Création 2009/2010 - Centre Régional des Lettres de Basse ...
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LE RECOURS AUX FORETS<br />
<strong>de</strong> Jean Lambert-wild, Jean-Luc Therminarias, Michel Onfray,<br />
Carolyn Carlson, François Royet<br />
<strong>Création</strong> <strong>2009</strong>/<strong>2010</strong><br />
Le voyage en Islan<strong>de</strong> ne se fit donc pas. Je lus les sagas dans lesquelles je retrouvais la trace<br />
<strong>de</strong> cette tradition du recours aux forêts. La loi islandaise réservait la peine <strong>de</strong> mort à <strong><strong>de</strong>s</strong> crimes<br />
inexpiables – autrement dit très rarement. Pour les infractions, elle prévoyait trois sentences :<br />
les amen<strong><strong>de</strong>s</strong> ; le bannissement, autrement dit l’exil pendant trois ans dans un autre pays,<br />
chaque lieu d’exil <strong>de</strong>vant être séparé par une journée <strong>de</strong> marche et changé chaque année –<br />
pendant ce temps, le condamné est intouchable ; puis la proscription qui interdit toute<br />
habitation, sinon dans la forêt où n’importe qui rencontrant le criminel peut le mettre à mort en<br />
toute impunité. Quiconque ai<strong>de</strong> le proscrit est sévèrement puni.<br />
Ces forêts islandaises font couler l’encre <strong><strong>de</strong>s</strong> spécialistes. Existait-il à cette époque <strong><strong>de</strong>s</strong> «forêts»<br />
à proprement parler ? Ou nomme-t-on ainsi <strong><strong>de</strong>s</strong> régions fort boisées, comme dans le Haukadalr,<br />
où les arbres peuvent être nombreux, certes, mais pas bien hauts à cause du vent qui bat l’île<br />
en toute saison ? A l’évi<strong>de</strong>nce, il faut éviter <strong>de</strong> penser en regard <strong>de</strong> la forêt noire germanique,<br />
réservoir fabuleux <strong><strong>de</strong>s</strong> mythes que nous savons. La démesure importe peu, ni même la forme<br />
exacte <strong>de</strong> ces bois : il suffit d’entendre cet espace forestier comme un espace ontologique –<br />
c’est dans cette acception, bien sûr, qu’ici on recourt aux forêts…<br />
Le temps d’écriture <strong>de</strong> ce texte se fit donc dans le vent mauvais <strong>de</strong> la maladie qui me retenait<br />
dans mon hyperborée natale, enraciné dans le phénomène, empêché d’expérimenter alors<br />
corporellement ce noumène dont le mystère reste entier. Pour tâcher <strong>de</strong> conjurer un peu ma<br />
peine, je lisais Ronsard et son Discours <strong><strong>de</strong>s</strong> misères <strong>de</strong> ce temps dans lequel on trouve ceci :<br />
«Les hommes volontiers / sont toujours <strong>de</strong> nature imparfaits et fautiers». «Fautiers», en effet…<br />
Et puis Whitman et ses magnifiques Feuilles d’herbe dont j’aimais son éloge roboratif <strong>de</strong> la vie,<br />
<strong>de</strong> la force, <strong>de</strong> la puissance, <strong>de</strong> la vitalité – <strong>de</strong> la nature.<br />
Ce texte se trouve donc écrit sous le double signe <strong>de</strong> la mort et du dionysisme, <strong>de</strong> Ronsard et<br />
<strong>de</strong> Whitman, <strong>de</strong> l’«Encyclopédie <strong><strong>de</strong>s</strong> calamités» et <strong>de</strong> la «Vertu <strong><strong>de</strong>s</strong> consolations», <strong>de</strong> l’histoire<br />
et <strong>de</strong> l’hédonisme, du mal et d’un antidote possible. Le sous titre, «La tentation <strong>de</strong> Démocrite»,<br />
inscrit l’ensemble sous le signe <strong>de</strong> ce philosophe, figure du matérialisme radical qui, après avoir<br />
beaucoup voyagé, connu le succès, (au point que Platon l’idéaliste voulu organiser un autodafé<br />
définitif <strong>de</strong> ses livres…), sondé la profon<strong>de</strong>ur maligne <strong>de</strong> l’âme humaine, expérimenté l’étendue<br />
<strong>de</strong> la méchanceté du mon<strong>de</strong>, se fit construire une petite maison au fond <strong>de</strong> son jardin pour y<br />
vivre le restant <strong>de</strong> ses jours. Cette tentation <strong>de</strong> Démocrite repose dans mon âme comme une<br />
variation possible sur l’art stoïcien <strong>de</strong> sortir d’une pièce enfumée…<br />
Michel Onfray<br />
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