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Ma Transcontinental, Mon Odyssée

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<strong>Ma</strong> <strong>Transcontinental</strong>, <strong>Mon</strong> <strong>Odyssée</strong>.<br />

J’ai donc participé pour la 2ème année consécutive à la course de vélo sur route la plus extrême<br />

au monde, la <strong>Transcontinental</strong> Race. Une épreuve qui consiste à traverser l’Europe à vélo, sans<br />

assistance et sans parcours imposé. Une ligne de départ, une arrivée et quelques points de<br />

passage obligatoires. En dehors de ces contraintes, la route est libre, nous pouvons emprunter<br />

les chemins qui nous bottent et rouler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, le but étant<br />

d’arriver le plus vite possible.<br />

Voici le règlement de la course qui tient en seulement 10 articles:<br />

1. Les coureurs doivent rouler du point de départ jusqu’à l’arrivée en passant par les points de<br />

contrôle obligatoires.<br />

2. Toute assistance est interdite. Toute alimentation, toute boisson et tout équipement doivent être<br />

portés par le coureur ou acquis en cours de route par lui-même<br />

3. Le « drafting » est interdit.<br />

4. Tout déplacement doit se faire à force humaine.<br />

5. Les Ferries peuvent être autorisés mais soumis à l’approbation du Directeur de Course.<br />

6. Les coureurs sont responsables du maintien des mises à jour de leur position.<br />

7. 2 jours d’inactivité sans contact seront considérés comme un abandon.<br />

8. Pas de casque, pas d’assurance, pas de course.<br />

9. Il est de la responsabilité du coureur de connaître et de respecter les lois locales.<br />

10. Les coureurs doivent agir dans l’esprit de l’autosuffisance et de l’égalité des chances pour tous<br />

les coureurs.


Tout juste remis de la 3ème édition, la 4ème<br />

s’annonçait déjà fort alléchante quand<br />

en octobre 2015 Mike Hall, l’organisateur<br />

et fondateur de la course, nous dévoilait<br />

le parcours en nous annonçant le départ<br />

de Grammont en Belgique, l’arrivée à<br />

Canakkale en Turquie et les 4 check points<br />

(Puy-de-Dôme en France, Furka Pass en<br />

Suisse, Passo Giau en Italie et Zabljak au<br />

<strong>Mon</strong>tenegro). Un parcours qui nous obligeait<br />

à traverser les Alpes d’Ouest en Est et<br />

une virée dans le massif du Durmitor au<br />

<strong>Mon</strong>ténégro. C’est donc une édition spéciale<br />

“grimpeur” qu’il nous a concocté. J’étais un<br />

peu dubitatif : comment moi, le parigot, avec<br />

ma butte <strong>Mon</strong>tmartre, le Vexin et la vallée<br />

de Chevreuse allai-je pouvoir m’entraîner<br />

sérieusement ?<br />

Au bas mot on pouvait compter plus de 40<br />

000 mètres de dénivelé et au moins 3 800<br />

kilomètres à parcourir. Je suis donc parti<br />

cet hiver et au printemps faire quelques<br />

petits voyages à Tenerife et dans les Alpes.<br />

Je remercie de tout coeur mes amis Willy<br />

Huvey et Nico Droz, grâce à eux ces petites<br />

escapades ont été possibles.<br />

Ces expéditions en montagne et ces<br />

dernières années sur le vélo m’ont permis<br />

d’acquérir une bonne condition physique.<br />

Fin juillet, je suis donc calibré pour la TCR.<br />

<strong>Ma</strong>lheureusement, comme j’aime à dire, la<br />

<strong>Transcontinental</strong> Race ne se conquiert pas<br />

grâce à ses qualités physiques, ce n’est<br />

qu’une petite partie. Il faut aussi un mental<br />

d’acier, un bon sens de l’orientation, une<br />

préparation hors pair d’un point de vue<br />

technique et matériel et surtout un gros travail<br />

de recherche sur le parcours.<br />

Or même si l’on respecte à la lettre toutes ces<br />

préconisations, le succès n’est pas garanti.<br />

C’est une aventure et personne n’est à l’abri<br />

d’un accident, d’une maladie, d’un souci<br />

technique etc… La malchance a cette faculté<br />

de s’inviter à n’importe quel moment de<br />

l’expédition et elle en a tout le temps pendant<br />

ces 2 semaines.<br />

Suite à une rencontre bouleversante de<br />

cet hiver, j’ai voulu apporter une dimension<br />

caritative à mon exploit. En effet, j’ai participé<br />

à “Glisse en Coeur”, une manifestation dont<br />

le concept est de skier 24 heures non-stop<br />

au profit d’une association, en l’occurrence :<br />

“Après la Pluie”, qui a pour objectif d’améliorer<br />

la vie quotidienne des enfants hospitalisés. Je<br />

me questionnais longuement sur comment,<br />

à mon échelle, je pourrais apporter ma<br />

contribution à ces enfants atteints de cancer.<br />

Un “auto-brain-storming” plus tard, je les<br />

contactais pour leur proposer une idée : celle<br />

de les associer à ma <strong>Transcontinental</strong> Race<br />

en organisant une sorte de « crowdfunding »<br />

dont le principe est une course au kilomètre<br />

1€ = 1 km avec pour objectif, de récolter<br />

4 000 euros correspondant aux kilomètres<br />

que je vais parcourir pendant la course. Une<br />

proposition que Cathy Darietto, fondatrice de<br />

l’association, acceptait illico. Toute l’équipe<br />

a géré d’une main de maître les questions<br />

organisationnelles et techniques. Je n’avais<br />

plus qu’à …<br />

Comme c’est de tradition, le rendez-vous<br />

est donné pour l’inscription, je me postais à<br />

l’heure dite devant mon écran et remplissais le<br />

formulaire dans la minute qui suivait.<br />

Ayant l’honneur d’être considéré comme<br />

un “vétéran”, je recevais sans peine mon<br />

précieux sésame le jour de Noël. J’étudiais<br />

alors consciencieusement le cahier des<br />

charges de la course et potassais l’itinéraire<br />

jusqu’à la veille du départ. Un tracé qui, cette<br />

année, ne me posait pas trop de problèmes<br />

de conscience. <strong>Mon</strong> point de vue est toujours<br />

le même : voir du pays de la plus jolie<br />

façon possible en évitant les grands axes<br />

et les passages que j’ai déjà empruntés. Je<br />

traverserai donc 12 pays (Belgique, France,<br />

Suisse, Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie,<br />

<strong>Mon</strong>ténégro, Serbie, <strong>Ma</strong>cédoine, Grèce,<br />

Turquie).<br />

J’ai eu la chance cette année de préparer un<br />

nouveau vélo en titane. C’est une opportunité<br />

que je dois à la maison Cyclable qui m’a<br />

permis avec Genesis de m’offrir le vélo dont<br />

je rêvais : un Croix de Fer Titanium équipé<br />

d’un groupe Ultegra Di2. Je les remercie<br />

chaleureusement et j’en profite pour saluer<br />

tout particulièrement Julien, Laurent et<br />

Baptiste de Cyclable Paris 19ème pour leur<br />

gentillesse et leur professionnalisme, ils ont<br />

dû me supporter pendant toute la phase de<br />

préparation et le résultat est là, jamais mon<br />

vélo n’aura montré quelconque faiblesse<br />

(même pas une crevaison...) et il m’aura<br />

apporté un confort que je ne pouvais imaginer<br />

auparavant. J’ai comme l’impression de rouler<br />

avec des pneus dégonflés qui absorbent les<br />

aspérités de la route tout en ayant la rigidité<br />

et la nervosité de l’acier. Au niveau auquel<br />

je pratique le vélo, je vais tout de même<br />

tempérer le terme “confort” par “souffrance<br />

moindre” (clin d’oeil).<br />

En dehors des considérations techniques,<br />

j’ai un vélo élégant et j’ai pu aussi trouver<br />

avec Rapha, un accoutrement vestimentaire<br />

suffisamment sobre et classieux. C’est un<br />

exercice difficile que d’avoir un petit peu de<br />

cachet sur un vélocipède et le pari est réussi.<br />

Un grand merci à Franziska qui m’a soutenu<br />

dès le premier jour dans cette aventure.<br />

Comme certains le savent, je participe à cette<br />

course mais je ne “fais” pas la course. Je n’ai<br />

toujours pas l’esprit de compétition, ce qui<br />

m’intéresse c’est le défi personnel et surtout<br />

l’aventure. J’ai quand même obtenu, à mes<br />

dépens (je pense) au moins une distinction :<br />

celle de celui qui a fait le plus de dénivelé<br />

avec un total de 57 000 mètres alors qu’en<br />

moyenne les autres participants étaient aux<br />

alentours des 45 000.<br />

J’ai donc entrepris ce projet comme un défi<br />

personnel où j’étais libre de choisir ma route,<br />

de m’arrêter quand bon me semble, de<br />

dormir où je veux, de manger ce que je veux<br />

avec qui je veux, de faire, en quelque sorte,<br />

ce que je veux. Une liberté qui est essentielle<br />

dans ma conception du vélo. Cette course,<br />

c’est finalement un voyage supplémentaire<br />

avec des conditions particulières comme ce<br />

chronomètre qui théoriquement n’aurait pas<br />

dû laisser de place à l’oisiveté mais j’en ai<br />

quand même profité pour faire un peu de «<br />

tourisme », sans trop perdre de temps : c’est<br />

une course tout de même !


J’ai une fois de plus accompli cet<br />

extraordinaire exploit de traverser l’Europe à<br />

vélo en un temps record de 13 jours, 3 heures<br />

et 33 minutes en parcourant 3 800 kilomètres<br />

et 53 000 mètres de dénivelé soit près de 300<br />

kilomètres en moyenne par jour ; mais ca a<br />

été un des moments les plus difficiles, les plus<br />

douloureux de ma vie. La première semaine,<br />

j’ai vécu l’enfer au point où j’ai même oublié<br />

des pans entiers de journées, de véritables<br />

trous noirs. Il m’a fallu beaucoup de temps<br />

pour reconstituer des parties de mon périple.<br />

Comme ces deux nuits du 3ème et 4ème<br />

jour où je passais des heures à examiner<br />

mon tracé, à chercher des images et à me<br />

demander finalement “mais qu’est-ce que j’ai<br />

bien pu faire par là ?”. La douleur m’a peut<br />

être tellement accaparé que je n’ai rien vu et<br />

j’ai oublié de documenter toute cette première<br />

partie du voyage.<br />

Le fait d’avoir carburé aux anti-douleurs<br />

n’a peut être pas aidé. Cette épreuve me<br />

transporte déjà dans un état second, en<br />

y additionnant ce type de produit, j’étais<br />

catapulté en orbite. C’est un peu loin<br />

pour le terrien que je suis. <strong>Ma</strong> mémoire a<br />

certainement mis son veto.<br />

Ces sept premiers jours resteront à jamais<br />

gravés dans ma mémoire comme un<br />

supplice que je ne peux aujourd’hui et très<br />

certainement dans le futur, retranscrire que<br />

par quelques mots que je cherche encore<br />

et peu d’images. <strong>Mon</strong> récit consiste donc à<br />

raconter le fait que je ne me souviens pas de<br />

grand chose et que j’ai souffert le martyr. Sur<br />

la deuxième partie du voyage la douleur s’est<br />

estompée, j’ai donc un peu plus de matière<br />

et cela m’a permis d’apprécier à nouveau ce<br />

qu’était le voyage à vélo.<br />

Voici donc mon carnet de route illustré.


Jour 1<br />

Grammont (Belgique) - Bazoches (France)<br />

440 km<br />

Cette année le départ est donné à 22h et non<br />

à minuit comme les autres années. C’est une<br />

décision qui a été prise à l’issue d’un vote<br />

auquel je participais mais ne validais pas du<br />

tout l’idée. Un départ à minuit nous poussait<br />

déjà à rouler près de 24 heures. En partant à<br />

22 heures, c’est donc 2 heures de plus. Enfin,<br />

je bougonne mais ça ne m’a pas dérangé plus<br />

que ça. J’arrive comme une fleur à Reims sur<br />

les coups de 6h soit une moyenne de nuit à<br />

plus de 27 km/h. J’ai donc fait un début de<br />

parcours remarquable. Je crois savoir que<br />

je suis même dans les 20 premiers jusqu’à<br />

ce qu’en début d’après-midi une douleur au<br />

niveau de mon genou gauche se déclenche.<br />

Une douleur qui grandit, j’ai de plus en plus<br />

mal au point où dans l’heure qui suit je ne<br />

peux plus emmener un seul braquet, j’avais<br />

des décharges électriques d’une intensité<br />

folle à chaque coup de pédale. Impossible de<br />

continuer. Que se passe-t-il ?<br />

Je commence à paniquer à l’idée que c’est<br />

terminé pour moi, je ne peux plus pédaler, je<br />

ne peux plus marcher, je souffre, il va falloir<br />

abandonner.<br />

Je me rappelle de ce reportage que j’avais lu<br />

quelques semaines auparavant sur ce cycliste<br />

unijambiste à qui il manquait aussi un bout de<br />

bras, quel héros !<br />

Je dois bien être capable d’en faire autant,<br />

surtout que j’ai l’avantage d’avoir mes deux<br />

bras valides. Je m’y attèle, je suis sur mon<br />

vélo à pédaler comme ce type et je réussis<br />

à me traîner un peu plus loin mais je morfle<br />

quand même. L’arrivée dans la ville de Tonerre<br />

me fait l’effet d’une oasis où je trouve cet<br />

hôpital et son service d’urgence. Je suis<br />

sauvé. Je patiente près de 2 heures alors que<br />

la salle d’attente est plutôt vide, nous sommes<br />

deux. Le médecin me reçoit finalement, je lui<br />

raconte que je roule depuis 17 heures et il me<br />

répond aussi sec qu’il faut que je m’arrête et<br />

que, d’une façon générale, j’arrête de faire du<br />

vélo comme je le fais. Quelle déception...<br />

Je suis profondément contrarié mais je ne<br />

comprends pas comment il peut balancer une<br />

telle affirmation sans même m’ausculter, me<br />

prescrire d’éventuels examens afin d’établir<br />

un diagnostic. Je l’interpelle poliment et il<br />

me répond par la négative. Je vous laisse<br />

imaginer ma colère que je n’ai que très peu<br />

exprimée. J’insiste un peu mais je n’ai pas la<br />

patience et l’énergie pour ça.<br />

Je suis dépité, je viens de perdre plus de<br />

2 heures et je n’ai pas de diagnostic ni de<br />

traitement hormis la “sage” parole de ce<br />

médecin.<br />

Je rage...<br />

Dans un sursaut de lucidité, que je pensais<br />

avoir déjà perdu depuis longtemps, je me<br />

rappelle que j’ai de nouvelles chaussures et<br />

des nouvelles pédales depuis deux semaines<br />

que je n’ai malheureusement testées que trois<br />

fois sur des petites distances (150 kilomètres).<br />

Il est donc fort probable que le clip soit mal<br />

réglé. Sachant que l’ajustement se fait au<br />

millimètre près, je fais quelques essais et<br />

je sens que j’ai trouvé la bonne position. A<br />

présent les choses ne peuvent pas s’aggraver<br />

de ce côté-là mais malheureusement le<br />

mal est fait. Il va falloir supporter la douleur.<br />

Comment, combien de temps ?...<br />

Une erreur de Rookie comme disent nos amis<br />

d’outre-<strong>Ma</strong>nche.<br />

La leçon : “ne jamais s’élancer dans une telle<br />

aventure avec du matériel non apprivoisé”<br />

Je continue à avancer doucement pour finir<br />

par m’assoir dans une petite auberge près<br />

de Vezelay, je n’ai malheureusement que le<br />

souvenir du soulagement lié à cette pause<br />

et une image bucolique figée. Je repars pour<br />

une vingtaine de kilomètres en guise de<br />

promenade digestive qui me pousse dans un<br />

champ où je m’écroule de fatigue dans mon<br />

sarcophage portatif. Le genou a tenu.


Jour 2<br />

Bazoches (France) - Riom (France)<br />

251 km<br />

Levé à 6 heures, c’est la règle.<br />

Je rencontre ce matin-là un autre coureur,<br />

Stuart McCormick (107). Nous discutons et<br />

roulons un bout de chemin. Je lui parle de<br />

mon genou et il me propose tout de suite un<br />

de ses comprimés magiques : un antidouleur<br />

à la codéine. J’avoue que je ne suis pas<br />

rassuré, la codéine est pour moi un substitut<br />

pour les héroïnomanes… Je ne vais pas<br />

devenir un drogué pour autant, c’est peut être<br />

un produit considéré comme du dopage…<br />

peut-être que je vais me faire attraper au<br />

contrôle antidopage … (rires)… les questions<br />

fusent sans réponse. Qu’importe, j’avale ce<br />

médicament et le produit fait s’estomper<br />

la douleur, une délivrance. Le soulagement<br />

est temporaire mais c’est déjà ça. Je peux<br />

rouler à nouveau et éprouve des sensations<br />

agréables mais je suis malgré tout amoindri.<br />

C’est aussi ce jour-là que je sens naître une<br />

nouvelle douleur dans la hanche droite. Une<br />

douleur encore inconnue à ce jour, que je<br />

m’explique aujourd’hui par le fait d’avoir, sans<br />

doute, compensé et très certainement avoir<br />

fait des kilomètres en mode “unijambiste”.<br />

C’est une douleur qui est venue petit à petit<br />

pour atteindre le même niveau d’intensité que<br />

mon genou gauche. Je retrouverai ensuite le<br />

même procédé dans la hanche gauche puis le<br />

genou droit et retour au genou etc… L’enfer…<br />

un cycle, ça ne s’arrête pas. Je me dis que<br />

c’est la fin, je donne tout pour atteindre le<br />

CP1 et je tire ma révérence. La famille est là<br />

pour m’accueillir mais cette fois je ne ferai<br />

pas que passer, je repartirai avec eux. Ça ne<br />

sert à rien, j’ai trop mal de partout. Je passe<br />

la journée à me questionner, à affronter la<br />

douleur ou à essayer de l’éviter. Il faut se<br />

rendre à l’évidence, si je veux poursuivre<br />

ce voyage, il me faut trouver ces cachets.<br />

<strong>Ma</strong>lheureusement nous sommes dimanche.<br />

Le CP1 est à Clermont-Ferrand, je trouverai<br />

sans doute une pharmacie de garde. En<br />

attendant, je réussis malgré tout à me traîner<br />

tant bien que mal jusqu’au CP1 à Clermont-<br />

Ferrand. Mes parents, mon frère et <strong>Ma</strong>ël sont<br />

là pour me cueillir. Ça fait du bien. J’arrive à la<br />

82e place et bizarrement je ne vais pas trop<br />

mal, j’ai même l’envie de prouver que je ne<br />

peux pas abandonner aussi rapidement et ce,<br />

juste devant la famille.<br />

Il me faut donc monter au Col de Ceyssat,<br />

je m’y hisse tout doucement et trouve cette<br />

pharmacie tant attendue. Prontalgine à la<br />

codéine et Voltaren dans la poche, j’ai mes<br />

béquilles.<br />

Puis rendez-vous à Riom avec la famille<br />

pour partager ce dîner du dimanche soir et<br />

enchaîner sur une nuit à l’hôtel dans un vrai lit.


Jour 3<br />

Riom (France) - Château-Chalon (France)<br />

260 km<br />

Que dire de cette nuit ?<br />

L’enfer… j’ai été malade toute la nuit. J’ai<br />

mangé quelque-chose qui m’a obligé à me<br />

lever toute les demi-heures afin de me vider<br />

du poison que j’ai dû ingurgiter la veille au<br />

restaurant. <strong>Ma</strong> première véritable nuit tout<br />

confort qui était censée m’apporter le repos<br />

nécessaire se solde finalement par davantage<br />

de fatigue en plus de mon genou et de ma<br />

hanche. Le sort s’abat sur moi...<br />

Au petit matin les choses se calment mais<br />

je décide tout de même de faire une petite<br />

sieste. Je me réveille vers 11 heures et<br />

enfourche mon engin direction la Suisse.<br />

Les seules choses que je peux ingurgiter ce<br />

jour-là sont ma codéine et l’eau qui va de pair.<br />

Je passe donc la journée sur mon vélo à me<br />

dandiner pour éviter la douleur autant que<br />

faire ce peu. Tantôt le genou gauche puis la<br />

hanche droite puis le genou droit et la hanche<br />

gauche et ceci en boucle.<br />

Le fuel de la journée : l’eau et un Coca-Cola.<br />

Comment ai-je pu tenir toutes ces heures<br />

avec juste de l’eau ? J’en ai, certes, bu<br />

beaucoup mais quand même… Comme quoi<br />

on n’a pas besoin de grand chose ou alors j’ai<br />

de bonnes réserves que mon organisme a su<br />

aller puiser… J’ai roulé façon Kristof Allegaert<br />

(clin d’oeil).<br />

La codéine m’assomme mais je lutte tant bien<br />

que mal jusqu’à ce que je sois à bout. Je n’ai<br />

toujours rien mangé, il est 1h30, il fait nuit<br />

noire et j’attaque ce qui me semble être de la<br />

montagne. Je ne bataille pas très longtemps<br />

et me trouve un bout de terrain plat afin d’y<br />

dresser ma tente.


Jour 4<br />

Château-Châlon (France) - Grindelwald (Suisse)<br />

245 km<br />

Je me réveille au milieu des vignes de<br />

Château-Châlon et réussis à me transporter<br />

jusqu’au check point 2. Et c’est à peu<br />

près tout ce que je peux raconter de cette<br />

journée, elle se passe dans la douleur. La<br />

codéine m’aide à supporter ces coups de<br />

pédales mais je passe mon temps à lutter.<br />

<strong>Ma</strong> conscience et mon instinct de survie me<br />

disent de tout stopper. Comment continuer ?<br />

Pourquoi ?<br />

Finalement, je remercie ce “pourquoi” car<br />

c’est grâce à ce simple mot et ce qu’il<br />

implique que j’ai retrouvé la force. Ce sont<br />

ces enfants à qui je pense et que je ne peux<br />

décevoir.<br />

Je sais que ce que je me fais endurer est<br />

inhumain et j’essaie de le camoufler avec ces<br />

médicaments. J’ai quelques photos dans<br />

mon appareil qui me permettent de poser<br />

des images sur cette journée parce que ma<br />

mémoire ne le veut toujours pas. Quel drôle<br />

de phénomène !<br />

Je me retrouve au CP2 à Grindelwald en<br />

Suisse dans la soirée de ce 4ème jour et<br />

décide de ne pas rouler davantage. Il est<br />

20 heures, je suis dans ce joli village de<br />

montagne et il n’est pas concevable dans<br />

mon cas de rouler en montagne de nuit.<br />

Je veux admirer le spectacle que m’offrent<br />

ces alpages helvétiques en plein jour.<br />

<strong>Ma</strong>lheureusement, il est difficile de trouver une<br />

chambre en cette période de fête nationale<br />

Suisse. Au détour d’une discussion avec<br />

les quelques coureurs présents dont Stuart<br />

McCormick (107), nous décidons de partager<br />

une chambre avec Hilde Geens (31). Nous<br />

faisons craquer nos cartes bleues pour nous<br />

retrouver dans une chambre bien loin de nos<br />

espérances mais que faire ? Nous sommes en<br />

Suisse.


Jour 5<br />

Grindelwald (Suisse) - Surava (Suisse)<br />

214 km<br />

Mes compagnons de chambrée décident de<br />

partir à la tombée du lit alors que je prends le<br />

temps de manger le petit déjeuner proposé<br />

par l’hôtel. Quelle surprise ! Je suis dans la<br />

station Osaka 2000, la salle de restaurant est<br />

remplie de japonais, c’est assez incongru de<br />

se retrouver en Suisse en pleine montagne<br />

avec un régiment de japonais, qui comme<br />

il se doit, font tout ensemble. Pas question<br />

de se désolidariser. Ils veulent tous aller en<br />

même temps chercher leur jus de fruit ou<br />

leur morceau de pain, ce qui occasionne<br />

des situations cocasses. C’est somme toute<br />

rafraîchissant.<br />

En revanche, la journée qui m’attend<br />

risque de faire chauffer les rotules. Je<br />

l’appréhende depuis le début et avec cette<br />

blessure au genou, je me colle un handicap<br />

supplémentaire, je suis inquiet mais toujours<br />

partant.<br />

Ce bout de parcours obligatoire comprend<br />

3 cols à plus de 2000 mètres : Gross<br />

Scheidegg, Grimsel et Furka. Le ciel est<br />

bleu et je me mets en selle sur les coups de<br />

8 heures, l’ascension commence très fort,<br />

c’est assez court mais la pente est vraiment<br />

raide et le décor est somptueux. C’est une<br />

toute petite route en lacets où deux voitures<br />

ne peuvent pas se croiser. <strong>Ma</strong>lheureusement<br />

mon genou ne tient pas le coup et je suis<br />

obligé de m’arrêter plusieurs fois. J’ai trop<br />

mal, la montagne sollicite énormément le<br />

genou. Je me hisse au sommet et me pose<br />

quelques instants ou je retrouve une fois de<br />

plus Stuart.<br />

Le Grimsel Pass va m’achever, la montée<br />

est longue, je m’arrête plusieurs fois et suis<br />

même obligé de pousser mon vélo, je ne suis<br />

plus en mesure de pédaler tellement j’ai mal,<br />

la marche à pied est à peine supportable.<br />

Je suis obligé de tout arrêter. Il faut que<br />

je trouve une solution pour rejoindre une<br />

gare, un station de bus… je suis dépité et<br />

profondément déçu quand soudain… TILT !<br />

Je réalise que dans la fantasmagorie nippone<br />

de ce matin, je n’ai pas pris mes cachetons.<br />

A la bonne heure, je m’enfile une bonne ration<br />

et me couche dans l’herbe en attendant le<br />

soulagement. Je divague en plein soleil. Une<br />

heure se passe, je me ressaisis petit à petit et<br />

gravis lentement le col de Grimsel. Je m’arrête<br />

pour manger une énorme salade dans un<br />

restaurant dans la vallée entre le Grimsel<br />

et juste avant le Furka pass, j’y retrouve un<br />

architecte suédois de la TCR avec qui nous<br />

partageons ces quelques minutes de joie.<br />

Je me pose en début de soirée dans un chalet<br />

typique, ceux-là mêmes qui me narguent<br />

depuis que je suis en Suisse. Ils me font<br />

tellement envie avec leurs boiseries et leurs<br />

nappes à carreaux rouges. Je mérite bien une<br />

bonne plâtrée de pâtes et son Coca-Cola à<br />

50 euros (clin d’oeil). Je suis sur la fin de mon<br />

repas quand déboule Rudy Rollenberg (162)<br />

qui s’assoit à côté de moi. Je ne suis toujours<br />

pas pressé et prends le temps de discuter<br />

avec lui. Nous repartons repus, il commence<br />

à faire nuit et une petite pente en guise de<br />

dessert ne se fait pas attendre, la pluie non<br />

plus. Nous roulons un bout ensemble puis<br />

nos chemins se séparent. Il pleut toujours et<br />

je finis par me poser vers une heure sur le<br />

banc d’une petite gare. Je suis exténué et<br />

trempé et ne peux pas continuer, ça ne sert<br />

à rien, je risque gros et surtout de gâcher ma<br />

journée du lendemain. <strong>Mon</strong> genou ne s’est<br />

pas désolidarisé et je le remercie. Les yeux<br />

entrouverts, j’aperçois sur la route au-dessus<br />

de moi quelque cyclistes qui s’affairent. Ce<br />

n’est pas ça qui va m’empêcher de dormir. Je<br />

sais combien le sommeil est primordial pour<br />

moi.


Jour 6<br />

Surava (Suisse) - <strong>Ma</strong>so-Unterölgart (Italie)<br />

209 km<br />

De peur d’encombrer l’unique banc de la<br />

gare, je me réveille à 5h30. Je suis trempé<br />

mais j’ai bien dormi, comme quoi ces duvets<br />

sont bien étudiés. La pluie s’est arrêtée et je<br />

me hisse doucement jusqu’à l’Albula Pass ou<br />

je retrouve Eric Jacquemin (122) attablé avec<br />

son café et ses croissants. Je le rejoins pour<br />

croquer ce splendide spectacle et tailler la<br />

bavette. Le soleil essaye de se faire une place<br />

au milieu des nuages, sans grand succès<br />

mais le résultat est de toute beauté. La<br />

journée se passe sans encombre et le plaisir<br />

de descendre pendant plus de 50 kilomètres<br />

fait beaucoup de bien.<br />

Il est environ 20 heures quand je m’attaque au<br />

énième col de la journée. Je suis sur une très<br />

jolie route de montagne, quasiment personne,<br />

juste quelques cyclistes croisés auprès de<br />

qui j’essaye de savoir si je trouverai de l’eau<br />

dans la prochaine heure. Ils me proposent de<br />

me donner leur fond de bidon mais je décline<br />

leur offre. Ils me rassurent en me parlant d’un<br />

robinet derrière une église à 2 kilomètres de<br />

là. Je poursuis donc ma route et commence<br />

à faire mes calculs... avec le dénivelé qu’il<br />

y a, je suis peut-être à une heure de route<br />

de cette source… stress… Comme par<br />

enchantement 30 minutes plus tard je tombe<br />

sur une espèce d’auberge de montage où<br />

des autochtones sont assis à des grosses<br />

tables en bois massives et rustiques. Ni une<br />

ni deux je m’arrête et commande 1 litre de ice<br />

tea et de quoi remplir la bête. Il est 21 heures,<br />

le soleil commence à se coucher et cette<br />

journée dans les pattes qui se termine dans<br />

un décor aussi bucolique me pousse à vouloir<br />

élire mon campement dans le pâturage de<br />

cette taverne. Je demande l’autorisation au<br />

maître de maison qui m’explique que ce n’est<br />

peut-être pas une bonne idée de dormir sous<br />

la tente cette nuit au regard de la pluie qui est<br />

annoncée par la météo. Il m’indique une petite<br />

maisonnette en bois où je peux m’installer<br />

pour la nuit, qui est en fait l’abri qui leur sert<br />

à ranger le mobilier de jardin. C’est très<br />

rudimentaire mais au combien pittoresque,<br />

je suis à 1200 mètres d’altitude dans une<br />

cabane dans laquelle je tiens tout juste en<br />

longueur mais quelle féerie d’admirer le soleil<br />

se coucher au travers de cette petite fenêtre<br />

qui n’est évidemment qu’une ouverture.


Jour 7<br />

<strong>Ma</strong>so-Unterölgart (Italie) - Trieste (Italie)<br />

322 km<br />

Le hublot donnant plein sud m’offre un tout<br />

aussi fabuleux lever de soleil, quel spectacle !<br />

<strong>Ma</strong>telas plié, duvet roulé et dents lavées,<br />

je m’attaque encore à une grosse journée<br />

de montagne. Je grimpe l’équivalent de<br />

l’Himalaya soit plus de 8300 m de dénivelé en<br />

enchaînant 6 cols. Je continue mon traitement<br />

à la codéine et au Voltaren, j’ai trop peur de la<br />

douleur.<br />

Comme prévu, cette journée est très<br />

pluvieuse. J’arrive au CP 3 à Alleghe, je suis<br />

détrempé, je ne niaise pas très longtemps<br />

afin de ne pas me refroidir. En enlevant mes<br />

gants je constate que ma main est presque<br />

une éponge, l’image est saisissante. Le<br />

coup de tampon libérateur et je m’attaque<br />

au plus dur, le Passo Giau. Je le monte<br />

sous une pluie battante et sous des coups<br />

de tonnerre comme rarement entendus,<br />

c’est vraiment impressionnant un orage en<br />

montagne. J’arrive au sommet et je suis<br />

accueilli par l’équipe Pedaled qui me prend en<br />

photo. Ils sont à plaindre avec cette météo,<br />

heureusement qu’ils peuvent s’abriter au<br />

refuge. Le combo pluie et froid en descente<br />

est un supplice et j’en suis à mon 3ème col de<br />

la journée, à la différence qu’il fait beaucoup<br />

plus froid maintenant. Une descente toute<br />

en douceur et arrivé dans la vallée, le vent<br />

s’invite à la fête. Il ne souffle évidemment pas<br />

dans le sens qui aurait pu m’arranger mais<br />

au moins la température est supportable et à<br />

plusieurs reprises, sur le chemin, je me prends<br />

des bourrasques qui me figent sur place.<br />

J’arrive en début de soirée dans la plaine de<br />

Udine. J’ai encore 130 kilomètres jusqu’à la<br />

frontière avec la Slovénie mais la route est<br />

plate et le vent est tombé, je me persuade<br />

qu’une halte à Trieste serait judicieuse. Je file<br />

et arrive à bon port en moins de 4 heures, un<br />

record avec une moyenne de 30 à l’heure au<br />

bas mot. Ce sentiment de me dire que le plus<br />

dur est fait m’a propulsé, mon genou s’est<br />

complètement détendu. Je me sens comme<br />

un nouvel homme.


Jour 8<br />

Trieste (Italie) - Novoselo Bilajsko (Croatie)<br />

238 km<br />

Une grasse matinée jusqu’à 7 heures dans<br />

un vrai lit, un café en terrasse sur la Piazza<br />

Italia et quelques photos plus tard, je saute<br />

sur la bicyclette et me retrouve sur la route<br />

des départs en vacances avec un bouchon<br />

qui n’en finit pas. Une longue file s’étend de<br />

Trieste à la frontière croate, soit près de 40<br />

kilomètres d’embouteillage. Je me faufile entre<br />

toutes ces voitures, c’est assez jubilatoire !<br />

En arrivant vers Rijeka, l’histoire se corse, le<br />

vent souffle avec force invraisemblable. Je<br />

me pose dans mon auberge favorite, Lildl,<br />

et y retrouve Thomas Chavrier et Charlotte<br />

Dequevauviller (204) et j’entends parler de<br />

rafales à plus de 120 km/h... Elles viennent<br />

principalement de face mais aussi de droite,<br />

de gauche mais jamais de dos, bien sûr ! Les<br />

routes sinueuses de la côte croate n’aident<br />

pas. Le vent est tellement fort que je n’arrive<br />

pas à tenir le vélo, il m’oblige à plusieurs<br />

reprises de poser pied à terre afin de ne pas<br />

être chassé sur le côté et me retrouver au<br />

milieu de la route prêt à me faire aplatir par<br />

un camion. Je pousse mon compagnon sur<br />

plusieurs tronçons de route. Je pensais que<br />

le plus dur était passé avec la fin des Alpes<br />

mais là c’est encore pire. Le seul et unique<br />

ennemi du cycliste, c’est le vent ! J’en ai une<br />

fois de plus la preuve. Je n’avance pas, je me<br />

dépense énormément et je prends de gros<br />

risques. Je croise d’ailleurs Mike Sheldrake<br />

(19) dans un supermarché qui vient d’en faire<br />

les frais, il a le genou ensanglanté mais il a<br />

l’air d’aller bien, il a acheté de quoi se soigner,<br />

nous discutons un peu et engloutissons nos<br />

paniers respectifs. Je n’ai qu’une hâte : quitter<br />

cette côte très fréquentée en espérant que<br />

le vent se dissipe dans les terres. En fin de<br />

journée, je monte vers la Bosnie et trouve<br />

un peu de répit, le vent est toujours là mais<br />

souffle moins fort. Il est 1h, il est temps de se<br />

trouver un lopin de terre pour y agrafer ma<br />

toile.


Jour 9<br />

Novoselo Bilajsko (Croatie) - Nevesinje (Bosnie-Herzegovine)<br />

290 km<br />

Le vent est toujours au rendez-vous mais le<br />

genou n’en ajoute pas à la peine. Dans la<br />

journée je croise un side-car immatriculé en<br />

Isère. Un couple d’une cinquantaine d’années<br />

avec qui je discute, ils m’expliquent que<br />

depuis hier les autoroutes sont fermées à la<br />

circulation pour cause de vent trop fort.<br />

Il est minuit quand Mostar se dessine dans la<br />

pénombre. Je n’y suis pas retourné depuis 20<br />

ans, le fameux pont est là, majestueusement<br />

posé. Le temps de manger une crêpe et<br />

boire un café pour le contempler, je repars<br />

et me hisse le long d’une route pentue que<br />

je n’avais absolument pas prévue. Il est 2<br />

heures, je n’en peux plus et me trouve un<br />

bout d’herbage où je réussis à planter mes<br />

sardines.


Jour 10<br />

Nevesinje (Bosnie-Herzegovine) - Zabljak (<strong>Mon</strong>ténégro)<br />

150 km<br />

A la vue d’un panneau en cyrillique que<br />

j’arrive à décrypter, je réalise que j’ai dormi en<br />

Republika Srpska, quel honneur ! Je plaisante<br />

mais je flippe un peu pour être honnête.<br />

L’ambiance n’a rien avoir avec le côté festif<br />

des bosniaques. Tout est déglingué, de la<br />

route aux maisons, c’est la désolation. Je<br />

progresse doucement vers le check point 3<br />

et en arrivant vers Gacko, j’ai des sensations<br />

de déjà-vu. C’est même particulièrement<br />

improbable puisque je revis la même scène,<br />

au même endroit que l’année dernière. Je me<br />

retrouve en milieu d’après midi sans eau au<br />

point où la situation devient critique. Pas un<br />

village en vue, juste Gacko qui doit se trouver<br />

à une vingtaine de kilomètres et comme par<br />

magie je suis sauvé par cette même source<br />

qui me sortait d’affaire l’année dernière…<br />

Incroyable !<br />

Une petite pause à Gacko pour avaler<br />

quelque cafés et direction le <strong>Mon</strong>ténégro,<br />

je me retrouve sur un sentier et une pente<br />

qui m’oblige parfois à descendre du vélo<br />

tellement la route est abrupte mais que dire<br />

des kilomètres qui vont suivre ?<br />

C’est tout simplement magique et ça se<br />

passe de commentaires.<br />

Je passe le poste frontière pour le<br />

<strong>Mon</strong>ténégro sans contrôle, juste une petite<br />

cabane préfabriquée déserte.<br />

J’arrive donc au check point 3 à Zabljak<br />

sur les coups de 20 heures, je n’ai pas<br />

beaucoup roulé aujourd’hui j’étais plutôt dans<br />

la contemplation et je ne veux pas repartir<br />

dans la nuit et manquer une éventuelle suite<br />

à ce fabuleux spectacle. Je décide donc de<br />

prendre une chambre chez l’habitant avec<br />

deux autres collègues, Béla Kuzler (163) et<br />

un norvégien assez énigmatique dont je ne<br />

me rappelle pas le nom. C’est l’occasion de<br />

prendre une douche, je n’en ai pas pris depuis<br />

Trieste. Ce gîte est plus que rudimentaire. Je<br />

rejoins Camille <strong>Ma</strong>c Millan, le photographe<br />

officiel de la course avec qui j’ai beaucoup<br />

rigolé l’année dernière, il dîne dans un<br />

restaurant à une centaine de mètres avec <strong>Ma</strong>x<br />

Kraus (82). Nous passons un bon moment<br />

avant d’aller me vautrer dans le lit, <strong>Ma</strong>x repart<br />

sur la route en pleine nuit.


Jour 11<br />

Zabljak (<strong>Mon</strong>ténégro) - Katlanova (<strong>Ma</strong>cédoine)<br />

371 km<br />

<strong>Mon</strong> collègue de chambrée Béla<br />

est en train de se préparer tandis<br />

que notre Norvégien est déjà parti<br />

depuis belle lurette. Je suis comme<br />

d’habitude le dernier à me sortir de<br />

la torpeur de la nuit et de toutes<br />

façons je n’ai aucune raison de<br />

courir tant que le soleil n’est pas<br />

levé.<br />

Je me laisse porter dans la fraîcheur<br />

des montagnes monténégrine mais<br />

le spectacle n’est pas à la hauteur<br />

de ce que j’ai vécu la veille. La<br />

traversée du Kosovo se fait sans<br />

encombre.<br />

En début de soirée la faim se fait<br />

sentir et l’envie de me poser à table<br />

m’amène dans un restaurant au<br />

bord de la route. Je commande une<br />

salade Chopska et redécouvre le<br />

goût de la tomate. C’est dingue à<br />

quel point on a oublié le goût des<br />

choses et que l’on se contente<br />

aujourd’hui de ces aliments sans<br />

saveur. Quelques grillades arrosées<br />

d’une bière et me voilà paré pour<br />

une partie de la nuit.<br />

Après ce fabuleux repas, je file vers<br />

Skopje, je veux passer cette ville et<br />

me trouver un endroit pour dormir.<br />

Il est bien 2h30 et à l’amorce de ce<br />

qui semble être une bonne pente, je<br />

plante ma tente à quelque mètres de<br />

cette route qui semble bien calme.<br />

<strong>Mon</strong> genou me laisse toujours<br />

peinard.


Jour 12<br />

Katlanova (<strong>Ma</strong>cédoine) - Nea Mpafra (Grèce)<br />

292 km<br />

Ce matin-là, je suis réveillé par des<br />

aboiements. <strong>Mon</strong> sang ne fait qu’un<br />

tour. Je n’ai toujours pas eu à faire<br />

à ces chiens errants, connus dans<br />

la région pour chasser les cyclistes.<br />

Je suis piéton jusqu’à preuve du<br />

contraire. En effet, les cabots<br />

s’éloignent et me laissent préparer<br />

mon vélo. Hop ! C’est parti pour une<br />

journée de “gravel” que je n’avais<br />

pas prévue. <strong>Ma</strong>lheureusement c’est<br />

quasiment impraticable par endroit<br />

à cause des pluies diluviennes des<br />

jours précédents. De plus, ces<br />

routes n’ont pas beaucoup d’intérêt,<br />

il n’y a rien de spécial à regarder<br />

et il fait excessivement chaud.<br />

J’en viendrais même à rejoindre la<br />

route nationale, le vélo sur le dos,<br />

afin d’en finir avec cet enfer. La<br />

circulation est dense et rapide mais<br />

c’est sans danger sur la bande<br />

d’arrêt d’urgence. Après avoir une<br />

fois de plus très bien mangé dans<br />

un restaurant d’une station essence,<br />

je suis rejoint l’après midi dans ma<br />

galère par Wally Gualtiero (218) avec<br />

qui nous sommes même obligés<br />

de traverser une voie ferrée. Il n’a<br />

pas la même chance que moi ou le<br />

bon matériel puisqu’il sera victime<br />

de plusieurs crevaisons sur ces<br />

sentiers de cailloux tranchants. En<br />

arrivant vers la frontière grecque,<br />

un panneau “Furka” me rappelle<br />

quelques souvenirs douloureux.<br />

Je progresse régulièrement à mon<br />

rythme tel un tracteur qui s’est<br />

finalement calé 5 jours plus tôt. Je<br />

suis en Grèce à la fin de la journée<br />

et me prends quelque glaces afin<br />

d’essayer de me rafraîchir tandis<br />

que les vaches barbotent les pieds<br />

dans l’eau.


Jour 13<br />

Nea Mpafra (Grèce)<br />

Canakkale (Turquie) 390 km<br />

6 heures, le réveil sonne. Tout en pliant<br />

mon barda, je vois passer <strong>Ma</strong>x et un autre<br />

concurrent, un anglais peu bavard que j’ai<br />

déjà croisé plusieurs fois ces derniers jours.<br />

Je grimpe quelques minutes plus tard sur mon<br />

fidèle compagnon, il fait déjà bien chaud. Une<br />

dizaine de kilomètres plus loin, j’arrive dans<br />

un village où je retrouve <strong>Ma</strong>x attablé sur la<br />

terrasse d’une boulangerie. Je n’ai encore rien<br />

dans le ventre et décide de le rejoindre pour<br />

manger et échanger quelques impressions.<br />

J’ose à peine y croire, il n’arrive même plus à<br />

marcher, ses tendons d’Achille le clouent sur<br />

son vélo mais le gars a le smile malgré tout.<br />

Je lui propose ma codéine qu’il accepte sans<br />

hésiter. Il m’explique que son avion retour<br />

pour l’Allemagne est le lendemain matin.<br />

Nous ne sommes même pas encore arrivé à<br />

Kavala, à 380 kilomètres de Canakkale. Le<br />

défi semble impossible dans l’état où il est.<br />

Nous roulons ensemble et faisons quelques<br />

photos puis nos routes se séparent vers<br />

Kavala. La chaleur devient suffocante, le<br />

thermomètre affiche 41° et mon genou a<br />

décidé de me laisser tranquille mais arrive le<br />

moment où l’eau vient à manquer et je suis<br />

en pleine pampa… tel une oasis, je passe à<br />

côté d’un cimetière où un robinet me fait de<br />

l’oeil, l’angoisse n’aura pas duré longtemps,<br />

je me jette sous le jet et m’asperge de la tête<br />

aux pieds sans manquer d’absorber des litres<br />

d’eau. C’est une sensation bien agréable.<br />

Plus tard, en début d’après midi, j’ai de<br />

nouveau épuisé mon précieux breuvage<br />

et commence à avoir faim, je rêve d’une<br />

pastèque. Il n’y a qu’à demander, dans ce<br />

désert que je traverse, soudain un petit village<br />

où je tombe sur une épicerie. Un monticule<br />

de ce fruit tant attendu est là, le bonheur. Je<br />

m’attable à l’ombre avec ma pastèque, j’ai<br />

pris la plus petite mais elle doit bien peser 5<br />

kg tout de même. Tout d’un coup j’entends ce<br />

bruit familier de roulement à billes de vélo…<br />

<strong>Ma</strong>x ! Je suis ravi qu’il vienne me prêter main<br />

forte dans ce projet gargantuesque.<br />

Je suis à la frontière turque en début de<br />

soirée, le temps de faire une photo avec<br />

un bidasse et je m’envole vers l’arrivée en<br />

essayant de choper le dernier ferry à Kilitbahir<br />

En faisant mes calculs, je m’aperçois que ça<br />

va être trop juste, je préfère prendre celui à<br />

Gelibolu qui me rallonge un peu la route mais<br />

si peu.<br />

J’arrive sur le port de Gelibolu où le trafic est<br />

très chaotique comme souvent en Turquie et<br />

je m’empresse de rejoindre un bateau qui a<br />

l’air d’être sur le point de partir. Au moment<br />

où j’arrive devant ce ferry-boat le pont se lève.<br />

Je ne sais pas trop ce qui me prend mais<br />

j’attrape mon vélo et le jette sur le bateau, j’en<br />

fait autant avec ma propre carcasse. Un rouléboulé<br />

s’en suit mais je réussis mon coup.<br />

Tout le monde est là et il se trouve que cette<br />

embarcation m’emmène à bon port. Ouf !<br />

Je débarque et m’enquille les 30 derniers<br />

kilomètres à bonne allure et arrive à Canakkale<br />

le 12 août 2016 à 2h33 du matin. Un<br />

commissaire de course est là pour m’accueillir<br />

en cette douce nuit, j’obtiens le tampon final.<br />

J’ai donc traversé l’Europe en 13 jours, 3<br />

heures et 33 minutes. Je suis largement dans<br />

les temps puisque la fête est le lendemain.<br />

Après ces 13 jours de sauvagerie, il est temps<br />

de revenir à la vie civilisée de l’homo sapiens<br />

et je dégote un hôtel très cossu dans cette<br />

petite ville de Canakkale, j’y passe quatre<br />

nuits, le temps de récupérer.


Voici donc ma deuxième épopée à travers l’Europe dont j’ai finalement réussi à venir à bout. Ce<br />

n’était absolument pas gagné. <strong>Ma</strong> blessure au genou m’a handicapé jusqu’au 7e jour au point<br />

où j’étais continuellement et à chaque instant à deux doigts de vouloir abandonner, mais je n’ai<br />

pas cédé. J’espère ne pas avoir à le regretter un jour mais il semblerait que d’après les différentes<br />

analyses et diagnostics, je n’ai pas à m’inquiéter, le repos sera le meilleur remède. En tout cas j’ai<br />

réussi à trouver cette force hors du commun grâce à la famille, les amis, les “dot-watchers” mais<br />

surtout grâce aux enfants pour qui je courais. Je ne pouvais m’empêcher de penser à ma visite à<br />

l’hôpital de la Timone de début juillet. Ce n’est pas grand chose mon petit calvaire de bac à sable<br />

comparé aux leurs. Enfin, nous n’avons pas atteint l’objectif de la cagnotte mais nous pouvons<br />

tous être fiers d’avoir récolté 2 256 euros grâce à toutes les personnes qui se sont mobilisées et<br />

surtout celles qui ont contribué avec leur porte-monnaie, je les remercie de tout coeur. MERCI !<br />

J’ai repris goût à rouler sur mon vélo au bout du 8ème jour et je serai donc certainement cet hiver<br />

quelque part sur les routes de France et de Navarre afin de préparer une nouvelle grande aventure<br />

l’été prochain. Pourquoi pas une nouvelle <strong>Transcontinental</strong>…<br />

Paris, Octobre 2016


Update 02/01/17:<br />

Je suis sélectionné pour la 5ème édition mais alité jusqu’au 15 février pour cause de péroné cassé.<br />

J’espère pouvoir être prêt pour relever ce 3ème défi qui me tient une fois de plus à coeur.<br />

Remerciements<br />

Je voudrais remercier tous ceux qui m’ont de loin ou de près soutenu dans cette aventure hors du<br />

commun :<br />

C’est une liste non exhaustive sans ordre particulier :<br />

Hugo Villa, Ulisse Gnesda, Sophie <strong>Ma</strong>rino, Natacha Nataf, Polo Tornado, Jean-<strong>Ma</strong>rie et <strong>Mon</strong>ique<br />

Drouet, Famille Dumont, Pascal Yéyé, Patrick Beaulieu, Edouard Salier, Nico Bogue, Julien et<br />

Damien Scott, Jérome Lagarrigue, Lee Pearce, Yvan <strong>Ma</strong>rtinet, Olivier Brissot, Yves Ruillière, Duco,<br />

Willy Huvey, Alexis Constant, Liza Szlesynger, Edouard Sepulcre, Hélène Desmazières, Stéphane<br />

Quème, Stéphanie Bedel, Ocean Grenier, Romain Bourven, Miguel Bapte, Aurelia Biolatto, Nadine<br />

Leydier, Charles E. Henry, Anne Bouville, Alain et Anne Bellet, Tristan Latgé, Stéphanie Castello,<br />

Latifa Touaf.<br />

Je voudrais remercier et dédier tout particulièrement cette aventure à l’association “Après la<br />

Pluie” et tous les enfants dont elle s’occupe, mes parents, mon frère, <strong>Ma</strong>el, Sacha, Inci et <strong>Ma</strong>ri,<br />

Christiane, Julien, Laurent et Baptiste (Cyclable), Céline Forestier, Franziska Stenke (Rapha),<br />

Francky Batelier, Haron Tansit, Henri Sannier, Mike Hall, Paul Thibault, et une mention spéciale à<br />

<strong>Ma</strong>thieu Dozol et Jean-Philippe Djalili.

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