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LE CONTE<br />
tes enfants 1 . Dans un autre, une jeune princesse délivrée par quatre frères<br />
décide de les épouser tous. <strong>Le</strong> roi lui rappelle les coutumes de son pays et la<br />
donne à l'aîné 2 . Ailleurs, une autre femme dérobe à un homme son cheval,<br />
son tapis, son corail, ses babouches et le ridiculise devant le juge qu'elle<br />
corrompt en faisant miroiter une bourse remplie de galets. Tous ces exemples<br />
attestent bien d'une vision non conformiste dont les contes se font<br />
l'expression.<br />
3. L'ORDRE NATUREL<br />
<strong>Le</strong> pouvoir du conte est celui de métamorphoser l'ordre naturel. J'ai étudié<br />
précédemment les conditions du travestissement sexuel de la femme en homme.<br />
Mais il faudrait aussi intégrer dans cette analyse tout un aspect du bestiaire où<br />
l'animal est père ou frère, femme ou époux, afin de traduire l'indicible, ce que je ne<br />
ferai pas ici. J'évoquerai cependant deux aspects du contre-discours à travers le code<br />
esthétique et le langage ordinaire des femmes.<br />
Il y a dans les contes algériens de nombreuse références à la beauté. Loundja<br />
rose et blanche est symbole de la femme très belle. Telle princesse a des cheveux<br />
plus longs, plus fins, plus blonds que toute autre. <strong>Le</strong>s dons de beauté font couler l'or<br />
de la chevelure et font le teint blanc comme neige et sang. Ce code esthétique se<br />
complète d'un anti-modèle, source d'un racisme latent. On trouvera dans les notes de<br />
Scelles-Millié de nombreuses explications à ce racisme maghrébin. Dans nos contes<br />
les servantes sont des négresses et Loundja sera grimée de noir pour servir comme<br />
domestique chez le sultan.<br />
Dans le grain magique 3 , sept frères trompés par la settout s'enfuient à la<br />
naissance de leur soeur. Une fois grande, celle-ci part à leur recherche<br />
accompagnée de sa servante. En chemin elle se baigne dans une fontaine que<br />
celle-ci lui indique et devient noire alors que la servante blanchit. <strong>Le</strong>s rôles<br />
sont inversés et la servante se fait passer auprès des sept frères pour la soeur.<br />
<strong>Le</strong> subterfuge est découvert, les cheveux de l'une tombent jusqu'à la taille,<br />
ceux de l'autre se dressent épineux vers le ciel.<br />
Il faut dire que ce discours raciste est très vivement ressenti aujourd'hui et<br />
qu'il donne lieu à diverses manifestations de censure. Un livre de contes anciens n'a<br />
pas été réédité à cause d'un lexique trop directement inscrit dans une optique<br />
idéologico-sociologique, dont le mot négresse justement. Dans des publications<br />
actuelles, au mot négresse se substitue le mot brun plus acceptable.<br />
On peut noter également dans les contes un discours anti-raciste ; femmes et<br />
hommes sont soumis au modèle esthétique et il leur appartient de le désavouer.<br />
Mhemed le fils de la négresse injustement traité à cause de sa noirceur,<br />
rétablit la justice et triomphe de ceux qui l'ont maltraité 4 .<br />
1 J. Scelles-Millié, <strong>Le</strong>s contes mystérieux d'Afrique du nord, Maisonneuve et Larose, Paris, 1972.<br />
2 S. Bencheneb, op. déjà cité ou J. Scelles-Millié, Légence dorée d'Afrique du Nord, « Petite massue fait<br />
ton travail », Maisonneuve et Larose, Paris 1973.<br />
3 T. Amrouche, <strong>Le</strong> grain magique, op. cité n° 5.<br />
4 Id. « <strong>Le</strong> prince noir » et « <strong>Le</strong> racisme foudroyé ».<br />
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