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LE CONTE<br />
relative). <strong>Le</strong>s cendres de la mort en contact avec une graine de calebassier vont<br />
transférer à la calebasse la spécificité mortifère du dieu vaincu et vont faire de celleci<br />
un Monstre dévorant.<br />
Dans le conte des Grands Lacs, il est plus difficile de percevoir les traces de<br />
la pensée magique ; le seul objet explicitement magique est le rocher. Il appartient<br />
comme le tronc d'arbre, la termitière, la rivière, à la classe des items susceptibles de<br />
permettre la communication avec l'autre monde. La grotte qui fait partie du monde<br />
secret et magique est une porte, un seuil dont nous avons déjà indiqué les<br />
connotations sexuelles et l'appartenance à la série analogique impliquée dans l'acte<br />
de re-création de l'humanité. Cette porte magique que l'on retrouve dans de<br />
nombreux contes au Rwanda et au Burundi et qui s'ouvre et se referme grâce à une<br />
formule magique, un mot de passe est difficile à expliquer sur le plan magique.<br />
Cependant on pourrait trouver son origine dans la pratique des langues secrètes<br />
utilisées par les prêtres et les guides initiatiques. Ces formules ouvrent<br />
métaphoriquement la porte vers des lieux sacrés ou infernaux, en fait elles<br />
convoquent à l'existence ces mondes surréels ou ces êtres surréels ; pratiques que<br />
l'on retrouve dans les rites et cérémonies.<br />
<strong>Le</strong> cas des graines (de sésame ou de courge) est encore plus étrange ; lié à<br />
l'ouverture et à la fermeture des portes magiques donnant sur les mondes infernaux,<br />
on les retrouve dans les contes tchadiens. Par exemple, dans le Fabricant d'hommes 1<br />
une fille dévorée par un lion est recréée, c'est à dire arrachée au monde des nonvivants,<br />
des esprits et sa mère doit retourner à son village sans se retourner et en<br />
jetant par dessus son épaule des graines de sésame. On retrouve ainsi le passage d'un<br />
monde à un autre, la poursuite par des êtres infernaux que l'on apaise ou dont on se<br />
défait grâce au jet de graines. Il est surprenant que les contes et les mythes incluent<br />
des petites graines dans des fonctions similaires et tissent ainsi un réseau de relations<br />
qui est lié au principe de résurrection comme analogon du cycle de germination. <strong>Le</strong>s<br />
contes du Monstre dévorant, le mythe d'Orphée, le conte d'Ali Baba et des quarante<br />
voleurs, le mythe de Déméter et bien d'autres sont alors susceptibles d'interprétations<br />
concordantes dans la mesure où des mondes souterrains et des graines deviennent<br />
magiques grâce à l'analogie de la résurrection humaine et du cycle végétatif de la<br />
graine.<br />
On comprend pourquoi des graines qui passent l'hiver ou la saison sèche sous<br />
terre, retrouvent vie, font éclater leur coque (contenant infime et féminin par rapport<br />
à la plante qui en sortira), percent la terre grâce à leur pouvoir de germination,<br />
passant ainsi d'un monde dans l'autre. La pensée magique en a fait un passeport pour<br />
le voyageur inter-mondes, et une nourriture pour les êtres chthoniens.<br />
On saisit aussi que la résurrection des êtres nécessite la conservation d'une<br />
partie du corps, qu'un pouce puisse contenir la famille de Baba. <strong>Le</strong>s équivalences<br />
magiques suivantes peuvent être inférées :<br />
tête = graine, os = rameau bourgeonnant, ventre = caverne, cendre=pollen,<br />
femme enceinte = terre ensemencée…<br />
1 J. FORTIER, op. cit.<br />
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