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LE CONTE<br />
d'être péjoratif introduit l'idée de fragilité, de délicatesse. Il inscrit aussi l'isotopie<br />
fondamentale de la petitesse : Cendrillon est la plus petite des trois sœurs, elle est<br />
tenue pour une petite chose par sa belle-famille mais elle voit sa situation s'améliorer<br />
grâce à la reconnaissance que lui vaut son petit pied. On voit à quel point le prénom<br />
est motivé.<br />
Dans les versions populaires, le prénom est nettement plus dépréciatif et<br />
davantage encore dans « Cendrouillonne » où l'on entend « souillon ». Dans cette<br />
version québécoise, il sera d'ailleurs moins question de petitesse que de saleté et à<br />
cet effet il faut encore dire que si le motif de la petite chaussure demeure présent, il<br />
reste que si la chaussure va à Cendrouillonne, c'est moins à cause de la délicatesse<br />
rare de son pied qu'à cause du fait qu'elle est très jeune et que par conséquent, « elle<br />
ne chausse pas grand ».<br />
Cendrouillonne est sale et elle doit apprendre à se laver comme elle doit<br />
d'ailleurs tout apprendre. Sa métamorphose en jolie princesse passe par un<br />
apprentissage qui va de la salle de bain aux cours de danse. Il semble à la fin du<br />
conte qu'elle soit sur la bonne voie encore que lorsqu'on lui permet d'essayer la<br />
chaussure on lui dise de faire attention à ne pas la salir...<br />
Au bal, ou plutôt à la veillée, Cendrouillonne avoue ne pas savoir danser.<br />
Nous avons alors droit à un échange assez cocasse entre Cendrouillonne et le prince :<br />
« Fa que i part, il s'en va trouver Cendrouillonne et pis i demande si a voula y<br />
accorder ène danse avec lui, danser.<br />
- Ah, a dit, oui.<br />
Là, a jongla, a ava jamais dansé.<br />
A dit : Oui, coute donc, ça s'apprend. Fa que...<br />
- Ah ben, a dit, je vas vous avertir, j'ai pas dansé souvent. Fa que ch'ais pas si<br />
m'a m'en rappeler. En to cas, je peux tojours assèyer.<br />
- Ah, i dit, ça s'apprend ben.<br />
Enfin, fait plus important, la Cendrouillonne du début du conte est un peu<br />
bête : on la voit successivement jouer dans la cendre par désoeuvrement, se laisser<br />
appeler Cendrouillonne sans sourciller et surtout répondre à sa marraine qui lui<br />
demande si elle veut aller veiller qu'elle « haierait peut-être pas ça » au lieu d'être<br />
désespérée de n'avoir pu y aller.<br />
Sa volonté inexistante au départ, se consolide peu à peu et le deuxième et le<br />
troisième soirs, elle sait ce qu'elle veut : retrouver le prince. A la fin, on assiste à<br />
l'effort qu'elle doit fournir pour faire entrendre sa voix, au moment de l'essai de la<br />
chaussure :<br />
« Fa que Cendrouillonne le ragârda de même. A pense que sa mârraine y ava<br />
dit : Des fois, si tu vena qu'à tenir des idées là, tu pourras le dire qu'ost-ce t'as<br />
dans l'idée, des fois, dans le besoin. »<br />
Outre ces efforts qui apparaissent à la fois maladroits et touchants,<br />
Cendrouillonne possède des défauts qui l'humanisent : elle se montre orgueilleuse,<br />
hypocrite, menteuse et surtout rusée. Une fois transformée en princesse,<br />
Cendrouillonne fait montre d'orgueil :<br />
Ben, a dit, sais-tu, ch'u plus belle que mes soeurs, ch'u plus jolie que mes<br />
soeurs. Ah, a dit, m'a leu jouer un tour, m'a aller veiller où ce qu'i sont mais je<br />
les regârderai pas. Moé, je m'a es reconnaître, eux autres me reconnaîtront<br />
pas.<br />
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