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PROBLÈMES DE LECTURE DU MYTHE GREC<br />
PROBLÈMES DE LA RÉCEPTION DES MYTHES EN GRÈCE<br />
Il est de la plus haute importance de comprendre les modalités de la réception<br />
des mythes dans l'antiquité grecque. Ce sont en effet les lecteurs et les auditeurs qui<br />
déterminent le sens du mythe, sa valeur, son intérêt, sa place dans l'éventail des types<br />
de récits et de discours. En d'autres termes, les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ?<br />
Telle est la question fondamentale que s'est posée dernièrement Paul Veyne 1 .<br />
L'auteur part du fait que le mythe se présente comme un récit, comme un énoncé :<br />
quelle va être la réaction du destinataire, quel comportement intellectuel adoptera-til<br />
? <strong>Le</strong> projet de P. Veyne est d'étudier la mythologie comme un champ d'expérience.<br />
De quelle oreille écoutait-on ces récits de métamorphoses, de dieux et de héros,<br />
d'exploits fantastiques et d'êtres monstrueux ? Comment pouvait-on admettre la<br />
réalité de l'univers mythique, alors que le monde quotidien ne montrait nulle trace de<br />
pareilles merveilles ? Où passe la frontière entre le réel et le mythique, quelle est la<br />
différence entre la connaissance historique et la connaissance mythique du passé ?<br />
<strong>Le</strong> mythe, en effet, renvoie au passé, au temps des origines : il livre donc des<br />
informations invérifiables, que l'on ne peut confronter à une expérience vécue.<br />
Comment les Grecs ont-ils pu développer les sciences et la philosophie tout<br />
en croyant à des histoires de loups garous ? Quelle est la place de la croyance en de<br />
telles histoires dans l'organisation mentale de l'homme grec ? Veyne, pour répondre à<br />
ces questions, veut avant tout situer le mythe au-delà de l'alternative vrai/faux. La<br />
croyance, en effet, obéit à une logique plus complexe que ce partage binaire : elle<br />
n'est pas assujettie au principe de non-contradiction. On peut croire simultanément à<br />
des choses différentes, voire contradictoires, tout en étant de bonne foi. On passe<br />
ainsi d'un programme de vérité à l'autre. Car telle est l'hypothèse de Veyne : il n'y a<br />
pas une vérité intemporelle, mais chaque société, chaque culture procède à ses<br />
propres partages entre le vrai et le faux, et peut admettre plusieurs programmes de<br />
vérité. Un monde n'est donc pas réel ou fictif en lui-même, mais selon que l'on y<br />
croit ou pas. Veyne prend l'exemple de la lecture : la lecture nous propose un contrat<br />
spécifique. Elle délimite dans le temps une expérience autonome et nous offre un<br />
programme de vérité singulier, différent de celui du monde réel : nous pouvons, le<br />
temps d'une lecture, croire à l'univers absurde et délirant d'Alice au pays des<br />
merveilles. Mais il y a certaines sociétés où, le livre refermé, on continue à croire au<br />
monde qu'il présente.<br />
<strong>Le</strong> concept de programme de vérité permet ainsi d'expliquer la croyance en<br />
des objets contradictoires, la coexistence, chez le même individu, de strates de<br />
rationalité différentes. Au hasard de la vie quotidienne, selon les circonstances, cet<br />
individu pourra se référer à l'un ou à l'autre de ces programmes de vérité et déplacer<br />
ainsi la frontière entre le réel et le fictif. L'expérience religieuse, la magie, l'action<br />
politique ou militaire, les gestes de la vie quotidienne, autant de contextes<br />
générateurs de réalités spécifiques. Certes, la croyance aux mythes peut prendre une<br />
dimension différente selon le milieu social, l'âge, la culture du sujet. Dans une même<br />
société, on trouvera une gamme diversifiée de comportements, de l'incrédulité<br />
sceptique et rationaliste à l'adhésion émerveillée. Veyne montre bien que même<br />
l'épuration du mythe demeure une forme de croyance. La « doctrine des choses<br />
1 Paul VEYNE, <strong>Le</strong>s Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Seuil, 1983.<br />
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