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Le Conte

Tout sur les contes

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PROBLÈMES DE LECTURE DU MYTHE GREC<br />

et simple d'un lieu et de son éponyme, Asie dérive d'Asieus, Libye de Libys, etc. ?<br />

En fait l'énigme de la motivation du toponyme se trouve déplacée sur l'épisode<br />

originel où l'éponyme transmet son nom à un lieu, voire à un continent. <strong>Le</strong> lien entre<br />

le toponyme et l'éponyme doit lui-même être motivé, donner lieu à un récit. La<br />

démarche étiologique, par le biais de l'archéologie du paysage ou de l'étymologie,<br />

génère ainsi la création mythographique : celle-ci a ses professionnels,<br />

grammairiens, lexicographes, antiquaires. Tous ont horreur du vide et suppléent par<br />

leur ingéniosité les lacunes des traditions locales.<br />

Comment gérer cette profusion de récits ? Comment transformer la<br />

mythologie en mythographie ? <strong>Le</strong> recueil mythographique est en fait une<br />

mnémotechnique : il doit permettre au mythographe de vérifier qu'il n'oublie rien. Il<br />

doit offrir au lecteur le moyen de se repérer dans un dédale de traditions et de<br />

variantes. Il délimite également un espace critique, se prêtant à la confrontation des<br />

traditions, au choix des meilleures variantes, invitant à porter des jugements sur la<br />

vraisemblance de tel récit ou encore suggérant l'interprétation. <strong>Le</strong> mythe, cette parole<br />

diffuse et insaisissable, est donc fixé par l'écriture. La mythographie n'est pas un<br />

phénomène tardif où la mémoire artificielle de l'écriture viendrait se substituer à la<br />

mémoire vivante et défaillante des cités grecques, mais une activité qui apparaît avec<br />

les premiers textes historiques utilisant l'écriture alphabétique, telles les Généalogies<br />

d'Hécatée de Milet 1 .<br />

Quels sont les enjeux de cette utilisation de l'écriture ? Elle permet de<br />

nouvelles opérations intellectuelles : maîtriser et manipuler les récits mythiques, les<br />

classer, les recenser, en fixer les versions canoniques ou littéraires. L'écriture permet<br />

d'englober la profusion des mythes, la dissémination qui les rend insaisissables, dans<br />

l'espace clos d'un recueil, d'un catalogue. La possibilité de la complétude et de<br />

l'exhaustivité s'accompagne de celle d'éviter les redondances, les lacunes et les<br />

ellipses. L'écriture construit aussi un espace critique où l'on peut comparer, résoudre<br />

les contradictions, rationaliser. Il est possible de mettre en présence deux récits<br />

contradictoires, et de rétablir par une intervention directe la cohérence. L'écriture<br />

invite à des choix, à des décisions.<br />

Mais la mythographie ne se limite pas à ce pouvoir d'archivage des traditions<br />

orales. Elle est aussi une opération technique de réélaboration et de mise en ordre, et<br />

de nouveaux éléments peuvent dès lors interférer avec la logique symbolique du<br />

mythe. L'écriture des mythes, tout en continuant à respecter les significations<br />

profondes du mythe et la pertinence des catégories qu'il met en œuvre, obéit à<br />

d'autres critères : par exemple le critère esthétique (la beauté d'un récit ou d'une<br />

description, le choix d'un langage littéraire orné de métaphores), le critère hédonique<br />

(provoquer le plaisir du lecteur par un récit bien construit, aménageant des surprises,<br />

suscitant des émotions). Car si la mythographie est lourde d'implications sur le plan<br />

de l'écriture, de la mise en forme des mythes, elle n'est pas moins déterminante pour<br />

la réception même de ces récits. Aux situations de la communication orale, à<br />

l'interaction du récit et du paysage, à l'autorité des énonciateurs du mythe, dans la<br />

campagne ou la cité, elle substitue cet objet nouveau qu'est le livre (le rouleau de<br />

papyrus, puis le codex en parchemin), cette opération intellectuelle qu'est la lecture,<br />

1 Voir Marcel DETIENNE, L'invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981, p. 123- 154.<br />

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