acceptée. Quant à l’écriture, son élixir de vie, elle en devient dépendante et y trouve une échappatoire. Sa famille rejette ce comportement et tente de l’influencer. Les fantômes du passé, qui trouvent leur origine dans une situation familiale difficile restée enfouie, reviennent. Que doit-elle faire pour que sa situation évolue? Elle décide d’affronter les sujets tabous du passé et commence à briser les schémas familiaux et personnels. Par une ouverture silencieuse, mais explosive, de sa personnalité, elle brise ses propres liens qui l’entravent et emprunte un chemin nouveau. 3 e acte: la réalisation Attribuer les rôles: les rôles étaient en premier lieu ouverts à toutes les personnes prises en charge par Mobile Basel qui souhaitaient s’engager artistiquement. Certains participants possédaient déjà une certaine assurance et autonomie dans le travail artistique, d’autres voulaient découvrir leurs capacités dans ce domaine. Le projet devait bénéficier au plus grand nombre de malades psychiques possibles, raison pour laquelle le projet était conçu de façon à être facilement accessible. Une approche agogique orientée sur la confrontation avait pour but de permettre d’affronter les situations problématiques afin de les gérer de façon plus constructive que jusqu’à présent. Par la prescription du contenu de la pièce, les participants étaient confrontés à une problématique pouvant les concerner eux-mêmes. La confrontation sur le plan théâtral et sous une conduite agogique leur permettait de s’approcher de nouvelles expériences au moyen d’une voie artistique protégée. Les développements de la personnalité, les défis et les succès vécus ainsi que les éventuels échecs, revers et la capacité à surmonter des phases de résistance créatrice ont eu un impact considérable en ce qui concerne l’expérience et la perception de soi. Ces expériences ont marqué durablement tous les participants. Je pense que certains sont ressortis du projet plus forts. Ils ont pu acquérir davantage d’assurance pour gérer les crises quotidiennes, ce qui a eu un effet stabilisateur sur le cours de leur existence. 4 e acte: la rétrospective La confrontation avec les normes sociales en vigueur sous nos latitudes, les termes quotidiens «normal/anormal» me préoccupent depuis de nombreuses années et reviennent toujours de nouveau au premier plan: quel chemin est le bon? Que faut-il pour être capable de gérer sa vie de manière responsable? Comment abordons-nous les personnes souffrant de troubles? La pièce «ELFe» a abordé ces questions et bien d’autres encore: quand sais-je qu’une étape suivante doit être franchie, et comment se présente-t-elle? Qui peut m’aider? Qu’est-ce qui m’empêche de le faire? Estce que j’ose franchir le pas? Le fait d’avoir été personnellement confronté à des questions semblables m’a permis, avec l’accord de l’auteure, d’intégrer mes propres expériences dans l’œuvre. Il en a résulté un processus ayant pour objectif d’emprunter de nouveaux chemins et de montrer des alternatives. Comment l’idée de mettre en scène la pièce avec des acteurs amateurs de Mobile Basel se trouvant dans une situation semblable à celle du personnage principal est-elle née? Cette décision a été motivée par les réflexions suivantes: d’une part, je voulais mettre en scène une pièce authentique et artistiquement attrayante. Je ne voulais ni imposer des rôles aux acteurs, ni les exposer inutilement. D’autre part, la pièce était pour toutes les personnes impliquées une opportunité d’aborder leur problématique de manière ludique et de trouver éventuellement d’autres façons d’aborder leur existence. Le jeu, également transmis par les acteurs et danseurs professionnels, avait pour but de mettre en évidence des aptitudes pouvant renforcer l’estime de soi. L’œuvre ne traitait pas de la situation entre victime et agresseur, mais du pardon et du lâcher-prise. Au final, la pièce ne répondait pas à la question de savoir si le chemin choisi était le bon ou non. Mais peut-être que ce chemin pouvait défaire des blocages et permettre le franchissement d’une prochaine étape. Après-coup, je suis convaincu que cela s’est produit chez certains protagonistes. Au début du projet, il m’importait de ne pas connaître l’histoire personnelle de ces individus, afin de pouvoir aborder les participants sans préjugés. J’étais conscient du fait que trop d’informations entraveraient le niveau relationnel et le travail commun. Ainsi sont nées des rencontres très positives et enrichissantes. Epilogue Après la présentation d’ELFe, d’ailleurs couronnée de succès, les participants de l’association Mobile Basel ont exprimé le désir de poursuivre leur travail. Ils voulaient écrire et mettre en scène leur propre pièce, ce que j’ai salué et volontiers soutenu. Depuis l’été 2014, je dirige un atelier dans lequel nous écrivons ensemble une nouvelle version de la pièce. L’objectif est de pouvoir présenter le résultat en automne 2016. La pièce traite de l’exclusion ou du désir de ne plus être victime et d’être accepté dans notre société en tant que personne «normale». C’est avec cette philosophie à l’esprit que nous entamons notre route … ■ Contact et informations: www.fideliolippuner.ch Remerciements J’adresse mes vifs remerciements à Thekla Michel (assistante sociale/éducatrice sociale) pour la collaboration pédagogique et rédactionnelle ainsi que le soutien quotidien dans mon travail. N o 5 Octobre 2015 VSAO JOURNAL ASMAC 31

POINT DE MIRE ▶ JEU<br />

que n’importe qui pouvait se sentir interpellé<br />

par le contenu. L’idée pour un projet<br />

élargi était née. Il était prévu de proposer<br />

les rôles à des acteurs et danseurs professionnels<br />

ainsi qu’aux résidents de Mobile<br />

Basel.<br />

2 e acte:<br />

contenu de l’œuvre<br />

La pièce commence par une fête estivale.<br />

Parmi les invités se trouve une femme de<br />

42 ans qui s’amuse et discute dans un<br />

cercle de connaissances élargi. Dans le<br />

courant de la fête, elle commence à se<br />

sentir mal à l’aise et se retire. C’est le début<br />

d’un processus qui la conduira finalement<br />

à l’isolement total. Elle n’est plus socialement<br />

acceptée. Quant à l’écriture, son<br />

élixir de vie, elle en devient dépendante et<br />

y trouve une échappatoire. Sa famille rejette<br />

ce comportement et tente de l’influencer.<br />

Les fantômes du passé, qui<br />

trouvent leur origine dans une situation<br />

familiale difficile restée enfouie, reviennent.<br />

Que doit-elle faire pour que sa<br />

situation évolue? Elle décide d’affronter les<br />

sujets tabous du passé et commence à<br />

briser les schémas familiaux et personnels.<br />

Par une ouverture silencieuse, mais<br />

explosive, de sa personnalité, elle brise ses<br />

propres liens qui l’entravent et emprunte<br />

un chemin nouveau.<br />

3 e acte: la réalisation<br />

Attribuer les rôles: les rôles étaient en premier<br />

lieu ouverts à toutes les personnes<br />

prises en charge par Mobile Basel qui souhaitaient<br />

s’engager artistiquement. Certains<br />

participants possédaient déjà une<br />

certaine assurance et autonomie dans le<br />

travail artistique, d’autres voulaient découvrir<br />

leurs capacités dans ce domaine.<br />

Le projet devait bénéficier au plus grand<br />

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raison pour laquelle le projet était conçu<br />

de façon à être facilement accessible. Une<br />

approche agogique orientée sur la<br />

confrontation avait pour but de permettre<br />

d’affronter les situations problématiques<br />

afin de les gérer de façon plus constructive<br />

que jusqu’à présent. Par la prescription du<br />

contenu de la pièce, les participants<br />

étaient confrontés à une problématique<br />

pouvant les concerner eux-mêmes. La<br />

confrontation sur le plan théâtral et sous<br />

une conduite agogique leur permettait de<br />

s’approcher de nouvelles expériences au<br />

moyen d’une voie artistique protégée. Les<br />

développements de la personnalité, les<br />

défis et les succès vécus ainsi que les éventuels<br />

échecs, revers et la capacité à surmonter<br />

des phases de résistance créatrice<br />

ont eu un impact considérable en ce qui<br />

concerne l’expérience et la perception de<br />

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tous les participants. Je pense que<br />

certains sont ressortis du projet plus forts.<br />

Ils ont pu acquérir davantage d’assurance<br />

pour gérer les crises quotidiennes, ce qui<br />

a eu un effet stabilisateur sur le cours de<br />

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4 e acte: la rétrospective<br />

La confrontation avec les normes sociales<br />

en vigueur sous nos latitudes, les termes<br />

quotidiens «normal/anormal» me préoccupent<br />

depuis de nombreuses années et<br />

reviennent toujours de nouveau au premier<br />

plan: quel chemin est le bon? Que<br />

faut-il pour être capable de gérer sa vie de<br />

manière responsable? Comment abordons-nous<br />

les personnes souffrant de<br />

troubles?<br />

La pièce «ELFe» a abordé ces questions et<br />

bien d’autres encore: quand sais-je qu’une<br />

étape suivante doit être franchie, et comment<br />

se présente-t-elle? Qui peut m’aider?<br />

Qu’est-ce qui m’empêche de le faire? Estce<br />

que j’ose franchir le pas?<br />

Le fait d’avoir été personnellement<br />

confronté à des questions semblables m’a<br />

permis, avec l’accord de l’auteure, d’intégrer<br />

mes propres expériences dans<br />

l’œuvre. Il en a résulté un processus ayant<br />

pour objectif d’emprunter de nouveaux<br />

chemins et de montrer des alternatives.<br />

Comment l’idée de mettre en scène la<br />

pièce avec des acteurs amateurs de Mobile<br />

Basel se trouvant dans une situation semblable<br />

à celle du personnage principal<br />

est-elle née? Cette décision a été motivée<br />

par les réflexions suivantes: d’une part, je<br />

voulais mettre en scène une pièce authentique<br />

et artistiquement attrayante. Je ne<br />

voulais ni imposer des rôles aux acteurs,<br />

ni les exposer inutilement. D’autre part, la<br />

pièce était pour toutes les personnes impliquées<br />

une opportunité d’aborder leur<br />

problématique de manière ludique et de<br />

trouver éventuellement d’autres façons<br />

d’aborder leur existence. Le jeu, également<br />

transmis par les acteurs et danseurs professionnels,<br />

avait pour but de mettre en<br />

évidence des aptitudes pouvant renforcer<br />

l’estime de soi. L’œuvre ne traitait pas de<br />

la situation entre victime et agresseur,<br />

mais du pardon et du lâcher-prise. Au final,<br />

la pièce ne répondait pas à la question<br />

de savoir si le chemin choisi était le bon<br />

ou non. Mais peut-être que ce chemin<br />

pouvait défaire des blocages et permettre<br />

le franchissement d’une prochaine étape.<br />

Après-coup, je suis convaincu que cela<br />

s’est produit chez certains protagonistes.<br />

Au début du projet, il m’importait de ne<br />

pas connaître l’histoire personnelle de ces<br />

individus, afin de pouvoir aborder les participants<br />

sans préjugés. J’étais conscient<br />

du fait que trop d’informations entraveraient<br />

le niveau relationnel et le travail<br />

commun. Ainsi sont nées des rencontres<br />

très positives et enrichissantes.<br />

Epilogue<br />

Après la présentation d’ELFe, d’ailleurs<br />

couronnée de succès, les participants de<br />

l’association Mobile Basel ont exprimé le<br />

désir de poursuivre leur travail. Ils voulaient<br />

écrire et mettre en scène leur propre<br />

pièce, ce que j’ai salué et volontiers soutenu.<br />

Depuis l’été 2014, je dirige un atelier<br />

dans lequel nous écrivons ensemble une<br />

nouvelle version de la pièce. L’objectif est<br />

de pouvoir présenter le résultat en automne<br />

2016. La pièce traite de l’exclusion<br />

ou du désir de ne plus être victime et d’être<br />

accepté dans notre société en tant que<br />

personne «normale». C’est avec cette philosophie<br />

à l’esprit que nous entamons<br />

notre route …<br />

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Contact et informations:<br />

www.fideliolippuner.ch<br />

Remerciements<br />

J’adresse mes vifs remerciements à<br />

Thekla Michel (assistante sociale/éducatrice<br />

sociale) pour la collaboration<br />

pédagogique et rédactionnelle ainsi<br />

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