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LES VERSIONS FRANÇAISES ET FINNOISES DES TROIS FRÈRES<br />
et quatre versions résumées. Par ailleurs, les protagonistes héritent aussi d'une<br />
échelle, d'une brouette et d'un sac. <strong>Le</strong>ur départ dans le monde connaît toutes les<br />
variations possibles : quelquefois ils restent ensemble tout le temps ; quelquefois ils<br />
partent ensemble, mais se séparent à un carrefour ; il arrive aussi que les départs se<br />
succèdent : l'un ne s'en va qu'après le retour de l'autre. <strong>Le</strong>s garçons entretiennent le<br />
plus souvent des rapports amicaux entre eux et vont jusqu'à s'entraider et se donner<br />
des conseils. Il est rare qu'il y ait de l'antagonisme entre eux, mais peut-être est-il<br />
loisible d'en voir une trace dans la version gasconne, où le cadet dit en rentrant :<br />
- Eh bien, moi, j'ai fait une plus belle fortune que vous ! (Perbosc, p. 207)<br />
réplique qui peut être interprétée comme une revanche du plus petit sur ses<br />
aînés. Plus intéressante de ce point de vue est une des versions bretonnes où le père<br />
donne à l'aîné le moulin et aux autres un coq, une échelle et un chat. <strong>Le</strong> sort de l'aîné<br />
est enviable :<br />
Celui qui avait le moulin, qu'était le mieux partagé, le moulin ne marchait<br />
plus, alors il ne pouvait plus vivre. Il fut obligé de quitter son moulin et de<br />
partir et ses frères vivaient comme trois millionnaires après, puisque ils<br />
avaient de l'argent à pleines poches. (de Félice, p. 171)<br />
Même dans certaines versions finnoises, celui qui, au départ, est le mieux loti,<br />
finit dans la misère, et on pourrait éventuellement interpréter cela dans le même sens<br />
que la parabole sur les talents : celui qui ne fait pas d'efforts, mais se met à se<br />
reposer sur ses lauriers, ne mérite pas d'être bien traité par le destin.<br />
Dans l'histoire des Trois frères peuvent s'enchâsser d'autres contes types 1 ,<br />
mais en général cela ne la rend pas méconnaissable ni n'en altère la structure de base.<br />
Par contre, nous voyons une altération importante dans la version ardennaise où les<br />
frères n'héritent de rien, mais cherchent des moyens pour sortir de la misère :<br />
- Père ! si tu savais le beau rêve que j'ai fait cette nuit !<br />
- Ah ! et qu'as-tu donc rêvé, garçon ? (_)<br />
- Tu sais bien qu'un jour, M. le curé nous avait prêté un beau livre où j'ai lu<br />
qu'en certain pays on faisait la moisson avec une arbalète.<br />
- Une arbalète ! Et comment ça ?<br />
- Voici : quand les blés sont mûrs, les gens de ce pays prennent leur arbalète<br />
et tirent sur les épis. A mesure qu'ils tombent, ils les mettent à côté les uns des<br />
autres et les enlèvent quand ils sont en gros tas ; ainsi se fait la récolte. Mais<br />
j'ai idée que si je vais dans ce pays avec des faucilles, je les vendrai le prix<br />
que je voudrais, et qu'alors, en peu de temps, je reviendrai riche _ (Meyrac, p.<br />
515).<br />
<strong>Le</strong> songe de l'aîné pêche contre la logique du récit qui veut que les frères<br />
ignorent à priori l'usage qu'ils peuvent faire de l'objet en leur possession, ce qui<br />
toutefois ne les empêche pas de le promener à travers le monde. Par la suite, ils sont<br />
récompensés de leur persévérance. Que les garçons soient préalablement informés de<br />
l'existence d'un pays où un certain objet est inconnu, non seulement diminue ou rend<br />
nul leur mérite, mais apporte surtout une distorsion à la structure du conte, à laquelle<br />
les prolepses ou anticipations temporelles sont étrangères. La narration suit et doit<br />
suivre l'ordre dans lequel les événements ont lieu. Relevons en passant que du point<br />
de vue qui est le nôtre, la façon dont les frères Grimm débutent leur version à eux,<br />
est particulièrement maladroite :<br />
1 par ex. le n° 551 de l'index d'Aarne-Thompson.<br />
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