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Le Conte

Tout sur les contes

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LA FEMME DANS LE CONTE ALGÉRIEN<br />

Racisme et anti-racisme figurent quelques fois dans le même conte ; le code<br />

esthétique ayant des prolongements fort complexes. <strong>Le</strong> noir, signe de pauvreté, est<br />

masque de protection, il est aussi comme nous allons le voir source de dérision.<br />

Dans Loundja, fille de Tsériel, Loundja se fait négresse en tuant une servante<br />

et en revêtant sa peau. Quand le héros délivré demande à l'épouser, le sultan<br />

indigné répond « comment oserons-nous regarder en face nos voisins. Tu<br />

veux notre honte » 1 . <strong>Le</strong>s noces sont quand même célébrées et le matin la<br />

servante découvrant le miracle de la blanche et rose Loundja va répandre la<br />

nouvelle au palais. <strong>Le</strong> cadet concupiscent est mis au courant ; il suffit de<br />

prononcer une parole magique. Alors voulant surenchérir, il demande à<br />

épouser une chienne, et la chienne entendant les paroles qu'il croyait<br />

magiques se jette sur lui et le dévore.<br />

Cette métamorphose escomptée est bien sûr source de ridicule et de dérision.<br />

<strong>Le</strong> noir enveloppe de laideur protège la femme de la convoitise sexuelle de l'homme.<br />

Il est également masque des qualités enfouies que la justice ou le bon sens permet de<br />

mettre au jour. <strong>Le</strong> modèle de la blancheur est source de crédulité, de bêtise et<br />

d'injustice.<br />

On retrouve cette opposition des valeurs du blanc et du noir dans le langage<br />

ordinaire, utilisé fréquemment par les femmes algériennes.<br />

<strong>Le</strong> destin est noir<br />

- que ton destin soit noir<br />

la peau rose<br />

- que ta peau soit rose<br />

selon que le discours est malédiction ou supplique. Il existe dans le langage<br />

ordinaire un code linguistique du merveilleux qui renvoie au langage du conte, des<br />

légendes et des hagiographies. <strong>Le</strong>s femmes principalement l'utilisent dans un<br />

contexte familial.<br />

Appellatifs divers, affectueux ou haineux, ils constituent une empreinte du<br />

monde fantastique dans l'univers familial. Comme le notait Bellemin-Noël, ce sont<br />

des métaphores et des métonymies qui se sont peu à peu sédimentées dans le langage<br />

lui-même 2 .<br />

On appellera ainsi avec humour Mkidèch, l'enfant farceur, Baba fakroun le<br />

tout petit se traînant à quatre pattes.<br />

Plus turbulents les enfants seront Djen, tiyara ou djeniya :<br />

En crescendo le vocabulaire de la dévoration :<br />

nechouik je te fais griller<br />

nakoul lahmak je mange ta chair<br />

nagat'ak traf traf je te coupe en morceaux<br />

et l'ultime vengeance,<br />

nechroub deumak je bois ton sang.<br />

<strong>Le</strong> contre-discours n'est pas toujours là où on croit le trouver, car<br />

paradoxalement ces figures rhétoriques appartiennent au discours familier. Il n'existe<br />

pas un enfant algérien qui n'ait entendu l'une de ces formules dites par sa grand'mère<br />

ou sa mère en colère ou câline.<br />

1 T. Amrouche, <strong>Le</strong> grain magique, op. cité n° 5.<br />

2 Bellemin-Noel, <strong>Le</strong>s contes et leurs fantasmes, P.U.F., Paris 1983.<br />

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