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Le Conte

Tout sur les contes

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PROBLÈMES DE LECTURE DU MYTHE GREC<br />

séduction. Pour en comprendre les significations profondes, il va s'attacher à<br />

explorer les ramifications analogiques du mythe, à remonter la chaîne de ses<br />

présupposés, à reconstituer le savoir partagé et implicite qui le sous-tend.<br />

Il est impossible de rendre compte de la présence des aromates dans le mythe,<br />

si l'on ne s'attache pas à retrouver la manière grecque de concevoir ce secteur du<br />

monde végétal. L'important est moins le savoir botanique moderne que le savoir<br />

antique lui-même, l'ensemble des informations, des récits véhiculés par la tradition<br />

littéraire, mais aussi les pratiques, les rituels, les usages quotidiens. Il faut donc<br />

explorer la géographie spécifique des aromates (en quelle région de la terre<br />

apparaissent-ils ?), suivre les méandres des spéculations antiques expliquant leurs<br />

senteurs particulières. Il faut également appréhender leur rôle dans le sacrifice<br />

civique, leur fonction de condiment culinaire, mais aussi leur pouvoir de conjoindre<br />

le haut et le bas, les hommes et les dieux. <strong>Le</strong>s aromates sont également du côté de la<br />

séduction, avec l'usage érotique des onguents et des parfums. Un partage<br />

fondamental se dessine ainsi entre le monde d'Adonis, des aromates, de la séduction<br />

érotique, et le monde de Déméter, de la culture des céréales, du mariage légitime.<br />

L'incompatibilité de ces deux mondes apparaît bien lors de la fête des Adonies, au<br />

cœur de l'été, au moment de la canicule : les femmes font pousser en quelques jours,<br />

dans de petits pots exposés en plein air, des céréales et des plantes potagères. Mais<br />

c'est là une culture sans fruits, desséchée à peine germée. <strong>Le</strong> blé ne peut être traité<br />

comme un aromate et se développer sous le feu excessif du soleil. <strong>Le</strong> mythe d'Adonis<br />

permet ainsi de penser le mariage et son envers, l'agriculture et cet autre qu'est la<br />

culture des aromates. Il met en jeu les catégories symboliques organisant la<br />

taxinomie végétale, les grands principes fondamentaux permettant de classifier le<br />

monde naturel (froid/chaud, sec/humide). Pour être compris, il implique de ses<br />

destinataires la maîtrise préalable de tous ces codes.<br />

Il n'est pas dans notre propos d'entrer plus avant dans l'analyse de Marcel<br />

Detienne. Mais il nous semble que l'analyse structurale de type anthropologique<br />

conduit à formuler différemment les problèmes de la réception du mythe, tels que<br />

Paul Veyne a tenté de les théoriser. La réception du mythe, à présent, ne se pose plus<br />

en termes de croyance ou d'incrédulité, de vraisemblable ou d'invraisemblable. En<br />

privilégiant les modalités de rationalisation du mythe par épuration du merveilleux,<br />

Veyne était conduit à assimiler le mythe à l'histoire, à le considérer comme un savoir<br />

sur le passé, devant affirmer sa vraisemblance, sinon sa vérité. Or c'est précisément<br />

dans le merveilleux et l'irrationnel, dans le détail absurde et incongru que se loge la<br />

pensée symbolique. L'anthropologie culturelle nous conduirait ainsi à définir le<br />

mythe comme un moyen (parmi d'autres) d'affirmer et de maintenir la cohésion d'une<br />

communauté partageant le même univers symbolique. Cette communauté peut être<br />

celle d'une cité, d'une région ou d'une aire géographique, comme elle peut être une<br />

communauté de culture : la propagation de l'hellénisme, après les conquêtes<br />

d'Alexandre le Grand, entraînait aussi la diffusion d'une pensée, d'une langue, des<br />

catégories symboliques. L'acculturation des élites indigènes supposait l'acquisition et<br />

la maîtrise de l'ensemble de cette compétence. <strong>Le</strong> mythe serait ainsi à ranger parmi<br />

les proverbes, les manières de tables, la politesse, tous les rites religieux et sociaux,<br />

bref, tout ce qui crée une connivence entre les membres d'une même communauté.<br />

La spécificité du mythe résiderait dans son pouvoir de réactiver un savoir implicite<br />

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