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LA FEMME DANS LE CONTE FINNOIS<br />
différentes couches sociales. Bien sûr, les contes peuvent porter une assez forte<br />
couleur locale, comme nous l'avons vu dans la comparaison faite entre l'empereur et<br />
le roi et, s'il était possible, dans quelques cas, de prendre connaissance de toutes les<br />
versions collectées dans le pays, le résultat pourrait subir encore des modifications<br />
considérables.<br />
Pour ce qui est de la famille royale, le peuple à proprement parler n'a pu avoir<br />
une idée même approximative de la vie de ses membres. <strong>Le</strong> roi lui-même est<br />
présenté comme un paysan riche et puissant : il se promène librement en ville,<br />
fréquente les auberges et les foires et peut même se soûler si l'occasion se présente.<br />
<strong>Le</strong>s rapports avec le peuple sont simples et naturels et tout le monde peut s'adresser<br />
au roi. Seraient-ce des réminiscences de Pierre <strong>Le</strong> Grand qui se promenait incognito<br />
parmi les ouvriers des chantiers de St. Pétersbourg ? Ce trait populaire est absent de<br />
l'image de la reine qui a certainement été influencée par le personnage de la reine des<br />
contes merveilleux. Dans la personne de la reine, il y a un soupçon d'ogresse et une<br />
bonne partie de méchante belle-mère. On ne dit rien de son aspect extérieur, sauf<br />
dans le cas où elle ressemble tant à la belle cordonnière que le roi l'échange contre<br />
celle-ci. Un trait saillant chez la reine - ainsi que chez les princesses - c'est une<br />
liberté sexuelle remarquable. Quelle pourrait être la cause primitive de ce trait,<br />
serait-ce un désir inconscient réprimé chez les paysans, ou s'imaginaient-ils que la<br />
liberté sexuelle faisait partie des privilèges des couches supérieures ? De toute façon,<br />
l'image de la reine n'a aucune corrélation avec la réalité extérieure. D'ailleurs son<br />
personnage est aussi contradictoire et peu clair.<br />
Ces mêmes observations concernent aussi les princesses. Nous voudrions<br />
vraiment donner le nom de garce à ces jeunes femmes, qui ont une activité érotique<br />
étonnante. <strong>Le</strong>s parents royaux, surtout le père, sont en général désarmés devant les<br />
manœuvres de leurs filles. Une princesse sympathique apparaît seulement dans les<br />
cas où la structure du récit, par exemple le trois magique prévoit que la princesse<br />
cadette est différente des autres (AT 883 B). Par contre, la princesse est rarement<br />
méchante, elle est surtout puérile, curieuse ou, plus généralement, portée par la joie<br />
de vivre (AT 854, <strong>Le</strong> Bouc en or, The Golden Ram, 140 versions).<br />
L'estime de l'homme du peuple se manifeste le plus clairement dans la<br />
description de la dame bourgeoise. La femme du marchand, de l'aubergiste ou de<br />
toute autre maison riche, est « majestueuse », c'est un être puissant qui, un trousseau<br />
de clés attaché à la ceinture, dirige sa maison et commande les domestiques. Elle est<br />
souvent généreuse et compréhensive, toujours adroite et calme. Comme l'élimination<br />
d'un criminel ou d'un intrus dans le conte finnois se fait par la mise à mort, il n'est<br />
pas étonnant que la femme bourgeoise soit aussi prompte à saisir la hache ou le<br />
couteau qu'un homme. <strong>Le</strong> meurtre en tant qu'auto-défense n'était nullement tenu pour<br />
un crime, c'était, au contraire, une bonne action.<br />
L'image de la femme d'un bourgeois aisé ou de la maîtresse de maison d'une<br />
ferme est, de toute façon, sympathique, même séduisante. Dans les dures conditions<br />
de vie de la campagne, une riche personne était considérée, de tous les points de vue,<br />
comme une personne exemplaire.<br />
La description des filles bourgeoises a évidemment été aussi difficile pour les<br />
conteurs que la peinture des princesses. Comme il a été dit, la jeune fille bourgeoise<br />
des contes finnois est plus un actant répondant d'une action déterminée qu'un<br />
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