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André-Gide-l-européen

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LA FONDATION CATHERINE GIDE<br />

présente<br />

ANDRÉ GIDE L’EUROPÉEN<br />

Quelques Portraits d’amis européens<br />

d’André <strong>Gide</strong><br />

par<br />

Jean-Pierre Prévost<br />

1


André <strong>Gide</strong> cosmopolite<br />

Rarement un écrivain français ne s’est autant qu’André <strong>Gide</strong> affirmé<br />

cosmopolite. La complexité de ses origines, l’austérité de son éducation puritaine,<br />

la mobilité de son tempérament, le prédisposaient particulièrement à cet universalisme,<br />

à ce besoin irréductible d’intégrer tout le patrimoine humain, écrit<br />

Renée Lang (<strong>Gide</strong>, Egloff, 1949).<br />

<strong>Gide</strong> l’affirme lui-même dans Le retour de l’enfant prodigue :<br />

Je sentais trop que la Maison n’est pas tout l’univers. Moi-même je ne<br />

suis pas tout entier dans celui que vous vouliez que je fusse. J’imaginais malgré<br />

moi d’autres cultures, d’autres terres, et des routes pour y courir, des routes non<br />

tracées ; j’imaginais en moi l’être neuf que je sentais s’y élancer. Je m’évadai.<br />

S’évader pour découvrir d’autres cultures ?... ou pour affirmer,<br />

conforter sa différence ?... En tous cas un immense besoin<br />

de communiquer, une sensibilité perméable aux œuvres les plus<br />

contraires.<br />

Mon âme était l’auberge ouverte au carrefour ; ce qui voulait entrer,<br />

entrait. Je me suis fait ductile, à l’amiable, disponible par tous mes sens, attentif,<br />

écouteur jusqu’à n’avoir plus une pensée personnelle, capteur de toute émotion en<br />

passage, et de réaction si minime que je ne tenais plus rien pour mal plutôt que<br />

de protester devant rien. (Les Nourritures terrestres)<br />

Il y a des auteurs qu’il traduira, d’autres qu’il aura l’intention<br />

de traduire sans en avoir le temps ; il y aura ceux qui nourriront son<br />

inspiration, ou sa motivation, ou dont l’œuvre sera une incitation<br />

à s’ouvrir à de nouveaux champs d’exploration de la pensée, de la<br />

Bible aux Mille et une nuits, des poètes grecs, persans, arabes, indiens<br />

aux allemands Goethe, Heine, Fichte, Novalis ou Nietzsche ; des<br />

italiens Dante et Pétrarque aux anglais Blake, Dickens, Browning,<br />

Shakespeare, Conrad ou Wilde ; des russes Tourgueniev, Pouchkine,<br />

Dostoïevski au scandinave Ibsen, et aux américains Emerson, Poë,<br />

Whitman et Melville …<br />

2<br />

La fameuse conférence intitulée De l’influence en littérature, dédiée<br />

à Théo Van Rysselberghe, et que <strong>Gide</strong> prononce le 29 mars


1900 à la Libre Esthétique de Bruxelles commence par ces mots :<br />

Je viens ici faire l’apologie de l’influence […] l’apologie de l’influencé d’abord,<br />

l’apologie de l’influenceur ensuite. Ce seront là les deux points de notre causerie.<br />

<strong>Gide</strong> sera l’influencé et l’influenceur, dans la constante évolution<br />

de son goût et la multiplication de ses rencontres.<br />

La Nouvelle Revue Française sera l’outil idéal de diffusion<br />

de ces œuvres. <strong>Gide</strong> apportera un grand soin aux traductions : L’épineuse<br />

question de la traduction est une de celles sur lesquelles j’ai le plus, et<br />

depuis longtemps réfléchi. (Lettres à André Thérive 1928)<br />

Cela vaut également pour la traduction de ses œuvres personnelles.<br />

Il profite d’ailleurs de la plupart de ses voyages européens<br />

pour rencontrer les auteurs qui seraient les plus aptes à le traduire,<br />

et les inciter à le faire.<br />

Toute sa vie, il tentera de se perfectionner dans la connaissance<br />

de l’allemand, de l’anglais, de l’italien, voire du russe … comme<br />

un long voyage à travers les livres, les hommes, les pays. (Journal 1922)<br />

Il s’abonne et collabore à des revues étrangères. En 1933,<br />

alors que les nazis poussent à l’exil de nombreux auteurs allemands,<br />

il cofondera la Sammlung, périodique anti-fasciste publié à Amsterdam,<br />

et consacré à la littérature.<br />

L’émergence des propos nationalistes et xénophobes de<br />

Barrès et de Maurras l’incitent à prendre une position critique, avec<br />

la publication dans la NRF en 1909 d’articles sur le thème : Nationalisme<br />

et littérature.<br />

En 1914, il prend conscience que les rapports entre la France et<br />

l’Allemagne sont à déterminer dans une perspective bien plus large que ne le<br />

permet une propagande hostile à toute entente entre les deux nations.<br />

En 1916, à la lecture d’un article d’Edmund Gosse sur les<br />

rapports anglo-français, il récuse la notion de littérature européenne au<br />

profit d’une culture européenne qui comporte une participation des diverses<br />

littératures de notre vieux monde, chacune puissamment individualisée.<br />

3


Seule la particularisation de chaque littérature, seule sa nationalisation,<br />

permettrait l’européanisation de la culture.<br />

<strong>Gide</strong> préconise une Europe de nations, chaque nation apportant<br />

la contribution particulière des individus qui la composent (David H.Walker,<br />

Dictionnaire <strong>Gide</strong>). Ces thèmes seront repris en 1919 dans Réflexions<br />

sur l’Allemagne publiées dans la NRF.<br />

Tout ce qui représente la tradition, précise <strong>Gide</strong>, doit être bousculé<br />

[…]. C’est à ce qui n’a pas eu de voix jusqu’alors à parler […]. Il ne s’agit<br />

plus de ce que nous étions, il s’agit de ce que nous sommes.<br />

Œuvres complètes, édition Martin-Chauffier volume IX<br />

Pour <strong>Gide</strong>, un nouveau monde est en train de naître, et<br />

ses thèses sont confortées par deux rencontres fondamentales, à<br />

Colpach chez les Mayrisch et à Pontigny chez Desjardins : tout<br />

d’abord celle de Walter Rathenau, ministre des Affaires Étrangères<br />

de la République de Weimar, et celle de Ernst Robert Curtius, universitaire<br />

et traducteur, deux grands esprits clairvoyants.<br />

Rathenau sera assassiné par des militants nationalistes allemands<br />

en 1922. Quant à Curtius, sa concordance de vue avec <strong>Gide</strong><br />

permettra la rédaction du fameux article : l’Avenir de l’Europe paru<br />

dans la Revue de Genève de janvier 1923.<br />

Je crois que nous assistons à la fin d’un monde, d’une culture, d’une<br />

civilisation […] Le véritable esprit européen s’oppose à l’infatuation isolante du<br />

nationalisme […] Aucun pays d’Europe ne peut plus désormais prétendre à<br />

un progrès réel de sa propre culture en s’isolant […] Tout aussi bien au point<br />

de vue politique, économique, industriel - enfin à quelque point de vue que ce<br />

soit – l’Europe entière court à la ruine si chaque pays d’Europe ne consent à<br />

considérer que son salut particulier.<br />

Œuvres complètes édition Martin-Chauffier volume XI<br />

Des paroles prophétiques et toujours actuelles en ces temps<br />

crépusculaires.<br />

4<br />

Jean-Pierre Prévost


ANDRÉ GIDE ET L’ALLEMAGNE<br />

À l’École Alsacienne, André <strong>Gide</strong> adolescent étudie la langue<br />

allemande - d’ailleurs obligatoire - et découvre Schopenhauer et<br />

Goethe (Werther). Il dira aimer pratiquer l’allemand, mais surtout<br />

étudier la culture et les auteurs allemands avec plus de plaisir que les<br />

latins, hormis son admiration pour Ovide et Virgile.<br />

A vingt-trois ans, au printemps 1892, <strong>Gide</strong> effectue son premier<br />

voyage à Munich, sans sa mère. Il y assiste à des représentations<br />

d’opéras de Wagner, qu’il déteste. L’Allemagne n’a peut-être<br />

jamais rien produit d’aussi grand et d’aussi barbare (Journal)<br />

Il découvre les Elégies romaines de Goethe, une œuvre dont<br />

l’importance fondamentale ne se démentira jamais, pour l’affirmation<br />

de la légitimité du plaisir, à l’opposé du puritanisme qu’il a toujours connu<br />

(Journal avril 1893). Il lit également avec bonheur Torquato Tasso, Iphigénie,<br />

Prométhée, Wilhelm Meister, découvre Nietzsche, Heine, Novalis,<br />

Fichte …<br />

On sait l’apport essentiel de l’œuvre de Nietzsche sur la pensée<br />

gidienne : Chaque fois que je reprends Nietzsche, il me semble que plus<br />

rien ne reste à dire, et qu’il suffise de le citer (Journal)<br />

<strong>Gide</strong> trouve chez Nietzsche l’affirmation de convictions qui<br />

seront les siennes propres toute sa vie : la remise en question de<br />

toutes les valeurs considérées comme immuables, le refus de tout<br />

système réducteur de la vie et de ses pulsions vitales. Nietzsche est<br />

un catalyseur qui l’autorise à aller plus loin dans l’autonomie de son<br />

art.<br />

Son oncle Charles <strong>Gide</strong>, son beau-frère Marcel Drouin et<br />

ses amis Maria et Théo Van Rysselberghe vont l’inciter, à des titres<br />

divers, à approfondir sa culture allemande et à favoriser des rencontres.<br />

C’est ainsi qu’en 1903, accompagné de Maria et de Théo, il<br />

donne une conférence à Weimar, invité par le Comte Harry Kessler,<br />

et sur le thème : l’importance du public. A cette occasion il rencontre<br />

5


Aline Mayrisch, et prend contact avec Madame Förster-Nietzsche,<br />

la sœur du philosophe, ainsi qu’avec Hugo Von Hofmannsthal.<br />

Autre rencontre, celle d’un traducteur pour Philoctète, puis<br />

pour l’Immoraliste et le Roi Candaule, qui sera représenté à Vienne en<br />

1906 et à Berlin en 1908.<br />

Ses contacts se multiplient : avec le poète Stefan George<br />

qu’il admire, avec Rainer Maria Rilke qui traduira Le Retour de l’Enfant<br />

Prodigue en 1914. Il découvre Hölderlin, fait la connaissance de<br />

Carl Einstein, jeune écrivain anarcho-communiste proche de la revue<br />

Die Aktion, auteur d’un ouvrage pionnier sur l’art africain, et du<br />

roman Bébuquin, dédié à <strong>Gide</strong>.<br />

Juin 1919 : <strong>Gide</strong> publie à la NRF Réflexions sur l’Allemagne.<br />

Il y expose les conclusions de sa réflexion sur la complémentarité<br />

entre la France et l’Allemagne, vision d’avenir d’une Europe culturelle<br />

nourrie par ses conversations avec Walter Rathenau et Ernst<br />

Robert Curtius.<br />

Entre 1923 et 1928 il multiplie les contacts, en particulier<br />

avec le sexologue Magnus Hirschfeld dont il citera les travaux dans<br />

Corydon.<br />

En 1928 il donne une conférence sur Rilke à Berlin. Il travaille<br />

avec Théa (dite Stoisy) Sternheim, qui a traduit sa pièce Saül,<br />

et qui souhaite la monter en version allemande. Ils se sont connus<br />

à Paris. Elle deviendra sa confidente et fera de <strong>Gide</strong> des photos exceptionnelles.<br />

<strong>Gide</strong> lui obtiendra plus tard un permis de séjour en<br />

France après son internement comme juive au camp de Gurs, dans<br />

les Pyrénées-Atlantiques.<br />

De 1930 à 1934 <strong>Gide</strong> multiplie les voyages en Allemagne :<br />

Stuttgart, Bonn, Berlin, Ems, Munich, Darmstadt (pour la présentation<br />

d’Œdipe), Wiesbaden avec Ida Rubinstein et Igor Stravinski.<br />

6<br />

En 1934, retour à Berlin, avec André Malraux, pour tenter<br />

de rencontrer Goebbels et lui demander la libération des prisonniers<br />

politiques bulgares … Il retournera en juin 1946 à Munich,<br />

puis en 1947 à Tübingen, Munich et Berlin.


André <strong>Gide</strong> à Karlsbad, 1934<br />

7


ANDRÉ GIDE ET<br />

LE LUXEMBOURG<br />

André <strong>Gide</strong> a séjourné huit fois au Luxembourg. Ces séjours<br />

sont nés de la rencontre exceptionnelle entre l’auteur et Aline Mayrisch<br />

de Saint-Hubert.<br />

L’histoire commence en 1903, après la publication de l’Immoraliste.<br />

Aline Mayrisch écrit alors, sous le pseudonyme A.M. de<br />

Saint-Hubert, un article intitulé Immoraliste et surhomme dans la revue<br />

bruxelloise d’avant-garde L’Art moderne. Cet article élogieux enthousiasme<br />

<strong>Gide</strong>. Maria Van Rysselberghe lui révèle l’identité de son auteur<br />

: Aline Mayrisch, dont elle est l’amie intime depuis 1901.<br />

Aline Mayrisch et André <strong>Gide</strong> se rencontrent à Weimar en<br />

1903. <strong>Gide</strong> est venu donner une conférence, invité par le Comte<br />

Kessler. C’est le début d’une longue amitié. Aline est la femme<br />

d’Émile Mayrisch, riche industriel luxembourgeois, mécène, visionnaire<br />

partisan d’une Europe nouvelle, réconciliateur entre la France<br />

et l’Allemagne dans les années 1920, comme nous le verrons plus<br />

tard.<br />

En 1909, Aline Mayrisch écrit un nouvel article consacré à<br />

La porte étroite, et en 1911 à Isabelle. Les rencontres avec <strong>Gide</strong> s’intensifient,<br />

en particulier à Paris chez La Petite Dame. Aline a une<br />

immense admiration pour <strong>Gide</strong>, et beaucoup d’affection, d’ailleurs<br />

partagée. Ils voyageront ensemble en Allemagne, en Italie, en Grèce,<br />

en Turquie et au Maroc.<br />

Lorsque <strong>Gide</strong>, dont on sait l’intérêt pour la culture allemande,<br />

souhaite ouvrir la NRF à de nouveaux auteurs, il sollicite<br />

Aline, parfaitement bilingue, pour y collaborer. Avec <strong>Gide</strong> elle va<br />

traduire Les Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke,<br />

et faire connaître en France l’œuvre du poète. Elle supervisera la<br />

traduction en allemand des Caves du Vatican. Elle est invitée aux Décades<br />

de Pontigny en 1911.<br />

8


<strong>Gide</strong> va séjourner quatre fois chez les Mayrisch à Dudelange<br />

entre 1919 et 1920, puis quatre fois dans leur nouvelle résidence de<br />

Colpach entre 1920 et 1929.<br />

C’est à Dudelange que <strong>Gide</strong> commence la rédaction des<br />

Faux Monnayeurs dans la bibliothèque de Madame Mayrisch, un des plus<br />

exquis laboratoires qui puissent se rêver (Journal).<br />

A partir de 1918, c’est pour Aline que La Petite Dame rédige<br />

les fameux Cahiers : je prends la résolution de noter pour toi, selon la promesse<br />

que je te fis, tout ce qui éclaire la figure de notre ami et dont je sois témoin.<br />

Elle aidera Maria à la rédaction de quelques chapitres. Auprès de<br />

<strong>Gide</strong> elle devient, avec Maria, une confidente privilégiée. En 1923,<br />

elle sera la marraine de la petite Catherine, fille d’André <strong>Gide</strong> et<br />

d’Élisabeth Van Rysselberghe.<br />

Jean Schlumberger et André <strong>Gide</strong> à Colpach, 1922<br />

9


10<br />

André <strong>Gide</strong> à Dudelange, 1919


L’ESPRIT DE COLPACH<br />

À partir de 1920, l’idée d’une Europe nouvelle prend de<br />

l’essor auprès des intellectuels, et la réflexion s’organise autour de<br />

deux pôles : le cercle de Colpach d’une part, les Décades de Pontigny<br />

d’autre part.<br />

Émile Mayrisch y est pour beaucoup, tout comme Paul<br />

Desjardins à Pontigny. La vision de Mayrisch est non seulement<br />

celle d’une Europe industrielle et politique, proche en cela de celles<br />

d’hommes politiques éclairés comme l’allemand Walter Rathenau,<br />

mais aussi culturelle. L’émergence d’une identité européenne prend<br />

corps, avec un lien profond entre pouvoir et esprit.<br />

Colpach et Pontigny vont devenir des lieux de rencontres importants.<br />

Par son mécénat généreux, Mayrisch va transformer Colpach<br />

en un véritable carrefour pour les intellectuels novateurs, en particulier<br />

en direction de la France et de l’Allemagne, et dans la perspective<br />

d’une réconciliation entre les deux pays.<br />

A Colpach, <strong>Gide</strong> fait la connaissance d’éminentes personnalités,<br />

comme le ministre Walter Rathenau ou le professeur Ernst<br />

Robert Curtius.<br />

Rappelons que Walter Rathenau fut un brillant industriel allemand,<br />

d’origine juive, personnalité marquante du DDP, ministre<br />

de la construction en 1921, puis des Affaires étrangères de la République<br />

de Weimar en 1922. Il sera assassiné en juin 1922 par deux<br />

officiers d’extrême-droite antisémites.<br />

Quant à Ernst Robert Curtius, universitaire et traducteur,<br />

c’est au cours d’un séjour à Colpach en aout 1921 qu’eut lieu la<br />

rencontre avec <strong>Gide</strong>. Les échanges d’idées seront fructueux autour<br />

d’un projet de communauté polyphonique plutôt que transnationale (Curtius,<br />

l’Esprit français dans la nouvelle Europe 1925) ainsi que sur l’homosexualité.<br />

11


Jacques Rivière sera également l’hôte des Mayrisch jusqu’à<br />

sa mort prématurée en 1925. Également Jacques Copeau, Jean Paulhan,<br />

Henri Michaux, Karl Jaspers, Hermann Von Keyserling, Marie<br />

Delcourt, Annette Kolb et tant d’autres, y compris les proches de<br />

<strong>Gide</strong> : Marc Allégret, Maria, Élisabeth … et Jean Schlumberger,<br />

après la mort accidentelle d’Émile Mayrisch en 1928.<br />

Au début des années 1940, Aline Mayrisch fait construire à<br />

Cabris, non loin des Audides, la Villa d’Élisabeth Van Rysselberghe,<br />

une vaste demeure, la Messuguière, ou <strong>Gide</strong> - et Schlumberger - feront<br />

de longs séjours pendant la guerre.<br />

En 1942, <strong>Gide</strong> quitte la France pour la Tunisie.<br />

Aline Mayrisch mourra à Cabris en 1947.<br />

12


Quelques Portraits d’amis européens<br />

d’André <strong>Gide</strong><br />

Sont considérés ici comme amis européens de <strong>Gide</strong> tous<br />

ceux dont la qualité et la nouveauté de l’œuvre attirèrent son attention,<br />

au fil de ses lectures, de ses rencontres, de l’évolution de ses<br />

goûts, et qui ont noué avec lui une relation amicale éphémère ou<br />

durable ; ceux qui ont traduit une œuvre de <strong>Gide</strong> dans une langue<br />

européenne ; ceux que <strong>Gide</strong> a traduits en français, même partiellement<br />

; mais également tous ceux qui ont joué un rôle majeur dans<br />

l’évolution de son intérêt et de son engagement pour l’Europe et sa<br />

nécessaire (re)construction culturelle et économique après la guerre<br />

de 1914-1918, et au-delà.<br />

Ce booklet ne prétend pas faire une étude historique approfondie<br />

et complète du sujet, mais seulement donner quelques points<br />

de repères, et montrer quelques figures essentielles, en les regroupant<br />

par nationalité. C’est un choix, avec des oubliés, et des absents.<br />

Les grands ancêtres, enfin, ceux que <strong>Gide</strong> n’a pas physiquement<br />

rencontrés, ne figurent pas dans cette illustre Galerie, faute d’espace<br />

(Virgile, Dante, Shakespeare, Goethe, Dostoïevski, Nietzsche …)<br />

13


LES ALLEMANDS<br />

Walter Benjamin 1892-1940<br />

Philosophe juif allemand, historien de l’art, critique littéraire,<br />

traducteur de Balzac, Baudelaire et Proust, intellectuel engagé,<br />

Benjamin est un fervent lecteur de <strong>Gide</strong>, qu’il considère comme un<br />

moraliste de grande envergure, et auquel il consacre de nombreux<br />

essais. Les deux hommes se rencontrent à Berlin le 30 janvier 1928,<br />

s’apprécient, et leurs discussions portent aussi bien sur la littérature<br />

et les problèmes de traduction que sur les enjeux politiques, sociaux,<br />

culturels de l’époque.<br />

Il meurt à Portbou, dans les Pyrénées, en 1940, en voulant<br />

fuir vers l’Espagne. Suicide ou assassinat par le NKVD russe :<br />

l’énigme demeure.<br />

14<br />

Walter Benjamin, photo Germaine Krull


Ernst Robert Curtius 1886-1956<br />

Philosophe allemand bilingue né en Alsace, où son père<br />

était un fonctionnaire prussien en poste dans le Reichsland d’Alsace-Lorraine.<br />

Protestant, spécialiste des littératures romanes, il est<br />

célèbre pour avoir soutenu l’hypothèse que toutes les littératures<br />

européennes utilisent les mêmes topoï, et qu’il existe donc une communauté<br />

culturelle européenne autour des éléments narratifs tout<br />

autant diachroniques que synchroniques.<br />

Réquisitionné par l’armée allemande en 1914, il publie en<br />

1919 : Les pionniers littéraires de la France nouvelle, un livre qui fait scandale<br />

outre-Rhin car il y fait l’éloge des écrivains français qu’il admire,<br />

et notamment d’André <strong>Gide</strong> (qui lui dédiera en 1930 son roman<br />

Robert). Il plaide également pour des échanges transnationaux<br />

à un moment où les deux nations restent coupées l’une de l’autre.<br />

Comme <strong>Gide</strong>, Curtius ne défend pas, dans ces années, un cosmopolitisme<br />

naïf ; comme <strong>Gide</strong>, il admet la nécessité de sauvegarder<br />

l’identité des uns et des autres, qu’ils soient Allemands ou Français,<br />

en laissant leur place à la diversité des éléments régionaux.<br />

Curtius sera le premier Allemand jugé de bonne volonté invité<br />

par Paul Desjardins à participer aux Décades de Pontigny durant<br />

l’été 1922. Il sera un habitué du cercle des médiateurs et esprits<br />

pro-européens de Colpach, invité par Émile et Aline Mayrisch. Il y<br />

rencontrera Walter Rathenau, Annette Kolb, Pierre Viénot …<br />

Je me sens souvent plus près de lui que peut-être d’aucun autre, écrit<br />

<strong>Gide</strong>, et non seulement je ne suis pas gêné par notre diversité d’origine, mais ma<br />

pensée trouve un encouragement dans cette diversité même […] Enfin, je trouve<br />

en lui, dans son regard, dans le ton de sa voix, dans ses gestes, une douceur,<br />

une aménité, une bonté comme évangéliques à quoi répond de plus en plus ma<br />

confiance. (Journal 2, 36)<br />

15


16<br />

Ernst Robert Curtius à Pontigny


Stefan George 1868-1933<br />

Poète, traducteur de Baudelaire.<br />

<strong>Gide</strong>, qui l’admire, le rencontre le 6 avril 1908 à Paris, à l’instigation<br />

d’Albert Mockel. Il écrit dans son Journal :<br />

Stefan George aux mains de convalescent, très fines, exsangues, très<br />

expressives, à la voix profonde et qui force l’attention, faisant preuve d’une<br />

connaissance et compréhension surprenantes de nos auteurs, poètes en particulier<br />

; tout ceci sans fatuité, mais avec une conscience évidente de son évidente<br />

supériorité.<br />

Stefan George jouera un rôle important dans le renouveau<br />

intellectuel allemand des années 20, et s’exilera par refus du nazisme.<br />

Stefan George<br />

17


Bernard Groethuysen 1880-1946<br />

Philosophe et historien allemand, il menait à Paris avant la<br />

guerre de 1914-1918 une étude sur la révolution française, et la formation<br />

de l’esprit bourgeois. C’est à cette époque qu’il rencontra<br />

<strong>Gide</strong>. Ils deviendront rapidement des amis proches. <strong>Gide</strong> admire<br />

la connaissance très fine et très souple que Groeth, comme le surnomme<br />

affectueusement la Petite Dame, a de l’Allemagne et de sa<br />

culture, et celui-ci va devenir auprès de l’écrivain le référent en la<br />

matière.<br />

Avec sa compagne Alix Guillain, il participera aux Décades<br />

de Pontigny. Installés en France après la guerre de 14, ils auront –<br />

avec Pierre Herbart– une influence déterminante sur l’engagement<br />

de <strong>Gide</strong> pour le communisme.<br />

18<br />

André <strong>Gide</strong> et Bernard Groethuysen à Berlin, 1931


Hermann Hesse 1877-1962<br />

Romancier, poète, essayiste, peintre.<br />

<strong>Gide</strong>, conseillé par son traducteur Hans Prinzhorn, lit Demian<br />

et Knulp en 1930. Hesse connaît bien l’œuvre de <strong>Gide</strong>, et ils<br />

vont correspondre en se découvrant des affinités importantes sur la défense<br />

de l’esprit et de l’individu de plus en plus menacés par le totalitarisme et l’uniformité.<br />

(Pierre Lachasse, Dictionnaire <strong>Gide</strong>)<br />

<strong>Gide</strong> et Hesse se rencontrèrent une seule fois, à Montagnola,<br />

petite commune suisse du Tessin, au bord du lac de Lugano.<br />

Hesse, allemand d’origine et naturalisé suisse depuis 1924, y vécut<br />

et y mourut. La rencontre eut lieu le 11 avril 1947, à l’occasion de la<br />

traduction en français du Voyage en Orient par Jean Lambert, premier<br />

mari de Catherine <strong>Gide</strong>.<br />

<strong>Gide</strong> rédigera la préface de l’ouvrage de Hesse, en le définissant<br />

comme un effort poétique d’émancipation en vue d’échapper au factice et de<br />

réassumer l’authenticité compromise. (Essais critiques p.800)<br />

Hermann Hesse<br />

19


Magnus Hirschfeld 1868-1935<br />

Médecin allemand, homosexuel, longtemps surnommé<br />

l’Einstein du sexe, il fut le premier à étudier la sexualité humaine sur<br />

des bases scientifiques, et dans sa globalité. <strong>Gide</strong> le rencontre fin<br />

janvier 1928 à Berlin. Il citera ses travaux dans Corydon. En 1930, en<br />

compagnie de Jean Paulhan, il lui rendra visite à l’Institut des sciences<br />

sexuelles qu’il a créé, au sein duquel il a constitué une bibliothèque,<br />

et rassemblé de nombreux documents pour constituer le Musée du<br />

sexe. Ses collections seront brûlées par les nazis, et Hirschfeld devra<br />

se réfugier à Nice pour échapper à la mort.<br />

20<br />

Magnus Hirschfeld


Comte Harry von Kessler 1868-1937<br />

Né à Paris d’un père allemand et d’une mère irlandaise.<br />

Diplomate franco-allemand, brillant esthète, Conseiller du<br />

Prince de Saxe-Weimar, il invite <strong>Gide</strong> à la Cour de Weimar en 1903,<br />

pour une conférence : De l’importance du Public, en compagnie de<br />

Maria et de Théo Van Rysselberghe (qui expose plusieurs toiles).<br />

En 1905, <strong>Gide</strong> est l’invité du Cercle allemand d’Auteuil, présidé<br />

par la marquise de Brion, sœur de Kessler. C’est là qu’il rencontre<br />

Hugo von Hofmansthal, à la demande de ce dernier.<br />

Comte Harry von Kessler<br />

21


Hermann von Keyserling 1880-1946<br />

Philosophe allemand. <strong>Gide</strong> le rencontre en 1898. Il séjournera<br />

ensuite à Paris de 1903 à 1906. Considéré comme un passeur entre<br />

philosophie et voyage, sagesse et science contemporaine, orient et<br />

occident. Il sera l’une des figures marquantes de la vie intellectuelle<br />

sous la République de Weimar.<br />

22<br />

Hermann von Keyserling


Annette Kolb 1870-1967<br />

Anna Mathilde Kolb, écrivain, est née d’une mère pianiste<br />

française et d’un père paysagiste allemand, dont on dit qu’il était le<br />

demi-frère non reconnu de Louis II de Bavière.<br />

Engagée pacifiste pour le rapprochement des français et des<br />

allemands, en pleine guerre 1914-1918, elle est poursuivie par la justice<br />

en 1916, et s’exile en Suisse avec l’aide de Walter Rathenau.<br />

Elle est accueillie chaleureusement à Colpach par les Mayrisch.<br />

Elle y retrouve tous les amis du couple luxembourgeois, de<br />

<strong>Gide</strong> à Curtius, en passant par Rivière, Michaux, Keyserling … et<br />

beaucoup d’autres. Elle participera également aux Décades de Pontigny.<br />

Ses livres auront du succès, et elle influencera son compatriote<br />

Rainer Maria Rilke. Chassée d’Allemagne par les nazis en 1933, elle<br />

émigre à nouveau à Paris.<br />

Annette Kolb, collection Marcel Schroeder<br />

23


Thomas Mann 1875-1955<br />

Dès 1921, <strong>Gide</strong> et Thomas Mann sont en relation par voie<br />

d’articles, et échanges de correspondances à propos des relations<br />

culturelles franco-allemandes. Ils se rencontrent enfin le 11 mai<br />

1931, à Sèvres, chez leur ami Félix Bertaux. Leurs points de vue<br />

s’accordent parfaitement, avec la publication de Retour de l’URSS<br />

et Avertissement à l’Europe, et leur appel commun à la résistance de<br />

l’esprit, même si leur conception de l’art les fait souvent diverger.<br />

Thomas Mann<br />

24


Klaus Mann 1906-1949<br />

Klaus, fils de Thomas Mann est passionné par l’œuvre de<br />

<strong>Gide</strong> dès son plus jeune âge. Il en témoigne dans Le tournant. Ils se<br />

rencontrent en 1925 grâce à Curtius, et publie articles et ouvrages<br />

consacrés à son Maître, avant qu’une brouille stupide les éloigne.<br />

Klaus Mann<br />

25


Heinrich Mann 1871-1950<br />

Heinrich, frère aîné de Thomas Mann, écrivain et dessinateur.<br />

Sous la République de Weimar, il publie des essais politiques<br />

et des critiques culturelles. Ami de <strong>Gide</strong> et de Paul Desjardins, il<br />

participe aux Décades de Pontigny.<br />

Il quitte l’Allemagne nazie en 1933.<br />

26<br />

Heinrich Mann et André <strong>Gide</strong>, Congrès des Écrivains, 1935


Walter Rathenau 1867-1922<br />

Industriel et intellectuel passionné par les questions économiques<br />

et sociales, Walter Rathenau devient après la guerre de 1914-<br />

1918 successivement ministre de la reconstruction (1921) et des Affaires<br />

Étrangères (1922) de la République de Weimar. Convaincu,<br />

comme <strong>Gide</strong>, de l’urgente nécessité du rapprochement économique<br />

et culturel entre les deux pays, ils se rencontrent à Colpach<br />

chez les Mayrisch en 1920, puis à Paris en 1922. Ils multiplient les<br />

échanges de correspondances. Il est assassiné par les nationalistes<br />

allemands en 1922.<br />

Il avait écrit :<br />

Monsieur <strong>Gide</strong>, les évènements vont si vite que les prévisions les plus<br />

pessimistes se réaliseront bien avant qu’on ne le pense […] La responsabilité<br />

de la France est grande ! sa méconnaissance de tous les problèmes<br />

nouveaux est déconcertante. Votre budget d’armement absorbe, à<br />

lui seul, la moitié du budget de la nation. Où cela vous mène-t-il ?<br />

A la banqueroute, à la révolution ? A la guerre ? L’Europe court à<br />

l’abîme. Plus possible de l’arrêter. (Cité par Roger Martin du Gard :<br />

Notes sur André <strong>Gide</strong> page 43)<br />

Walter Rathenau<br />

27


Arnold Bennett 1867-1931<br />

LES ANGLAIS<br />

Romancier, dramaturge et journaliste. <strong>Gide</strong> lui envoie ses<br />

Nouveaux Prétextes en 1911, pour le remercier des articles élogieux<br />

qu’il a publiés dans la revue New Age. <strong>Gide</strong> appréciait son intelligence<br />

enjouée, son amabilité enthousiaste, ainsi que son « inturbulence<br />

». (Essais critiques p.886).<br />

Ils échangent des propositions de lectures, apprécient l’un et<br />

l’autre Dostoïevski, Martin du Gard, et les rapports de cours d’assises.<br />

<strong>Gide</strong> encouragea la traduction en français, par Marcel de Coppet,<br />

diplomate et gendre de Martin du Gard, du roman de Bennett<br />

Old Wives’tale sous le titre Conte de bonnes femmes (Gallimard 1931).<br />

28<br />

Arnold Bennett


Dorothy Bussy 1865-1960<br />

Dorothy Strachey est la sœur du biographe anglais Lytton<br />

Strachey, et l’épouse du magnifique peintre français Simon Bussy.<br />

Ils vécurent tantôt dans leur fameuse Villa La Souco, oasis artistique<br />

située à Roquebrune-Cap-Martin, dans les Alpes-Maritimes, tantôt<br />

en Angleterre. Ils furent très proches de <strong>Gide</strong>, qui avait sa chambre<br />

réservée en permanence à la Villa et qui y effectua de nombreux<br />

séjours en compagnie des Van Rysselberghe et de Marc Allégret. Ils<br />

fréquentaient également leurs voisins Jean Vanden Eeckhoudt et sa<br />

fille Zoum Walter, peintres belges de très grand talent, mais encore<br />

André Malraux, Henri Matisse, Paul Valéry…<br />

Dorothy, féministe militante au sein du groupe Bloomsbury<br />

de Virginia Woolf, par ailleurs pathologiquement amoureuse de<br />

<strong>Gide</strong>, fut la traductrice anglaise attitrée de nombre de ses œuvres<br />

(mais aussi de certains ouvrages de Valéry et de Schlumberger).<br />

Elle est l’auteur d’Olivia, roman paru anonymement, et traduit<br />

en français par Roger Martin du Gard.<br />

Dorothy Bussy et sa fille Jenny à Pontigny<br />

29


Edmund Gosse 1849-1928<br />

Critique anglais francophile, poète, écrivain, traducteur, il<br />

fut un grand admirateur de <strong>Gide</strong> the most exquisite in Europe, en particulier<br />

pour La porte étroite. Les deux hommes se rencontrèrent aux<br />

Décades de Pontigny et devinrent des amis. <strong>Gide</strong> considérait que<br />

la démarche de son autobiographie Father and son, était proche de la<br />

sienne dans : Si le grain ne meurt…<br />

30<br />

Edmund Gosse par John Singer Sargent, 1886


LES AUTRICHIENS<br />

Hermann Bahr 1869-1934<br />

Autrichien, co-fondateur du journal Die Zeit en 1894. Auteur<br />

prolifique, mais bien oublié aujourd’hui, de quarante pièces de<br />

théâtre, dix romans, cinquante volumes d’essais, articles de journaux,<br />

critiques. Il fut un proche de Hofmannsthal et de Schnitzler.<br />

Il joua un rôle important, avec Franz Blei, dans la propagation de<br />

la culture française d’avant-garde en Europe centrale, et en particulier<br />

l’œuvre du jeune André <strong>Gide</strong>, dans de multiples petites revues<br />

d’époque. Il saluera chaleureusement la Nouvelle Revue française, un<br />

outil remarquable pour une meilleure connaissance de l’esprit français.<br />

Hermann Bahr par Emil Orlik 1916<br />

31


Franz Blei 1871-1942<br />

Cet écrivain autrichien publia d’abord un article élogieux sur<br />

<strong>Gide</strong> dans Die Zeit (1903) avant de traduire In memoriam et Le Roi<br />

Candaule. Il fit représenter cette pièce, d’abord au Volkstheater de<br />

Vienne le 27 janvier 1906, puis au Kleines Theater de Berlin le 9<br />

janvier 1908.<br />

Blei a été un intermédiaire amical entre <strong>Gide</strong> et les milieux<br />

littéraires allemands. Malgré une rivalité qui l’opposa à Félix-Paul<br />

Greve pour la traduction de Saül, Blei traduisit encore Bethsabé<br />

(1908) et Le Prométhèe mal enchaîné, illustré par Pierre Bonnard (1909).<br />

Franz Blei émigra aux États-Unis en 1933.<br />

32<br />

Franz Blei, première du Roi Candaule à Vienne, 27 janvier 1909


Rudolf Kassner 1873-1959<br />

Ecrivain, philosophe, ami intime de Rainer Maria Rilke.Marcel<br />

Drouin fit la connaissance de Kassner à Berlin en 1898, et le<br />

présenta à André <strong>Gide</strong> en 1900 à Paris.<br />

Admirateur inconditionnel de l’œuvre de <strong>Gide</strong>, Rudolf<br />

Kassner va devenir un ami proche. Il traduit Philoctète en 1901, une<br />

traduction révisée par <strong>Gide</strong> en 1904, et jugée par lui exemplaire :<br />

Comment vous remercier de cette traduction de mon Philoctète ? Avec<br />

quel plaisir je l’ai lue ! […] la langue est belle, pleine, sonore et toujours inquiète<br />

du vers, telle que je l’aime enfin, telle qu’il la fallait ici. (lettre à Kassner,<br />

Œuvres complètes III).<br />

Kassner n’aura de cesse de faire connaître <strong>Gide</strong> en Allemagne,<br />

et de le présenter à ses amis dont Hermann von Keyserling<br />

(en 1903).<br />

<strong>Gide</strong> et Kassner se reverront à différentes reprises, à Vienne,<br />

à Paris pour la représentation du Roi Candaule, en compagnie de<br />

Rilke, puis en Algérie.<br />

Rudolf Kassner jeune<br />

33


Arthur Schnitzler 1862-1931<br />

Comme son compatriote et ami Franz Blei, l’autrichien Arthur<br />

Schnitzler traduisit André <strong>Gide</strong> et Oscar Wilde en allemand.<br />

Auteur de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre, après<br />

avoir renoncé à exercer son métier de médecin, son œuvre connut<br />

un vif succès controversé pour ses préoccupations sexuelles omniprésentes.<br />

Sigmund Freud le considérait comme son double. Et<br />

d’autres comme un pornographe.<br />

Arthur Schnitzler<br />

34


Hugo Von Hofmannsthal 1874-1929<br />

<strong>Gide</strong> envisagea un moment de traduire sa pièce Elektra, encouragé<br />

par Kessler.<br />

Il m’a beaucoup plu, écrit <strong>Gide</strong> dans son Journal, mais la part de<br />

« l’ombre » chez lui ne m’a pas paru très vaste, ni cacher grand’chose de divin.<br />

Ils se reverront à plusieurs reprises, au Luxembourg et à Paris,<br />

échangeront des livres. Kessler veillera, par admiration pour l’un<br />

et pour l’autre, à ce que leur amitié perdure.<br />

Hugo von Hofmannsthal<br />

35


36<br />

Rainer Maria Rilke 1875-1926<br />

L’écrivain autrichien, séjournant très souvent à Paris, découvre<br />

le Retour de l’enfant prodigue en 1907 et rencontre <strong>Gide</strong>, probablement<br />

par l’intermédiaire de leurs amis communs, Verhaeren,<br />

Théo Van Rysselberghe ou Rudolf Kassner.<br />

En 1910, l’envoi croisé de La Porte étroite pour l’un, des Cahiers<br />

de Malte Laurids Brigge pour l’autre, va sceller leur amitié.<br />

<strong>Gide</strong> parle de sa délicate figure où on lisait à travers l’inéloquence des traits,<br />

la pureté de son âme. (lettre ouverte à Jacques Rivière).<br />

<strong>Gide</strong> traduit en français les Cahiers, avec la collaboration<br />

d’Aline Mayrisch, et en publie des fragments dans la NRF de juillet<br />

1911.<br />

En 1913, Rilke traduit à son tour le Retour de l’enfant prodigue en allemand.<br />

<strong>Gide</strong> a alors le projet de traduire le poème : Le Cornette<br />

Christophe Rilke.<br />

En 1916, l’appartement parisien que louait Rilke est scandaleusement<br />

pillé par son propriétaire, en l’absence du poète, et sous<br />

prétexte d’un retard de paiement des charges. Rilke sollicitera <strong>Gide</strong><br />

pour tenter d’aller sauver quelques livres et manuscrits, ce qu’il fera<br />

en toute amitié.<br />

En 1923, Rilke présente à <strong>Gide</strong> les fils d’un de ses amis : ils<br />

s’appellent Pierre et Balthasar Klossowski de Rola. Pierre sera momentanément<br />

son secrétaire, avant de devenir à son tour écrivain ;<br />

quant à Balthasar, il deviendra Balthus.<br />

Rilke meurt de leucémie en 1926.<br />

En 1927, <strong>Gide</strong> lui rendra un émouvant hommage :<br />

Rilke est un des êtres que j’ai le plus aimés et dont je trouve le moins<br />

à dire. Il s’est mis tout entier dans son œuvre, et, si je rouvre un livre de lui,<br />

j’entends sa voix, je revois son geste, je sens son regard, et ne peux plus croire à<br />

sa mort. (Essais critiques 882).


Rainer Maria Rilke, 1900<br />

37


Albert Mockel 1866-1945<br />

LES BELGES<br />

Poète et fondateur de La Wallonie, célèbre revue dédiée au<br />

symbolisme qui publiera des textes de <strong>Gide</strong>, et lui consacrera même<br />

un numéro spécial en mai-juin 1892.<br />

Ils se sont rencontrés en 1891, lors des fameux Mardis de<br />

Mallarmé, rue de Rome, et <strong>Gide</strong> est frappé par la subtilité presque<br />

insaisissable de sa conversation. (André <strong>Gide</strong>, Essais critiques).<br />

Ils se reverront trois étés de suite en Bretagne. Leurs<br />

échanges donneront naissance à des Propos de littérature, que Mockel<br />

dédiera à <strong>Gide</strong>, et à une Postface de La Tentative amoureuse.<br />

Grâce à Mockel, <strong>Gide</strong> fera la connaissance de Stefan George<br />

en 1908, et ils maintiendront entre eux une abondante correspondance.<br />

Leur amitié sera mise à rude épreuve lors de l’engagement de<br />

<strong>Gide</strong> au communisme, ressentie par Mockel comme une défaillance<br />

intellectuelle.<br />

38<br />

Albert Mockel


Marcel Drouin 1871-1943<br />

LES FRANÇAIS<br />

Michel Arnauld en littérature, fondateur avec <strong>Gide</strong> et Pierre<br />

Louÿs de la Potache-Revue puis de la Conque. Normalien distingué et<br />

professeur de Philosophie et d’Histoire, beau-frère de <strong>Gide</strong>. Il avait<br />

obtenu une bourse d’études en Allemagne, à Berlin. Il initia le jeune<br />

<strong>Gide</strong> à la culture et à la littérature allemande, comme plus tard Marcel<br />

Schwob. <strong>Gide</strong> admirait son ouvrage : La sagesse de Goethe.<br />

Marcel Drouin<br />

39


Charles <strong>Gide</strong> 1847-1932<br />

Économiste, oncle et tuteur d’André à la mort de son père<br />

Paul <strong>Gide</strong>.<br />

L’article Nationalisme et littérature écrit par <strong>Gide</strong> doit beaucoup<br />

son inspiration au livre de Charles <strong>Gide</strong> : Histoire des doctrines<br />

économiques depuis les physiocrates jusqu’à nos jours (1909). La lecture de<br />

ce livre donna à <strong>Gide</strong> le goût et l’intérêt pour les questions économiques<br />

européennes.<br />

40<br />

Charles <strong>Gide</strong>


Jacques Rivière 1886-1925<br />

<strong>Gide</strong> et Rivière se rencontrent dans l’atelier parisien du<br />

peintre André Lhote (prêté par Suzanne Schlumberger) le 15 décembre<br />

1908. Rivière est fasciné, et l’admiration qu’il vouait<br />

jusqu’alors à Claudel, bascule en faveur de <strong>Gide</strong>. Ils parlent de<br />

Nietzsche et du christianisme. <strong>Gide</strong> propose au jeune homme la<br />

rédaction d’un article pour la NRF, qui recrute alors de nouveaux<br />

auteurs. Sa collaboration s’intensifie en 1909 et 1910 - une vingtaine<br />

de notes et d’articles - jusqu’à l’obtention du poste de secrétaire de<br />

la revue en 1911, et d’importantes contributions sur Chopin, sur<br />

Baudelaire, sur la foi, et même sur le roman d’aventure.<br />

Les deux hommes vont s’éloigner l’un de l’autre en 1913,<br />

suite à la publication d’une critique hostile de Rivière aux Caves du<br />

Vatican.<br />

Prisonnier de guerre en Allemagne, puis en Suisse, de 1914 à<br />

1917, Rivière prend la direction de la NRF, soutenu par Claudel et<br />

Proust. Il se réconcilie avec <strong>Gide</strong> en 1922, et meurt en 1925.<br />

Jacques Rivière<br />

41


James Joyce 1882-1941<br />

LES IRLANDAIS<br />

Lorsque Joyce arrive à Paris en 1920, sur les conseils d’Ezra<br />

Pound, il a lu La Symphonie pastorale, un ouvrage qu’il admire. <strong>Gide</strong><br />

est plus réticent à l’égard du Portrait de l’artiste. Mais il sera le premier<br />

écrivain français à souscrire à l’édition originale d’Ulysse en<br />

anglais (1921) publiée par Sylvia Beach, puis à la version française<br />

par Adrienne Monnier (1929).<br />

L’impudeur de Joyce me ravit, écrit <strong>Gide</strong> en 1942. Mais l’amitié entre<br />

les deux hommes restera fluctuante et incertaine, malgré les articles<br />

élogieux de Valery Larbaud dans la NRF en 1922 et 1925.<br />

42<br />

James Joyce


Oscar Wilde 1854-1900<br />

Leur première rencontre date du 26 novembre 1891, dans un<br />

salon parisien à la mode. Un coup de foudre de <strong>Gide</strong> pour l’homme<br />

et pour son oeuvre :<br />

Son geste, son regard triomphaient. Son succès était si certain qu’il<br />

semblait qu’il précédât Wilde et que lui n’eut plus qu’à s’avancer […] Il était<br />

riche ; il était grand ; il était beau ; […] le fait est qu’il rayonnait.<br />

(Essais critiques 840).<br />

Ils se virent presque tous les jours jusqu’au départ de Wilde<br />

de Paris. Wilde fut pour <strong>Gide</strong> un génial précurseur qui va inspirer<br />

son personnage de Ménalque dans les Nourritures terrestres.<br />

Les deux hommes se retrouvèrent par hasard à Blida, mais<br />

c’est à Alger que <strong>Gide</strong>, guidé par Wilde, vécut les moments inoubliables<br />

de son initiation à l’homosexualité avec un adolescent merveilleux.<br />

Depuis, chaque fois que j’ai cherché le plaisir, ce fut courir après le souvenir<br />

de cette nuit. (Souvenirs et Voyages 309).<br />

Condamné à deux ans de travaux forcés à Londres, à l’issue<br />

d’un sordide procès orchestré par le père de son amant Alfred Douglas,<br />

Wilde, l’ange déchu, revint s’installer en France dans un village<br />

près de Dieppe, à Berneval-sur-mer, et sous une fausse identité :<br />

Sébastien Melmoth. <strong>Gide</strong> lui rendra visite.<br />

Mort en 1900, le personnage immense de Wilde hantera les<br />

œuvres suivantes de <strong>Gide</strong> et marquera sa vie, bien au-delà de la créature<br />

satanique qu’il en fit quelquefois.<br />

43


44<br />

Oscar Wilde


LES ITALIENS<br />

Gabriele d’Annunzio 1863-1938<br />

Il rencontre <strong>Gide</strong> fin 1895. Il est déjà une star internationale<br />

de la littérature dite décadente, depuis la publication de Il Piacere en<br />

1889, et surtout grâce à son charme, à sa culture, et à son sens médiatique<br />

très développé. Mais son orientation nationaliste devient<br />

rapidement insupportable pour <strong>Gide</strong> qui finira par comparer d’Annunzio<br />

à Barrès : un jugement sans appel. (Souvenirs et Voyages, page<br />

985).<br />

Gabriele d’Annunzio<br />

45


LES LUXEMBOURGEOIS<br />

Aline Mayrisch 1869-1947<br />

Mariée à Émile Mayrisch, riche industriel luxembourgeois,<br />

Aline, dite Loup Mayrisch rencontre <strong>Gide</strong> en 1903 à Weimar, invitée<br />

par le Comte Kessler. Amie intime de Maria Van Rysselberghe<br />

depuis 1901, elle avait écrit dans la revue L’art moderne un article très<br />

élogieux sur l’Immoraliste, sous le pseudonyme de A.M. de Saint-Hubert.<br />

Son identité sera révélée à <strong>Gide</strong> par Maria. Ce sera le début<br />

d’une longue et profonde amitié.<br />

Elle publie d’autres articles sur La Porte étroite, Isabelle, et<br />

dans la NRF. Elle partage avec <strong>Gide</strong> la traduction partielle des Cahiers<br />

de Malte Laurids Brigge de Rilke. Elle participe aux Décades de<br />

Pontigny, voyage avec <strong>Gide</strong> et Maria en Italie, finance le voyage<br />

en Asie-Mineure avec <strong>Gide</strong> et Ghéon. Elle est omniprésente, tout<br />

comme Maria : un trio indéfectible. Elle approuvera avec enthousiasme<br />

la naissance de Catherine <strong>Gide</strong> dont elle sera la marraine.<br />

Elle jouera par ailleurs, avec son mari, un rôle déterminant<br />

dans la création et l’animation du Cercle luxembourgeois de<br />

Colpach, dans les années vingt. Ce carrefour de rencontres politiques<br />

et culturelles entre français et allemands pro-européens, et<br />

dans l’optique d’une réconciliation, regroupera des figures aussi<br />

éminentes que Walter Rathenau, Ernst Robert Curtius, André <strong>Gide</strong>,<br />

Jacques Rivière …<br />

46


Aline Mayrisch et Anne Heurgon à Pontigny, 1933<br />

47


48<br />

Émile Mayrisch par Théo van Rysselberghe, 1920


Henrik Ibsen 1828-1906<br />

LES NORVÉGIENS<br />

<strong>Gide</strong> découvre son œuvre en 1893, et le considérera comme<br />

l’un des plus grands auteurs dramatiques, avec Shakespeare et Racine.<br />

La pièce d’Ibsen Les revenants le touche particulièrement, car<br />

il y retrouve ses propres aspirations à la révolte contre le conformisme, aux<br />

préjugés de la morale puritaine, et un appel à la vie libre dont doit pouvoir jouir<br />

un artiste. (Jean Claude, Dictionnaire <strong>Gide</strong>).<br />

<strong>Gide</strong> apprécie également la rigueur de construction des<br />

pièces d’Ibsen, l’exploration de thèmes neufs, de passions inexplorées,<br />

la solitude et le comportement.<br />

Henrik Ibsen<br />

49


Joseph Conrad 1857-1924<br />

LES POLONAIS<br />

Polonais d’origine (Teodor Jozef Konrad Korzeniovski)<br />

mais de culture française, et anglais d’adoption. C’est Claudel qui<br />

fait découvrir son œuvre à <strong>Gide</strong>. Il va lire tous ses romans avec passion,<br />

vouer à l’auteur une vénération sans bornes. Cette lecture va<br />

nourrir aussi bien l’écriture des Caves du Vatican, que le goût de <strong>Gide</strong><br />

pour les voyages, et l’apprentissage approfondi de la langue anglaise.<br />

Ils finirent par se rencontrer, en compagnie de Valery Larbaud, dans<br />

le Kent en 1911.<br />

Ce que j’aimais le plus en lui, écrira <strong>Gide</strong> après sa mort, c’était<br />

une sorte de native noblesse, âpre, dédaigneuse, et quelque peu désespérée.<br />

<strong>Gide</strong> dirigera l’ensemble des traductions de Conrad en français<br />

chez Gallimard, en se réservant celle de Typhon (1918). (Essais<br />

critiques 877).<br />

50<br />

Joseph Conrad


Cyprien Godebski (1835-1909) et<br />

Misia Sert (1872-1950)<br />

Fils de l’écrivain polonais Franciszek Ksawery Godebski, le<br />

sculpteur Cyprien Godebski vécut longtemps en France. Il fut l’ami<br />

de Stéphane Mallarmé, de Franz Liszt, d’Alphonse Daudet.<br />

Il se maria deux fois, la première avec la belge Sophie Servais,<br />

qui mourra en donnant naissance à Misia, future pianiste et<br />

égérie des peintres et musiciens de la Belle Époque. Misia épousera<br />

successivement Thadée Natanson (homme d’affaires et éditeur de la<br />

Revue blanche), Alfred Edwards (éditeur du Matin) et José-Maria Sert<br />

(peintre espagnol).<br />

Cyprien épousera en deuxièmes noces Mathilde Rosen Natanson,<br />

et ils auront un fils : Cypa.<br />

Cypa et son épouse Ida, fille de Franciszek Kasperek, fameux<br />

juriste polonais, recevront de nombreux amis dans leur résidence<br />

La Grangette, au village de Valvins, en Seine et Marne, près de<br />

la maison de Mallarmé.<br />

Tous seront à divers titres des amis de <strong>Gide</strong>, par l’intermédiaire<br />

de la famille Natanson, également d’origine polonaise, et dont<br />

Thadée (1868-1951) fut avec ses frères le fondateur de la célèbre<br />

Revue blanche en 1889, à laquelle <strong>Gide</strong> collabora largement.<br />

51


Cyprien Godebski<br />

52<br />

Misia Sert


Eugenia Sokolnicka 1884-1934<br />

Psychanalyste, pionnière de la psychanalyse des enfants,<br />

Eugenia Kutner est née à Varsovie, dans une famille juive aisée. Elle<br />

apprend le français avec sa gouvernante et rejoint Paris à l’âge de 20<br />

ans, épouse M.Sokolnicki, passe son baccalauréat puis une licence<br />

de sciences et de biologie. Elle s’oriente vers la psychiatrie en 1911<br />

après un stage à Zurich auprès de Carl Gustav Jung, et se lie avec<br />

l’écrivain français Paul Bourget, qui lui fait rencontrer André <strong>Gide</strong>.<br />

En 1913 elle séjourne à Munich, se perfectionne auprès de Sigmund<br />

Freud, et rentre en Pologne en 1914. En 1916 elle est à Budapest, en<br />

cure psychanalytique auprès de Sandor Ferenczi, qui a un « faible »<br />

pour elle. De retour à Paris en 1921, elle collabore à la Nouvelle Revue<br />

française après avoir animé un cycle de conférences consacré à l’initiation<br />

à la psychanalyse, très prisé par l’avant-garde parisienne, dans<br />

un salon meublé de la rue de l’Abbé-Grégoire. Ce salon, fréquenté<br />

par Jacques Rivière, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger,<br />

Gaston Gallimard, André <strong>Gide</strong> et Maria van Rysselberghe fut baptisé<br />

avec humour par Martin du Gard le Club des Refoulés.<br />

Très impressionné, mais souvent agacé, par la personnalité<br />

originale d’Eugenia, <strong>Gide</strong> accepta même une psychanalyse auprès<br />

d’elle, qui tourna court assez rapidement. Il s’inspirera d’elle pour<br />

l’un des personnages des Faux-Monnayeurs, celui de Sophroniska,<br />

auprès de laquelle le jeune Boris, petit-fils du vieux Lapérouse, et<br />

double de l’auteur, fait une cure avant de suicider.<br />

Eugenia Sokolnicka sera la psychanalyste de Blanche Reverchon,<br />

épouse de Pierre Jean Jouve, et conseillère auprès des Éditions<br />

Gallimard pour les traductions de Freud en français.<br />

Eugénia<br />

Sokolnicka<br />

53


Witold Wojtkiewicz 1879-1909<br />

Les toiles du peintre polonais Witold Wojtkiewicz attirent<br />

l’attention de <strong>Gide</strong> lors d’un séjour qu’il fait en janvier 1907 à Berlin<br />

en compagnie de son ami Maurice Denis. Alors qu’ils visitent la<br />

galerie Schulte, ils découvrent une salle reculée où se cachait, plus que ne<br />

se montrait, une exposition de peintres polonais[…] Le surprenant accent des<br />

quelques toiles de Wojtkiewicz nous retint. Elles éclairaient cette salle un peu<br />

sombre, non par l’éclat indiscret des tons, mais par une entente bizarre des<br />

rapports, par la douloureuse fantaisie du dessin, par l’interprétation émue et<br />

quasi pathétique de la couleur.<br />

Sensible à l’art de Wojtkiewicz, qualifié d’exotique, d’inquiet<br />

mélange de naturalisme, d’impressionnisme et d’humour, et qu’il compare<br />

à celui d’un Daumier, d’un Degas, d’un Toulouse-Lautrec, d’un<br />

Bonnard, il achète alors plusieurs toiles du peintre, dont : Le Carrousel.<br />

Son enthousiasme l’amène à écrire à Wojtkiewicz, à Cracovie<br />

où il réside, pour l’inviter à venir tenter sa chance à Paris, et à<br />

lui proposer d’organiser une exposition de ses œuvres à la galerie<br />

Druet en mai 1907. C’est Maurice Denis qui, à la demande de <strong>Gide</strong>,<br />

présentera au galeriste le jeune polonais. Une quinzaine de toiles<br />

seront exposées, et <strong>Gide</strong> écrira une élogieuse préface au catalogue<br />

qu’il conclut en ces termes : Puisse Paris, qui sut si généreusement adopter<br />

les grands exilés de sa race, un Mickiewicz, un Chopin, sourire à ce nouveau<br />

venu. (voir BAAG n°43 de juillet 1979)<br />

Wojtkiewicz sera reçu par <strong>Gide</strong> à la Villa Montmorency à<br />

Auteuil, et lui fera rencontrer ses amis, dont Jean Schlumberger.<br />

Ce sera la seule exposition française du peintre qui, de santé<br />

fragile, meurt à trente ans d’une crise cardiaque en juin 1909.<br />

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Witold Wojtkiewicz, auto-portrait<br />

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LES RUSSES<br />

Jacques Schiffrin 1892-1950<br />

Juif russe installé à Paris en 1922. Il crée les Editions de la<br />

Pléiade, petite société indépendante, et propose à <strong>Gide</strong> la traduction<br />

en français de La Dame de pique de Pouchkine, qui paraîtra en mars<br />

1923, et connaîtra un vif succès.<br />

Il éditera d’autres ouvrages de <strong>Gide</strong> : Numquid et tu… ?<br />

(1926) Essai sur Montaigne (1929) Œdipe (1931) Deux récits (1938) et<br />

le Journal 1889-1939.<br />

Les Editions de la Pléiade en difficulté financière seront rachetées<br />

par Gallimard en 1933, pour devenir la prestigieuse Bibliothèque<br />

de la Pléiade.<br />

Une grande affection, dont témoigne le Journal, liait Jacques<br />

Schiffrin et sa femme, la pianiste Youra Guller, à André <strong>Gide</strong> qui les<br />

fera inviter aux Décades de Pontigny de Paul Desjardins.<br />

Schiffrin accompagnera <strong>Gide</strong> en 1936 lors de son voyage<br />

en URSS, et sera reçu à Cuverville en 1938. <strong>Gide</strong> aidera Schiffrin<br />

à s’exiler aux États-Unis en 1940. Il y fondera une nouvelle société<br />

d’édition, et publiera encore plusieurs ouvrages de son ami.<br />

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Jacques Schiffrin et Youra Guller à Pontigny


Bibliographie<br />

Ces portraits très sommaires doivent beaucoup aux emprunts et<br />

citations provenant des ouvrages suivants :<br />

Dictionnaire <strong>Gide</strong> de Pierre Masson et Jean-Michel Wittmann (Garnier)<br />

André <strong>Gide</strong>, l’inquiéteur de Frank Lestringant (Flammarion)<br />

André <strong>Gide</strong> de Renée Lang (Éditions Egloff)<br />

<strong>Gide</strong>, Essais critiques (Gallimard Pléiade)<br />

<strong>Gide</strong>, Souvenirs et Voyages (Gallimard Pléiade)<br />

Les Cahiers de la Petite Dame Anthologie de Peter Schnyder, Folio<br />

Journal Anthologie de Peter Schnyder Gallimard<br />

Bulletins des Amis d’André <strong>Gide</strong><br />

Avec mes plus vifs remerciements.<br />

Maquette<br />

Zéphyrin Prévost<br />

Crédits photographiques<br />

Fondation Catherine <strong>Gide</strong> 7-9-10-18-26-32-38-40-48<br />

Archives Pontigny 16-29-39-47-58<br />

Archives Rivière 41<br />

Fondation des Treilles 56<br />

Marcel Schroeder 23<br />

Germaine Krull 14<br />

© Fondation Catherine <strong>Gide</strong> et J.P.Prévost<br />

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