Monopole !

Tout commence par une étonnante sortie médiatique de Noureddine Ayouch, publicitaire de renom et patron de l’agence Shem’s. Ce dernier annonce, en amorce du printemps arabe, que FC Advertising, régie publicitaire issue du groupe FC Com, lancée en 1997 par le secrétaire particulier du Roi Mohammed VI, allait se dissoudre. La sortie, audacieuse, du publicitaire Ayouch délie les langues et les questions fusent sur la position dominante de FC Advertising sur le marché ultra-juteux des 4x3. Elargissant son périmètre aux annonceurs dans leur globalité, et tous supports confondus, notre enquête s’attèle à faire sens d’une activité imparfaitement réglementée et fortement liée aux sphères politiques. En outre, elle met l’accent sur la grande concentration du marché entre les mains d’une poignée d’annonceurs dont la puissance et l’orientation des investissements marketing peut faire ou défaire les entreprises de presse (gênantes). Tout commence par une étonnante sortie médiatique de Noureddine Ayouch, publicitaire de renom et patron de l’agence Shem’s. Ce dernier annonce, en amorce du printemps arabe, que FC Advertising, régie publicitaire issue du groupe FC Com, lancée en 1997 par le secrétaire particulier du Roi Mohammed VI, allait se dissoudre. La sortie, audacieuse, du publicitaire Ayouch délie les langues et les questions fusent sur la position dominante de FC Advertising sur le marché ultra-juteux des 4x3. Elargissant son périmètre aux annonceurs dans leur globalité, et tous supports confondus, notre enquête s’attèle à faire sens d’une activité imparfaitement réglementée et fortement liée aux sphères politiques. En outre, elle met l’accent sur la grande concentration du marché entre les mains d’une poignée d’annonceurs dont la puissance et l’orientation des investissements marketing peut faire ou défaire les entreprises de presse (gênantes).

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026 charges de 2M en fasse une chaîne d’intérêt public comme Al Oula, elle a aussi le statut d’une chaîne commerciale. Non seulement elle n’est pas subventionnée, comme sa consoeur, mais en plus, elle doit batailler pour percevoir des recettes. A la base, c’est tout le business model qui doit être revu. La nécessaire régulation Que ce soit dans les médias audiovisuels ou dans la presse écrite, au-delà des raisons commerciales, la publicité semble être un outil politique entre les mains des annonceurs, notamment les plus gros. Certes, «l’annonceur est maître de la dépense publicitaire», comme l’explique Tawfik Benani Smires, PDG de Régie 3. Mais, en l’absence de régulation, des dérives sont possibles et on a bien vu des projets éditoriaux tomber à l’eau, faute de publicité. Cette situation malsaine est expliquée, entre autres, par le manque de soutien de l’Etat à la presse et les piètres chiffres que cette dernière réalise en matière de diffusion. Depuis 2005, l’Etat distribue près de 50 millions de dirhams aux journaux à titre de subventions. Très insuffisant par rapport aux investissements et aux charges de fonctionnement qui handicapent cette profession. Après les manifestations du 20 février, des bruits courent sur une augmentation conséquente de cette subvention, notamment en faveur de l’Internet… Pour l’Etat, l’enjeu est clair: Il a besoin d’une presse plurielle et en même temps, il sait qu’elle ne pourra pas vivre de ses ventes. D’où le levier de la publicité, utilisée parfois pour maintenir certaines publications en vie ou faire cesser d’autres... Cet enjeu, les annonceurs le savent également. La presse n’est pas seule à nécessiter une régulation. Il y a aussi l’affichage. «Trop de pub tue la pub», dénonce Noureddine Ayouch, patron de Shem’s. Et d’ajouter: «il faut une régulation de l’espace urbain. Il n’est pas normal de s’arrêter à un feu rouge et d’être confronté à 7 ou 8 panneaux publicitaires, d’autant plus que ça nuit à l’impact du message». En effet, selon les études des publicitaires, le marocain reçoit en moyenne Enquête|Marché publicitaire 600 messages publicitaires par jour à travers différents supports. De plus en plus de questions se posent donc quant à l’impact de ce matraquage quotidien sur les habitudes d’achat. La question est d’autant plus légitime quand on sait que l’exposition à la publicité ne dure en moyenne que 6 secondes. Il est vrai que les annonceurs exigent de plus en plus d’études de «tracking» pour évaluer l’impact des campagnes sur la notoriété ou la perception des marques mais, face à la multiplication des afficheurs, des panneaux et l’anarchie qui semble régir ce secteur, c’est tout l’équilibre du marché qui est en jeu. Au-delà de l’opacité dans l’octroi des autorisations et des marchés, les flux financiers manquent aussi de transparence. En effet, plusieurs acteurs remettent en cause le mode de rémunération des différents prestataires. Entre annonceurs, agences conseil en communication, agences médias, régies et médias, c’est tout un circuit économique qui n’est pas toujours équitablement réparti. Ainsi, schématiquement, quand l’annonceur veut faire une publicité, il confie un budget publicitaire à une agence conseil en communication. L’agence conceptualise la campagne et achète l’espace publicitaire à une agence média ou à une régie, chargées de commercialiser l’espace publicitaire des supports. Dans ce système, l’agence était, historiquement, à la fois rémunérée par l’annonceur et par les régies ou l’agence média. En effet, une fois la campagne en marche, l’agence touche des honoraires pour le conseil et se fait payer par la régie ou l’agence conseil pour lui avoir cédé le marché à travers une «commission d’agence» généralement de 15% de la transaction hors dégressif. Cette tradition historique, qui considérait l’agence conseil comme un pourvoyeur de marché aux médias, va tendre à disparaitre au fur et à mesure que les annonceurs deviennent puissants. Confronté à des resserrements de coûts et considérant que les agences publicitaires étaient trop «grassement» payées, les annonceurs vont de plus en plus commencer à récupérer cette commission et la défalquer de la facture finale de la campagne. En contrepartie, ils reversent des «fees forfaitaires» aux agences conseils et agences médias d’une manière contractuelle. «C’est un système qui n’encourage pas la transparence», dénoncent nos sources. Autre anomalie du marché: les chiffres qui sortent annuellement sur les recettes publicitaires par type de média. En gros, le marché fait dans les 5,7 milliards de dirhams de recettes. Selon un patron d’une agence de pub, le vrai chiffre ne dépasse pas les 2,2 milliards de dirhams. «L’Etat saura-t-il jouer son rôle de régulateur, en jugulant les appétits des uns et des autres?» Les 5,7 milliards de dirhams avancés sont dits «brut-brut» car ils sont calculés sur la base de chiffres nominaux qui ne prennent pas en compte les dégressifs et sont calculés sur la base d’une valeur faciale. Une régulation s’impose donc pour donner plus de transparence au marché et mieux rétribuer les médias qui sont finalement les plus grands perdants de cette opacité. «C’est un système qui tue le métier. Non seulement il appauvrit la créativité des agences mais il étrangle commercialement les médias», analyse un professionnel ayant requis l’anonymat. Ainsi, jusqu’à présent, le marché ne s’est pas suffisamment développé pour accepter autant de d’acteurs. Pour beaucoup de professionnels, il s’agit pour l’Etat d’intervenir afin de donner plus de visibilité et de stimuler le marché. Mais l’Etat saura-t-il se positionner pour jouer intelligemment son rôle de régulateur en soutenant les activités qui ont en besoin et en jugulant les appétits des uns et des autres? Pourra-t-il proposer une sorte de plan sectoriel pour booster le développement du marché? Aujourd’hui, les acteurs ont lancé des signaux. La balle est entre les mains des pouvoirs publics. E|E Economie|Entreprises Avril 2011

026<br />

charges de 2M en fasse une chaîne d’intérêt<br />

public comme Al Oula, elle a aussi<br />

le statut d’une chaîne commerciale. Non<br />

seulement elle n’est pas subventionnée,<br />

comme sa consoeur, mais en plus, elle<br />

doit batailler pour percevoir des recettes.<br />

A la base, c’est tout le business model<br />

qui doit être revu.<br />

La nécessaire régulation<br />

Que ce soit dans les médias audiovisuels<br />

ou dans la presse écrite, au-delà des<br />

raisons commerciales, la publicité semble<br />

être un outil politique entre les mains<br />

des annonceurs, notamment les plus<br />

gros. Certes, «l’annonceur est maître de la<br />

dépense publicitaire», comme l’explique<br />

Tawfik Benani Smires, PDG de Régie<br />

3. Mais, en l’absence de régulation, des<br />

dérives sont possibles et on a bien vu des<br />

projets éditoriaux tomber à l’eau, faute<br />

de publicité. Cette situation malsaine est<br />

expliquée, entre autres, par le manque de<br />

soutien de l’Etat à la presse et les piètres<br />

chiffres que cette dernière réalise en<br />

matière de diffusion. Depuis 2005, l’Etat<br />

distribue près de 50 millions de dirhams<br />

aux journaux à titre de subventions. Très<br />

insuffisant par rapport aux investissements<br />

et aux charges de fonctionnement<br />

qui handicapent cette profession. Après<br />

les manifestations du 20 février, des<br />

bruits courent sur une augmentation<br />

conséquente de cette subvention, notamment<br />

en faveur de l’Internet…<br />

Pour l’Etat, l’enjeu est clair: Il a besoin<br />

d’une presse plurielle et en même temps,<br />

il sait qu’elle ne pourra pas vivre de ses<br />

ventes. D’où le levier de la publicité,<br />

utilisée parfois pour maintenir certaines<br />

publications en vie ou faire cesser<br />

d’autres... Cet enjeu, les annonceurs le<br />

savent également.<br />

La presse n’est pas seule à nécessiter<br />

une régulation. Il y a aussi l’affichage.<br />

«Trop de pub tue la pub», dénonce Noureddine<br />

Ayouch, patron de Shem’s. Et<br />

d’ajouter: «il faut une régulation de l’espace<br />

urbain. Il n’est pas normal de s’arrêter à<br />

un feu rouge et d’être confronté à 7 ou 8<br />

panneaux publicitaires, d’autant plus que<br />

ça nuit à l’impact du message».<br />

En effet, selon les études des publicitaires,<br />

le marocain reçoit en moyenne<br />

Enquête|Marché publicitaire<br />

600 messages publicitaires par jour à<br />

travers différents supports. De plus en<br />

plus de questions se posent donc quant<br />

à l’impact de ce matraquage quotidien<br />

sur les habitudes d’achat. La question<br />

est d’autant plus légitime quand on sait<br />

que l’exposition à la publicité ne dure<br />

en moyenne que 6 secondes. Il est vrai<br />

que les annonceurs exigent de plus en<br />

plus d’études de «tracking» pour évaluer<br />

l’impact des campagnes sur la notoriété<br />

ou la perception des marques mais,<br />

face à la multiplication des afficheurs,<br />

des panneaux et l’anarchie qui semble<br />

régir ce secteur, c’est tout l’équilibre du<br />

marché qui est en jeu.<br />

Au-delà de l’opacité dans l’octroi<br />

des autorisations et<br />

des marchés, les flux<br />

financiers manquent<br />

aussi de transparence.<br />

En effet, plusieurs<br />

acteurs remettent<br />

en cause le mode de<br />

rémunération des différents prestataires.<br />

Entre annonceurs, agences conseil en<br />

communication, agences médias, régies<br />

et médias, c’est tout un circuit économique<br />

qui n’est pas toujours équitablement<br />

réparti.<br />

Ainsi, schématiquement, quand l’annonceur<br />

veut faire une publicité, il confie<br />

un budget publicitaire à une agence<br />

conseil en communication. L’agence<br />

conceptualise la campagne et achète<br />

l’espace publicitaire à une agence média<br />

ou à une régie, chargées de commercialiser<br />

l’espace publicitaire des supports.<br />

Dans ce système, l’agence était, historiquement,<br />

à la fois rémunérée par<br />

l’annonceur et par les régies ou l’agence<br />

média. En effet, une fois la campagne en<br />

marche, l’agence touche des honoraires<br />

pour le conseil et se fait payer par la<br />

régie ou l’agence conseil pour lui avoir<br />

cédé le marché à travers une «commission<br />

d’agence» généralement de 15% de la<br />

transaction hors dégressif.<br />

Cette tradition historique, qui<br />

considérait l’agence conseil comme un<br />

pourvoyeur de marché aux médias, va<br />

tendre à disparaitre au fur et à mesure<br />

que les annonceurs deviennent puissants.<br />

Confronté à des resserrements de coûts<br />

et considérant que les agences publicitaires<br />

étaient trop «grassement» payées, les<br />

annonceurs vont de plus en plus commencer<br />

à récupérer cette commission et la défalquer<br />

de la facture finale de la campagne. En<br />

contrepartie, ils reversent des «fees forfaitaires»<br />

aux agences conseils et agences<br />

médias d’une manière contractuelle.<br />

«C’est un système qui n’encourage pas la<br />

transparence», dénoncent nos sources.<br />

Autre anomalie du marché: les chiffres<br />

qui sortent annuellement sur les recettes<br />

publicitaires par type de média. En gros,<br />

le marché fait dans les 5,7 milliards de<br />

dirhams de recettes. Selon un patron<br />

d’une agence de pub, le vrai chiffre ne<br />

dépasse pas les 2,2 milliards de dirhams.<br />

«L’Etat saura-t-il jouer son rôle<br />

de régulateur, en jugulant les<br />

appétits des uns et des autres?»<br />

Les 5,7 milliards de dirhams avancés<br />

sont dits «brut-brut» car ils sont calculés<br />

sur la base de chiffres nominaux qui ne<br />

prennent pas en compte les dégressifs<br />

et sont calculés sur la base d’une valeur<br />

faciale. Une régulation s’impose donc<br />

pour donner plus de transparence au<br />

marché et mieux rétribuer les médias qui<br />

sont finalement les plus grands perdants<br />

de cette opacité. «C’est un système qui<br />

tue le métier. Non seulement il appauvrit<br />

la créativité des agences mais il étrangle<br />

commercialement les médias», analyse un<br />

professionnel ayant requis l’anonymat.<br />

Ainsi, jusqu’à présent, le marché<br />

ne s’est pas suffisamment développé<br />

pour accepter autant de d’acteurs. Pour<br />

beaucoup de professionnels, il s’agit pour<br />

l’Etat d’intervenir afin de donner plus de<br />

visibilité et de stimuler le marché. Mais<br />

l’Etat saura-t-il se positionner pour<br />

jouer intelligemment son rôle de régulateur<br />

en soutenant les activités qui ont en<br />

besoin et en jugulant les appétits des uns<br />

et des autres? Pourra-t-il proposer une<br />

sorte de plan sectoriel pour booster le<br />

développement du marché?<br />

Aujourd’hui, les acteurs ont lancé des<br />

signaux. La balle est entre les mains des<br />

pouvoirs publics. E|E<br />

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