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DE L'INFORMATION À LA VALEUR : L'INSCRIPTION DU RÉEL DANS LE CONTE…<br />
1. L'INSCRIPTION DU RÉEL<br />
<strong>Le</strong>s versions canadiennes du Ruban vert et de Richard Crassé sont<br />
profondément marquées par le réel du pays autant dans les détails que dans la façon<br />
de conter. Ainsi, dans <strong>Le</strong> Ruban vert, une incise du conteur fait état de la réalité<br />
socio-économique de l'époque (l'histoire est contée en 1948). Racontant le voyage de<br />
la mère et du fils, Hermel Tremblay y va de ses propres observations :<br />
« Dans ce temps-là, les chemins étaient pas longs et les campagnes étaient pas<br />
désertes comme maintenant. »<br />
Il y a là une allusion claire à l'exode des ruraux vers les grandes zones<br />
urbaines, particulièrement massif de la fin du XIXe au début du XXe siècle. Ces<br />
réflexions du conteur historicisent le conte tout en étant accompagnées d'un autre<br />
type de réflexions qui situent paradoxalement celui-ci dans une contemporanéité qui<br />
est celle du contage et qui ne semble pas gêner le conteur outre mesure. Ainsi,<br />
parlant de la boule de cinq cents livres que le héros envoie dans les airs, le conteur<br />
dit :<br />
« V'là la boule qui monte en tourpignant, pis’à v'là qui gronde pareil à in<br />
avion (...) »<br />
<strong>Le</strong>s informations sur le réel sont donc souvent contradictoires puisqu'elles<br />
font se rencontrer des réels éloignés l'un de l'autre (ici une information renvoyant à la<br />
fin du XIXe siècle et une autre contemporaine du contage) ; ceci montre bien que la<br />
valeur informative du conte est toute relative. Hermel Tremblay a beau avoir le<br />
dessein de situer son conte dans un temps passé, le présent le rattrape sous la forme<br />
d'un avion ou d'une voiture.<br />
Dans Richard Crassé, il est indistinctement question du roi ou du seigneur<br />
chez qui Richard « pensionne » (habite). Là encore, il y a allusion aux diverses<br />
seigneuries autour desquelles s'organisait la vie des paysans avant la Conquête<br />
(1760). Ce n'est là qu'un détail, un témoignage du temps passé mais lorsqu'il est<br />
question de l'exil de Richard au début du conte, peut-on toujours dire qu'il ne s'agit<br />
que d'un détail ? Richard Crassé est un conte qu'on retrouve peu en Europe de<br />
l'ouest ; il est surtout présent en Europe de l'est et en Scandinavie. Or, dans la plupart<br />
des versions européennes, le héros est un ancien soldat sans foyer dont les parents<br />
sont morts et que ses frères ont rejeté. Comme la plus ancienne version connue est<br />
celle du poète allemand Grimmelshausen et qu'elle remonte à 1670, on peut supposer<br />
que la version européenne entretient un lien avec la guerre de Trente Ans (1618-<br />
1648) à laquelle a participé Grimmelshausen. Comme on sait aussi qu'il existe une<br />
version des frères Grimm et que le projet des Grimm était de plonger aux sources de<br />
ce qui constituait le fond national allemand, on comprend que plusieurs éléments du<br />
conte aient été transformés au Canada. A tel point d'ailleurs que Luc Lacourcière<br />
n'est pas sûr qu'il s'agisse du même conte. Outre la situation initiale dissemblable où<br />
l'on retrouve un soldat en Europe et un paysan au Canada, d'autres éléments sont<br />
absents d'une version à l'autre.<br />
Dans la version européenne, lorsque le diable apparaît au héros, c'est pour<br />
vérifier si celui-ci est un poltron. Par la suite, il lui fait tuer un ours et l'oblige à se<br />
vêtir de la peau de l'ours. Non seulement le héros ne devra pas se laver pendant sept<br />
ans, mais surtout il ne devra pas enlever la peau. Pendant ces sept années, la<br />
préoccupation majeure du héros sera de ne pas mourir afin de ne pas perdre son âme.<br />
Pour le reste, les versions européenne et canadienne sont identiques : le diable donne<br />
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