Entreprises Miloud Chaâbi aura été le démenti vivant d’un système de reproduction des élites qui, aujourd’hui encore, paralyse les velléités d’ascension sociale du marocain moyen. 40 EconomieEntreprises Mai 2016
Entreprises <strong>MILOUD</strong> CHAÂBI L’INDOMPTABLE Parti de rien, Miloud Chaâbi se hisse aux cimes de la réussite économique et devient un des industriels les plus puissants et les plus fortunés du royaume. Mais l’ascension de ce «roturier» au propos trop libre n’a jamais été du goût du Makhzen, qui lui a tourné le dos jusqu’à la fin de ses jours. Réda Dalil Au cimetière Achouhada de Rabat, les mines sont éplorées, une procession gigantesque accompagne la dépouille d’un des derniers géants du capitalisme traditionnel vers son éternelle demeure. De nombreux dignitaires du pays, dont le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, sont présents pour rendre un ultime hommage à L’haj. C’est le samedi 16 avril que la nouvelle tombe. Miloud Châabi, troisième fortune marocaine, PDG du groupe Ynna Holding, s’éteint dans une clinique allemande, foudroyé par un arrêt cardiaque. La santé du magnat s’était progressivement détériorée pendant les quelques semaines qui ont précédé son décès. Admis à l’hôpital militaire de Rabat, il sera transféré vers une clinique privée de la capitale, puis une autre avant d’être transporté d’urgence au centre hospitaliser de Hambourg-Eppendorf et placé en soins intensifs. Las, son cœur lâche. Miloud Châabi, par un raccourci spécieux, cher aux médias, en est venu, ces dernières années, à symboliser le lucre, la richesse illimitée mais avec une dose de simplicité qui séduit. Souvent cité par le classement Forbes des plus grands fortunes mondiales, sa dégaine d’homme rugueux, son visage au cuir tanné et ses yeux remplis d’une malice goguenarde, font la une des journaux en compagnie d’Othman Benjelloun, son alter égo dans le monde des affaires, et, plus récemment, d’Aziz Akhannouch, plus précoce mais tout aussi doué en business. Or, les stéréotypes qui collaient à la peau du défunt, dissimulent un roman marocain des plus atypiques. La légende du berger Rien ne prédestinait Miloud Châabi à réaliser la percée miraculeuse qui fut la sienne. Né en <strong>192</strong>9, dans un douar de la région de Chiadma près d’Essaouira, il est fils de berger. Or, le destin, facétieux, réserve à ce jeune meneur de bovins, une trajectoire hors du commun. L’anecdote a fait date, mais elle renseigne sur les voies impénétrables du hasard: à douze ans, Miloud a pour mission de veiller sur un troupeau de brebis constituant l’unique moyen de subsistance d’une famille qui se débat dans une indigence Steinbeckienne. L’apprenti berger cède à un coup de fatigue et s’assoupit en poste. A son réveil, on lui apprend qu’un loup a dévoré l’une des brebis dont il avait la garde. Tétanisé par la perspective d’un châtiment paternel, il fuit le village et se retrouve livré à lui-même. De petit boulot en petit boulot, il écume les souks de l’arrière-pays et décide qu’une vie d’errance ne lui sied pas. Alors, il se spécialise en maçonnerie et très vite, réflexe inouï pour un jeune campagnard sans ressources, démarre une entreprise de construction avec deux ouvriers comme seuls salariés. De fil en aiguille, la minuscule entreprise de L’haj prend du volume tant est si bien qu’au milieu des années 50, elle se mue en entreprise de promotion immobilière, produisant des logements bon marché pour une classe moyenne naissante, à 5.000 dirhams l’unité. A cette époque, la résistance aux forces du protectorat s’organise. Derrière ses bons airs d’entrepreneur en herbe se cache un nationaliste engagé, un soldat de premier ordre. Miloud Chaâbi rejoint l’Istiqlal et participe à des réunions secrètes visant à repousser le joug du colon. C’est là qu’il se lie d’amitié avec Allal El Fassi, qui, bien plus tard, sollicitera son soutien financier pour le parti. Mohammed V revenu d’exil et l’indépendance obtenue, Miloud Chaâbi, se frotte les mains. Tout le pays est à construire, son positionnement dans le BTP va bientôt faire mouche. Il lorgne, comme nombre de magnats de l’époque, notamment Fassis, les joyaux industriels et fonciers abandonnés par les Français. Son objectif, profiter de la marocanisation pour jeter son dévolu sur Dimatit, une fabrique de tuyauterie tombée dans l’escarcelle de l’Etat. Or, son profil gêne. Tête brulée, gouailleur, allergique au politiquement correct, on lui prête une boulimie effrénée qui déplaît fortement en haut lieu. Il est étiqueté «électron libre» et doit composer avec la censure du pouvoir. Blacklisté Le général Oufkir fait opposition à son troisième mandat à la tête de la fédération nationale des promoteurs immobiliers et ira même jusqu’à radier ses enfants de l’école publique. Empêché de prendre le contrôle de Dimattit, son sang ne fait qu’un tour. Ce pays qui lui préfère des héritiers de bonne famille, manieurs précieux de la langue française et piliers des salons huppés de Casablanca et Rabat, il le quittera Il est étiqueté «électron libre» et doit composer avec la censure du pouvoir 41 EconomieEntreprises Mai 2016