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MILOUD CHAÂBI L’INDOMPTABLEEE n 192

Avec le décès de Miloud Chaâbi, c’est un long chapitre de l’histoire du capitalisme national qui se tourne. EE a voulu rendre hommage à ce chef d’entreprise exceptionnel qui, sauvé d’une vie d’anonymat par un coup du sort, aura, par la force d’une audace surhumaine, su se hisser au firmament du monde des affaires, dominé par les grandes familles fassies, symboles d’une aristocratie de sang. Chaâbi aura été le démenti vivant d’un système de reproduction des élites qui, aujourd’hui encore, paralyse les velléités de promotion sociale du marocain moyen. Mais l’ascension de ce «roturier» n’a jamais été du goût du Makhzen, qui lui a tourné le dos jusqu’à la fin de ses jours. EE révèle qu’au crépuscule de sa vie, Chaâbi a tendu la main au Palais, par le biais d’un courrier…resté lettre morte.

Avec le décès de Miloud Chaâbi, c’est un long chapitre de l’histoire du capitalisme national qui se tourne. EE a voulu rendre hommage à ce chef d’entreprise exceptionnel qui, sauvé d’une vie d’anonymat par un coup du sort, aura, par la force d’une audace surhumaine, su se hisser au firmament du monde des affaires, dominé par les grandes familles fassies, symboles d’une aristocratie de sang. Chaâbi aura été le démenti vivant d’un système de reproduction des élites qui, aujourd’hui encore, paralyse les velléités de promotion sociale du marocain moyen. Mais l’ascension de ce «roturier» n’a jamais été du goût du Makhzen, qui lui a tourné le dos jusqu’à la fin de ses jours. EE révèle qu’au crépuscule de sa vie, Chaâbi a tendu la main au Palais, par le biais d’un courrier…resté lettre morte.

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Entreprises<br />

Miloud Chaâbi aura été le démenti vivant d’un système de reproduction des élites qui, aujourd’hui encore,<br />

paralyse les velléités d’ascension sociale du marocain moyen.<br />

40 EconomieEntreprises Mai 2016


Entreprises<br />

<strong>MILOUD</strong> CHAÂBI<br />

L’INDOMPTABLE<br />

Parti de rien, Miloud Chaâbi se hisse aux cimes de la<br />

réussite économique et devient un des industriels<br />

les plus puissants et les plus fortunés du royaume.<br />

Mais l’ascension de ce «roturier» au propos trop<br />

libre n’a jamais été du goût du Makhzen, qui lui a<br />

tourné le dos jusqu’à la fin de ses jours.<br />

Réda Dalil<br />

Au cimetière Achouhada de Rabat,<br />

les mines sont éplorées, une procession<br />

gigantesque accompagne la dépouille<br />

d’un des derniers géants du capitalisme<br />

traditionnel vers son éternelle demeure.<br />

De nombreux dignitaires du pays, dont<br />

le chef du gouvernement Abdelilah<br />

Benkirane, sont présents pour rendre<br />

un ultime hommage à L’haj. C’est le<br />

samedi 16 avril que la nouvelle tombe.<br />

Miloud Châabi, troisième fortune marocaine,<br />

PDG du groupe Ynna Holding,<br />

s’éteint dans une clinique allemande,<br />

foudroyé par un arrêt cardiaque. La<br />

santé du magnat s’était progressivement<br />

détériorée pendant les quelques<br />

semaines qui ont précédé son décès.<br />

Admis à l’hôpital militaire de Rabat, il<br />

sera transféré vers une clinique privée<br />

de la capitale, puis une autre avant<br />

d’être transporté d’urgence au centre<br />

hospitaliser de Hambourg-Eppendorf et<br />

placé en soins intensifs. Las, son cœur<br />

lâche. Miloud Châabi, par un raccourci<br />

spécieux, cher aux médias, en est<br />

venu, ces dernières années, à symboliser<br />

le lucre, la richesse illimitée mais<br />

avec une dose de simplicité qui séduit.<br />

Souvent cité par le classement Forbes<br />

des plus grands fortunes mondiales,<br />

sa dégaine d’homme rugueux, son<br />

visage au cuir tanné et ses yeux remplis<br />

d’une malice goguenarde, font la une<br />

des journaux en compagnie d’Othman<br />

Benjelloun, son alter égo dans le<br />

monde des affaires, et, plus récemment,<br />

d’Aziz Akhannouch, plus précoce mais<br />

tout aussi doué en business. Or, les<br />

stéréotypes qui collaient à la peau du<br />

défunt, dissimulent un roman marocain<br />

des plus atypiques.<br />

La légende du berger<br />

Rien ne prédestinait Miloud Châabi à<br />

réaliser la percée miraculeuse qui fut la<br />

sienne. Né en <strong>192</strong>9, dans un douar de<br />

la région de Chiadma près d’Essaouira,<br />

il est fils de berger. Or, le destin,<br />

facétieux, réserve à ce jeune meneur de<br />

bovins, une trajectoire hors du commun.<br />

L’anecdote a fait date, mais elle<br />

renseigne sur les voies impénétrables<br />

du hasard: à douze ans, Miloud a pour<br />

mission de veiller sur un troupeau de<br />

brebis constituant l’unique moyen de<br />

subsistance d’une famille qui se débat<br />

dans une indigence Steinbeckienne.<br />

L’apprenti berger cède à un coup de<br />

fatigue et s’assoupit en poste. A son<br />

réveil, on lui apprend qu’un loup a<br />

dévoré l’une des brebis dont il avait la<br />

garde. Tétanisé par la perspective d’un<br />

châtiment paternel, il fuit le village<br />

et se retrouve livré à lui-même. De<br />

petit boulot en petit boulot, il écume<br />

les souks de l’arrière-pays et décide<br />

qu’une vie d’errance ne lui sied pas.<br />

Alors, il se spécialise en maçonnerie et<br />

très vite, réflexe inouï pour un jeune<br />

campagnard sans ressources, démarre<br />

une entreprise de construction avec<br />

deux ouvriers comme seuls salariés. De<br />

fil en aiguille, la minuscule entreprise<br />

de L’haj prend du volume tant est si<br />

bien qu’au milieu des années 50, elle<br />

se mue en entreprise de promotion<br />

immobilière, produisant des logements<br />

bon marché pour une classe moyenne<br />

naissante, à 5.000 dirhams l’unité. A<br />

cette époque, la résistance aux forces<br />

du protectorat s’organise. Derrière ses<br />

bons airs d’entrepreneur en herbe se<br />

cache un nationaliste engagé, un soldat<br />

de premier ordre. Miloud Chaâbi rejoint<br />

l’Istiqlal et participe à des réunions<br />

secrètes visant à repousser le joug<br />

du colon. C’est là qu’il se lie d’amitié<br />

avec Allal El Fassi, qui, bien plus tard,<br />

sollicitera son soutien financier pour<br />

le parti. Mohammed V revenu d’exil<br />

et l’indépendance obtenue, Miloud<br />

Chaâbi, se frotte les mains. Tout le pays<br />

est à construire, son positionnement<br />

dans le BTP va bientôt faire mouche. Il<br />

lorgne, comme nombre de magnats de<br />

l’époque, notamment Fassis, les joyaux<br />

industriels et fonciers abandonnés par<br />

les Français. Son objectif, profiter de la<br />

marocanisation pour jeter son dévolu<br />

sur Dimatit, une fabrique de tuyauterie<br />

tombée dans l’escarcelle de l’Etat. Or,<br />

son profil gêne. Tête brulée, gouailleur,<br />

allergique au politiquement correct,<br />

on lui prête une boulimie effrénée qui<br />

déplaît fortement en haut lieu. Il est étiqueté<br />

«électron libre» et doit composer<br />

avec la censure du pouvoir.<br />

Blacklisté<br />

Le général Oufkir fait opposition à<br />

son troisième mandat à la tête de la<br />

fédération nationale des promoteurs<br />

immobiliers et ira même jusqu’à radier<br />

ses enfants de l’école publique. Empêché<br />

de prendre le contrôle de Dimattit,<br />

son sang ne fait qu’un tour. Ce pays<br />

qui lui préfère des héritiers de bonne<br />

famille, manieurs précieux de la langue<br />

française et piliers des salons huppés<br />

de Casablanca et Rabat, il le quittera<br />

Il est étiqueté «électron libre»<br />

et doit composer avec la<br />

censure du pouvoir<br />

41 EconomieEntreprises Mai 2016


Entreprises<br />

sans regret. C’est là que le véritable<br />

mythe Chaâbi entame son esquisse. Les<br />

spéculations abondent au sujet de sa<br />

parenthèse libyenne. Comment s’est-il<br />

imposé en quelques années comme un<br />

géant du BTP dans ce pays à l’économie<br />

placée en coupe gardée par le<br />

guide de la Révolution? Toujours est-il<br />

que le rouleau compresseur Chaâbi ne<br />

s’arrête pas en si bon chemin. De la<br />

Lybie, il étend ses activités dans tout le<br />

monde arabe, créant une filiale jordanienne<br />

et une autre aux Emirats arabesunis.<br />

En Tunisie, il rachète Mawassir,<br />

une usine de tuyaux en ciments et<br />

prend le contrôle d’Idéal Gomm Industrie,<br />

fabricant de plastique et de caoutchouc.<br />

Son expansion continentale lui<br />

vaudra bien plus tard le Grand Prix du<br />

conseil des ministres arabes de l’Habitat<br />

et de l’Urbanisme. Fort de ses réussites<br />

dans la région MENA, L’haj retourne au<br />

bercail auréolé d’une vista de winner.<br />

Mais bute derechef contre la volonté<br />

de l’Etat de freiner son appétit. Cette<br />

fois-ci, c’est à Driss Basri qu’incombe<br />

la tâche d’entraver le déploiement de<br />

Chaâbi. Le puissantissime ministre de<br />

l’Intérieur aura la main lourde vis-à-vis<br />

du groupe Chaâbi durant la campagne<br />

d’assainissement de 1996. Or, malgré<br />

les écueils, l’homme d’affaires continue<br />

à tisser sa toile. Bien qu’obsédé par la<br />

diversification de son portefeuille d’activités,<br />

il opère au milieu des années<br />

90 une profonde restructuration de son<br />

groupe en recentrant ses métiers. Il<br />

décide aussi de s’investir dans des créneaux<br />

d’avenir, comme le tourisme et la<br />

grande distribution. En 1993, il parvient<br />

à prendre le contrôle de la SNEP qui<br />

deviendra le vaisseau amiral de son<br />

conglomérat tentaculaire.<br />

Curieux de politique non comme une<br />

passion viscérale mais plutôt comme un<br />

catalyseur d’influence, Chaâbi transhumera<br />

allègrement de parti en parti, et<br />

jonglera entre les idéologies à souhait.<br />

D’abord membre de l’Istiqlal, dont il<br />

tire sa fibre patriotique, il se fera élire<br />

député en 1983, sous les couleurs du<br />

PPS, flirtera avec l’UC avant de frayer<br />

avec les islamistes du PJD. A l’image de<br />

sa personnalité, sa carrière politique est<br />

jalonnée de coups d’éclat. Pas homme<br />

à se laisser marcher sur les pieds, il<br />

rend coup pour coup et ose poursuivre<br />

l’ex-ministre de la Privatisation, Abder-<br />

Malgré une allégeance<br />

sincère au nouveau règne,<br />

Chaâbi demeure ambivalent<br />

sur le plan politique<br />

rahmane Saaidi devant la Cour suprême<br />

pour avoir cédé le Hyatt Regency de<br />

Casablanca dans des conditions peu<br />

transparentes. Revanchard, il reproche<br />

aux organes médiatiques du PI de<br />

vouloir le salir afin de lui faire payer<br />

sa défection et adresse une missive<br />

au vitriol à Abbas El Fassi où il invite<br />

vivement ce dernier à tenir ses affidés<br />

en laisse: «Je me suis contenté de lui<br />

rappeler que le sang qui leur circule<br />

dans les veines provient de la nourriture<br />

de Miloud Chaâbi», dira-t-il.<br />

Une expansion vertigineuse<br />

L’haj est certes un Self made man<br />

doué d’un redoutable instinct pour les<br />

affaires, mais c’est surtout un monstre<br />

de volonté. «Lorsqu’il a décidé de faire<br />

ou de dire quelque chose, rares sont<br />

ceux qui peuvent l’en dissuader», confie<br />

un proche. Les Egyptiens se rappelleront<br />

longtemps du tsunami Chaâbi.<br />

Débarqué en 1996 sur la terre des<br />

pharaons, en l’espace de huit mois,<br />

il absorbe une dizaine de sociétés<br />

immobilières et se retrouve dans le<br />

tour de table d’un des plus grands<br />

projets immobiliers d’Egypte, «Madinate<br />

Nasr», dont il possède 10% du capital.<br />

En bourse, il réalise une plus-value de<br />

830 millions de dirhams avec une mise<br />

de base de 1,4 milliard de dirhams<br />

en fonds propre. Sa fringale, inhabituelle<br />

pour le milieu d’affaires cairote,<br />

provoque l’ire de l’establishment et<br />

pousse le Président de l’époque Hosni<br />

Moubarak à revoir la réglementation en<br />

vigueur en matière de fusion, d’absorption<br />

et de cession d’entreprises. On ne<br />

sait plus quoi penser de ce Tycoon marocain.<br />

La presse égyptienne, déboussolée<br />

par tant d’audace, l’encense un jour<br />

pour le lyncher le lendemain. Galvanisé<br />

par son élan, il rentre au Maroc et,<br />

contre vents et marrées réussit à lever<br />

le boycott latent dont il faisait l’objet.<br />

Mais, c’est à partir de l’avènement au<br />

trône de Mohammed VI, que L’haj<br />

redevient fréquentable. Ses affaires, au<br />

Maroc sont en plein essor. Ynna Holding<br />

emploie 22.000 salariés; compte<br />

43 filiales et réalise un chiffre d’affaires<br />

avoisinant les 10 milliards de dirhams.<br />

Chaâbi Lil Iskane caracole en tête des<br />

grands promoteurs du pays, Aswak<br />

Assalam comme la première chaîne de<br />

grande distribution à avoir osé tenir<br />

tête à Marjane. La filière hôtellerie Ryad<br />

Mogador, où l’alcool est strictement<br />

prohibé, séduit une clientèle très à<br />

cheval sur la moralité religieuse. Par ce<br />

choix, Miloud Chaabi confirme qu’il est<br />

un investisseur fidèle à ses principes et<br />

proche de sa base.<br />

Son manque de conformisme semble<br />

séduire en haut lieu. En 2005, il est<br />

décoré d’un Wissam des mains du Roi<br />

Mohammed VI, qui ne voit pas d’un<br />

mauvais œil les ambitions débordantes<br />

du vieux briscard. D’autant que Chaâbi<br />

a toujours calé sa feuille de route<br />

sur celle du Palais et du pays. Ainsi,<br />

emboîtant le pas au Souverain dans<br />

sa stratégie de développement de la<br />

région nord, il investit 5 milliards de<br />

dirhams dans des projets touristiques et<br />

immobiliers à Tanger. Idem à Lâayoune<br />

où son groupe investit 3 milliards de<br />

dirhams dans la zone touristique Foum<br />

Al Oued pour la construction de 10.000<br />

logements, de 3 hôtels et d’un centre<br />

commercial Asswak Assalam.<br />

Le Makhzen a la rancune tenace<br />

Malgré une allégeance sincère au<br />

nouveau règne et une confiance totale<br />

en ses chantiers structurants, Chaâbi<br />

demeure ambivalent sur le plan politique.<br />

C’est une interview accordée à<br />

l’hebdomadaire Le Journal en 2007 qui<br />

va mettre le feu aux poudres. Miloud<br />

Chaâbi y exhorte vivement l’ONA à<br />

se retirer des affaires et, partant de<br />

cesser de faire concurrence à des<br />

acteurs nationaux. Bien que l’avenir,<br />

ironiquement, donnera raison au vieux<br />

patriarche eu égard à la politique de<br />

désengagement de la SNI, au moment<br />

des faits, les foudres de l’establishment<br />

s’abattent sur l’homme d’affaires Soussi.<br />

Grillé, marginalisé, ses affaires pâtiront<br />

lourdement de ses déclarations. On lui<br />

conseille de se dédire, d’arguer que<br />

le journaliste auteur de l’entretien a<br />

mal relaté ses propos. Que nenni, l’haj<br />

campe sur ses positions. Tentant de<br />

42 EconomieEntreprises Mai 2016


Entreprises<br />

Il était de tradition chez les Chaâbi de poser pour une photo de famille annuelle. Economie & Entreprises a pu se procurer ce portrait dans<br />

lequel l’haj apparaît fier et serein, entouré d’une progéniture qui aura à assumer le legs du père.<br />

jouer le monsieur bons offices, Driss<br />

Jettou lui suggère d’adresser une lettre<br />

de contrition au Palais. Chaâbi, tout en<br />

rappelant son attachement indéfectible<br />

à la Monarchie, décline la proposition<br />

de l’ex-Premier ministre technocrate.<br />

Alors qu’un dégel s’installait progressivement<br />

entre Chaâbi et le Makhzen,<br />

cette sortie remet les compteurs de la<br />

défiance à zéro. Quelques mois plus<br />

tard, c’est un autre coup qu’il prendra<br />

mais par ricochet, cette fois-ci. Le<br />

président d’Attijariwafa bank, Khalid<br />

Oudghiri est limogé de son poste<br />

pour avoir accordé trop de facilités<br />

à l’homme d’affaires souiri. En 2011,<br />

Créer de la valeur pour<br />

le Maroc était devenu sa<br />

véritable drogue. Il l’aura<br />

consommée jusqu’au bout de<br />

ses 87 printemps.<br />

on le verra défilant auprès des jeunes<br />

du 20 février. En outre, ses affinités<br />

intellectuelles doublées de relations<br />

cordiales avec Moulay Hicham sont de<br />

notoriété publique. Fin mars 2011, lors<br />

d’une conférence organisée à Casablanca,<br />

et alors que le régime de Benali<br />

en Tunisie s’effondre, L’haj lâche<br />

un scud: «Au Maroc, nous avons aussi<br />

nos Trabelsi». L’allusion à peine voilée<br />

à Anas Sefrioui, auquel il reproche<br />

régulièrement son accès préférentiel<br />

au foncier de l’Etat et les facilités<br />

administratives dont il bénéficie, fait<br />

scandale. Encore une fois, Chaâbi joue<br />

la partition du milliardaire rebelle à<br />

la perfection. Ce franc-parler qui le<br />

caractérise suscite, in petto, l’admiration<br />

de nombre d’hommes d’affaires,<br />

contraints de se taire pour éviter de<br />

compromettre leur business. Karim<br />

Tazi, patron de Richbond, dit de Chaâbi<br />

qu’il fût le seul à ne pas se coiffer<br />

de «la kippa du Juif» devant le pouvoir.<br />

Si la plupart des grandes fortunes<br />

nationales ne reculent devant aucune<br />

génuflexion pour être bien en cour, lui<br />

critiquait publiquement l’expansionnisme<br />

financier de l’ONA. Courageux<br />

pour certains, téméraire pour d’autres,<br />

L’haj a payé le prix de son verbe haut.<br />

Ces dernières années, il aura beau<br />

multiplier les gestes et les déclarations<br />

de bonne foi envers le Makhzen, rien<br />

n’y fait. Le petit berger de Chaaba ne<br />

réussira jamais à se hisser au rang de<br />

ses pairs fassis<br />

Le crépuscule d’une icône<br />

Depuis son retrait partiel du leadership<br />

d’Ynna, l’empire qu’il aura<br />

bâti de haute lutte connaîtra son lot de<br />

déconvenues. La SNEP tombe sous le<br />

coup d’une saisie conservatoire suite<br />

à un litige commercial le mettant en<br />

prise avec un cabinet de consulting<br />

Fives FCB. Le titre de son bien le plus<br />

liquide est aussitôt suspendu de la cote<br />

par le gendarme des marchés. Miloud<br />

Châabi est condamné à régler 150<br />

millions de dirhams à Fives FCB mais<br />

parviendra in extremis à geler la vente<br />

aux enchères des actions de la SNEP<br />

en se pourvoyant en cassation. C’est<br />

43 EconomieEntreprises Mai 2016


Entreprises<br />

Avec la mort de Chaâbi, c’est<br />

une idée égalitaire de la<br />

réussite qui disparaît<br />

alors que les avocats de Fives décident<br />

de vendre le «bébé» de L’haj, Asswak<br />

Assalam, aux enchères afin de récupérer<br />

le montant du litige. Seulement,<br />

des rumeurs de redressement fiscal<br />

découragent les acheteurs potentiels,<br />

et seules 40.000 actions seront cédées<br />

pour une transaction de 2,92 millions<br />

de dirhams, soit 1% du capital<br />

du supermarché. Le répit n’est que<br />

de courte durée car, quelques mois<br />

plus tard, patatras, une autre affaire<br />

du même, acabit éclate. Ynna Steel,<br />

filiale du groupe, est condamnée par<br />

la Cour d’arbitrage de Genève à payer<br />

la somme de 26 millions de dirhams<br />

à Bascotecnia, entreprise espagnole<br />

sollicitée en 2006 pour la construction<br />

et l’équipement d’une unité de laminage<br />

à froid servant à la production de<br />

bobines d’acier. Encore une fois, l’haj<br />

fait le dos rond mais ces deux crises<br />

qui s’enchaînent laissent des traces<br />

indélébiles sur le patriarche et le profil<br />

de son empire. D’autant qu’on dit son<br />

groupe très endetté.<br />

Ci-gît le rêve marocain<br />

Self made man forgé par la dureté<br />

d’une jeunesse démunie, on lui<br />

reproche d’être un patron très impliqué<br />

et très peu enclin à la délégation.<br />

Certes, ses sept enfants sont très<br />

impliqués dans la gestion du groupe,<br />

l’haj ayant confié à chacun d’eux la<br />

responsabilité de la conduite d’un pôle<br />

d’activité, mais ses reflexes enracinés<br />

de patron omniprésent ne donnent<br />

aucun signe d’épuisement.<br />

Sauvé d’une vie d’anonymat par<br />

un coup du sort, il aura, par la force<br />

d’une audace surhumaine, su se hisser<br />

au firmament du capitalisme marocain,<br />

dominé par les grandes familles<br />

fassies, symboles d’une aristocratie<br />

de sang. Il aura été le démenti vivant<br />

d’un système de reproduction des<br />

élites qui, aujourd’hui encore, paralyse<br />

les velléités d’ascension sociale du<br />

Marocain moyen. Et c’est peut-être de<br />

là d’où vient sa forte notoriété. Combien<br />

de Miloud Chaâbi sont nés dans<br />

son sillage, combien de Marocains de<br />

condition modeste ont percé en l’absence<br />

d’un relationnel influent ou d’un<br />

coup de pouce familial? Si peu. Avec<br />

la disparition de Chaâbi, c’est une idée<br />

égalitaire de la réussite qui disparaît.<br />

Peu avant sa mort, l’haj décide de se<br />

retrancher de la scène médiatique, ne<br />

quitte plus sa villa du quartier Souissi,<br />

mais continue à appeler ses collaborateurs<br />

à des heures impossibles pour<br />

vérifier un détail, arrondir un ongle,<br />

exiger une explication, partager une<br />

idée d’expansion.<br />

Créer de la valeur pour le Maroc,<br />

sublimer son pays vaille que vaille,<br />

était devenue une véritable drogue. Il<br />

l’aura consommée jusqu’au bout de ses<br />

88 printemps.<br />

Quelques jours avant son décès,<br />

l’haj insiste pour rétablir un canal de<br />

communication avec la Monarchie en<br />

réaffirmant son allégeance au Trône<br />

Alaouite mettant ainsi fin à des décennies<br />

d’incompréhension. C’est là chose<br />

faite.<br />

Bien qu’ayant été marginalisé toute<br />

sa vie durant, il aura, à sa manière,<br />

oeuvré à servir son pays et son Roi.<br />

Envers et contre tous. Adieu Si l’haj.<br />

Adieu l’indomptable.<br />

rdalil@sp.ma<br />

La Fondation Miloud Chaâbi,<br />

sa véritable passion<br />

La réussite éclatante de Miloud Chaâbi dans<br />

les affaires a quelque peu calfeutré sa fibre sociale.<br />

Rarement évoquées dans les médias, les<br />

activités de bienfaisance que mène sa Fondation<br />

brillent à la fois par leur générosité et leur<br />

diversité. Créée en 1965, la Fondation a soufflé<br />

cette année sa 51 ème bougies. L’haj y consacrait<br />

une bonne partie de son temps. Son projet de<br />

base: aider des jeunes issus de milieux populaires<br />

à s’insérer professionnellement, les accompagner<br />

durant leur parcours académique<br />

en mettant, notamment à leur disposition des<br />

campus universitaires ultra-équipés, moyennant<br />

un loyer modique. L’année dernière, la<br />

résidence de Kenitra a fêté sa dixième année.<br />

Celle-ci héberge plus de 2.000 étudiants et organise<br />

des activités sportives, culturelles et sociales,<br />

mais également des actions caritatives<br />

pour des enfants sans abris et des malades<br />

démunis de l’hôpital Idrissi. Occupant une superficie<br />

de 5 hectares, la résidence bénéficiera<br />

de travaux d’extension à l’issue desquels une<br />

bibliothèque et une salle de sport couverte<br />

verront le jour. Feu Miloud Chaâbi consacrait<br />

10% de sa fortune à ses activités caritatives. Il<br />

lui tenait particulièrement à cœur de participer<br />

à l’amélioration des conditions de vie des<br />

chômeurs ainsi qu’à l’assistance médicale des<br />

nécessiteux. La fondation Chaâbi a également<br />

financé la construction de la cité universitaire<br />

Souss Al Alima d’Agadir, d’une capacité d’accueil<br />

de 1.200 lits, de salles de télévision, de<br />

salle de sport et d’une bibliothèque. Une troisième<br />

résidence estudiantine, située à Tanger,<br />

comprend plus de 3.000 lits. Avec ses 2.000<br />

employés et sous la direction énergique et déterminée<br />

d’Asmaa (photo), fille du patriarche,<br />

la fondation Miloud Chaâbi sert, bien souvent,<br />

de substitut à l’Etat dans bien des domaines.<br />

44 EconomieEntreprises Mai 2016

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