JOURNAL ASMAC No 5 - Octobre 2015

POINT DE MIRE ▶ JEU
Les enchères en guise
de place de jeux
Vu que les individus, les entreprises, les
organisations et les Etats interagissent
quotidiennement à des millions de reprises,
la théorie des jeux est applicable à
de nombreuses activités sociales, politiques
et économiques. Les exemples typiques
sont les cartels et les enchères, la
reprise d’entreprises, la durée des droits de
propriété intellectuelle ou l’analyse de
problèmes de l’exploitation des ressources
(problèmes des biens communs) pour ne
citer que quelques exemples.
La théorie des jeux peut aussi contribuer
à l’invention de nouvelles règles ou institutions.
Prenons un exemple de la théorie
des enchères. Les compagnies aériennes
proposent depuis peu des surclassements
de confort moyennant un supplément de
prix. Les sièges offrant plus de confort et
d’espace pour les jambes sont mis aux
enchères sur Internet de façon cachée;
l’offre la plus élevée obtient ensuite le
siège. Supposons qu’il ne s’agit que d’un
siège de confort supérieur. Un passager est
prêt à payer 150 francs pour ce confort sur
un vol long-courrier. Notre passager hypothétique
ne propose pas 150, mais seulement
120 francs, parce qu’il croit que
personne d’autre ne déposera d’offre plus
élevée et qu’il pourra ainsi engendrer une
sorte de bénéfice supplémentaire. Car la
différence entre le montant qu’il est prêt à
payer et les 150 francs équivaut, en cas de
succès, à un bénéfice. Son calcul n’aboutit
pas au résultat escompté, car un
concurrent propose 140 francs. En cas
d’enchère anglaise cachée, comme dans
notre cas, un enchérisseur sera toujours
tenté de réduire ses offres et de ne pas offrir
le montant correspondant à sa véritable
préférence.
L’économiste et théoricien du jeu William
Vickrey (1914–1996) a élaboré une proposition
à la fois simple et géniale qui oblige
l’enchérisseur rationnel de soumettre des
offres correspondant à sa véritable préférence.
Lors de l’enchère de Vickrey ou
enchère au second prix, c’est de nouveau
l’offre la plus élevée qui remporte la mise,
mais l’enchérisseur ne doit payer que le
prix de la deuxième plus haute offre. Notre
passager offre maintenant 150 francs,
obtient le siège confortable, paye 140
francs et a donc quasiment gagné 10
francs. On peut maintenant montrer que
contrairement à d’autres procédés d’enchères,
l’enchérisseur rationnel soumettra
des offres correspondant exactement à sa
véritable préférence lors de l’enchère au
second prix C’est pourquoi l’enchère de
Vickrey a également été désignée comme
étant un sérum de vérité. On peut en effet
prouver qu’indépendamment des offres
d’autres joueurs, le fait de soumettre des
offres correspondant à sa préférence est
une stratégie toujours meilleure ou au
moins aussi bonne que toute autre stratégie.
Si l’offre la plus élevée dépasse la
propre préférence de 150 francs, on aura
ni gagné ni perdu, car le confort ne valait
pas plus que 150 francs. Si par contre la
deuxième plus haute offre était inférieure
à 150 francs, notre passager gagne tou-
N o 5 Octobre 2015
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