Monopole !

Tout commence par une étonnante sortie médiatique de Noureddine Ayouch, publicitaire de renom et patron de l’agence Shem’s. Ce dernier annonce, en amorce du printemps arabe, que FC Advertising, régie publicitaire issue du groupe FC Com, lancée en 1997 par le secrétaire particulier du Roi Mohammed VI, allait se dissoudre. La sortie, audacieuse, du publicitaire Ayouch délie les langues et les questions fusent sur la position dominante de FC Advertising sur le marché ultra-juteux des 4x3. Elargissant son périmètre aux annonceurs dans leur globalité, et tous supports confondus, notre enquête s’attèle à faire sens d’une activité imparfaitement réglementée et fortement liée aux sphères politiques. En outre, elle met l’accent sur la grande concentration du marché entre les mains d’une poignée d’annonceurs dont la puissance et l’orientation des investissements marketing peut faire ou défaire les entreprises de presse (gênantes). Tout commence par une étonnante sortie médiatique de Noureddine Ayouch, publicitaire de renom et patron de l’agence Shem’s. Ce dernier annonce, en amorce du printemps arabe, que FC Advertising, régie publicitaire issue du groupe FC Com, lancée en 1997 par le secrétaire particulier du Roi Mohammed VI, allait se dissoudre. La sortie, audacieuse, du publicitaire Ayouch délie les langues et les questions fusent sur la position dominante de FC Advertising sur le marché ultra-juteux des 4x3. Elargissant son périmètre aux annonceurs dans leur globalité, et tous supports confondus, notre enquête s’attèle à faire sens d’une activité imparfaitement réglementée et fortement liée aux sphères politiques. En outre, elle met l’accent sur la grande concentration du marché entre les mains d’une poignée d’annonceurs dont la puissance et l’orientation des investissements marketing peut faire ou défaire les entreprises de presse (gênantes).

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mais elle est plus diffuse. La SNI (fusion de ONA-SNI), par exemple, représente d’emblée près de 35% des investissements pour le «top ten» des annonceurs. Il est représenté par le 2 ème plus gros annonceur (Inwi), le 5 ème (Centrale Laitière) et le 8 ème (Lesieur Cristal), avec un total de 738 millions de dirhams en 2010 sur les 2,241 milliards de dirhams de budget publicitaire investi par les dix plus gros annonceurs. «Le marché est oligopolistique, peu d’annonceurs détiennent la plus grosse partie du gâteau publicitaire» explique Issam Fathia, directeur général de l’agence Kenz Media. Ainsi, seuls 12 annonceurs représentent plus de 60% des investissements. L’audiovisuel en tête A cette concentration des annonceurs, répond une autre concentration: celle du chiffre d’affaires réalisé par les médias. En effet, près de 41% des recettes publicitaires sont récoltées par la télévision, dont 72% sont accaparées par la seule 2M, contre moins de 19% pour Al Oula et 10% pour la nouvelle venue, Médi1TV. Du fait de la nature des annonceurs, cette configuration serait normale: le top ten des annonceurs représente des produits de grande consommation (télécoms, alimentaire, toilette/beauté, lessiviers…). Etant donné que la télé ait le bassin d’audience le plus large, celle-ci accapare les investissements publicitaires grâce à son coût de contact très faible. Le marché est aussi dominé par l’affichage et la presse. Bien que les mauvaises performances de cette dernière dans Enquête|Marché publicitaire la publicité soient de notoriété publique, ses services sont incontournables. «La presse a un coût de contact très élevé par rapport aux autres médias, mais elle permet de toucher directement le consommateur à travers un message clair sur un support durable» analyse Issam Fathia. Avec 22% de parts de marché en 2010, la presse a encore du chemin à faire. Elle est pénalisée par son atomisation et victime de la pénurie de lecteurs. «Il faut une campagne de pub pour promouvoir la presse» glisse Fethia. Et le potentiel existe, car son principal concurrent est l’affichage qui réalise 24% de parts de marché en 2010, la dépassant et creusant encore plus l’écart alors qu’il ne représentait en 2006 que 13,5% du marché contre 20% pour la presse. «L’affichage est le seul médium qui ne dépende pas de la volonté du consommateur, il permet une fréquence élevée. Mais avec la multiplication des panneaux, il est difficile de mesurer son efficacité», explique Monique Elgrichi. La radio offre aussi beaucoup de potentiel pour concurrencer la télévision. Mais, pour bon nombre de professionnels, ce médium reste sous-exploité. «La radio a un bel avenir, à condition qu’elle soit bien utilisée» confirme Issam Fethia. Avec seulement 13% des parts de marché, la radio demeure le parent pauvre du marché. En cause, le manque de créati- vité, la faiblesse de l’investissement ou encore l’absence de mesure d’audience. Pourtant, ce médium offre de réelles opportunités pour drainer de nouveaux annonceurs. De par la proximité qu’elle offre et le coût relativement bas par rapport aux autres médias, la radio est sans conteste le média de l’avenir. Même son de cloche du côté du nouveau média qu’est Internet. Avec seulement 40 à 50 millions de dirhams, la e-publicité tarde à émerger. Est pointée du doigt la faiblesse des sites proposant des contenus marocains. «70% de la bande passante est utilisée pour se connecter à des sites étrangers. Nous avons un non-marché Internet lié au déficit de contenu marocain» déplore le DG de Kenz Media. Face à cette concentration des annonceurs et des parts de marché, les agences de publicité et les agences médias sont aussi concentrées. 5 d’entre elles se partagent 90% du marché, d’après Noureddine Ayouch. «C’est normal qu’il y ait concentration. «Que ce soit dans l’audiovisuel ou la presse écrite,la publicité semble être un outil politique entre les mains des annonceurs, notamment les plus gros.» Ce n’est pas spécifique au Maroc, d’autant plus que les investissements sont encore trop faibles par rapport à la population», explique-t-il. Avec une dépense de près de 0,6% du PIB et 190 dirhams/personne/an, l’investissement publicitaire est, pour plusieurs acteurs, encore inférieur au potentiel économique du pays. E|E 023 Avril 2011 Economie|Entreprises

Enquête|Marché publicitaire En manque de régulation Réglementation vieillissante, manque de transparence et de régulation, le marché publicitaire est en proie à plusieurs incohérences. Retour sur les maux d’un secteur peu connu. Bien que le marché publicitaire au Maroc réalise des performances intéressantes, il reste, pour bon nombre d’acteurs, un secteur en manque de régulation. Il est à rappeler, à cet égard, que le cadre réglementaire qui régit la publicité au Maroc est fragmenté et, pour certains professionnels, obsolète. chargé de la mission de réglementation. A ces faiblesses juridiques, s’ajoutent des faiblesses économiques. «Le nombre de supports est disproportionné par rapport à la taille du marché», résume Monique Elgrichi. Avant d’ajouter: «plus il y a de canaux, plus la communication se développe». Mais pour l’optimisation, c’est une autre histoire. Avec 200 supports presse, 15 radios, 3 chaînes de télévison et 50 afficheurs, le marché semble être entré 024 Un cadre réglementaire insuffisant A titre d’exemple, le cadre réglementant l’affichage date de 1938. Il apparaît suite à une 1 ère réglementation de 1926 et «a été adapté par la suite aux exigences de la protection des médinas, des sites et des monuments historiques, au développement des villes nouvelles et à l’extension du tourisme.» Ce texte avait pour principales caractéristiques d’interdire toute publicité sur le domaine public, y compris donc les voies de communication routière. A ces interdictions, se sont greffés d’autres périmètres d’interdiction de publicité par affiches, panneaux-réclames et enseignes, aux abords de certaines routes, pistes et chemins. Ce n’est qu’en 1996, à travers la loi de Finances, qu’a été assouplie cette réglementation, en raison de l’euphorie qu’a connu le marché de la publicité au Maroc mais aussi pour répondre aux sollicitations des professionnels, en ouvrant de nouveaux espaces pour leur activité. Sans oublier que cela a également constitué l’occasion de dégager de nouvelles recettes fiscales. Le cas de l’affichage n’est pas isolé, puisqu’à ce jour, les seules dispositions et critères relatifs à la publicité figurent principalement dans deux textes législatifs, notamment la loi sur la La radio constitue le média qui semble avoir un bel avenir devant lui. Ici, le plateau de la radio Aswat. concurrence et la loi 03-77 relative à la communication audiovisuelle et portant libéralisation du secteur. Ce texte stipule l’obligation de respecter les mœurs et de ne pas offenser les cibles dites vulnérables, en l’occurrence les enfants et les femmes. De ce fait, un message doit être loyal, décent, crédible, honnête et non mensonger. Des prérogatives de jugement données à la HACA, pour ce qui est de l’espace audiovisuel. L’ANRT a aussi son mot à dire pour ce qui est de la pratique de la publicité dans le secteur des télécommunications, pour garantir une concurrence saine et loyale et préserver les intérêts des consommateurs. Des disposions ont ainsi été prises dans un texte publié au Bulletin Officiel en 2007. Celui-ci délègue le suivi du respect de ces différentes dispositions réglementaires et leur exécution au directeur de la concurrence et du suivi des opérateurs au sein de l’Agence (ANRT) ainsi que le directeur dans une sorte d’inflation de supports, tandis que les investissements publicitaires restent limités. Leur répartition répond parfois à des équilibres politiques, plutôt qu’à des critères économiques. A titre d’exemple, Maroc Telecom consacre 50% de ses investissements publicitaires à Al Oula et 50% à 2M. Or, si l’on prend le critère des parts de marché, 2M détient 72% du marché publicitaire, en raison de sa plus forte audience historique par rapport à la première chaîne. La logique voudrait que la part de la dépense de l’annonceur soit proportionnelle au bassin d’audience. Or, le choix de partager équitablement la dépense semble être un choix politique plutôt que commercial. Cette répartition inéquitable trouve en fait ses raisons dans le flou total qui entoure la politique de l’Etat sur l’audiovisuel public (cf. notre enquête sur l’audiovisuel public parue dans notre numéro de décembre 2009). Bien que le cahier des Economie|Entreprises Avril 2011

mais elle est plus diffuse. La SNI (fusion<br />

de ONA-SNI), par exemple, représente<br />

d’emblée près de 35% des investissements<br />

pour le «top ten» des annonceurs.<br />

Il est représenté par le 2 ème plus gros<br />

annonceur (Inwi), le 5 ème (Centrale Laitière)<br />

et le 8 ème (Lesieur Cristal), avec<br />

un total de 738 millions de dirhams en<br />

2010 sur les 2,241 milliards de dirhams<br />

de budget publicitaire investi par les dix<br />

plus gros annonceurs. «Le marché est oligopolistique,<br />

peu d’annonceurs détiennent<br />

la plus grosse partie du gâteau publicitaire»<br />

explique Issam Fathia, directeur général<br />

de l’agence Kenz Media. Ainsi, seuls 12<br />

annonceurs représentent plus de 60% des<br />

investissements.<br />

L’audiovisuel en tête<br />

A cette concentration des annonceurs,<br />

répond une autre concentration: celle du<br />

chiffre d’affaires réalisé par les médias.<br />

En effet, près de 41% des recettes publicitaires<br />

sont récoltées par la télévision,<br />

dont 72% sont accaparées par la seule<br />

2M, contre moins de 19% pour Al Oula<br />

et 10% pour la nouvelle venue, Médi1TV.<br />

Du fait de la nature des annonceurs,<br />

cette configuration serait normale:<br />

le top ten des annonceurs représente<br />

des produits de grande consommation<br />

(télécoms, alimentaire, toilette/beauté,<br />

lessiviers…). Etant donné que la télé ait<br />

le bassin d’audience le plus large, celle-ci<br />

accapare les investissements publicitaires<br />

grâce à son coût de contact très faible.<br />

Le marché est aussi dominé par l’affichage<br />

et la presse. Bien que les mauvaises<br />

performances de cette dernière dans<br />

Enquête|Marché publicitaire<br />

la publicité soient de notoriété publique,<br />

ses services sont incontournables. «La<br />

presse a un coût de contact très élevé par<br />

rapport aux autres médias, mais elle permet<br />

de toucher directement le consommateur<br />

à travers un message clair sur un support<br />

durable» analyse Issam Fathia. Avec 22%<br />

de parts de marché en 2010, la presse a<br />

encore du chemin à faire. Elle est pénalisée<br />

par son atomisation et victime de la<br />

pénurie de lecteurs. «Il faut une campagne<br />

de pub pour promouvoir la presse»<br />

glisse Fethia. Et le potentiel existe, car<br />

son principal concurrent est l’affichage<br />

qui réalise 24% de parts de marché en<br />

2010, la dépassant et creusant encore<br />

plus l’écart alors qu’il ne représentait<br />

en 2006 que 13,5% du marché contre<br />

20% pour la presse. «L’affichage est le seul<br />

médium qui ne dépende pas de la volonté<br />

du consommateur, il permet une fréquence<br />

élevée. Mais avec la multiplication des<br />

panneaux, il est difficile de mesurer son efficacité»,<br />

explique Monique Elgrichi. La<br />

radio offre aussi beaucoup de potentiel<br />

pour concurrencer la télévision. Mais,<br />

pour bon nombre de professionnels, ce<br />

médium reste sous-exploité. «La radio a<br />

un bel avenir, à condition qu’elle soit bien<br />

utilisée» confirme Issam Fethia. Avec<br />

seulement 13% des parts de marché,<br />

la radio demeure le parent pauvre du<br />

marché. En cause, le manque de créati-<br />

vité, la faiblesse de l’investissement ou<br />

encore l’absence de mesure d’audience.<br />

Pourtant, ce médium offre de réelles<br />

opportunités pour drainer de nouveaux<br />

annonceurs. De par la proximité qu’elle<br />

offre et le coût relativement bas par<br />

rapport aux autres médias, la radio est<br />

sans conteste le média de l’avenir. Même<br />

son de cloche du côté du nouveau média<br />

qu’est Internet. Avec seulement 40 à 50<br />

millions de dirhams, la e-publicité tarde<br />

à émerger. Est pointée du doigt la faiblesse<br />

des sites proposant des contenus<br />

marocains. «70% de la bande passante est<br />

utilisée pour se connecter à des sites étrangers.<br />

Nous avons un non-marché Internet<br />

lié au déficit de contenu marocain» déplore<br />

le DG de Kenz Media. Face à cette<br />

concentration des annonceurs et des<br />

parts de marché, les agences de publicité<br />

et les agences médias sont aussi concentrées.<br />

5 d’entre elles se partagent 90%<br />

du marché, d’après Noureddine Ayouch.<br />

«C’est normal qu’il y ait concentration.<br />

«Que ce soit dans l’audiovisuel ou la presse écrite,la<br />

publicité semble être un outil politique entre les<br />

mains des annonceurs, notamment les plus gros.»<br />

Ce n’est pas spécifique au Maroc, d’autant<br />

plus que les investissements sont encore<br />

trop faibles par rapport à la population»,<br />

explique-t-il.<br />

Avec une dépense de près de 0,6%<br />

du PIB et 190 dirhams/personne/an,<br />

l’investissement publicitaire est, pour<br />

plusieurs acteurs, encore inférieur au<br />

potentiel économique du pays. E|E<br />

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