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PROBLÈMES DE LECTURE DU MYTHE GREC<br />
Finalement, à quoi sert la perpétuation des mythes grecs, quelle est la<br />
fonction intellectuelle et sociale de ces mythologies et mythographies ? Pourquoi<br />
faut-il toujours reprendre les mêmes récits, les collecter en de nouveaux recueils, les<br />
recenser et les recopier, les récrire tout en les transformant ? Qu'est-ce que le mythe<br />
donne à penser et comment le donne-t-il à penser ? Certes, nous avons vu les liens du<br />
mythe avec les catégories symboliques qi structurent la perception du monde dans<br />
une société déterminée. Mais notre interrogation présente porte sur la rationalité<br />
spécifique qui est à l’œuvre dans la reproduction même du récit mythique, sur les<br />
logiques intellectuelles présidant à la gestion, à la classification et à la<br />
remémorisation des mythes. Comment une société, par la médiation d'experts,<br />
procède-t-elle à l'archivage de ses traditions ? Comment peut-on écrire la mythologie<br />
et donner une cohérence à cette dissémination infinie de récits et de variantes,<br />
comment peut-on s'assurer que l'on n'oublie aucun mythe ou que l'on ne le raconte<br />
pas deux fois ?<br />
<strong>Le</strong> mythe nous semble être l'un des instruments privilégiés de la pensée<br />
étiologique. Nous définissons cette dernière comme la science de la motivation. Elle<br />
relève également de la métaphore, en ce sens qu'elle établit des jonctions, des<br />
correspondances entre la réalité objective et le corpus mythique. La pensée<br />
étiologique utilise les mythes pour donner au réel une mémoire, des racines dans le<br />
temps, une origine assignable. Elle transforme en outre le perceptible en lisible et en<br />
dicible. Deux cas sont à envisager : l'herméneutique de l'environnement naturel et<br />
l'étymologie.<br />
L'herméneutique de l'environnement projette le sens sur les éléments du<br />
paysage : sources, pierres, arbres, plantes, accidents du relief. La culture se<br />
superpose ainsi à la nature, en transforme la perception. <strong>Le</strong> passé du mythe<br />
transparaît dans l'actualité d'un regard ou d'un parcours. La présence objective, la<br />
permanence du paysage déterminent la vérité du récit mythique, puisqu'elles le<br />
projettent dans la réalité sensible. <strong>Le</strong> mythe est vrai, car j'en vois les traces inscrites<br />
dans le paysage. Encore faudrait-il bien saisir le sens de cette procédure véridictoire.<br />
Lorsque l'on dit que ce rocher est le siège improvisé sur lequel la déesse Déméter<br />
s'est reposée lorsqu'elle recherchait sa fille enlevée, lorsque l'on rappelle que sur cet<br />
autre rocher Orphée posa jadis sa lyre, on ne veut pas prouver la réalité de Déméter<br />
ou d'Orphée. <strong>Le</strong>urs existences n'ont jamais été réellement contestées. Ce qu'il s'agit<br />
en revanche de prouver, c'est qu'Orphée ou Déméter, à un moment de leur histoire,<br />
se sont réellement trouvés dans ce lieu, dans ce point du territoire de la cité, et que<br />
cette dernière peut, par conséquent, s'enorgueillir de ces vestiges glorieux. Ce qui<br />
apparaît ici est donc une certaine forme de sémiologie : les indigènes ou le<br />
mythographe doivent identifier les signes cachés dans le paysage, et déterminer en<br />
même temps leur signification. Cette herméneutique du paysage conduit à suspecter<br />
des pierres, des plantes à l'apparence anodine : les éléments naturels du paysage ne<br />
sont pas ce qu'ils paraissent être. Un arbre peut être l'antique victime de quelque<br />
métamorphose, une fleur ou une source de même, un rocher, lui, peut être un siège<br />
divin.<br />
Dans la parole des informateurs locaux comme dans le texte du mythographe,<br />
la narration mythique est ponctuée de gestes déictiques, parfois simples opérateurs<br />
rhétoriques qui viennent garantir l'inscription du mythe dans la réalité. <strong>Le</strong> postulat de<br />
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