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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

productions est le fait des hommes, conteurs nouvelle manière. La tradition orale<br />

devenue culture exhume le conte de l'univers qui était le sien.<br />

On peut s'interroger sur les tranformations induites par le changement des<br />

locuteurs, mais on peut aussi s'intéresser à la nature et à la fonction de la parole<br />

prétée par la conteuse aux personnages féminins. Sans vouloir épuiser l'analyse de<br />

cette parole féminine, j'y verrais pour ma part l'exercice d'un pouvoir et le fondement<br />

des identités. J'en prendrais exemple dans l'histoire de la femme qui a mangé un oeuf<br />

de serpent 1 , qui figure les différentes fonctions de cette parole, repérables d'ailleurs<br />

dans la quasi totalité des contes algériens.<br />

Une soeur vit seule avec son frère, elle l'élève, le marie. La belle-soeur lui fait<br />

manger un oeuf de serpent et fait croire à son mari qu'elle est enceinte. Il<br />

l'emmène dans la forêt. Un homme la recueille. Elle lui raconte son histoire. Il<br />

l'épouse, la débarasse de son serpent. Ils ont un garçon. Elle retourne<br />

incognito chez son frère et recommande à son fils de réclamer une histoire<br />

après le souper. <strong>Le</strong> fils réclame le conte, le frère insiste. L'histoire contée, le<br />

frère reconnaît la soeur et se lamente. La belle-soeur confondue s'engouffre<br />

dans le sol qui se fent. La soeur sauve son frère de l'engloutissement.<br />

La parole féminine initie, comme on le voit, une mise en scène du roman<br />

familial, dominée par les symboles sexuels de l'oeuf et du serpent, de la fente et de<br />

l'engloutissement. Déclencheurs du drame, les mots-mensonges induisent le frère en<br />

erreur ou alors, révélateurs, les mot-vérités permettent à la soeur la possession<br />

exclusive du frère et mettent fin à l'action. C'est à cette parole mensonge que je<br />

voudrais m'arrêter.<br />

Celle-ci est très souvent associée à la femme.<br />

Dans Ali le voleur, le mensonge de la mère prémunit Ali du vol ; mais celui-ci<br />

la fait avouer et découvre la profession de son père en maintenant la main de<br />

sa mère dans la marmite de soupe bouillante.<br />

Dans le vieillard et sa femme, la femme quitte son mari et va vivre avec un<br />

autre homme. <strong>Le</strong> mari se plaint, ils se présentent tous trois devant le juge. Sommée<br />

de désigner son véritable époux, la femme ment et désigne le second. <strong>Le</strong> mari au<br />

désespoir va se noyer dans une mare.<br />

<strong>Le</strong> mensonge est contravention aux lois du discours ordinaire, mais la parole<br />

fut-elle mensonge a la propriété redoutable de régir les faits et l'opinion qu'on en a.<br />

Comme la négation freudienne, le mensonge relève de l'énonciation, du statut que<br />

l'on confère à la parole, aussi il est relativement indépendant de l'énoncé. <strong>Le</strong><br />

mensonge des femmes ne procède pas d'une éthique linguistique, l'essentiel, bien<br />

souvent, n'est pas de dire la vérité. La fin assignée à la parole est de faire surgir le<br />

drame, c'est-à-dire l'action, et d'assurer sa résolution. En ce sens le mensonge est<br />

d'ordre cathartique.<br />

Nombreux sont les contes qui figurent l'inversion du vrai en faux : les<br />

concubines révèlent au roi la tare physique de l'épouse, par exemple une main<br />

coupée. La vérification des faits, la tare disparue par l'intervention de l'oiseau<br />

magique, baptise mensonge ce qui était avéré 2 .<br />

1 On en trouvera une version de A. Mouliéras, traduction de G. Lacoste-Dujardin, Légendes et contes<br />

merveilleux de la grande Kabylie, Imprimerie nationale, Paris, 1965.<br />

2 M. Mammeri, Tellenm Chaho ! (Zalgoum), Bordas, Paris 1980.<br />

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