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LE CONTE<br />
au héros une bourse remplie d'or et toujours pleine ; le héros fait montre de<br />
générosité et à la fin il épouse la jeune fille qui a bien voulu de lui lorsqu'il était sale.<br />
<strong>Le</strong> seule différence réside donc dans la situation initiale mais elle change à tel<br />
point le sens du conte qu'on est forcé d'y voir davantage qu'une variante. La version<br />
européenne fait état d'un héros moral, préoccupé de son salut et dont l'épreuve est<br />
fort longue. C'est le héros possible d'une Allemagne dévastée après la guerre de<br />
Trente Ans. Dans la version canadienne, rien de tel. Richard Crassé est fils de<br />
paysans pauvres comme le sont la plupart des paysans de la fin du XIXe siècle (d'où<br />
l'exode vers les Etats-Unis). Ces paysans ont été refoulés vers de nouvelles terres<br />
pour la plupart incultivables, ce à quoi le conte fait allusion :<br />
« I, viviont ben pauvres. Toujours, i’aviont pris une terre ben loin de chez<br />
eux. »<br />
Une nouvelle allusion est faite à la colonisation des terres nouvelles lorsque<br />
Richard décide de s'exiler :<br />
« Ah ! i’a dit, j'sus à bout’rester icitte sus les terres neuves. J'vas découvrir du<br />
pays ».<br />
Lorsque le diable apparaît à Richard, tous deux sont tout de suite dans un<br />
rapport de familiarité. L'apparition du diable n'a pas pour but de vérifier le courage<br />
de Richard :<br />
« Après que l'homme a été parti, son père, quoi c'est qui arrive là ? Une<br />
personne noire. Richard a commencé à r'garder, i’a pensé : « C'est l'yable tout<br />
pur, c'est lui ».<br />
Il a dit :<br />
- Bonjour, Richard.<br />
- Bonjour, le yable. »<br />
Richard n'a aucune épreuve à affronter, il n'a pas à abattre un animal sauvage<br />
et surtout il ne doit rester sale qu'une seule année. Il n'est jamais question du salut de<br />
son âme. Ce n'est pas sa force morale qui fait sa valeur, c'est son argent. Dans la<br />
version européenne la richesse vient récompenser de hautes vertus morales ; dans la<br />
version canadienne la manque d'argent motive à lui seul tout le conte.<br />
<strong>Le</strong> ruban vert me paraît toutefois présenter davantage d'intérêt que Richard<br />
Crassé car le propos de ce conte est structuré par le réel linguistique du conteur. Il<br />
s'agit d'un conte plutôt long, ce qui indique qu'il provient des chantiers où se<br />
retrouvait la main d'œuvre masculine l'hiver venu. Dans ces chantiers où les soirées<br />
étaient très longues, il n'était pas rare qu'un conte dure jusqu'à trois heures.<br />
<strong>Le</strong> ruban vert est l'histoire d'une mère et de son jeune fils obligés de quitter<br />
leur village à la suite d'une malhonnêteté de la mère. Sur leur chemin, le fils trouve<br />
un ruban vert qu'il s'attache autour du corps et qui lui donne une force surhumaine.<br />
Ils arrivent chez un Géant dont les deux fils s'enfuient bientôt, effrayés par la force<br />
de Jean. <strong>Le</strong> géant épouse la mère et veut bientôt se débarrasser de Jean avec la<br />
complicité de sa femme. Il envoie Jean à une mort certaine par trois fois ; la<br />
troisième fois, Jean délivre une princesse mais refuse toutefois de l'épouser, se disant<br />
trop jeune pour le mariage. Il rentre chez lui et le géant parvient à lui dérober son<br />
ruban, à lui crever les yeux et à le mettre à la porte. Jean retrouve alors la princesse<br />
qu'il épouse et la vue lui est rendue peu après grâce à une eau miraculeuse. Alors, il<br />
va récupérer son ruban et à son tour crève les yeux du géant et de sa mère.<br />
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