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Le Conte

Tout sur les contes

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DE L'INFORMATION À LA VALEUR : L'INSCRIPTION DU RÉEL DANS LE CONTE…<br />

On assiste dans ce conte à une multiplication des séquences au cours<br />

desquelles le conteur se fait de plus en plus insistant lorsqu'il décrit la force physique<br />

de son héros. L'importance accordée à la force physique participe de la violence<br />

qu'on trouve dans ce conte et c'est pourquoi il importe de s'y arrêter. <strong>Le</strong> conteur<br />

s'attache en effet à mettre en évidence la très grande force physique du héros, Jean,<br />

en insistant chaque fois sur les dimensions de l'opposant. A début, il n'est question<br />

que de « grosseur » :<br />

« Tout d'in coup, i’s'accroche les pieds dans’n’racine de m'risier qu'était gros<br />

comme ça. »<br />

Par la suite, la grosseur est mesurée. <strong>Le</strong> géant mesure « pas moins qu'sept<br />

pieds, pis les épaules pas moins que quat'pieds d’large » ; la boule que Jean lance est<br />

« ène boule de cinq cents liv' » ; les licornes qu'il affronte sont plus grosses que des<br />

vaches et leur corne fait deux pieds de long, etc.<br />

Tout au long du conte, c'est cette incroyable force physique de Jean qui<br />

semble être la finalité du conte. Effectivement, selon la classification de Propp, la<br />

vengeance de Jean devrait avoir lieu avant le mariage avec la princesse, or, autant<br />

Jean refuse d'abord d'épouser la princesse, autant une fois qu'il a recouvré la vue, il<br />

s'empresse de récupérer son ruban et de se venger de ses parents. Au sens propre<br />

comme au sens figuré, la force physique et son corollaire, la violence, sont les<br />

éléments sémantiques les plus importants du conte.<br />

La troisième quête du héros nous le montre d'ailleurs à la recherche de<br />

violence gratuite. Car les deux premières fois, si c'est le géant qui envoie Jean vers la<br />

mort, la troisième fois, ce n'est pas le géant qui l'envoie au château même s'il se<br />

réjouit de voir Jean courir à sa perte. Ce n'est pas non plus parce que Jean sait qu'une<br />

princesse y est enfermée qu'il y va. C'est uniquement pour se mesurer à l'autre géant,<br />

dont son beau-père a vanté la force, et le tuer.<br />

<strong>Le</strong>s contes sont en général fort violents mais cette violence, la plupart du<br />

temps, est masquée par le langage. Lorsque la Bête annonce au père de la Belle qu'il<br />

doit mourir puisqu'il a volé une rose de son jardin, c'est avec galanterie que la Bête<br />

s'exprime, désamorçant par là le contenu de ce qui est dit. Ici, au contraire, la<br />

violence est amplifiée par la façon de conter du conteur, laquelle est indissociable du<br />

réel québécois puisque ce qu'elle implique, c'est moins un « accent » (au sens de<br />

prononciation) qu'un ensemble de phénomènes linguistiques.<br />

Une certaine violence verbale porte pour ainsi dire la violence du contenu, lui<br />

donnant forme. C'est sans doute à cause de cette adéquation entre la façon de conter<br />

et le conte que Luc Lacourcière parle d'Hermel Tremblay comme d'un très grand<br />

conteur. Corrélativement, c'est sans doute aussi à cause de son vécu linguistique<br />

qu'Hermel Tremblay fait de la violence la forme-sens la plus importante de ce conte.<br />

La violence explose dans le conte à divers moments, un peu comme si la<br />

soupape des redites qui balisent le conte, les fréquentes ruptures syntaxiques qui<br />

existent chez les analphabètes, les hésitations trouvaient dans les passages violents<br />

une canalisation. Au fur et à mesure des séquences, la syntaxe du conteur lors des<br />

descriptions de scènes violentes se fait de plus en plus paroxystique, annonçant en<br />

quelque sorte le dénouement du conte. Vitesse et violence sont ici liés dans le<br />

procédé rhétorique de l'accumulation qui nous devient sensible par la répétition de<br />

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